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Date : 20161007


Dossier : T-1254-16

Référence : 2016 CF 1127

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE COWESSESS NO 73

demanderesse

et

GARY PELLETIER, STAN DELORME, PATRICK REDWOOD, CAROL LAVALLEE, MALCOLM DELORME, CURTIS LEBRAT et TERRENCE LAVALLEE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Terrence Lavallee dépose une requête écrite en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue de :

1.                  être constitué comme défendeur dans la demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse;

2.                  obtenir une ordonnance visée au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour proroger d’un délai supplémentaire de sept (7) jours qui suivent le prononcé de l’ordonnance le délai imparti pour présenter une demande de contrôle judiciaire distincte, au cas où il était autorisé à déposer une nouvelle demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal d’appel électoral de la Première Nation de Cowessess rendue le 27 juin 2016.

I.                   M. Lavallee à titre de défendeur

[2]               La question sous-jacente concerne une demande de contrôle judiciaire présentée par la Première Nation de Cowessess no 73 à l’encontre d’une décision du Tribunal d’appel électoral de la Première Nation de Cowessess. Les détails de la décision ne sont pas pertinents en l’espèce. Il suffit de dire que Terrence Lavallee a présenté un grand nombre de griefs concernant l’élection du chef et du conseil de la Première Nation de Cowessess no 73. Il a interjeté appel seul et le Tribunal n’aborde pas dans sa décision la question de sa qualité pour contester l’élection aux postes autres que celui pour lequel il s’est présenté aux élections. M. Lavallee était chef entre 2013 et 2016 et s’est porté candidat à l’élection comme chef le 27 avril 2016. Il a été battu.

[3]               Cependant, il ne fait aucun doute qu’il a été le moteur de l’appel qui a abouti à une décision de 38 pages qui abonde en allégations formulées par M. Lavallee. Chaque allégation de M. Lavallee est présentée, les arguments contradictoires sont analysés et une décision est rendue par le Tribunal d’appel électoral de la Première Nation de Cowessess formé de trois membres.

[4]               En fin de compte, le Tribunal d’appel a conclu que trois des sept personnes élues au poste de conseiller résident devaient être disqualifiées pour une raison ou une autre. Conformément à la loi Cowessess First Nation No. 73 Custom Election Act (Loi électorale de la Première Nation de Cowessess no 73), les trois candidats suivants ayant recueilli le plus grand nombre de voix ont été élus.

[5]               Dans la demande de contrôle judiciaire présentée par la Première Nation de Cowessess no 73, les défendeurs sont les trois candidats disqualifiés et les trois candidats suivants ayant obtenu le plus grand nombre de voix. M. Lavallee n’est pas désigné comme défendeur. À mon avis, il aurait dû y être mentionné.

[6]               Le premier motif qui m’a amené à tirer cette conclusion est que M. Lavallee est l’une des parties à l’appel entendu par le Tribunal d’appel électoral. Sans l’appel qu’il a interjeté, il n’y a pas d’appel. C’est à cause de certaines de ses allégations que certains candidats ont été disqualifiés ex post facto. Ce sont ces mêmes disqualifications qui font l’objet de la demande de contrôle judiciaire. Je ne vois pas comment on peut faire abstraction de M. Lavallee à ce stade. Les parties à une instance faisant l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devraient être désignées à titre de défenderesses (DF c. Human Rights Tribunal of Ontario, 2012 ONSC 1530 (Cour divisionnaire); Tetzlaff c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 2 C.F. 215 (CAF) [Tetzlaff]; et, plus récemment Douglas v. Canada (Procureur général), 2013 CF 451, [2014] 4 RCF 494). Dans l’arrêt Tetzlaff, la Cour d’appel fédérale a écrit : « Par ailleurs, les parties à des procédures portées devant un office fédéral ont toujours la qualité voulue pour agir à ce titre (et sont généralement obligées de le faire) lorsque ces procédures, ou la mesure à laquelle elles donnent lieu, font l’objet d’une contestation fondée sur l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales » (au paragraphe 20).

[7]               Mais ce n’est pas tout. La Première Nation de Cowessess no 73 reconnaît dans son mémoire des faits et du droit que les six défendeurs désignés ne s’opposeront pas à la demande de contrôle judiciaire, puisque [traduction] « [c]hacun des défendeurs a déposé un affidavit indiquant qu’il appuie la demande déposée par la Première Nation de Cowessess, ou qu’il ne prend pas position à son égard » (au paragraphe 67).

[8]               Ainsi, non seulement M. Lavallee aurait dû être désigné à titre de défendeur, mais sa présence est désormais nécessaire (Tetzlaff, précité) pour garantir la tenue d’un débat ou, comme l’énonce l’article 104 des Règles, « pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance ». La demande de contrôle judiciaire est en effet délibérément constituée par la demanderesse afin d’exclure une personne qui a interjeté l’appel pour laisser comme défendeurs ceux qui ne s’opposeront pas à la demande de contrôle judiciaire. M. Lavallee doit être constitué comme défendeur et l’intitulé de la cause doit être modifié en conséquence.

II.                Prorogation du délai imparti pour déposer une demande de contrôle judiciaire distincte

[9]               M. Lavallee n’a pas déposé sa propre demande de contrôle judiciaire conformément aux exigences de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Pour qu’une prorogation de délai soit accordée (paragraphe 18.1(2)), il doit satisfaire aux critères suivants énoncés dans l’arrêt Hennelly :

a)                  une intention constante de poursuivre la demande;

b)                  un bien-fondé éventuel de la demande;

c)                  un préjudice subi par la partie adverse;

d)                 une explication raisonnable justifiant le délai.

(Canada (Procureur Général) c. Hennelly, (1999) 244 NR 399).

[10]           À mon avis, le préjudice que subirait la demanderesse serait minime si on accordait une prorogation de délai. Toutefois, les trois autres critères favorisent la Première Nation de Cowessess no 73.

[11]           Il ne fait aucun doute que M. Lavallee était conscient du besoin de satisfaire aux facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly. Son mémoire des faits et du droit vise à examiner les facteurs un à un. Ainsi, il soutient y avoir indiqué son intention de poursuivre la demande. Tel n’est pas le cas.

[12]           M. Lavallee déclare avoir attendu l’expiration du délai de 30 jours pour voir si une autre personne présenterait une demande. Il a affirmé qu’[traduction] « il ne voulait pas assumer le coût et s’engager dans une bataille juridique qui créerait de l’incertitude quant à la gouvernance de la Première Nation de Cowessess en entreprenant une procédure de contrôle judiciaire pour faire annuler les quatre autres postes de conseillers permanents ». Le fait d’attendre pour voir ne démontre pas une intention constante de poursuivre la demande; en fait, on dirait le contraire.

[13]           Plus important encore, la requête échoue au regard du critère du bien-fondé éventuel de sa propre demande. Outre le fait de présenter en général qu’il voudrait faire disqualifier les sept conseillers afin qu’une nouvelle élection soit ordonnée, rien n’indique quel argument pourrait être avancé à l’appui d’une telle proposition. Comme l’a fait observer l’avocat de la Première Nation de Cowessess no 73, son allégation va à l’encontre de l’article 11.05 de la loi électorale Cowessess First Nation No. 73 Custom Election Act qui régit l’instruction des appels. La Loi prévoit expressément l’élection de candidats au cas où d’autres candidats sont disqualifiés. Il incombait à M. Lavallee de démontrer plus que l’existence « d’une cause défendable pour cette demande de contrôle judiciaire ». Une déclaration ne suffira pas. Elle n’établit pas le fondement; il s’agit simplement d’une allégation générale. Il en est de même de l’affirmation selon laquelle le Tribunal d’appel a tort de ne pas annuler l’élection des sept conseillers. Cela n’établit pas un quelconque bien-fondé éventuel. Cela n’établit rien. Aucune ébauche d’une demande de contrôle judiciaire n’a été présentée pour faire l’objet d’un examen afin d’en évaluer le bien-fondé éventuel. La Cour ne dispose donc que d’affirmations générales. Elles ne tiennent pas.

[14]           Le critère exigeant une explication raisonnable justifiant le délai n’est pas non plus satisfait. En l’espèce, M. Lavallee affirme qu’il a attendu dans l’ombre pendant plus de 40 jours. Il était parfaitement au courant de la décision rendue, étant l’un des principaux protagonistes, mais il voulait être en mesure de réagir à ce que ses opposants allaient faire. Une stratégie de litige ne constitue pas une explication au fait de ne pas présenter sa propre demande en temps opportun. Il écrit ainsi dans son mémoire des faits et du droit, au paragraphe 25 : [traduction] « Après avoir été informé de cette procédure, j’ai pris toutes les mesures possibles pour m’opposer à la procédure et j’ai présenté ma propre demande de contrôle judiciaire. J’ai pris ces mesures sans attendre. » Mais là n’est pas la question. Il était nécessaire de tenir compte des 30 premiers jours. En fait, la période de temps la plus importante était les 30 premiers jours. M. Lavallee devait expliquer pourquoi il n’avait pas introduit ses propres procédures pendant cette période. Comme je l’ai souligné précédemment, des considérations stratégiques ne constituent pas une explication raisonnable.

[15]           La combinaison de l’absence d’explication raisonnable, de l’absence de démonstration de l’intention constante de poursuivre la demande et de l’absence de démonstration du bien-fondé éventuel de la demande ne conduira qu’à une seule conclusion possible. La requête en prorogation du délai imparti pour déposer une demande de contrôle judiciaire distincte doit être rejetée.

[16]           Dans sa lettre du 15 septembre 2016, la Première Nation de Cowessess no 73 a demandé à ce qu’une conférence de gestion de l’instance soit organisée dans l’éventualité où la requête de M. Lavallee était accueillie en partie. Cette demande est prématurée. Les parties devraient avoir leurs documents prêts de façon à ce que la demande de contrôle judiciaire soit mise en état. Il existe des Règles des Cours fédérales qui aideront à résoudre la plupart des questions. Lorsqu’il y a un changement de circonstances qui justifie une nouvelle demande, elle peut alors être examinée à la lumière des faits.


ORDONNANCE

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

1.                  M. Terrence Lavallee est constitué comme partie défenderesse distincte et l’intitulé est modifié afin que la demande de contrôle judiciaire déposée au dossier de la Cour T‑1254‑16 tienne compte de ce fait;

2.                  la requête en vue d’obtenir une prorogation du délai pendant lequel une demande de contrôle judiciaire distincte peut être déposée est rejetée;

3.                  les parties ayant également obtenu gain de cause et été déboutées, aucuns dépens ne seront adjugés dans la présente affaire.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1254-16

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE COWESSESS NO 73 c. GARY PELLETIER, STAN DELORME, PATRICK REDWOOD, CAROL LAVALLEE, MALCOLM DELORME, ET CURTIS LEBRAT

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 octobre 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Joshua Morrison

 

Pour la demanderesse

 

Aucune observation écrite

 

Pour les défendeurs

 

Terrence Lavallee

 

LE DÉFENDEUR ÉVENTUEL

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McPherson Leslie & Tyerman LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

Pour la demanderesse

 

 

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