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Date : 20170602


Dossier : 17-T-20

Référence : 2017 CF 544

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

BRUCE ARCHIBALD

ET GÉRARD ÉTIENNE

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente décision porte sur une requête présentée par écrit en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], sollicitant une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision, rendue par le commissaire à l’intégrité du secteur public (le commissaire) le 10 janvier 2017, concluant que les allégations de cas grave de mauvaise gestion soulevées contre les demandeurs étaient fondées.

I.                   Faits

[2]               Les demandeurs sont Bruce Archibald, ancien président de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), et Gérard Étienne, alors vice-président des Ressources humaines de l’ACIA.

[3]               Les demandeurs ont été informés en mars 2016 que le commissaire avait l’intention d’enquêter sur les allégations portées contre eux. En août 2016, les demandeurs ont reçu un rapport d’enquête préliminaire du commissaire constatant que les demandeurs étaient coupables de cas grave de mauvaise gestion. Les demandeurs ont répondu au rapport d’enquête préliminaire et ont remis les noms de témoins qui devraient être interrogés.

[4]               Les demandeurs allèguent que lorsqu’ils ont reçu la décision du commissaire datée du 10 janvier 2017 confirmant la conclusion de cas grave de mauvaise gestion, le président actuel de l’ACIA ainsi que le directeur exécutif, Direction des valeurs, de l’intégrité et de la résolution des conflits, avaient assuré que l’affaire serait traitée à l’interne et que le rapport du commissaire sur l’affaire ne contiendrait pas leurs noms. Toutefois, lorsque le rapport du commissaire a été déposé au Parlement en février 2017, il identifiait bel et bien les demandeurs. Ils ont également été mentionnés dans un communiqué de presse.

[5]               Les demandeurs allèguent qu’ils avaient décidé à l’origine de ne pas demander le contrôle judiciaire de la décision du commissaire, car ils étaient convaincus que leurs noms ne seraient pas publiquement associés à celle-ci. Ils affirment qu’une fois qu’ils ont appris qu’ils avaient mal compris, ils ont agi avec diligence pour présenter la présente requête.

[6]               Pour sa part, le défendeur conteste certains aspects de la description des demandeurs concernant leurs discussions avec des représentants de l’ACIA. Le défendeur affirme également qu’il était déraisonnable de la part des demandeurs de croire que leur identité ne serait pas révélée au public.

II.                Question préliminaire

[7]               Le dossier de requête des demandeurs a été déposé le 10 mars 2017. Le dossier de requête du défendeur a dûment été déposé le 29 mars 2017. L’article 369 des Règles prévoit que la partie qui présente la requête peut signifier et déposer des prétentions écrites en réponse au dossier de réponse dans les quatre jours après en avoir reçu signification. Les Règles ne prévoient pas le dépôt d’affidavit complémentaire par le requérant à l’étape de la réponse. En l’espèce, les demandeurs ont présenté une seconde requête, celle-ci visant à obtenir une ordonnance i) leur permettant de déposer un affidavit complémentaire, et ii) prorogeant le délai pour déposer des prétentions en réponse. Sans contestation du défendeur à cette seconde requête, j’ai accordé l’autorisation et la prorogation du délai demandées. Les demandeurs étaient donc en droit de déposer le projet d’affidavit complémentaire et leurs prétentions en réponse dans les sept jours suivants.

[8]               Pour des raisons que je comprends mal, les demandeurs ont omis de déposer, dans le nouveau délai fixé, tant l’affidavit complémentaire que les prétentions en réponse. Par conséquent, la requête initiale des demandeurs visant à obtenir une prorogation du délai pour entamer une demande de contrôle judiciaire sera examinée en fonction du dossier de requête respectif des parties.

III.             Analyse

[9]               Le critère qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est question d’une demande de prorogation de délai a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, aux paragraphes 61 et 62 [Larkman]. Les questions suivantes sont pertinentes :

  1. Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?
  2. La demande a-t-elle un certain fondement?
  3. La partie adverse a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?
  4. Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[10]           Il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice.

[11]           Le défendeur prétend que trois de ces questions vont à l’encontre des demandeurs. Plus précisément, le défendeur soutient que les demandeurs n’ont rien démontré de ce qui suit : i) une explication raisonnable du retard; ii) une intention constante de poursuivre la demande; iii) un certain fondement à la demande. J’aborde chacune de ces questions aux paragraphes qui suivent.

A.                Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[12]           Les demandeurs affirment qu’ils ont toujours eu des doutes quant au caractère équitable de la conclusion de cas grave de mauvaise gestion rendue par le commissaire, mais qu’ils avaient décidé de ne pas faire de demande de contrôle judiciaire, forts de l’assurance qu’ils avaient reçue des représentants de l’ACIA que leur identité ne serait pas rendue publique en lien avec le rapport du commissaire. Les demandeurs ont également fait valoir qu’ils ont agi avec diligence lorsqu’ils ont appris que leur identité avait effectivement été rendue publique.

[13]           Le défendeur prétend qu’il était déraisonnable et insuffisant pour les demandeurs de se fier aux discussions tenues avec des membres du personnel de l’ACIA pour justifier leur retard à demander le contrôle judiciaire. En premier lieu, le défendeur affirme que les demandeurs savaient ou auraient dû savoir que leur nom serait rendu public en lien avec la conclusion de cas grave de mauvaise gestion du commissaire. Un affidavit a été déposé par chacun des représentants de l’ACIA qui aurait, selon les demandeurs, donné son assurance quant au fait que le nom des demandeurs ne serait pas divulgué; ces affidavits donnent des précisions quant aux discussions avec les demandeurs et établissent qu’elles ne constituaient pas des garanties nettes de la nature alléguée par les demandeurs. L’un des affidavits indique également que le demandeur M. Étienne avait été informé, le 1er février 2017, que le rapport du commissaire serait déposé au Parlement et qu’il était nommé dans le rapport. Aussi, le défendeur affirme qu’un minimum de diligence de la part des demandeurs leur aurait appris que le commissaire communique ses conclusions et qu’il avait nommé des personnes par le passé.

[14]           La deuxième base de l’argumentation du défendeur, qui avance que les demandeurs n’avaient pas justifié leur défaut de présenter la demande de contrôle judiciaire en temps opportun, est que les demandeurs se fient aux déclarations de membres du personnel de l’ACIA qui, de toute évidence, n’engagent pas le commissaire dont la décision est en cause. La loi régissant les activités du commissaire prévoit que les constatations d’écarts de conduite sont soumises au Parlement et que les noms des personnes peuvent être divulgués. Le défendeur fait valoir qu’il était déraisonnable pour les demandeurs de se fier, de quelque façon que ce soit, aux discussions tenues avec des représentants de l’ACIA.

[15]           Je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas réussi à établir une excuse raisonnable expliquant leur retard à demander un contrôle judiciaire. Même s’il est possible que les demandeurs aient sincèrement cru initialement que leur nom ne serait pas rendu public en lien avec le rapport du commissaire, il n’était pas raisonnable pour eux de le croire, même de bonne foi, d’après leurs discussions avec des représentants de l’ACIA.

[16]           Ce facteur favorise le rejet de la requête des demandeurs.

B.                 Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

[17]           Le défendeur mentionne que, de l’aveu même des demandeurs, ces derniers ont délibérément décidé de ne pas demander de contrôle judiciaire, et ils ne peuvent donc pas démontrer l’intention constante requise.

[18]           Les demandeurs citent le fait que la décision de ne pas demander de contrôle judiciaire était fondée sur leur croyance sincère, déjà mentionnée, que leur nom ne serait pas associé publiquement au rapport du commissaire.

[19]           En dépit de ma conclusion précédente que la croyance des demandeurs était déraisonnable, j’accepte qu’elle ait pu effectivement avoir été sincère. J’éprouve une certaine sympathie pour un demandeur potentiel qui, en décidant de ne pas entreprendre de procédure judiciaire, s’est fié à certains renseignements qui se sont révélés incorrects plus tard. J’éprouverais cette sympathie même si ce fondement n’était pas raisonnable. Alors que la question de savoir si les demandeurs avaient une explication raisonnable pour leur retard à engager des procédures judiciaires requiert une évaluation objective des faits, la présente question de savoir si les demandeurs avaient une intention constante d’entamer des procédures judiciaires requiert une évaluation subjective des faits.

[20]           Je conclus que l’intention des demandeurs d’entamer leur demande pourrait très bien avoir été constante. Ce facteur favorise légèrement l’accueil de la requête des demandeurs.

C.                 La demande a-t-elle un certain fondement?

[21]           L’intégralité de l’argument des demandeurs concernant le bien-fondé potentiel se trouve dans un seul paragraphe de leurs prétentions écrites. Ils affirment que leur demande est fondée, et mentionnent certains arguments qu’ils ont l’intention d’avancer. Cependant, au lieu de me donner suffisamment de détails pour me permettre de conclure que ces arguments sont bien-fondés, les demandeurs se limitent à de simples affirmations. Cela est nettement insuffisant.

[22]           Ce facteur doit aller à l’encontre des intérêts des demandeurs.

D.                Intérêt de la justice

[23]           Comme il a été mentionné précédemment, la considération primordiale dans une requête en vue d’obtenir une prorogation du délai est de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai. Comme l’a indiqué la CAF dans l’arrêt Larkman, au paragraphe 86, la « Cour fédérale et notre Cour ont souligné l’importance du délai de 30 jours prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales » et il existe « bon nombre de précédents suivant lesquels des retards inexpliqués, même courts, peuvent justifier le refus d’une prorogation de délai ». La CAF poursuit, au paragraphe 87 de l’arrêt Larkman :

La date limite de trente jours se justifie par le principe du caractère définitif des décisions. Lorsque le délai de trente jours expire et qu’aucune demande de contrôle judiciaire n’a été introduite pour contester la décision ou l’ordonnance en question, les parties devraient pouvoir agir en partant du principe que la décision ou l’ordonnance qui a été rendue s’appliquera. Il faut tenir compte du principe du caractère définitif des décisions lorsqu’on cherche à déterminer en quoi consiste l’intérêt de la justice dans un cas déterminé.

[24]           Le défendeur reconnaît que le retard de l’engagement des poursuites judiciaires en l’espèce ne lui porte pas préjudice. Ceci favorise l’accueil de la requête des demandeurs, tout comme l’intention constante apparente des demandeurs d’entamer des procédures judiciaires.

[25]           D’un autre côté, le défaut des demandeurs d’établir soit une explication raisonnable du retard de l’engagement des procédures judiciaires, soit un bien-fondé potentiel, favorise à cet égard le rejet de la requête.

[26]           Même si le retard était minime, je suis préoccupé par le faible engagement des demandeurs envers leur cas comme le démontrent le retard déraisonnable et l’absence de détail concernant leur thèse sur le fonds. Je conclus que les demandeurs n’ont pas réussi à établir qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accueillir la prorogation du délai demandée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER 17-T-20

LA COUR rejette la requête des demandeurs en vue d’obtenir la prorogation du délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

17-T-20

 

INTITULÉ :

BRUCE ARCHIBALD ET GÉRARD ÉTIENNE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DE LA COUR FÉDÉRALE (DORS/98-106) EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO).

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

James Cameron

Morgan Rowe

 

Pour les demandeurs

 

Tara DiBenedetto

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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