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Date : 20160929


Dossier : T-1833-15

Référence : 2016 CF 1095

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Mont-Tremblant (Québec), le 29 septembre 2016

En présence du protonotaire Roger R. Lafrenière

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE

ENTRE :

PLATYPUS MARINE, INC.

demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TATU »

ET LE NAVIRE « TATU »

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La défenderesse, Platinum Premier Corporation Limited (« Platinum »), propriétaire du défendeur, le navire « TATU » (le « navire »), a demandé une ordonnance en vertu de l’article 488 des Règles des Cours fédérales ou, subsidiairement, de l’article 487 ou du paragraphe 495(4) des Règles, en vue d’obtenir la radiation du caveat-mainlevée déposé par la demanderesse, Platypus Marine, Inc. (« Platypus »), et la mainlevée de la saisie du navire. Platinum et le navire sont collectivement appelés les « défendeurs » dans les présents motifs.

[2]               Les faits de base ne sont pas contestés et sont bien résumés dans la décision Platypus Marine, Inc. v Tatu (Ship), 2016 FCA 224 [Platypus FCA] rendue par le juge Marc Nadon de la Cour d’appel fédérale. Je vais simplement les réitérer ci-dessous en apportant les modifications nécessaires.

Exposé des faits

[3]               Dans le cadre d’une action intentée par Loralee B. Vogel dans le dossier de la Cour fédérale no T-1615-15, le navire, un yacht luxueux de 27,5 m assuré pour 5,8 millions de dollars US, a été saisi à Vancouver le 23 septembre 2015 conformément à un mandat de saisie délivré par la Cour.

[4]               Le 29 octobre 2015, Platypus, une société réparant des navires établie à Port Angeles, dans l’État de Washington, a intenté l’action sous-jacente personnelle et réelle contre les intimés en plus d’avoir signifié et déposé un caveat-mainlevée aux termes du paragraphe 493(2) des Règles. Par son action, Platypus a réclamé la somme de 285 508,92 $ US pour les droits d’amarrage, les frais d’entreposage et de réparation et d’autres services rendus au navire. Platypus a également réclamé la somme de 100 000 $ US représentant des frais d’intérêts convenus par les parties.

[5]               Le 15 décembre 2015, les défendeurs n’ayant présenté aucune défense concernant le principal de 285 508,92 $ US, le juge Simon Fothergill a accueilli la demande de Platypus dans sa totalité pour l’équivalent en dollars canadiens de 285 508,92 $ US (363 455,61 $ CAN), plus les frais et dépens fixés à 1 500 $. Toutefois, à l’égard des frais d’intérêts convenus de 100 000 $ US, le juge Fothergill a accordé aux intimés l’autorisation de déposer et de signifier une défense et a ordonné que la question soit abordée par la Cour à une date ultérieure.

[6]               À la fin du mois de janvier 2016, les intimés ont versé à Platypus l’intégralité de la somme que le juge Fothergill leur avait ordonné de payer, y compris les dépens et les intérêts.

[7]               Le 3 mai 2016, le juge Roger Hughes a entendu une requête déposée par les intimés visant le rejet sommaire de la demande de Platypus pour des intérêts totalisant 100 000 $ US.

[8]               Le jour suivant, le juge Hughes a rejeté la demande de Platypus concernant les intérêts de 100 000 $ US au motif que les frais d’intérêts convenus enfreignaient les dispositions relatives au taux d’intérêt criminel, énoncées à l’article 347 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Par conséquent, il a refusé d’entériner l’entente intervenue entre les parties concernant les intérêts et, en lieu et place, il a accordé à Platypus des intérêts totalisant 35 000 $ CAN, c.-à-d. des intérêts à un taux de 5 % par an, comme le prescrit l’article 4 de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. (1985), ch. I-15.

[9]               Le 11 mai 2016, Platypus a déposé un avis d’appel devant la Cour d’appel fédérale, contestant la validité de la décision du juge Hughes (dossier de la Cour no A-146-16) pour les motifs suivants :

a)                  La Cour a commis une erreur en concluant que la somme de 100 000 $ US en frais d’intérêts convenus par les parties représente un taux d’intérêt de plus de 60 % par an et enfreint le Code criminel. Il s’agit d’une erreur arithmétique.

b)                  La Cour a commis une erreur en concluant que Platypus avait convenu de renoncer à la position subsidiaire qu’elle avait adoptée, à savoir que dans l’éventualité d’un taux d’intérêt supérieur à 60 % par an, les intérêts devraient être accordés selon un taux de 60 % par an. Platypus conteste qu’une telle concession ait été faite.

c)                  La Cour a commis une erreur en omettant d’appliquer la doctrine de la divisibilité et en n’accordant pas le taux de 60 % par année, si les intérêts convenus étaient à un taux criminel.

d)                 Par ailleurs, si la position subsidiaire de Platypus a été examinée puis rejetée par la Cour, celle-ci a commis une erreur en omettant de se prononcer sur cette question dans ses motifs.

[10]           Les défendeurs ont déposé un avis d’appel incident le 24 mai 2016.

[11]           Le 19 août 2016, les défendeurs ont versé à Platypus la somme de 35 992,46 $ CAN, laquelle constitue le paiement complet de la somme adjugée par le juge Hughes dans son jugement, plus les intérêts à 5 % sur ce montant à ce jour, calculés à partir de la date de paiement prévue dans le premier jugement.

[12]           Le 22 août 2016, Platypus a déposé devant la Cour d’appel fédérale une requête en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que le navire devait demeurer sous saisie en attendant l’issue de l’appel ou jusqu’à ce qu’un cautionnement ou une garantie d’exécution soit déposé pour la demande de Platypus. La requête a été rejetée par le juge Nadon le 8 septembre 2016, dans la décision Platypus FCA, pour le motif qu’aucun fondement en droit ne permettrait d’accorder le redressement. Au paragraphe 19 de ses motifs, le juge Nadon a conclu ce qui suit :

[traduction]
… déterminer si l’on peut permettre la mainlevée de la saisie du navire est une question régie par les Règles de la Cour fédérale qui doit être tranchée par la Cour fédérale. Notre cour n’a pas la compétence exclusive d’ordonner la saisie et la poursuite de la saisie d’un navire ou d’accorder mainlevée de sa saisie. Cette compétence appartient à la Cour fédérale.

[13]           Platypus a déposé une demande d’audience pour le dossier no A-146-16; toutefois, aucune date d’audience n’a été fixée pour cet appel. Rien dans les documents qui m’ont été présentés n’indique si Platypus a demandé une instruction accélérée de l’appel.

Requête de Platinum

[14]           Le 18 septembre 2016, Platinum a déposé la présente requête devant notre Cour en vue d’obtenir la radiation du caveat-mainlevée déposé par Platypus et la mainlevée de la saisie du navire.

[15]           Il est admis que le navire est actuellement sous saisie en vertu d’un mandat délivré par la Cour dans le dossier no T-1615-15, et que Platypus a déposé un caveat-mainlevée aux termes du paragraphe 493(2) des Règles. Il a été demandé à Platypus de consentir à la mainlevée de la saisie du navire à la suite de la transmission du deuxième paiement, le 19 août 2016, mais elle a refusé d’y consentir au motif qu’elle interjette appel de la décision rendue par le juge Hughes.

[16]           Platinum prétend que les deux jugements rendus par notre Cour ont été respectés et que, à ce titre, la mainlevée de la saisie du navire doit lui être accordée.

[17]           Platypus s’oppose au redressement demandé par Platinum au motif que la mainlevée de la saisie du navire avant l’issue de l’appel lui causerait un préjudice irréparable et aurait pour effet de rendre théorique tout jugement en appel rendu en sa faveur. Platypus prétend que Platinum est un propriétaire étranger qui se soustrait depuis longtemps au paiement de ses dettes et qui reporte le paiement des montants accordés par jugement. Elle allègue également que le navire est un yacht battant pavillon étranger et immatriculé qui quittera probablement les eaux canadiennes si la mainlevée de la saisie est accordée. Par conséquent, Platypus allègue qu’elle n’aurait plus en sa possession au Canada des biens en fonction desquels le jugement, s’il est infirmé en appel, pourrait être respecté.

[18]           La question en litige dans la présente requête est de savoir si la Cour devrait ordonner la mainlevée de la saisie du navire.

Paragraphes des Règles applicables à la présente requête

[19]           Voici les paragraphes des Règles pertinents en ce qui concerne la mainlevée de la saisie de biens dans des actions réelles et personnelles ainsi que les caveat-mainlevées :

Mainlevée par le fonctionnaire désigné

Release of arrested property

487 (1) Sauf si un caveat a été déposé aux termes du paragraphe 493(2), le fonctionnaire désigné peut délivrer la mainlevée de la saisie de biens, établie selon la formule 487 :

487 (1) Unless a caveat has been filed under subsection 493(2), a designated officer may issue a release of arrested property in Form 487

a) sur consignation à la Cour de l’un des montants suivants :

(a) on payment into court of

(i) le montant réclamé,

(i) the amount claimed,

(ii) le montant correspondant à la valeur estimée des biens saisis,

(ii) the appraised value of the property arrested, or

(iii) lorsque la cargaison est saisie pour le fret seulement, le montant du fret attesté par affidavit;

(iii) where cargo is arrested for freight only, the amount of the freight, verified by affidavit;

b) si une garantie d’exécution a été donnée conformément à la règle 485 et aux paragraphes 486(1) et (2) et qu’aucun avis d’opposition fait aux termes du paragraphe 486(3) n’est pendant;

(b) if bail has been given in an amount fixed under rule 485 and in accordance with subsections 486(1) and (2) and no objection under subsection 486(3) is outstanding;

c) sur consentement écrit de la partie qui a fait procéder à la saisie des biens;

(c) on the consent in writing of the party at whose instance the property was arrested; or

d) sur désistement ou rejet de l’action dans laquelle les biens ont été saisis.

(d) on the discontinuance or dismissal of the action in respect of which the property was arrested.

Renvoi

Referral to judge or prothonotary

(2) Le fonctionnaire désigné peut déférer toute demande de mainlevée de la saisie visée au paragraphe (1) à un juge ou un protonotaire.

(2) Where a release is sought under subsection (1), a designated officer may refer the matter to a judge or prothonotary.

Ordonnance de mainlevée

Release at any time

488 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner la mainlevée de la saisie de biens à tout moment.

488 (1) On motion, the Court may, at any time, order the release of arrested property.

Caveat-mainlevée

Caveat release

493 (2) Quiconque désire empêcher la mainlevée de la saisie de biens signifie et dépose un caveat-mainlevée selon la formule 493B.

493 (2) A person who desires to prevent the release of any property under arrest shall serve and file a caveat release in Form 493B.

Expiration du caveat

Expiration of caveat

495 (1) Un caveat expire à la fin du douzième mois qui suit la date de son dépôt.

495 (1) A caveat expires one year after the day on which it was filed.

Nouveau caveat

Filing of new caveat

(2) Un nouveau caveat peut être signifié et déposé avant ou après l’expiration d’un caveat.

(2) A new caveat may be served and filed before or after the expiration of an existing caveat.

Retrait d’un caveat

Withdrawal of caveat

(3) La personne qui a déposé un caveat peut le retirer à tout moment en déposant un avis selon la formule 495.

(3) A person who has filed a caveat may withdraw it at any time by filing a notice in Form 495.

Analyse

[20]           Selon le paragraphe 487(1) des Règles, dans certains cas, un fonctionnaire désigné peut délivrer la mainlevée de la saisie de biens, établie selon la formule 487, notamment lorsque la partie a fourni une garantie d’exécution suffisante, sur consentement écrit de la partie qui fait procéder à la saisie des biens ou sur désistement ou rejet de l’action dans laquelle les biens ont été saisis. Le fonctionnaire désigné ne peut toutefois pas procéder lorsqu’un caveat a été déposé aux termes du paragraphe 493(2). Par conséquent, Platinum était tenue de présenter une requête aux termes des paragraphes 488(1) et 495(4) des Règles en vue d’obtenir la mainlevée de la saisie du navire.

[21]           Les avocats des parties n’ont pu invoquer aucune jurisprudence énonçant les facteurs dont la Cour devrait tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il faut ou non procéder à la mainlevée de la saisie du navire en attendant qu’il soit statué sur l’appel.

[22]           Platypus fait valoir qu’il incombe à Platinum d’établir que la mainlevée du navire devrait être accordée, et que la Cour devrait appliquer le critère à trois volets énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.

[23]           Je conviens qu’il incombait à Platinum de s’acquitter du fardeau initial, lequel consistait à établir qu’une ordonnance de mainlevée de la saisie de navire devait être rendue. À mon avis, elle s’est acquittée de ce fardeau. Platinum a satisfait pleinement aux deux jugements et, à l’heure actuelle, aucun fondement juridique ne permet le maintien du navire sous saisie. Il est bien établi en droit que l’appel d’un jugement n’a pas pour effet de surseoir à l’instance. Dans les circonstances, il appartenait dès lors à Platypus de démontrer pourquoi le navire devait demeurer sous saisie.

[24]           Platypus affirme qu’il y a une question sérieuse à trancher dans le cadre de l’appel, qu’un refus d’accueillir sa requête lui causera indubitablement un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients lui est favorable. Cependant, elle n’a produit aucun affidavit en preuve en réponse à cette requête qui se rapporte expressément à ces trois facteurs. Même s’il est possible que Platinum ait considérablement été en défaut de paiement à l’égard de ses dettes par le passé, aucune preuve n’indique qu’elle éprouve actuellement des problèmes financiers. Le fait qu’elle ait ultimement payé les montants des jugements donnerait à penser qu’il en est autrement. En outre, les observations formulées par les avocats selon lesquelles Platypus se retrouverait sans aucun recours advenant la mainlevée de la saisie du navire ne sont que cela : des observations. Elles ne sont pas des éléments de preuve.

[25]           Platypus aurait pu déposer une requête en sursis d’exécution du jugement rendu par le juge Hughes, mais elle a choisi de ne pas le faire. Comme le juge Nadon l’a souligné dans la décision Platypus FCA, au paragraphe 17 :

[traduction]
Par conséquent, le jugement demeure exécutoire et il a effectivement été exécuté par les intimés lorsqu’ils ont payé la somme de 35 992,46 $ le 19 août 2016. À mon humble avis, si l’appelante avait réussi à obtenir un sursis de ce jugement, il s’en serait forcément suivi qu’une mainlevée de la saisie du navire n’aurait pu être accordée en attendant la décision de notre Cour à l’égard de l’appel. Toutefois, cela ne s’est pas produit et, par conséquent, avec le plus grand respect, l’observation de l’appelante selon laquelle sa requête doit être traitée comme une requête en sursis n’est pas justifiée.

[26]           Selon les documents qui m’ont été présentés, je conclus qu’il n’y a aucun fondement juridique qui permette de poursuivre la saisie du navire. Dans les circonstances, la requête est accueillie, avec dépens de 1 500 $, taxes et débours compris, adjugés à Platinum.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  Aux termes du paragraphe 495(4) des Règles des Cours fédérales, le caveat-mainlevée déposé par la demanderesse est annulé.

2.                  Aux termes du paragraphe 488(1) des Règles, le fonctionnaire désigné devra immédiatement délivrer la mainlevée de la saisie du navire de la défenderesse, le « TATU », au moyen du formulaire joint à l’avis de requête.

3.                  La demanderesse est condamnée à payer les dépens afférents à la requête, par les présentes établis à 1 500 $, à la défenderesse, Platinum Premier Corporation Limited.

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1833-15

 

INTITULÉ :

PLATYPUS MARINE, INC. c. LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TATU » ET LE NAVIRE « TATU »

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 SEPTEMBRE 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrew Stainer

 

Pour la demanderesse

 

W. Gary Wharton

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bull, Housser & Tupper LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Bernard LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les défendeurs

 

 

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