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Date : 20170615


Dossier : IMM-3482-16

Référence : 2017 CF 595

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

NDAHIMANA PASCAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 12 juillet 2016 par une agente de l’immigration (l’agente) rejetant sa demande parrainée de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[2]               Le demandeur est un citoyen rwandais âgé de 28 ans et est arrivé au Canada en 2012. Bien que sa demande d’asile et sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aient toutes deux été rejetées, le 15 avril 2015, le demandeur a déposé une demande de parrainage de conjoint au Canada et s’est marié à sa femme, qui est citoyenne canadienne. Le 7 juillet 2016, le demandeur et sa femme ont été interrogés par l’agente relativement aux renseignements fournis dans la demande. À la fin de cette entrevue, il a été demandé au demandeur de déposer d’autres documents pour compléter sa demande, dont son bail, des lettres d’emploi et sa déclaration de revenus pour l’année 2014-2015. Toutefois, dans cette affaire, l’agente n’a indiqué aucun délai précis pour fournir ces documents. Le demandeur a fourni tous les documents requis la semaine suivante, soit vendredi le 15 juillet 2016.

[3]               Dans une lettre datée du 12 juillet 2016, l’agente a rejeté la demande du demandeur au motif qu’elle considérait qu’il ne satisfaisait pas aux exigences requises par la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada tel que prévu au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Selon le paragraphe 4(1) du Règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux a été contracté principalement aux fins d’obtenir un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Cette disposition exclut donc les relations basées sur la mauvaise foi de la catégorie de la famille. Bien que la lettre de refus de l’agente soit courte, cette dernière a inscrit dans ses notes qu’il existait trop de divergences entre les réponses du demandeur et le témoignage donné par sa femme lors de l’entrevue. Par conséquent, l’agente a conclu que l’évolution de leur relation ne semblait pas crédible et que le mariage du demandeur n’était pas authentique.

[4]               Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur, qui n’était pas représenté par un avocat, a déposé les documents requis le 15 juillet 2016, ne sachant pas que l’agente avait déjà rejeté sa demande. Ce n’est cependant que le 19 juillet 2016 que le demandeur a reçu la décision définitive de l’agente. Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire le 17 août 2016, soit après le délai prescrit prévu. Ce retard s’explique par la difficulté qu’il a eue à trouver un avocat bilingue pour le représenter à Edmonton, en Alberta, où il avait récemment déménagé pour son travail. Ce n’est qu’au moment où il a reçu le dossier certifié qu’il a appris l’ensemble des motifs sous-tendant le rejet de sa demande.

[5]               La demande de prorogation pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire n’est pas contestée par le défendeur et est accueillie par la Cour. Premièrement, la partie défenderesse ne subit aucun préjudice de cette décision puisque le défendeur a déjà déposé ses observations écrites sur le fondement de la décision. Deuxièmement, le retard est facilement expliqué par le fait que personne n’a avisé le demandeur du délai de prescription pour exercer son droit de demander un contrôle judiciaire; il n’a pas non plus été avisé qu’il avait droit à ce recours. Il y avait également une intention constante de donner suite à la demande. Enfin, la demande d’autorisation a été accueillie, ce qui suppose que le juge l’ayant accueillie était convaincu que le demandeur a soulevé des arguments ayant des chances de succès.

[6]               Il n’est pas contesté par les parties que la norme de contrôle appropriée pour les questions d’équité procédurale et de justice naturelle est la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79; Essaidi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 411, au paragraphe 11; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 ACS no 12, au paragraphe 43; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 2008] 1 RCS 190, au paragraphe 50).

[7]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[8]               Je statuerai immédiatement sur l’argument subsidiaire soulevé par le demandeur, que je considère sans fondement. Le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas mené l’entrevue de façon adéquate puisqu’elle ne l’a pas confronté avec les incohérences qu’elle avait relevées. Le demandeur souligne que sa femme et lui-même ont été interrogés séparément. Il allègue que ce défaut constitue une violation la justice naturelle et qui, en lui seul, justifie l’intervention de la Cour. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur que l’agente a commis une erreur en ne le confrontant pas à propos des diverses divergences relevées entre son témoignage et celui de sa femme et en ne lui expliquant pas pourquoi les éléments de preuve qu’il a fournis à l’appui ne répondaient pas à ses préoccupations (Anabtawi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 856, au paragraphe 48). La jurisprudence reconnaît qu’en général, les agents des visas n’ont aucune obligation d’aviser les demandeurs de leurs préoccupations lorsque celles-ci découlent d’éléments provenant directement de la preuve présentée par le demandeur ou des exigences prévues par la loi (voir Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1025, [2006] ACF no 1289, au paragraphe 16; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 673, au paragraphe 13).

[9]               La question déterminante en l’espèce relève de la hâte avec laquelle la décision contestée a été rendue. Le demandeur allègue que l’agente a manqué à son obligation d’agir équitablement en rendant sa décision sans attendre de recevoir les documents supplémentaires, qui ont été envoyés une semaine après l’entrevue. Considérant qu’aucun délai formel n’a été donné au demandeur, il était déraisonnable de la part de l’agente de rejeter sa demande seulement trois jours ouvrables après l’entrevue. Répétons que l’entrevue s’est déroulée le vendredi, 7 juillet 2016 et que l’agente a rejeté la demande le mercredi suivant, soit le 12 juillet 2016. En réponse, le défendeur fait valoir que le demandeur n’a démontré aucun manquement à l’équité procédurale puisque les agents n’ont aucune obligation de demander plus de renseignements à un demandeur et que le fardeau appartient à ce dernier de présenter suffisamment de renseignements concluants pour justifier de rendre une décision positive (Pacheco Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 20; Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8).

[10]           En l’espèce, je suis convaincu que l’agente a manqué à son obligation d’agir équitablement en rendant une décision sans attendre de recevoir les documents supplémentaires qu’elle avait sollicités du demandeur lors de son entrevue. Les documents demandés ont été envoyés une semaine après l’entrevue. Il s’agit manifestement d’un délai raisonnable. J’ai examiné l’affidavit de l’agente, qui confirme qu’aucun délai précis n’a été donné au demandeur pour faire parvenir ses documents supplémentaires. Bien que l’agente affirme qu’elle demande généralement aux demandeurs de fournir leurs documents supplémentaires [traduction] « le jour même ou le jour suivant », il n’y a pas de preuve que c’est ce qu’elle a exigé en l’espèce.

[11]           Le défendeur souligne que le demandeur savait avant l’entrevue que son épouse devait apporter plusieurs documents énumérés dans l’avis du 21 juin 2016. En principe, le fardeau appartient au demandeur de fournir tous les documents nécessaires au soutien de sa demande. Toutefois, en l’espèce, l’agente a directement demandé lesdits documents lors de l’entrevue. Dans l’ensemble, je suis d’avis que la conduite de l’agente en l’espèce a donné au demandeur l’attente légitime qu’il bénéficierait d’un délai raisonnable pour fournir les documents et que ceux-ci seraient examinés par l’agente avant qu’elle ne rende sa décision définitive. En omettant d’examiner ces documents, l’agente a contrevenu au droit à l’équité procédurale du demandeur. L’agente a agi arbitrairement en rendant sa décision uniquement trois jours ouvrables après l’entrevue, sans envoyer d’avis au demandeur (Pramauntanyath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 174, au paragraphe 17).

[12]           La Cour suprême du Canada a confirmé que la doctrine de l’attente légitime est « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » (S.C.F.P. c. Ontario (Canadian Region), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539, au paragraphe 131). Cette doctrine provient de la common law et est soulevée lorsqu’une promesse explicite ou une promesse raisonnable implicite formulée au nom d’une autorité publique entraîne une personne à croire qu’une pratique sera respectée (de Araujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 515). Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CSC 699, [1999] 2 RCS 817, où il a été établi qu’il s’agit d’un critère à appliquer pour déterminer quels éléments sont requis par l’obligation d’équité prévue par la common law (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, au paragraphe 94 [Agraira]). Comme la Cour suprême l’a énoncé dans Agraira, les conditions particulières à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime ont été résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada : « la caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‑ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent » (Agraira, au paragraphe 95).

[13]           À la lumière de ce qui précède, la demande de prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire ainsi que la demande de contrôle judiciaire sont accueillies. La décision contestée est annulée et la demande de résidence permanente du demandeur est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent de l’immigration. Aucune question de portée générale n’a été soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de prorogation de délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire ainsi que la demande de contrôle judiciaire. La décision contestée est annulée et la demande de résidence permanente du demandeur est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent de l’immigration. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3482-16

INTITULÉ :

NDAHIMANA PASCAL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2017

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

 

Pour le demandeur

Michel Pépin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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