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Date : 20170626


Dossier : IMM-5057-16

Référence : 2017 CF 621

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2017

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

FITHAWIT MEBRAHTU GEBREWLDI

YEMANE TEKESTE HAILE

FEVEN YEMANE TEKESTE

MILION YEMANE TEKESTE

NAOD YEMANE TEKESTE

NOH YEMANE TEKESTE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Mme Gebrewldi (demanderesse principale), son mari, M. Haile, et leurs trois enfants mineurs, tous citoyens d’Érythrée, sollicitent un contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas de rejeter leur demande de résidence permanente parce qu’ils ne faisaient ni partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, ni de la catégorie des personnes de pays d’accueil, en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), et des articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement). L’agente avait des doutes quant à la crédibilité des renseignements concernant le service militaire de M. Haile en Érythrée.

[2]               Pour les motifs établis ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.                Faits

[3]               La demanderesse principale et son mari sont âgés de 38 ans et 52 ans, respectivement. Ils ont déclaré que M. Haile avait suivi un entraînement militaire et fait son service national de janvier 1995 à juin 1996. Ils ont indiqué que M. Haile s’était caché pour éviter d’être rappelé par l’armée lors du conflit frontalier avec l’Éthiopie, mais qu’il avait été pris en 2000 et qu’il avait été forcé de réintégrer les fonctions qu’il occupait durant sa période de service national à Barentu jusqu’en décembre 2004, puis à Forto Sawa jusqu’en avril 2005.

[4]               Les demandeurs se sont vus accorder le statut de réfugiés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans la République du Soudan.

[5]               Le 12 février 2014, ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Leur demande était motivée par la crainte de retourner en Érythrée du fait que M. Haile s’était soustrait à son service national et avait fui illégalement le pays.

[6]               Le 4 octobre 2016, la demanderesse principale et son mari ont été interrogés à Khartoum, au Soudan, avec l’aide d’un interprète parlant couramment l’anglais et le tigrinya.

III.             Décision contestée

[7]               Pour expliquer le rejet de la demande des demandeurs, l’agente a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse principale était membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes de pays d’accueil parce que les réponses données au cours de l’entrevue ne correspondaient pas à l’exposé des faits fourni dans la demande écrite.

[8]               Plus précisément, les demandeurs ont déclaré qu’ils craignaient de retourner en Érythrée parce que M. Haile avait fui le pays illégalement après avoir déserté l’armée. Toutefois, M. Haile n’a fourni que de vagues explications quant à la raison pour laquelle il n’avait pas été tenu d’effectuer son service national durant les périodes de conflit en Érythrée. L’agente a exposé ses préoccupations à M. Haile et lui a offert l’occasion d’apporter des éclaircissements. Néanmoins, l’agente a remarqué d’importants écarts entre les faits présentés dans la demande écrite et les déclarations faites par M. Haile lors de l’entrevue au sujet tant de la nature de son service militaire que des raisons pour lesquelles il avait déserté. L’agente a noté les exemples suivants dans la décision :

➢   Dans sa demande écrite, M. Haile a déclaré qu’il avait suivi son entraînement militaire et effectué son service national de janvier 1995 à juin 1996, mais lors de l’entrevue, il a déclaré qu’il n’avait terminé son entraînement qu’en 2002.

➢   Dans son exposé écrit, M. Haile a déclaré qu’il s’était caché afin d’éviter d’être rappelé par l’armée durant le conflit frontalier, mais lors de son entrevue, il a mentionné que l’administration lui avait fait une faveur en ne l’obligeant pas à réintégrer le service national durant les périodes de conflit.

➢   Lors de l’entrevue, M. Haile a déclaré qu’il avait été en poste à Forto Sawa, à Tesseney et à Gerset, mais dans ses formulaires, il a plutôt indiqué qu’il avait été en poste à Aligheder et à Barentu.

[9]               L’agente a indiqué que ces écarts importants avaient nui à la crédibilité générale des demandeurs. Après avoir donné aux demandeurs l’occasion, lors de l’entrevue, de fournir des renseignements concernant tous les faits liés à leur demande, l’agente a déterminé que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour étayer les faits sur lesquels reposait leur crainte alléguée de retourner en Érythrée.

[10]           Par conséquent, l’agente a conclu que la crainte des demandeurs d’être persécutés n’était pas fondée et qu’ils n’étaient pas gravement et personnellement touchés par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne. Elle a donc rejeté leur demande de résidence permanente.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[11]           Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions dans leur mémoire. La question de savoir si l’agente a commis une erreur dans ses conclusions défavorables relativement à la crédibilité n’en fait toutefois pas partie.

[12]           À mon avis, les questions pertinentes à trancher relativement à la présente demande sont les suivantes :

A.                L’agente a-t-elle commis une erreur en ne s’appuyant que sur ses conclusions relatives à la crédibilité pour déterminer que les demandeurs ne satisfaisaient pas aux conditions pour devenir résidents permanents à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes de pays d’accueil?

B.                 Les motifs invoqués par l’agente sont-ils suffisants?

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 62).

[14]           Il est bien établi que la décision d’un agent quant à savoir si un demandeur est membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes de pays d’accueil soulève une question de droit et de fait susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Bakhtiari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1229, au paragraphe 22; Qarizada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1310, au paragraphe 15; Saifee c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589, au paragraphe 25).

[15]           Par conséquent, l’analyse de la Cour quant à la décision de l’agente tient à « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[16]           Les critères établis dans Dunsmuir sont respectés si « les motifs [...] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[17]           En ce qui a trait au caractère suffisant des motifs de la décision, la Cour a déclaré qu’« [à] moins que la décision ne contienne aucun motif, le caractère suffisant [...] est une question qui doit être examinée en regard de la norme de la décision raisonnable » (Wu c. Canada (Procureur général), 2016 CF 722, au paragraphe 70; Newfoundland Nurses, précité, aux paragraphes 20 à 22). Puisque, dans le cas présent, des motifs ont été présentés aux demandeurs, la question sera également examinée en regard de la norme de la décision raisonnable.

V.                Analyse

A.                L’agente a-t-elle commis une erreur en ne s’appuyant que sur ses conclusions relatives à la crédibilité pour déterminer que les demandeurs ne satisfaisaient pas aux conditions pour devenir résidents permanents à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou de la catégorie des personnes de pays d’accueil?

[18]           Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs ne prétendent pas que l’agente a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité. Ils prétendent plutôt qu’elle a commis une erreur dans l’analyse de leur demande. Essentiellement, ils soutiennent que, malgré ses conclusions défavorables relativement à la crédibilité et les écarts observés entre leur demande écrite et leur témoignage de vive voix, l’agente aurait dû examiner leur désignation du HCR ainsi que les documents généraux sur la situation en Érythrée énonçant les risques liés à un éventuel retour au pays, et en tenir compte.

[19]           En ce qui a trait à l’analyse de l’agente à savoir s’ils remplissaient les conditions de la catégorie des personnes de pays d’accueil, les demandeurs soutiennent que l’agente a confondu cette analyse avec l’analyse requise pour déterminer s’ils remplissaient les conditions de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Ils font valoir que l’agente a commis une erreur en concluant, sans effectuer d’examen indépendant, que les demandeurs ne remplissaient pas les conditions de la catégorie des personnes de pays d’accueil en raison de préoccupations liées à la crédibilité.

[20]           À cet égard, je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de l’agente était déraisonnable. Ils demandent seulement à la Cour de réévaluer les éléments de preuve présentés à l’agente et, ce faisant, de ne pas tenir compte des conclusions défavorables tirées relativement à leur crédibilité.

[21]           Il est bien établi que lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, comme c’est le cas en l’espèce, il convient de faire preuve de déférence à l’endroit du décideur. La Cour ne peut pas substituer une solution qu’elle juge elle-même appropriée à la solution du décideur.

[22]           Dans leur demande écrite, les demandeurs ont fourni des éléments de preuve laissant sous-entendre qu’ils craignaient de retourner en Érythrée parce que M. Haile avait fui le pays illégalement après avoir déserté l’armée. Lors de l’entrevue, après qu’on lui ait posé une série de questions concernant l’endroit et le moment où il avait fait son service de même que concernant la raison pour laquelle il n’avait pas servi durant le conflit frontalier qui s’est déroulé de 1998 à 2000, M. Haile a fourni des réponses relativement à chacun des points soulevés. Cependant, aucune de ses réponses ne correspondait aux déclarations faites dans la demande écrite et dans l’exposé des faits.

[23]           Puisqu’il a été impossible d’établir les circonstances entourant le service militaire de M. Haile, d’établir qu’il avait bel et bien servi dans l’armée et de confirmer le moment où il avait servi, la nature de ses fonctions ou la façon dont il avait fui son pays d’origine, l’agente n’a pas pu confirmer, en se fondant sur les motifs invoqués, que les demandeurs avaient raison de craindre de retourner dans leur pays.

[24]           En l’absence d’une crainte justifiée d’être persécutés, les demandeurs ne peuvent être considérés comme des réfugiés au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la LIPR. De même, aux termes de l’article 147 du Règlement, les demandeurs doivent avoir été et continuer d’être touchés gravement et personnellement par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne afin d’être considérés comme des membres de la catégorie des personnes de pays d’accueil. Les éléments de preuve liés à la demande des demandeurs ont été compromis par de multiples incohérences et écarts. Ainsi, l’agente ne disposait pas d’éléments de preuve substantiels crédibles sur lesquels s’appuyer pour conclure que les demandeurs remplissaient les conditions de l’une ou l’autre des deux catégories.

[25]           Comme le souligne le défendeur à juste titre, la Cour a déclaré que l’incapacité à établir les faits sur lesquels repose une demande peut mener au rejet de celle-ci au motif qu’il y a un manque de crédibilité (Ameni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 164, au paragraphe 13). En l’espèce, je suis d’avis qu’il était raisonnable de rejeter la demande. Du fait du manque général de crédibilité, l’agente ne pouvait pas être convaincue que les demandeurs remplissaient les conditions de l’une ou l’autre des catégories en vertu du droit canadien.

[26]           Comme les demandeurs ne contestent pas les conclusions défavorables tirées par l’agente relativement à leur crédibilité, la question principale à trancher consiste à déterminer si l’agente a eu raison de mettre un frein à l’évaluation de la demande des demandeurs après avoir conclu que leur crédibilité ne pouvait pas être établie.

[27]           Pour étayer leur demande, le fardeau de la preuve incombait aux demandeurs (Alakozai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 266, au paragraphe 33). À mon avis, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve. S’il a été déterminé qu’il y avait un manque général de crédibilité, les documents sur la situation dans le pays ne peuvent pas constituer, à eux seuls, un motif suffisant pour rendre une décision favorable. Les demandeurs doivent tout de même démontrer qu’il existe un lien entre leur situation personnelle et la situation dans leur pays d’origine (Alakozai, précité, au paragraphe 35). Puisque les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve crédibles concernant leur situation, leur demande ne pouvait pas être étayée uniquement par les documents sur la situation dans le pays.

[28]           En ce qui concerne le statut reconnu aux demandeurs par le HCR, la Cour a mentionné que ce statut n’est pas déterminant et qu’en fait, un agent est tenu d’effectuer sa propre évaluation de l’admissibilité d’un demandeur au statut de réfugié, conformément au droit canadien (B231 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1218, au paragraphe 58; Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 57; Pushparasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au paragraphe 27). Le Guide OP 5, « Réinstallation à partir de l’étranger » (lignes directrices), indique que les agents des visas devraient tenir compte de la désignation reconnue à un demandeur par le HCR au moment d’examiner sa demande de statut de réfugié au Canada (Pushparasa, précité, au paragraphe 26; Ghirmatsion, précité, au paragraphe 56). Toutefois, les « lignes directrices n’ont pas force de loi et ne constituent pas un code définitif ou rigide » (Pushparasa, précité, au paragraphe 27). Par conséquent, le statut reconnu à un demandeur par le HCR n’est pas un facteur déterminant dans le cadre d’une demande d’asile présentée au Canada.

[29]           Il est important de noter que la Cour a déclaré, à maintes reprises, qu’au moment d’examiner la décision d’un agent, l’analyse ne se limite pas à la lettre de décision. Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) font également partie des motifs de l’agent (Pushparasa, précisé, au paragraphe 15; Khowaja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 823, au paragraphe 3; Kotanyan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 507, au paragraphe 26).

[30]           La Cour a déclaré que si un agent omet de faire référence au statut reconnu à un demandeur par le HCR dans les notes et dans la décision, il a alors commis une erreur susceptible de révision. Une telle erreur constitue un motif suffisant pour infirmer la décision (Ghirmatsion, précité, aux paragraphes 57 à 59). Cependant, la décision de la Cour dans Pushparasa indique que si, à la lecture de la décision et des motifs dans leur ensemble, il ressort clairement que l’agent « était au fait » de la désignation du demandeur à titre de réfugié, cela suffit au respect de la norme imposée (Pushparasa, précité, aux paragraphes 27 à 29). Dans Pushparasa, le juge Yvan Roy a déclaré ce qui suit :

Les notes du STIDI montrent clairement que l’agent était au fait de la désignation par le HCR au moment de l’entrevue du demandeur. Une photocopie de la carte valide figure à la page 55 du dossier certifié du tribunal [DCT]. Le dossier montre aussi un échange par courrier électronique entre un représentant et le HCR sur la question de savoir si le demandeur avait aussi présenté une demande aux États‑Unis (DCT, à la page 28). Lors de son entrevue avec les autorités canadiennes, le demandeur a été interrogé sur l’état des discussions avec les autorités de l’immigration des États‑Unis (Pushparasa, précité, au paragraphe 28).

[31]           Le juge Roy a ajouté qu’indépendamment de la désignation, l’agent avait conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences de la LIPR et du Règlement quant au bien-fondé de sa demande, ce qui est un facteur déterminant. Le juge Roy a conclu que la décision de l’agent était raisonnable.

[32]           En l’espèce, il ressort clairement du dossier certifié du tribunal que l’agente était au fait de la désignation reconnue par le HCR aux demandeurs. Des photocopies des cartes de réfugiés délivrées par la République du Soudan au nom de la demanderesse principale et au nom de son mari figurent dans le dossier. Le dossier démontre également que dans les notes du SMGC, l’agente a reconnu le statut de réfugiés des demandeurs dans la République du Soudan et qu’elle y a fait référence.

[33]           Même si l’agente ne fait pas expressément référence au statut reconnu par le HCR aux demandeurs dans la lettre de décision, la décision dans son ensemble, qui comprend les notes et le dossier, contient des éléments qui indiquent qu’elle était au fait de ce statut. La jurisprudence exige que soit menée une évaluation approfondie de l’admissibilité d’un demandeur en vertu du droit canadien. C’est ce que l’agente a fait en l’espèce.

[34]           La décision de l’agente, lue dans son ensemble, établit qu’elle a reconnu le statut de réfugié des demandeurs et qu’une évaluation approfondie du bien-fondé de la demande a été menée, conformément au droit canadien.

[35]           Ni le statut reconnu par le HCR aux demandeurs, ni les documents sur la situation dans le pays ne peuvent remplacer la preuve personnelle. Compte tenu des préoccupations importantes en matière de crédibilité soulevées par l’agente et du fondement même de la demande des demandeurs, je suis d’avis que la décision appartient aux issues possibles acceptables. Par conséquent, la décision de l’agente est raisonnable et je ne vois aucune raison de la modifier.

B.                 Les motifs invoqués par l’agente sont-ils suffisants?

[36]           Les demandeurs contestent un passage en particulier de la décision dans lequel l’agente a indiqué que, lors de l’entrevue, M. Haile avait fourni des explications très vagues quant à la raison pour laquelle il n’avait pas été obligé de faire son service national durant les périodes de conflit en Érythrée.

[37]           Les demandeurs n’ont fourni que peu d’observations à caractère juridique sur ce point. Ils se sont contentés de reproduire des passages de l’entrevue en soutenant que l’agente n’avait pas justifié sa conclusion. Ils ont également exprimé leur désaccord quant à sa conclusion, puisqu’ils sont d’avis que les réponses de M. Haile étaient très détaillées et précises. En ce qui concerne leurs observations, les demandeurs semblent soutenir que l’agente a présenté des motifs insuffisants pour justifier sa conclusion selon laquelle les réponses de M. Haile étaient vagues. Avec respect, je ne partage pas cet avis.

[38]           Les notes du SMGC et la décision indiquent clairement que l’agente était préoccupée par les écarts observés dans les réponses de M. Haile aux questions portant sur la raison pour laquelle il n’avait pas servi durant le conflit frontalier. Dans son exposé des faits, M. Haile a déclaré ce qui suit :

[traduction] J’ai tenté de déserter pour la première fois en mai 1998 et j’ai essayé de mener une existence recluse en me cachant des autorités. J’ai été pris en décembre 2000 et ramené à mon ancien lieu d’affectation à Barentu, dans la région de Gash Barka.

[39]           Par la suite, M. Haile a fourni les réponses suivantes aux questions posées par l’agente lors de l’entrevue :

[traduction] Q : Pourquoi n’avez-vous pas servi dans l’armée de 1998 à 2000 durant le conflit frontalier?

R : Comme je suis le soutien de famille, le bureau administratif m’a remis un papier m’autorisant à continuer à soutenir ma famille parce que tous les membres de ma famille se trouvent au Canada.

Q : Les autorités érythréennes n’ont-elles pas rendu obligatoire le service national pour tous en période de conflit?

R : Il s’agissait d’une faveur faite par l’administration parce que nous avions des propriétés et d’autres biens. On m’a offert la chance de rester.

Q : Pourquoi vous a-t-on fait cette faveur?

R : Parce que j’étais le seul à la maison; ils ne pouvaient pas amener la seule personne restante et nuire à toute la famille.

Q : N’est-il pas arrivé, dans bon nombre de familles, que le soutien de famille quitte la maison pour aller faire le service national?

R : La situation dépend de l’administration et de la personne qui traite votre cas.

Q : Vous avez indiqué qu’on vous avait fait une faveur parce que vous possédiez des propriétés, que voulez-vous dire?

R : Ma famille possédait un immeuble à Asmara et nous possédions également plusieurs propriétés à Dekemhare. C’est pour cette raison que j’ai obtenu une faveur.

Q : Pourquoi le fait de posséder des propriétés vous a permis d’obtenir une faveur?

R : Les membres de ma famille m’avaient remis les papiers concernant ces propriétés et je les surveillais pour eux, ce qui signifie que je n’ai pas eu à faire mon service national. Comme j’étais le seul enfant qui habitait toujours en Érythrée, on m’a donné la chance de rester et de m’occuper des propriétés.

Q : Dans votre exposé des faits, vous avez déclaré que vous vous étiez caché intentionnellement afin d’éviter d’être rappelé par l’armée durant le conflit frontalier. Pourquoi avez-vous dit aujourd’hui que vous aviez obtenu une faveur et n’aviez pas été obligé de faire votre service national?

R : Peut-être parce que je ne lis pas l’anglais. Je ne sais pas ce qui était écrit sur ce papier.

[40]           Selon la décision et les notes concernant l’entrevue, il semble plutôt évident que l’agente était préoccupée par les réponses vagues de M. Haile aux questions concernant les écarts entre sa demande écrite et ses réponses aux questions posées durant l’entrevue. M. Haile n’a pas expliqué adéquatement pourquoi la réponse fournie dans son exposé des faits différait de celle fournie lors de l’entrevue. Il a seulement allégué qu’il ne comprenait pas le contenu de son propre exposé des faits.

[41]           Au moment d’évaluer si la décision en question est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs, la Cour doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 48). Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême du Canada a clairement déclaré qu’elle« ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 15).

[42]           À la lecture des motifs dans leur ensemble, y compris les notes du SMGC, il était raisonnable pour l’agente de conclure que les réponses de M. Haile étaient vagues. Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de l’agente, et les demandeurs n’ont pas démontré qu’en tirant ces conclusions, l’agente avait commis une erreur susceptible de révision. Selon les observations limitées qu’ils ont présentées sur ce point, il semble que les demandeurs demandent à la Cour d’intervenir seulement parce qu’ils ne sont pas d’accord avec la conclusion de l’agente.

[43]           Puisque j’ai déjà conclu que la décision de l’agente est raisonnable et que les demandeurs n’ont pas démontré que les motifs de l’agente sont insuffisants, je n’ai aucune raison de modifier la décision.

VI.             Conclusion

[44]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il était raisonnable pour l’agente de rejeter la demande des demandeurs en s’appuyant sur les importantes préoccupations en matière de crédibilité soulevées par les éléments de preuve présentés. Je conclus également que les motifs présentés par l’agente étaient suffisants. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5057-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5057-16

INTITULÉ :

FITHAWIT MEBRAHTU GEBREWLDI, YEMANE TEKESTE HAILE, FEVEN YEMANE TEKESTE, MILION YEMANE TEKESTE, NAOD YEMANE TEKESTE, NOH YEMANE TEKESTE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juin 2017

COMPARUTIONS :

Simon K. Yu

Pour les demandeurs

Galina Bining

Aminollah Sabzevari

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon K. Yu

Avocat

Edmonton (Alberta)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

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