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Date : 20170629


Dossier : IMM-3620-16

Référence : 2017 CF 636

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

PUI YEE LEUNG

KA KIN TAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, Pui Yee Leung et son fils de 22 ans, Ka Kin Tam (Brion), sont des citoyens de Hong Kong. Brion, le fils aîné de Mme Leung, est né à Hong Kong, et Oscar, son plus jeune fils maintenant âgé de 18 ans, est né au Canada. Après l’échec de son mariage en 2012, Mme Leung et ses deux fils ont passé la majeure partie de leur temps au Canada, et ils sont demeurés au Canada de façon continue depuis le mois d’août 2013.

[2]               En juin 2014, les demandeurs ont présenté, à partir du Canada, une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, leur demande a été rejetée. Au moment du dépôt de leur demande pour motif d’ordre humanitaire, Brion et Oscar étaient âgés respectivement de 19 ans et 14 ans. Leur demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable pour motif d’ordre humanitaire a fait en sorte que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a accepté que leur demande soit réexaminée à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]. Dans une lettre datée du 30 juillet 2016, un agent principal d’immigration a informé les demandeurs que leur demande pour motif d’ordre humanitaire avait été refusée. Les demandeurs ont maintenant présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) visant la décision de l’agent de rejeter leur demande de résidence permanente.

I.                    Décision de l’agent

[3]               Au début de ses raisons motivant sa décision, l’agent a souligné qu’il incombe aux demandeurs de démontrer qu’il existe suffisamment de motifs pour accorder une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Après avoir noté l’historique de voyages au Canada des demandeurs et les éléments qu’ils ont fournis au sujet de leur établissement au Canada, l’agent a indiqué ce qui suit : [traduction]

J’ai évalué avec soin l’ensemble de l’information et des éléments de preuve associés à l’établissement des demandeurs au Canada. Je relève que bien que les demandeurs soient demeurés au Canada pour de courtes périodes en 2011, 2012 et 2013, ils sont revenus au Canada en août 2013 et, par conséquent, vivent ici de façon continue depuis environ trois ans. La demanderesse principale (Mme Leung) est sans emploi, mais reçoit une pension alimentaire de 100 000 $ par année de son ancien mari. Mme Leung a accumulé des économies importantes et a acheté une maison en Ontario. Je considère que l’autonomie de Mme Leung est un facteur positif à l’appui de sa cause.

Malgré ce facteur positif, l’agent a souligné que le retour des demandeurs à Hong Kong ne viendrait pas diminuer les revenus de Mme Leung puisqu’elle continuerait de recevoir ses versements de pension alimentaire et qu’elle aurait la possibilité de vendre sa propriété au Canada.

[4]               L’agent a ensuite abordé l’inscription de Brion à un programme menant à un diplôme dans un établissement postsecondaire, en soulignant que Brion connaît des difficultés sur le plan scolaire et qu’il continue d’étudier au niveau d’anglais langue seconde. L’agent a déterminé qu’il n’existait aucun élément de preuve étayant que Brion ne pourrait pas poursuivre ses études à son retour à Hong Kong où, selon l’agent, il [traduction« serait probablement en mesure de mieux réussir en étudiant dans sa langue maternelle ». L’agent a ensuite examiné la preuve touchant la contribution et l’intégration des demandeurs au sein de la collectivité, en mentionnant les lettres qui décrivent le travail de bénévolat qu’ils ont accompli et leur participation aux activités de l’église locale. L’agent a accordé une [traduction] « certaine considération positive au travail de bénévolat accompli et à leur participation aux activités de l’église », mais a souligné que [traduction] « les éléments de preuve dont je dispose en disent peu sur l’impact qu’aura le départ des demandeurs sur leur église ou sur le groupe Christian Communications Canada. »

[5]               En ce qui concerne les liens des demandeurs avec le Canada, les lettres soumises par leurs amis ont fait dire à l’agent que [traduction] « les demandeurs ont développé des amitiés dans la communauté et je donne un certain poids positif à ce facteur. » L’agent a reconnu que les demandeurs ont des liens solides avec les membres de leur famille au Canada et qu’il serait difficile sur le plan émotionnel pour eux de quitter ces personnes. L’agent a accordé du poids à ce facteur. L’agent a toutefois déterminé que :

[traduction]... « l’impact d’une séparation physique d’avec les membres de leur famille au Canada peut être atténué, jusqu’à un certain point, par le maintien de relations avec eux en utilisant d’autres moyens de communication. Les demandeurs ont fourni très peu d’éléments de preuve démontrant qu’ils seraient incapables de poursuivre leurs relations avec les membres de leur famille au Canada par l’entremise d’Internet, de Skype, du téléphone et du courrier régulier. Bien qu’il soit évident que ces moyens ne constituent pas une situation idéale, ils peuvent éviter une interruption des communications et permettre aux demandeurs de maintenir des liens continus avec leur famille au Canada, pendant qu’ils présentent une demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada, en procédant selon la méthode normale. De plus... les demandeurs peuvent voyager au Canada pour visiter les membres de leur famille vivant ici; de plus, les membres de leur famille peuvent se rendre dans la région administrative spéciale de Hong Kong pour les visiter. Je dispose de peu d’éléments de preuve pouvant me démontrer le contraire. »

L’agent a reconnu que même si les demandeurs résident à proximité des parents de Mme Leung et qu’ils les aident avec les travaux ménagers et leur fournissent des soins lorsqu’ils sont malades, les frères et sœurs et la famille étendue vivent également près de ses parents et seraient en mesure de les aider au besoin dans le futur.

[6]               En ce qui a trait à l’intérêt supérieur de Brion et Oscar, l’agent a déclaré que l’âge de Brion fait en sorte qu’il ne peut être pris en compte dans l’analyse touchant l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent a cité la Convention relative aux droits de l’enfant, 1992 R.T. Can. No 3 [Convention], qui définit l’enfant comme une personne âgée de moins de 18 ans, ainsi que le manuel d’évaluation des motifs d’ordre humanitaire (le Manuel), lequel indique :

L’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte lorsque celui-ci est âgé de 18 ans ou moins au moment de la réception de la demande. Dans certains cas, il peut être pertinent et nécessaire de prendre en compte l’intérêt supérieur d’un enfant plus âgé dans le cadre d’une évaluation pour motif d’ordre humanitaire. Cependant, si l’enfant n’est pas âgé de moins de 18 ans, son intérêt supérieur ne sera pas un facteur à considérer dans la décision touchant la préservation de cet intérêt.

[7]               L’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant a porté sur Oscar, qui était âgé de 14 ans au moment de la présentation de la demande pour motif d’ordre humanitaire. L’agent reconnaît qu’Oscar est un citoyen canadien de naissance, mais qu’il a passé les 13 premières années de sa vie en Chine et qu’il suivrait probablement sa mère et son frère aîné si la demande pour motif d’ordre humanitaire était rejetée. L’agent a examiné les observations et les éléments de preuve, y compris le fait qu’Oscar [traduction] « réussit très bien sur le plan scolaire et qu’il s’est bien intégré dans sa communauté » depuis son arrivée au Canada. L’agent a évalué l’argument des demandeurs soutenant que l’asthme dont souffre Oscar serait exacerbé s’il devait retourner en Chine ou à Hong Kong. L’agent a examiné la preuve médicale, laquelle indiquait qu’on avait prescrit un inhalateur et des médicaments à Oscar pour soigner son asthme. L’agent a souligné que la preuve médicale n’indiquait pas quels facteurs pourraient exacerber la condition médicale d’Oscar et que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve démontrant que l’asthme d’Oscar ne pourrait être contrôlé de façon adéquate s’il vivait en Chine. L’agent a également noté que les demandeurs n’avaient pas fourni le dossier d’hôpital indiquant que l’hospitalisation d’Oscar était liée à son asthme. L’agent a déclaré ce qui suit : [traduction« Je ne suis pas en mesure de conclure que la condition médicale d’Oscar se détériorerait s’il retournait à Hong Kong ou que cette condition ne serait pas traitée adéquatement à cet endroit. »

[8]               L’agent a abordé les observations des demandeurs voulant qu’Oscar aurait de la difficulté à terminer ses études à Hong Kong parce qu’il a poursuivi ses études en anglais au Canada. L’agent a mentionné qu’Oscar a vécu et étudié à Hong Kong et en Chine pendant la majorité de sa vie et que son dossier scolaire au Canada indique qu’il continue à éprouver des difficultés avec la langue anglaise. L’agent a également noté qu’Oscar pourrait s’inscrire dans une école anglaise à Hong Kong puisque 28 % des écoles de cette région utilisent l’anglais comme langue d’enseignement. En ce qui a trait aux liens d’Oscar avec sa famille et ses amis au Canada, l’agent a reconnu qu’Oscar avait tissé des liens serrés avec ses grands-parents et les autres membres de sa famille, et que le fait d’être séparé de ces personnes pourrait s’avérer difficile pour lui sur le plan émotionnel. L’agent a également accepté le fait qu’Oscar a développé des amitiés et qu’il s’est bien intégré dans sa communauté locale. L’agent a donné du poids à ces facteurs. Mais, en même temps, l’agent a conclu ce qui suit : [traduction]

« ... Oscar profitera des soins attentionnés de sa mère et de son frère aîné. En outre, je conclus qu’Oscar peut maintenir ses liens avec les membres sa famille et ses amis au Canada en utilisant le téléphone ou d’autres moyens de communication présentement disponibles (par exemple, Skype, courriel, etc.) Oscar peut également visiter les membres de sa famille et ses amis puisqu’à titre de citoyen canadien, il a le droit de revenir au Canada en tout temps... »

[9]               L’agent a affirmé que l’intérêt supérieur d’Oscar constituait l’aspect le plus impératif de la demande pour motif d’ordre humanitaire. Toutefois, l’agent a déterminé ce qui suit : [traduction] « ce facteur, qu’il soit considéré seul ou globalement avec les facteurs liés à l’établissement et autres facteurs cités, ne suffit pas à justifier une dispense. » L’agent a terminé la présentation des raisons motivant le rejet de la demande en indiquant ce qui suit : [traduction]

« Dans l’ensemble, je reconnais que les demandeurs ont habité au Canada de façon continue pendant environ trois ans et qu’ils ont une famille importante au Canada. J’ai évalué ces facteurs par rapport au fait que les demandeurs ont un historique d’aller-retour entre la Chine et le Canada. J’ai pris en considération le fait que la famille serait vraisemblablement en mesure de s’établir de nouveau à Hong Kong à leur retour dans cette région puisqu’ils possèdent des moyens financiers suffisants, sont familiers avec la culture locale et possèdent les compétences linguistiques adéquates. Enfin, après avoir évalué avec soin l’intérêt supérieur du garçon d’âge mineur du demandeur principal, je conclus qu’il est de l’intérêt supérieur d’Oscar de maintenir des liens avec les membres de sa famille et ses amis résidant au Canada. Toutefois, après avoir évalué avec soin l’ensemble des éléments de preuve dont j’ai été saisis, je ne peux pas conclure que le départ du Canada compromettrait directement l’intérêt supérieur d’Oscar. Ayant considéré l’ensemble des circonstances particulières des demandeurs et examiné l’ensemble des documents soumis, je ne suis pas convaincu que les motifs d’ordre humanitaire qui m’ont été présentés justifient une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la loi. »

II.                 Questions en litige

[10]           Les demandeurs ont soulevé deux questions :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas l’intérêt supérieur de Brion parce qu’il avait 19 ans?

2.                  Est-ce que l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur d’Oscar était déraisonnable?

III.               Analyse

A.                 Norme de contrôle

[11]           La décision d’un agent de refuser une dispense conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR comprend l’exercice du pouvoir discrétionnaire et est examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy, aux paragraphes 44 et 45). Une décision d’agent d’immigration conformément au paragraphe 25(1) est hautement discrétionnaire, puisque cette disposition [traduction] « prévoit un mécanisme en cas de circonstances exceptionnelles, et la Cour « doit accorder une déférence considérable » à l’agent (Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303, au paragraphe 4, [2016] FCJ No 1305; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 15, [2002] 4 RCF 358).

[12]           Conformément à la norme de raisonnabilité, la Cour doit examiner une décision afin de repérer « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. Le rôle de la Cour est de considérer la question de savoir si la décision tient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Ces critères sont respectés si « les motifs [...] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59, 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa].

[13]           Les parties sont en désaccord sur l’opportunité d’appliquer la norme de la décision raisonnable à l’interprétation de l’agent de la définition du terme « enfant » aux fins du paragraphe 25(1) de la LIPR. Les demandeurs soutiennent que la norme de la décision correcte s’applique parce qu’il s’agit d’une question à savoir si l’agent a utilisé le bon critère juridique, tandis que le défendeur maintient que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer parce que l’agent applique sa loi constitutive. La jurisprudence demeure incertaine sur cette question.

[14]           Depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kanthasamy, la Cour continue d’être indécise sur la norme de contrôle qu’un agent chargé d’examiner une demande pour motif d’ordre humanitaire doit appliquer pour la sélection du critère juridique. Bien que certaines décisions continuent d’appliquer la norme de la décision correcte (voir par exemple, Shrestha c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1370, au paragraphe 6, [2016] FCJ No 1412; Marshall c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, au paragraphe 27, [2017] FCJ No 52; Gomez Valenzuela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 603, au paragraphe 19, [2016] FCJ No 571; Gonzalez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 382, aux paragraphes 23-35, [2015] 4 RCF 535), d’autres décisions ont déterminé que l’arrêt Kanthasamy exige l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Par exemple, dans Roshan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1308, au paragraphe 6, [2016] FCJ No 1313, le juge Bell a souligné ceci : « Dans la décision Kanthasamy, la Cour ne s’est jamais écartée de son opinion dans Dunsmuir selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de droit liées à l’interprétation de la loi constitutive d’un tribunal. » De façon similaire, dans Tang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 107, au paragraphe 11, [2017] FCJ No 76, le juge McDonald a déclaré ceci : [traduction] « la jurisprudence émanant de cette Cour appuie l’application de la norme de la décision raisonnable lorsque la question est de déterminer si le critère approprié a été utilisé pour évaluer les motifs d’ordre humanitaire. »

[15]           Une décision précédant l’affaire Kanthasamy qui aborde directement la question concernée est l’affaire Ramsawak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 636, 182 ACWS (3d) 167 [Ramsawak], dans laquelle la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable pour examiner l’interprétation qu’un agent a fait du terme « enfant » conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR :

[13]      Les deux premières questions soulevées par les demandeurs sont clairement de nature juridique. La première relève de l’interprétation qu’il convient de donner au terme « enfant » dans le cadre de l’analyse requise par la Cour suprême du Canada lorsqu’il s’agit d’évaluer l’« intérêt supérieur de l’enfant ». La deuxième porte sur le critère qu’il convient d’appliquer à une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Ces questions juridiques sont cependant intimement liées au contexte factuel à l’intérieur duquel elles ont été soulevées; elles portent, en outre, sur l’interprétation même des dispositions habilitant les agents à rendre leurs décisions et on doit tenir pour acquis que les agents possèdent une connaissance approfondie de la LIPR du fait qu’ils l’appliquent dans le cadre normal de leurs fonctions. Pour ces motifs, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable pour l’examen des deux premières questions doit être la norme de la décision « raisonnable ».

[16]           Contrairement aux observations des demandeurs, l’interprétation du mot « enfant » est simplement un exercice d’interprétation de la loi par l’agent et non pas une question à savoir si l’agent a appliqué le bon critère juridique. De plus, je suis d’avis que le raisonnement adopté dans la décision Ramsawak est convaincant, comme celui de la Cour dans l’arrêt Saporsantos Leobrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 587, aux paragraphes 28-29, [2011] 4 RCF 290 [Saporsantos Leobrera].

[17]           Quant à l’argument des demandeurs voulant que l’agent ait restreint indûment son pouvoir discrétionnaire, la jurisprudence est également incertaine sur cette question. Dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, 341 DLR (4th) 710 [Stemijon], le juge Stratas a expliqué comment l’entrave au pouvoir discrétionnaire constitue traditionnellement un motif automatique d’annulation d’une décision, mais cet élément doit maintenant être pris en compte lors de l’analyse du caractère raisonnable :

[21]      Bien que les arguments des appelantes fassent appel à la norme de la décision raisonnable, leur thèse selon laquelle il y aurait eu « entrave au pouvoir discrétionnaire » semble s’articuler en dehors de l’analyse du caractère raisonnable selon l’arrêt Dunsmuir. Les appelantes semblent faire valoir que « l’entrave au pouvoir discrétionnaire » constitue un motif automatique d’annulation des décisions administratives et qu’il n’est pas nécessaire que nous procédions un examen de la raisonnabilité selon l’arrêt Dunsmuir.

[22]      Il existe de la jurisprudence qui favorise la position des appelantes. Depuis maintenant plusieurs décennies, « l’entrave au pouvoir discrétionnaire » constitue un motif automatique ou prévu d’annulation des décisions administratives. Voir par exemple l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 6 dont le raisonnement est le suivant. Les décideurs doivent respecter la loi. Si la loi leur accorde un pouvoir discrétionnaire d’une certaine étendue, ils ne peuvent l’assujettir à des restrictions obligatoires. Les autoriser à le faire équivaudrait à leur permettre de réécrire la loi. Seuls le législateur ou ses délégués dûment autorisés peuvent écrire ou réécrire la loi.

[23]      Ceci s’accorde mal avec l’arrêt Dunsmuir, dans lequel l’objectif déclaré de la Cour suprême visait à simplifier le contrôle judiciaire des décisions sur le fond en encourageant les tribunaux à appliquer une seule méthode d’examen, faisant appel uniquement à deux normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême n’a pas traité de la façon dont des motifs automatiques ou prévus d’annulation des décisions sur le fond, comme [traduction] « l’entrave au pouvoir discrétionnaire », s’inscrivent dans le régime général. Est-il possible que les motifs automatiques ou désignés soient maintenant pris en compte lors de l’analyse du caractère raisonnable? Notre Cour a récemment exprimé des opinions divergentes en ce qui a trait à cette question (Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19). Toutefois, à mon avis, ce débat n’a aucune incidence lorsque nous sommes en présence de décisions qui découlent d’une [traduction] « entrave au pouvoir discrétionnaire ». Le résultat demeure le même.

[24]      L’arrêt Dunsmuir réaffirme le principe fondamental de longue date suivant : « tout exercice de l’autorité publique procède de la loi » (paragraphes 27 et 28). Toute décision qui repose sur une autre source que la loi, par exemple une décision qui se fonde uniquement sur un énoncé de politique informel sans égard à la loi, ne peut pas appartenir aux issues acceptables pouvant se justifier et donc être raisonnables selon la définition formulée dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est en soi déraisonnable.

[18]           Aux fins de l’espèce, les motifs sont suffisants pour conclure que, même si on applique la norme de la décision raisonnable en réponse à la question d’entrave au pouvoir discrétionnaire soulevée par les demandeurs, si l’agent a limité son pouvoir discrétionnaire, cela constituerait une erreur susceptible de révision et exigerait que la décision soit annulée.

[19]           La norme de contrôle des questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Khosa, au paragraphe 43; Mission Institution c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502). La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur (voir : Dunsmuir, au paragraphe 50). En outre, la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Au moment d’appliquer une norme de la décision correcte, il n’est pas seulement question de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est correcte, mais également d’établir si le processus suivi pour prendre sa décision était équitable (voir Hashi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154, au paragraphe 14, 238 ACWS (3d) 199; Makoundi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35, 471 FTR 71).

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas l’intérêt supérieur de Brion parce qu’il avait 19 ans?

(1)               Observations des demandeurs

[20]           Les demandeurs affirment que le fait que l’agent n’a pas effectué une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, cela constitue une erreur de droit ainsi qu’un manquement à l’équité procédurale. Ils soulignent que la définition d’« enfant à charge » présente dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement) au moment du dépôt de la demande pour motif d’ordre humanitaire en 2014 incluait les enfants âgés de moins de 22 ans. Les demandeurs affirment que Brion, quel que soit son âge, est un « enfant » pour lequel on pourrait s’attendre raisonnablement à ce qu’il soit affecté par le renvoi de sa mère du Canada. Selon les demandeurs, l’agent a simplement conclu que Brion était exclu d’une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant en raison du contenu du Manuel et du fait que l’agent croit qu’il ne possède pas le pouvoir de considérer l’intérêt supérieur de Brion.

[21]           Les demandeurs font valoir que l’agent ne peut s’appuyer sur le Manuel pour restreindre son pouvoir discrétionnaire et qu’il aurait dû leur fournir un avis pour leur permettre d’apporter d’autres arguments pour étayer leur position. De plus, selon les demandeurs, l’agent a commis une erreur en traitant les lignes directrices du Manuel comme des exigences obligatoires, en renvoyant à l’arrêt Kanthasamy, dans lequel la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit :

[32]      Notre Cour a indéniablement reconnu que les Lignes directrices peuvent servir à déterminer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition donnée de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.... Or, selon leur libellé même, les Lignes directrices « ne lient pas légalement le ministre » et elles « ne sont pas exhaustives ni restrictives » ... En d’autres termes, l’agent peut considérer les Lignes directrices lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 25(1), mais il doit [traduction] « s’attacher aux circonstances particulières du dossier »... Il ne doit pas voir dans ces directives informelles des exigences absolues qui limitent le pouvoir discrétionnaire à vocation équitable que le par. 25(1) lui permet d’exercer lorsque des considérations d’ordre humanitaire le justifient. [Références omises.]

[22]           Selon les demandeurs, le statut d’enfant ne prend pas fin automatiquement lorsqu’il atteint l’âge de 18 ans. Les demandeurs ont fait référence au jugement Kanthasamy, dans lequel la Cour suprême a déclaré,  « l’application du principe de ‘l’intérêt supérieur de l’enfant dépend fortement du contexte’ en raison de ‘la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant’ » et qu’elle « doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (au paragraphe 35). Les demandeurs ont affirmé que pour déterminer s’il est requis ou non d’effectuer une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut se baser sur le contexte particulier et non pas sur l’âge de l’enfant.

(2)               Observations du défendeur

[23]           Selon le défendeur, l’agent n’a manqué à aucun devoir d’équité procédurale en se fiant au Manuel sans fournir d’avis aux demandeurs. Le défendeur indique que ce serait une absurdité si un agent était tenu d’informer un demandeur toutes les fois qu’il fait référence à un manuel d’immigration pour étayer une décision, et que cela est particulièrement vrai lorsqu’une disposition du manuel est directement liée à la question en litige soumise par un demandeur. Le défendeur ajoute que le fait que l’agent s’appuie sur le Manuel pour déterminer que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’applique pas aux enfants de plus de 18 ans est cohérent avec la jurisprudence, et plus particulièrement avec la décision dans Saporsantos Leobrera. De plus, le défendeur indique que l’agent n’était pas tenu de vérifier la précision du Manuel puisque ce dernier est conforme à la récente jurisprudence émanant de cette Cour. Le défendeur est d’avis que l’agent a déterminé de façon appropriée que l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’appliquait pas à Brion.

[24]           Le défendeur affirme que le contexte entourant l’inclusion du libellé « intérêt supérieur de l’enfant directement touché » dans le paragraphe 25(1) indique que ce texte doit être lu en fonction de la Convention. Le défendeur indique que le Parlement a ajouté ce libellé en réponse à la décision de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] J.C.S. no 39 [Baker], qui touchait principalement l’intérêt supérieur de l’enfant conformément aux dispositions de la Convention. Bien que la Convention ne soit pas promulguée dans le droit canadien, le défendeur fait référence à la décision De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, au paragraphe 67, [2006] 3 RCF 655, dans laquelle la Cour d’appel fédérale souligne que dans l’arrêt Baker, la juge a « appuyé l’utilisation du droit international pour interpréter une disposition législative comme une disposition qui oblige les agents d’immigration à accorder une grande importance à l’intérêt supérieur des enfants touchés lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire d’autoriser, pour des motifs d’ordre humanitaire, qu’une demande d’établissement soit présentée depuis l’intérieur du Canada ».

[25]           Le défendeur rejette l’argument des demandeurs voulant que la définition du terme « enfant à charge » dans le Règlement doive être utilisée pour définir le terme « enfant » conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, en citant l’arrêt Saporsantos Leobrera, dans lequel la Cour a mentionné ce qui suit :

[54]      Quoique la Cour comprenne les situations de dépendance, elle reconnaît également, conformément à la présomption d’uniformité des expressions, que le législateur est présumé avoir choisi d’utiliser les termes « enfant » et « enfant à charge » à deux fins distinctes et, en l’absence d’éléments de preuve contraires solides, il serait contestable d’appliquer, en tout ou en partie, la définition de l’un à l’autre.

(3)               Analyse

[26]           L’argument des demandeurs voulant que l’agent aurait dû effectuer une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant va à l’encontre de la jurisprudence établie dans cette Cour. Par exemple, dans la décision Saporsantos Leobrera, le juge Shore a examiné en détail les lois pertinentes, y compris les arguments concernant l’applicabilité de la définition du terme « enfant à charge » en vertu du Règlement, et il a conclu ce qui suit : « l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant est intimement liée à la Convention relative aux droits de l’enfant et, en raison de ce lien, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être effectuée pour une personne de 18 ans ou plus, car telle est la limite prévue par cet instrument. » (au paragraphe 63). Plus récemment, dans Norbert c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 409, 453 FTR 303 [Norbert], le juge Russel a adopté le raisonnement formulé dans la décision Saporsantos Leobrera, en indiquant ce qui suit :

[37]      L’agent n’était pas obligé d’entreprendre l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant dans la présente affaire. Les demandeurs soulignent à juste titre qu’un certain courant jurisprudentiel donne à penser que les enfants âgés de plus de 18 ans peuvent tout de même, dans certaines situations, être considérés comme des enfants pour les besoins d’une demande CH. Cependant, il existe aussi un courant jurisprudentiel portant que la LIPR n’ouvre tout simplement pas la porte à ce que l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant soit effectuée à l’égard des enfants plus âgés et, à cet égard, je suis d’avis que le raisonnement et les conclusions que l’on retrouve dans des décisions comme Leobrera, précitée, et Massey, précitée, doivent être privilégiés. La Cour a tiré la conclusion suivante au paragraphe 48 de la décision Massey :

[48]      De plus, selon la jurisprudence récente de notre Cour, il n’est pas nécessaire d’examiner l’intérêt supérieur d’une personne âgée de plus de 18 ans à titre d’« enfant directement touché » dans une demande fondée sur l’art. 25 de la LIPR. Dans Leobrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 587, le juge Michel Shore s’est rapporté à la législation nationale, aux instruments internationaux et à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême pour arriver à la conclusion selon laquelle « l’enfance constitue une période temporaire qui est délimitée par l’âge de la personne, et non par des caractéristiques personnelles » (au par. 72).

[27]           Les demandeurs mentionnent à juste titre que dans l’affaire Norbert, les demandeurs n’ont pas demandé qu’on effectue une analyse de l’intérêt supérieur de leur enfant de 21 ans financièrement dépendant, alors qu’eux avait fait expressément cette demande pour Brion. Cependant, cette distinction n’apporte pas une conclusion différente et ne change pas mon opinion voulant que l’agent, en l’espèce, a interprété de façon raisonnable la signification du terme « enfant » aux fins du paragraphe 25(1) de la LIPR. En effet, dans Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a fait référence au Manuel en affirmant ce qui suit : « Les Lignes directrices précisent que le principe de l’intérêt supérieur vaut pour tout enfant de moins de 18 ans », puis a ajouté une note de bas de page indiquant ceci : « L’âge de la majorité n’est inférieur à 18 ans dans aucune des provinces canadiennes. » (au paragraphe 34).

[28]           En l’espèce, la décision de l’agent de ne pas effectuer une évaluation de l’intérêt supérieur de Brion est justifiable, intelligible et transparente, et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le raisonnement de l’agent démontre clairement qu’il s’est appuyé sur le Manuel et la Convention pour conclure que la définition du terme « enfant » aux fins du paragraphe 25(1) de la LIPR ne s’applique qu’aux enfants de moins de 18 ans. La décision de l’agent sur ce point est raisonnable et, de plus, elle est conforme à la jurisprudence dans Saporsantos Leobrera et Norbert; et également dans Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 971, aux paragraphes 17 et 18, 416 FTR 247 [Moya]; Ovcak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1178, au paragraphe 18, [2012] FCJ No 261 [Ovcak]; et Massey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1382, au paragraphe 48, [2011] FCJ No 1684 [Massey].

[29]           Les arguments des demandeurs concernant l’équité procédurale et l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ne sont pas fondés. L’agent n’avait pas à informer les demandeurs qu’il s’appuierait sur le Manuel pour effectuer son évaluation de leur demande pour motif humanitaire. Le Manuel est accessible au public et très connu des professionnels de l’immigration. Je suis d’avis que l’agent n’a pas restreint son pouvoir discrétionnaire en se fiant au Manuel et à la Convention pour conclure qu’aucune évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était nécessaire dans le cas de Brion. Le fait que l’agent se soit fié à la Convention indique qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire au moment de déterminer si Brion correspondait à la définition d’ « enfant » conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR.

C.                 Est-ce que l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur d’Oscar était déraisonnable?

(1)               Observations des demandeurs

[30]           Les demandeurs soutiennent que l’évaluation faite par l’agent de l’intérêt supérieur d’Oscar était déraisonnable. Selon les demandeurs, l’agent devait être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur en : (1) identifiant l’intérêt supérieur d’Oscar; (2) déterminant jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant serait compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre; (3) trouvant l’équilibre entre ce facteur et les autres facteurs de la demande. Selon les demandeurs, la présente vie d’Oscar au Canada, et non pas sa vie précédente en Chine et à Hong Kong, doit être le point de comparaison pour une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les demandeurs soulignent que l’agent a déterminé que l’intérêt supérieur d’Oscar était de maintenir des liens avec les membres de sa famille et ses amis au Canada, mais l’agent a conclu de façon contradictoire que son départ du Canada ne « compromettrait pas directement » son intérêt supérieur.

[31]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne reconnaissant pas l’importance et les avantages de pouvoir compter sur un soutien émotionnel, physique et social au Canada par l’entremise de sa famille et ses amis, mais également le fait que ce type de soutien serait presque complètement absent à Hong Kong. Les demandeurs sont d’avis que les éléments de preuve présentés à l’agent mettent en évidence les liens familiaux solides d’Oscar au Canada, y compris ceux avec son grand-père et ses oncles, qui sont les seuls figures paternelles dans sa vie. Les demandeurs affirment que l’évaluation de l’agent des perturbations touchant l’éducation d’Oscar était laconique, et que l’agent a concentré déraisonnablement son analyse à évaluer la capacité d’Oscar de s’adapter et de s’ajuster à la vie à Hong Kong plutôt qu’à déterminer si son départ du Canada serait dans son intérêt supérieur. Les demandeurs citent l’affaire Bautista c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008, au paragraphe 20, 246 ACWS (3d) 167, dans laquelle la Cour a déclaré : « l’analyse d’ISE doit s’intéresser d’abord à l’enfant lui-même, et non pas à la possibilité qu’il s’adapte à la vie dans un autre pays, qu’il accompagne ses parents, ou qu’il suive une autre personne dans ce qui lui arrive. Le déménagement ne s’avère la meilleure solution que dans les cas exceptionnels. »

(2)               Observations du défendeur

[32]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur dans l’évaluation de l’intérêt supérieur d’Oscar. Le défendeur affirme que les éléments présentés par les demandeurs ne tenaient pas compte de l’impact de l’arrêt Kanthasamy et que les demandeurs exigeaient de façon erronée que la Cour réexamine la preuve. Selon le défendeur, le critère à appliquer pour l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant favorisé par les demandeurs émanait de Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 63, 212 ACWS (3d) 207 [Williams], une affaire qui a été rejetée par la jurisprudence subséquente. À cet égard, le défendeur renvoie à la décision Semana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 , au paragraphe 23, 271 ACWS (3d) 389 [Semana], dans laquelle la Cour souligne que la décision Williams [traduction] « a souvent été rejetée comme test formel d’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, et elle a été jugée incompatible avec la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale (Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1295, au paragraphe 16; Onowu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 64 [Onowu], au paragraphe 44). »

[33]           Le défendeur affirme que la Cour devrait rejeter la tentative ouverte et flagrante de faire en sorte que la Cour se mette à la place de l’agent et réalise l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur rajoute qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de mentionner qu’Oscar pourrait maintenir ses relations avec les membres de sa famille et ses amis à partir de l’étranger. Selon le défendeur, l’agent a déterminé de façon raisonnable qu’Oscar pourrait poursuivre ses études à Hong Kong. Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve démontrant qu’Oscar recevrait une éducation inadéquate à Hong Kong ou comment son éducation au Canada serait préjudiciable à la poursuite de ses études à Hong Kong.

(3)               Analyse

[34]           Je suis d’accord avec le défendeur concernant le fait que les demandeurs tentent de plaider de nouveau le bien-fondé de leur demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire et demandent à la Cour de réévaluer les éléments de preuve qu’ils ont soumis. En l’espèce, la décision de l’agent était hautement discrétionnaire et commande une déférence considérable. Les demandeurs n’ont pas fait référence à une erreur susceptible de révision faite par l’agent. L’agent a évalué de manière approfondie l’intérêt supérieur d’Oscar. L’agent était clairement réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur d’Oscar et l’analyse de cet intérêt supérieur a abordé les conséquences uniques et personnelles qu’auraient sur Oscar un renvoi du Canada.

[35]           L’agent a accepté que l’intérêt supérieur d’Oscar soit de [traduction] « maintenir des liens avec les membres de sa famille et ses amis au Canada ». Cependant, son intérêt supérieur ne pourrait constituer un élément déterminant dans la conclusion parce que le poids accordé à cet intérêt doit être comparé à celui des autres facteurs pertinents pour justifier une dispense pour motifs d’ordre humanitaire (voir Jogiat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 501, au paragraphe 16, 478 FTR 315; Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 38, [2010] 1 RCF 360; Semana, au paragraphe 28). En l’espèce, je suis d’avis que l’agent a agi de façon raisonnable en concluant que l’intérêt supérieur d’Oscar considéré seul, ou globalement avec les facteurs d’établissement des demandeurs et autres facteurs pertinents, ne constituaient pas des éléments de preuve suffisants pour accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

[36]           De plus, la déclaration [traduction] « Je ne peux pas conclure que le départ du Canada compromettrait directement l’intérêt supérieur d’Oscar faite par l’agent n’est pas en contradiction, comme le prétendent les demandeurs, avec la caractérisation de l’agent de l’intérêt supérieur d’Oscar. L’agent a mentionné que c’était [traduction] « dans l’intérêt supérieur d’Oscar de maintenir des liens avec les membres de sa famille et ses amis au Canada », et qu’on peut maintenir ces liens au moyen du téléphone ou de communications par Internet. De plus, à titre de citoyen canadien, Oscar peut venir au Canada en tout temps. En réalité, l’agent affirme que la capacité d’Oscar à maintenir des liens avec sa famille et ses amis au Canada ne serait pas « directement compromise  » s’il retournait à Hong Kong parce qu’il pourrait continuer à communiquer avec eux et à les visiter. La décision de l’agent à cet égard n’est ni contradictoire ni déraisonnable.

IV.              Conclusion

[37]           Dans l’ensemble, la décision de l’agent de ne pas accorder la résidence permanente aux demandeurs est justifiable, transparente et intelligible, en plus de se situer dans une gamme de résultats possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

[38]           Au cours de l’audience, les demandeurs ont proposé la question de portée générale suivante aux fins de certification :

Un agent qui évalue une demande pour motif d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) est-il empêché de prendre en compte l’intérêt supérieur d’un enfant de 18 ans et plus?

[39]           La Cour fédérale d’appel a récemment réitéré le critère de la certification dans Lewis c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CAF 130, lorsqu’elle a déclaré : [traduction]

36        La jurisprudence de notre Cour établit que, pour qu’une question soit dûment certifiée aux termes de l’article 74 de la LIPR, et que la Cour ait compétence pour entendre un appel, la question certifiée par la Cour fédérale doit être déterminante de l’appel, doit transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (par opposition à découler de la façon dont la Cour fédérale peut avoir disposé de l’affaire) : Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9, 446 NR 382; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 28 et 29, [2010] 1 RCF 129; Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12, 318 NR 365[Zazai]; et Liyanagamage c. Canada (secrétaire d’État), 176 NR 4, au paragraphe 4, [1994] ACF no 1637 (CAF).

[40]           Je suis d’avis que la question proposée par les demandeurs ne transcende pas les intérêts des parties ni ne soulève un élément qui a des conséquences importantes ou qui est de portée générale. La Cour a déjà répondu à cette question dans des affaires comme Norbert et Saporsantos Leobrera, et également dans Moya, aux paragraphes 17 et 18; Ovcak, au paragraphe 18; et Massey, au paragraphe 48. Je refuse, par conséquent, de certifier la question proposée par les demandeurs aux fins de certification.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-3620-16

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3620-16

 

INTITULÉ :

PUI YEE LEUNG, KA KIN TAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Christopher Collette

 

Pour les demandeurs

 

David Knapp

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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