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Date : 20170613


Dossier : IMM-4559-16

Référence : 2017 CF 580

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

HILARY USOMHINE DAKPOKPO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Mme Dakpokpo demande à la Cour d’annuler la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR0 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 6 octobre 2016, qui a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse contre la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a rejeté sa demande d’asile. Elle a fondé sa demande sur sa crainte de subir une mutilation de ses organes génitaux de la part de ses oncles et des hommes de sa tribu au Nigeria.

[2]               Mme Dakpokpo est une citoyenne non mariée du Nigeria. Elle est originaire de l’État d’Edo, au Nigeria, et fait partie de la tribu Agenebode et du clan Weppa Wanno. Depuis 2005, elle souffre de lésions rénales graves et a reçu un diagnostic de maladie rénale en phase terminale. Elle a bénéficié d’une greffe de rein de sa mère en Inde en 2013.

[3]               Le 7 juillet 2015, Mme Dakpokpo a eu 28 ans. Elle allègue que quelques semaines plus tard, ses oncles paternels et deux hommes de son clan sont venus la voir et lui ont expliqué qu’elle devait subir une mutilation génitale féminine compte tenu de son âge et du fait qu’elle n’était pas mariée. Elle allègue également que ces hommes sont revenus la voir en décembre 2015 pour l’informer que l’intervention aurait lieu en mars 2016.

[4]               Le 22 février 2016, Mme Dakpokpo a quitté le Nigeria pour les États-Unis munie d’un visa de touriste qu’elle avait obtenu lors d’un voyage précédent effectué en décembre 2014. Après son entrée aux États-Unis, elle déclare qu’un homme qu’elle ne connaissait pas l’a conduite en voiture au Canada, à son insu, alors qu’elle était endormie. Elle est entrée au Canada le 26 février 2016 et a fait une demande d’asile le 31 mars 2016.

[5]               La SPR a rejeté sa demande dans une décision écrite datée du 24 juin 2016. Le commissaire de la SPR a conclu que Mme Dakpokpo n’était pas crédible à l’égard d’un certain nombre de sujets et qu’elle avait une possibilité de refuge intérieur à Lagos, au Nigeria. Le 6 octobre 2016, la SAR a rejeté son appel au motif qu’elle avait une possibilité de refuge intérieur à Lagos, au Nigeria. La SAR n’a pas abordé les conclusions de la SPR concernant la crédibilité étant donné qu’elle a conclu que les conclusions n’avaient pas eu d’incidence sur la question déterminante de la possibilité de refuge intérieur.

[6]               Mme Dakpokpo formule les questions comme suit : [traduction]

1.      La SAR a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu’elle avait une possibilité de refuge intérieur à Lagos, au Nigeria, sans aborder les conclusions de la SPR concernant la crédibilité ou sans déterminer si elle était crédible?

2.      La conclusion de la SAR selon laquelle elle avait une possibilité de refuge intérieur à Lagos, au Nigeria, était-elle raisonnable?

1.        Le tribunal doit-il tirer des conclusions au sujet de la crédibilité avant de déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur?

[7]               Mme Dakpokpo dit que la SAR a commis une erreur en n’abordant pas les conclusions de la SPR concernant la crédibilité ou en ne procédant pas à sa propre évaluation de la crédibilité. Elle dit que la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur est inextricablement liée à la crédibilité des allégations du demandeur.

[8]               Mme Dakpokpo, entre autres, cite les paragraphes suivants de la décision du juge Shore dans Torres c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 581, aux paragraphes 1 et 2 [Torres] :

La possibilité de refuge intérieur (PRI) n’entre en ligne de compte qu’une fois que la crédibilité d’un demandeur a été admise :

[5]        Après tout, la protection de l’État et la PRI (les sujets qui intéressent le plus le commissaire) n’entrent en ligne de compte qu’une fois que le récit du demandeur est accepté (c’est-à-dire que l’on a admis sa crédibilité) et que sa crainte objective et subjective est établie [...]

(Bokhari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 574, 139 ACWS (3d) 126).

Dans la détermination des PRI, la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (Commission) doit prendre en compte toute la preuve, dont le témoignage du demandeur à l’audience, ainsi que la preuve documentaire. L’existence d’une PRI peut certes être déterminante en soi; néanmoins, la détermination des régions proposées en tant que viables par la Commission doit refléter une prise en compte de l’ensemble de la preuve.

[9]               À mon avis, ni la décision Torres ni l’affaire qui y est citée (Bokhari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 574) n’appuient la position prise ici par la demanderesse. Dans les deux affaires précitées, la Cour a conclu qu’il faut considérer que le tribunal, en passant directement à la question d’une possibilité de refuge intérieur avait accepté la preuve du demandeur. Lorsque cette preuve contredit la conclusion concernant la possibilité de refuge intérieur, comme c’était le cas dans ces deux affaires, le tribunal doit d’abord examiner les autres questions avant de se pencher sur la possibilité de refuge intérieur. Ces deux affaires ne défendent pas la proposition audacieuse selon laquelle, lorsque la crédibilité est en cause, elle doit d’abord faire l’objet d’une évaluation avant qu’une possibilité de refuge intérieur ne soit examinée.

[10]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ce n’est pas une erreur pour la SAR de conclure que la possibilité de refuge intérieur était déterminante, car les questions de crédibilité soulevées par la SPR en l’espèce (les traditions du clan de la demanderesse, sa sortie du Nigeria et son entrée au Canada) n’ont eu aucune incidence sur l’analyse de la possibilité de refuge intérieur. De plus, en règle générale, le fait de passer immédiatement à une analyse de la possibilité de refuge intérieur ne constitue pas une erreur si l’analyse tient compte de la situation particulière d’un demandeur, ainsi que des éléments de preuve testamentaire et documentaire dont disposait le tribunal. Ce fut le cas là aussi.

2.         La conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur était-elle raisonnable?

[11]           Je conviens avec le défendeur que l’argument avancé par la demanderesse dans son mémoire écrit n’était pas celui qui avait été avancé par l’avocat à l’audience.

[12]           À l’audience, l’avocat a déclaré que la SAR avait souligné la capacité de Mme Dakpokpo à s’adapter aux questions culturelles, aux normes et aux nouveaux environnements à Lagos, le fait qu’elle connaissait bien la langue et la religion, sa capacité à continuer à recevoir le soutien de sa famille, son niveau d’instruction élevé, son emploi antérieur et ses probables perspectives d’emploi, son âge et surtout sa capacité à recevoir des soins médicaux pour sa maladie rénale.

[13]           Comme l’a indiqué l’avocat, le principal problème est que la SAR n’a pas traité le fait que si la demanderesse devait déménager à Lagos, il faudrait qu’elle trouve un logement et un emploi (ce qui lui permettrait alors d’obtenir des soins médicaux), le tout dans un délai de trois semaines, car la preuve dans le dossier montre que faute de recevoir ces soins au cours de cette période, il est probable qu’elle mourra.

[14]           À l’audience, l’avocat a affirmé que cette question avait été portée à l’attention de la SAR; cependant, mon examen du dossier certifié du tribunal n’appuie pas cette allégation. On peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné une observation qui ne lui a pas été faite.

[15]           En tout état de cause, le dossier montre que Mme Dakpokpo avait déjà reçu un traitement à Lagos et que ses frères et sœurs l’avaient aidée à couvrir le coût du traitement. Rien ne prouve que cette aide, à la fois médicale et financière, ne soit plus à sa disposition. L’argument contraire de l’avocat est purement spéculatif. S’il y a des éléments de preuve à l’appui de ces allégations, ils auraient dû être présentés à la SAR; or aucun n’a été présenté à la SAR.

[16]           Je conviens avec le défendeur qu’un demandeur d’asile est censé rechercher une possibilité de refuge intérieur avant de fuir le pays d’origine, et si cela avait été fait en l’espèce, alors Mme Dakpokpo serait actuellement employée, bénéficierait de prestations de soins de santé et vivrait avec son frère à Lagos. Nonobstant cette observation, la SAR et la Cour doivent considérer les faits de sa situation tels qu’ils existent actuellement.

[17]           En l’espèce, je conclus que c’est ce qu’a fait la SAR, compte tenu de la preuve et des observations qui ont été présentées à la SAR et à la SPR. Par conséquent, je ne puis conclure que la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas raisonnable.

[18]           Aucune question de certification n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-4559-16

INTITULÉ :

HILARY USOMHINE DAKPOKPO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juin 2017

 


COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour la demanderesse

Marcia Pritzker Schmitt

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

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