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Date : 20170711


Dossier : 17‑T‑20

Référence : 2017 CF 674

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 11 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

BRUCE ARCHIBALD

et GÉRARD ÉTIENNE

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Il s’agit de la troisième décision que je rends relativement aux démarches entreprises par les demandeurs en vue d’obtenir une prorogation du délai pour introduire une demande de contrôle judiciaire. Ces démarches ont débuté par le dépôt d’une requête écrite le 10 mars 2017. Les demandeurs ont reçu le dossier de requête du défendeur le 29 mars 2017 et, le 6 avril 2017, ils ont déposé une deuxième requête en vue d’obtenir, d’une part, l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire et, d’autre part, une prorogation du délai pour déposer des observations en réponse.

[2]  Le défendeur ne s’est pas opposé à la deuxième requête des demandeurs et j’y ai fait droit le 16 mai 2017 dans une première décision concernant la présente affaire. Les demandeurs avaient jusqu’au 23 mai 2017 pour signifier et déposer leur affidavit complémentaire et leurs observations en réponse. Cependant, pour des raisons qui n’ont pas été expliquées alors, cette date limite n’a pas été respectée. Le 2 juin 2017, sans avoir reçu l’affidavit complémentaire ni les observations en réponse des demandeurs, j’ai rendu une deuxième décision (2017 CF 544, ou la décision du 2 juin 2017); celle‑ci concernait leur requête initiale en prorogation du délai pour introduire une demande de contrôle judiciaire. J’ai rejeté cette requête, n’étant pas convaincu que les demandeurs avaient (i) expliqué de manière raisonnable leur retard à introduire une demande de contrôle judiciaire, ou (ii) établi que la demande avait un certain fondement.

[3]  Par la présente requête, la troisième, les demandeurs cherchent à faire infirmer la décision du 2 juin 2017 au titre de l’alinéa 399(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] au motif qu’elle a été rendue « en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ». Pour que cette requête soit accueillie, les demandeurs doivent également présenter une preuve prima facie démontrant pourquoi la décision du 2 juin 2017 n’aurait pas dû être rendue.

[4]  En ce qui concerne la première exigence (établir que la décision du 2 juin 2017 a été rendue en l’absence des demandeurs qui n’ont pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur), les demandeurs font observer que leur avocat connaissait la date limite de signification et de dépôt de l’affidavit complémentaire et des observations en réponse, et qu’il avait finalisé ces documents dans le temps imparti. Les demandeurs expliquent que le délai n’a pas été respecté, parce que l’assistant de l’avocat a omis, par inadvertance, de signifier et de déposer les documents avant la date limite, malgré les instructions de l’avocat, ce que ce dernier n’a remarqué qu’après la décision du 2 juin 2017 rendue par la Cour.

[5]  Quant à la seconde exigence prévue à l’alinéa 399(1)b) des Règles (une preuve prima facie démontrant pourquoi la décision du 2 juin 2017 n’aurait pas dû être rendue), les demandeurs invoquent des observations et des éléments de preuve additionnels se rapportant aux éléments suivants : (i) une explication raisonnable du retard mis à introduire la demande, et (ii) le fait que la demande a un certain fondement.

I.  Analyse

A.  La décision du 2 juin 2017 a‑t‑elle été rendue en l’absence des demandeurs qui n’ont pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur?

[6]  Le défendeur soutient que cette exigence n’est pas remplie étant donné que les demandeurs ont comparu, dans le sens où leur dossier de requête initial a été reçu et dûment examiné. Il ajoute que si les demandeurs n’ont pas déposé leurs observations en réponse à temps pour qu’elles soient prises en compte, ce n’est pas à cause d’une erreur concernant la date limite, mais parce qu’ils n’ont pas pris la peine de s’assurer qu’elles avaient été déposées.

[7]  Bien que le défendeur cite plusieurs décisions dans lesquelles la Cour a statué que l’article 399 des Règles ne s’applique pas lorsque le requérant introduit une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, mais omet de la mettre en état (Bergman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1082 [Bergman]; Olivier c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1384; Boubarak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1239 [Boubarak]), je n’ai pris connaissance d’aucune décision concernant directement la question de savoir si l’omission involontaire de déposer des observations en réponse constitue un défaut de comparaître lorsque les observations principales ont déjà été déposées. Il se trouve que je n’ai pas à trancher cette question en l’espèce.

[8]  En ce qui concerne la question de savoir si le défaut de comparaître peut être attribuable à un événement fortuit ou à une erreur lorsqu’il découle de la croyance erronée selon laquelle le dépôt a bel et bien été effectué, le défendeur invoque la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 335 [Ali], dans laquelle la Cour a refusé d’appliquer l’article 399 des Règles. À mon avis, la décision Ali se distingue de la présente affaire, car dans cette décision la Cour a soulevé plusieurs préoccupations autres qu’une simple confusion concernant le dépôt de documents.

[9]  Dans le cas qui nous occupe, la justification du défaut de l’avocat des demandeurs de s’assurer que l’affidavit complémentaire et les observations en réponse avaient été déposés aurait été plus facile à accepter si ce n’était des problèmes suivants.

[10]  Premièrement, la preuve concernant les mesures prises par l’avocat des demandeurs est mince. Ces derniers ont produit un courriel adressé par leur avocat à son assistant auquel il joignait l’ébauche des observations en réponse, en précisant la date limite du dépôt. Cependant, rien n’indique que des instructions explicites ont été données concernant le dépôt de l’affidavit complémentaire et des observations en réponse. De plus, les échanges écrits subséquents entre l’avocat et son assistant, auxquels se réfèrent les demandeurs, n’ont pas été produits. L’absence de suivi de la part de l’avocat est d’autant plus difficile à comprendre qu’ils savaient que la signature d’un avocat était nécessaire pour que les observations en réponse puissent être déposées (voir le paragraphe 66(3) des Règles). N’ayant pas signé les observations en réponse, l’avocat aurait dû se rendre compte qu’elles n’avaient pas été déposées.

[11]  Deuxièmement, le dépassement de la date limite du dépôt de l’affidavit complémentaire et des observations en réponse n’est pas un incident isolé, mais fait plutôt partie d’un cycle. À chaque stade de l’instance envisagée, les demandeurs n’ont pas respecté le délai applicable. La présente affaire a commencé par une requête en prorogation du délai pour introduire une demande de contrôle judiciaire. La deuxième requête des demandeurs (en vue de déposer un affidavit complémentaire en réponse) a été déposée après la date limite pour le dépôt des observations en réponse. Et à présent, les demandeurs demandent réparation parce qu’ils ont omis de respecter un troisième délai.

[12]  À mon avis, le défaut des demandeurs de respecter le délai lié au dépôt de l’affidavit complémentaire et des observations en réponse n’est pas la conséquence d’un événement fortuit ou d’une erreur excusable; il s’agit plutôt d’une autre illustration d’un manque général de diligence de leur part en l’espèce. Je fais aussi remarquer que c’est seulement dans les circonstances les plus exceptionnelles que les Règles autorisent l’octroi d’une ordonnance annulant le rejet antérieur d’une instance : Bergman, au paragraphe 7; Boubarak; Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 909. Pour ces motifs, je conclus que les demandeurs ne satisfont pas aux exigences de l’article 399 des Règles, et que leur requête devrait être rejetée.

B.  Les demandeurs ont‑ils présenté une preuve prima facie démontrant pourquoi la décision du 2 juin 2017 n’aurait pas dû être rendue?

[13]  Même si j’étais enclin à conclure que la première exigence de l’article 399 des Règles avait été remplie en l’espèce, je rejetterais malgré tout la requête des demandeurs, car je ne suis pas convaincu que les nouveaux éléments de preuve et arguments contenus dans leur affidavit complémentaire et leurs observations en réponse suffisent pour constituer une preuve prima facie démontrant que ma décision du 2 juin 2017 n’aurait pas dû être rendue.

[14]  Dans les paragraphes qui suivent, j’examine la question de savoir comment les nouveaux éléments de preuve et arguments des demandeurs auraient pu avoir une incidence sur ma conclusion suivant laquelle ceux‑ci n’ont pas (i) expliqué de manière raisonnable leur retard à introduire la demande, ou (ii) établi que la demande avait un certain fondement.

(1)  L’explication raisonnable du retard mis à introduire la demande

[15]  Dans leur dossier de requête initiale, les demandeurs se sont dits préoccupés par certaines lacunes du rapport du commissaire à l’intégrité du secteur public (visé par le contrôle judiciaire envisagé), mais ils ont fait valoir qu’ils avaient choisi de ne pas présenter de contrôle judiciaire parce qu’ils avaient compris, d’après leurs discussions avec des représentants de leur employeur (l’Agence canadienne d’inspection des aliments ou l’ACIA), que leur nom ne serait pas publiquement associé à ce rapport.

[16]  Dans ma décision du 2 juin 2017, j’ai reconnu que les demandeurs pouvaient avoir cru de bonne foi que leur nom ne serait pas publiquement associé au rapport du commissaire. Cependant, après avoir entendu les arguments du défendeur dans le contexte de la requête initiale, j’ai conclu que cette croyance n’expliquait pas de manière raisonnable le retard. Dans la décision, j’ai noté que les demandeurs s’étaient fiés aux déclarations de membres du personnel de l’ACIA quant aux intentions du commissaire, alors que ce dernier agit indépendamment de l’ACIA et qu’il est régi par une loi qui l’autorise à nommer les individus concernés.

[17]  Les observations en réponse des demandeurs abordent la sincérité de leur croyance, mais ne disent pas grand‑chose quant à son caractère raisonnable. D’après l’affidavit complémentaire de M. Étienne, même lorsque celui‑ci a été informé, le 1er février 2017, que son nom était cité dans le rapport du commissaire et que ce rapport serait rendu public, il en a déduit que la mention était incidente et qu’aucune conclusion ou recommandation ne le visait directement. Il s’agissait d’un autre malentendu inutile de la part des demandeurs.

[18]  Pour ce qui est de la raison pour laquelle l’affidavit complémentaire et les observations en réponse n’ont pas été déposés à temps, je suis frappé ici par le manque de diligence des demandeurs. Ils avaient pris connaissance en 2016 d’une ébauche du rapport du commissaire, qui projetait de formuler à leur endroit des conclusions de cas graves de mauvaise gestion. Ils ont soumis des commentaires à l’égard du rapport et prétendent avoir été très préoccupés par le fait d’être désignés de manière négative dans le rapport. Ils ont ensuite reçu des lettres datées du 10 janvier 2017 dans lesquelles le commissaire confirmait que son rapport concluait à l’existence de cas graves de mauvaise gestion et que ces conclusions seraient déposées devant le Parlement. Les lettres identifiaient aussi un représentant du commissaire avec qui les demandeurs pouvaient communiquer s’ils avaient des questions ou des préoccupations concernant le processus. Malgré les préoccupations prétendues des demandeurs, rien n’indique qu’ils aient communiqué avec le représentant du commissaire. Étonnamment, malgré l’importance qu’ils accordaient prétendument à cette affaire, les demandeurs se sont largement fiés à leurs discussions avec des membres du personnel de l’ACIA quant aux intentions du commissaire. Je ne suis pas d’accord avec eux lorsqu’ils affirment (au paragraphe 16 de leurs observations écrites) que M. Étienne (l’un des demandeurs) [traduction« a été contraint de se fier aux déclarations de l’ACIA concernant la teneur du rapport ».

[19]  Je reste d’avis qu’il était déraisonnable de la part des demandeurs de croire que leur nom ne serait pas publiquement associé au rapport du commissaire autrement que de manière incidente, et que cela n’explique pas de manière raisonnable leur retard à introduire une demande de contrôle judiciaire. À mon avis, il ne s’agissait que de vœux pieux.

(2)  Le bien‑fondé potentiel de la demande

[20]  Dans ma décision du 2 juin 2017, j’ai conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur demande avait un certain fondement, car « au lieu de me donner suffisamment de détails pour me permettre de conclure que ces arguments sont bien fondés, les demandeurs se limitent à de simples affirmations ».

[21]  Les observations en réponse des demandeurs sont imprécises. Comme dans leurs observations principales, les demandeurs y mentionnent certains des arguments qu’ils ont l’intention d’avancer, sans fournir suffisamment de détails. Par exemple, ils n’ont même pas soumis le rapport contesté, ni indiqué dans quelles parties de ce document se trouvent selon eux les erreurs susceptibles de contrôle. Ils n’ont pas non plus identifié les témoins qui auraient dû, selon eux, être interrogés avant que le commissaire ne délivre son rapport.

[22]  Comme pour ma décision du 2 juin 2017, les arguments qui m’ont été présentés ne sont pas suffisamment détaillés pour me permettre de conclure qu’ils ont un certain fondement.

II.  Conclusion

[23]  Je ne suis pas convaincu que les nouvelles observations des demandeurs sont suffisantes pour constituer une preuve prima facie démontrant que ma décision du 2 juin 2017 n’aurait pas dû être rendue.


ORDONNANCE dans le dossier 17‑T‑20

LA COUR ORDONNE que la requête des demandeurs visant à faire annuler le jugement et les motifs datés du 2 juin 2017 soit rejetée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

17‑T‑20

 

INTITULÉ :

BRUCE ARCHIBALD ET GÉRARD ÉTIENNE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À MONTRÉAL (QUÉBEC) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES.

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

James Cameron

Morgan Rowe

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Tara DiBenedetto

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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