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Date : 20170629


Dossier : IMM-2308-16

Référence : 2017 CF 638

Toronto (Ontario), le 29 juin 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

NEBOJSA BUKVIC

TIJANA BUKVIC

FILIP BUKVIC, mineur

SARA BUKVIC, mineur

MARKO BUKVIC, mineur

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 12 mai 2016, rejetant leurs demandes d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[3]               M. Nebojsa Bukvic, son épouse Tijana Bukvic et leurs trois (3) enfants mineurs sont citoyens de la Croatie, d’origine serbe et de religion chrétienne orthodoxe. Ils entrent au Canada le 4 décembre 2012 et présentent une demande d’asile deux (2) jours plus tard.

[4]               M. Bukvic allègue avoir subi de la discrimination équivalente à de la persécution alors qu’il était policier en Croatie. Il affirme avoir été victime d’humiliation, d’intimidation et de harcèlement de la part de ses collègues croates et qu’on lui a refusé des promotions dans son emploi en raison de ses origines serbes, lui causant ainsi un écart salarial avec ses collègues croates.

[5]               Selon M. Bukvic, la discrimination s’accroît alors qu’un Général croate se voit exonéré par un tribunal à La Haye. M. Bukvic est interrogé à deux (2) reprises en Croatie pour crimes de guerre en raison de son service militaire en Serbie.

[6]               En octobre 2012, la maison familiale est incendiée au point d’être inhabitable. Bien que la police n’ait pas été en mesure d’identifier la cause de l’incendie, M. Bukvic croit qu’il s’agit d’un incendie intentionnel lié à l’origine ethnique de la famille. Craignant pour la sécurité de la famille, M. Bukvic quitte la Croatie avec son épouse et ses enfants pour se rendre au Canada.

[7]               M. Bukvic affirme également dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] que l’aîné des enfants a été victime de discrimination à l’école puisqu’il a été placé dans une classe composée d’enfants d’origines serbes et roms, séparée des enfants croates.

[8]               La SPR entend leurs demandes d’asile le 19 novembre 2015. Elle confirme d’abord que M. Bukvic est le représentant désigné des enfants et permet aux demandeurs mineurs de sortir de la salle d’audience à la demande de leur avocat. Seuls les demandeurs adultes témoignent à l’audience.

[9]               Dans une décision rendue le 12 mai 2016, la SPR conclut que les demandeurs n’ont pas démontré de manière satisfaisante qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés ou que, selon la balance des probabilités, ils étaient des personnes à protéger.

III.             Analyse

[10]           Les demandeurs reprochent à la SPR d’avoir violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en ayant exclus les demandeurs mineurs de la salle d’audience sans les interroger et deuxièmement, en ayant omis de motiver sa décision relativement à l’absence de lien entre l’incendie de la maison familiale et les origines serbes des demandeurs. Les demandeurs soutiennent également que la SPR a erré dans son application des articles 96 et 97 de la LIPR et dans son appréciation de la protection étatique.

A.                Norme de contrôle judiciaire

[11]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux questions de justice naturelle ou d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43 [Khosa]). La question qui se pose en la matière n’est pas nécessairement de savoir si la décision est « correcte », mais plutôt si le processus suivi par le décideur a été équitable (Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 au para 15; Hashi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 154 au para 14).

[12]           La question de savoir si la SPR a appliqué les mauvais critères pour décider si une personne est « persécutée » au sens de l’article 96 de la LIPR ou pour évaluer la protection de l’état est également assujettie à la norme de la décision correcte (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 aux para 20-22 [Ruszo]). Toutefois, l’application de ces critères aux faits du dossier soulève des questions mixtes de faits et de droit et il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 53 [Dunsmuir]; Ruszo aux para 21-22; Balazs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 62 au para 25).

[13]           Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir au para 47; Khosa au para 59).

B.                 Est-ce que la décision de la SPR a été rendue en violation des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale ?

[14]           Dans son introduction, la SPR mentionne qu’au moment de l’audience, les trois (3) enfants sont d’âge mineur et que M. Bukvic est leur représentant désigné. Elle indique avoir permis aux demandeurs mineurs de quitter la salle d’audience durant les témoignages en raison de leur jeune âge et qu’elle n’a pas exigé qu’ils témoignent, les allégations des demandeurs mineurs référant à celles de leurs parents.

[15]           Les demandeurs prétendent que la décision d’exclure les enfants de l’audience sans les interroger sous le prétexte que leur demande d’asile relevait de celle de leurs parents constitue une violation de justice naturelle et d’équité procédurale. Ils allèguent que M. Bukvic avait indiqué dans sa demande d’asile que les enfants avaient des problèmes à l’école en raison du fait que les enfants serbes étaient mis dans des classes avec les enfants roms. La demande d’asile des enfants était donc fondée sur deux (2) motifs, soit en tant que membre de la famille et deuxièmement, à titre d’enfants d’origine serbe, exposés à des motifs de persécution particuliers. Les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas considéré le droit des enfants d’être entendus selon les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [Directives no. 3] ainsi que l’intérêt supérieur des enfants. Selon les demandeurs, la SPR aurait dû prendre soin d’interroger les enfants ou à tout le moins, de vérifier leur capacité à témoigner et s’il y avait un conflit d’intérêt entre la demande des enfants et celle du parent nommé d’office représentant désigné.

[16]           La Cour est d’avis que la décision de la SPR a été rendue en conformité avec les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

[17]           Lors de leur arrivée au Canada, les demandeurs mineurs sont âgés de un (1) an, quatre (4) ans et de sept (7) ans. Selon le dossier certifié du tribunal [DCT], la SPR transmet une première lettre à M. Bukvic en date du 13 décembre 2012 lui proposant d’être nommé le représentant désigné des trois (3) enfants mineurs (DCT, p 182). Cette lettre avise M. Bukvic que ses intérêts ne doivent pas être contraires à ceux de ses enfants et qu’il se doit d’agir dans leur meilleur intérêt. M. Bukvic est également informé du rôle et des fonctions d’un représentant désigné. Celles-ci comprennent notamment de : (1) retenir les services d’un conseil et donner des instructions au conseil ou aider l’enfant à le faire; (2) prendre des décisions concernant les procédures ou aider l’enfant à le faire; (3) informer l’enfant sur le traitement de sa revendication et les différentes étapes de la procédure; (4) aider à recueillir des éléments de preuve au soutien de la revendication d’asile, présenter des éléments de preuve et témoigner; et (5) de façon générale, protéger les intérêts de l’enfant et présenter le meilleur dossier à la SPR. La SPR informe M. Bukvic qu’à moins d’avis contraire dans les dix (10) jours de la réception de la lettre, elle considèrera qu’il accepte le rôle et les fonctions de représentant désigné.

[18]           En prévision de l’audience de la demande, la SPR transmet une nouvelle lettre à M. Bukvic en date du 23 septembre 2015 dans le but de confirmer sa désignation comme représentant des enfants mineurs selon le paragraphe 167(2) de la LIPR. Elle explique que les enfants sont mineurs et qu’ils ne sont pas en mesure de comprendre la nature des procédures. La SPR réitère à M. Bukvic que ses intérêts ne doivent pas être en conflit avec ceux des enfants mineurs qu’il représente, qu’il doit agir dans leur meilleur intérêt et qu’il a l’obligation d’être présent à l’audience. Elle joint également en annexe une copie du Guide du représentant désigné dans lequel on y retrouve des renseignements sur le rôle et les responsabilités du représentant désigné (DCT, pp 161-162).

[19]           Enfin, la SPR confirme à nouveau à l’audience que M. Bukvic accepte et comprend son rôle en tant que représentant désigné des enfants mineurs.

[20]           Le paragraphe 167(2) de la LIPR prévoit qu’un représentant est commis d’office lorsqu’un demandeur d’asile n’a pas dix-huit (18) ans ou n’est pas en mesure de comprendre la nature des procédures. La procédure de désignation ainsi que les responsabilités du représentant sont prévues à l’article 20 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256. Aux termes de ces dispositions, le représentant désigné voit aux meilleurs intérêts du demandeur d’asile et agit pour ce dernier lorsqu’il n’est pas en mesure de le faire en raison de son âge ou pour d’autres motifs (Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 281 au para 53).

[21]           En tant que représentant désigné pour les enfants mineurs, il revenait avant tout à M. Bukvic de protéger les intérêts des demandeurs mineurs et de décider s’ils devaient témoigner.

[22]           Au contraire, la transcription de l’audience démontre que c’est à la demande du conseil qui représentait les demandeurs que les enfants ont quitté la salle d’audience. Avant de permettre aux enfants de quitter la salle d’audience, la SPR confirme néanmoins avec M. Bukvic qu’il est toujours le représentant désigné des enfants et lui rappelle son rôle à cet égard. M. Bukvic demande ensuite à la SPR si les enfants peuvent se rendre à la maison ou s’ils doivent attendre à l’extérieur. La SPR informe M. Bukvic qu’elle ne voit aucune raison qui ferait en sorte que les enfants doivent rester sur les lieux (DCT, pp 426-427). M. Bukvic ne s’oppose pas au départ des enfants et il ne demande pas que les enfants témoignent.

[23]           Les demandeurs reprochent à la SPR de s’être contentée d’accéder à la demande du conseil d’exclure les enfants mineurs en début d’audience et s’appuient notamment sur les décisions de cette Cour dans Nagy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 723 [Nagy] et Andrade c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1007 [Andrade]. Dans Nagy, le juge Russel W. Zinn accueille la demande de contrôle judiciaire au motif que le tribunal n’avait tiré aucune conclusion quant au risque auquel l’enfant mineur était exposé en tant que personne d’origine rom en Hongrie. Ce n’est pas le cas en l’instance puisque la SPR a examiné et statué sur l’ensemble des risques allégués par les demandeurs y incluant ceux qui concernent plus précisément les demandeurs mineurs.

[24]           Dans l’affaire Andrade, le juge René LeBlanc conclut que le tribunal se devait de vérifier et déterminer lui-même s’il n’était pas préférable que l’enfant soit présent et témoigne lors de l’audience. Cette décision est facilement distinguable de la présente affaire puisque le mineur dans l’affaire Andrade était âgé de dix-sept (17) ans. De plus, il avait été personnellement ciblé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie et il risquait la perte de son statut de résident permanent et l’interdiction de territoire au Canada en raison de gestes posés par ses parents. C’est dans ce contexte que le juge LeBlanc estime que le tribunal aurait dû s’enquérir auprès du demandeur mineur s’il voulait témoigner.

[25]           En l’instance, la SPR a considéré le droit des enfants d’être entendus. Elle le mentionne explicitement au paragraphe 3 de sa décision. Elle décide cependant qu’il n’est pas nécessaire de les faire témoigner en raison de leur jeune âge, le renvoi aux allégations de leurs parents et la nomination d’un représentant désigné.

[26]           Contrairement à l’affaire Andrade, les enfants sont âgés de quatre (4), sept (7) et dix (10) ans au moment de l’instance. De plus, le narratif dans chacune des demandes d’asile présentées par les enfants mineurs ne contient aucune information à part une mention qu’il faut se référer au FRP des parents.

[27]           Or, le narratif de M. Bukvic porte essentiellement sur le harcèlement et la discrimination qu’il a subis dans le cadre de son travail comme policier en Croatie et l’incendie de la maison familiale. Bien qu’il soit mentionné sous forme de « note » que les enfants ont des problèmes à l’école puisqu’ils mettent des enfants roms et serbes dans la même classe, le narratif de M. Bukvic ne contient aucun détail qui pourrait soutenir une obligation de faire témoigner les enfants.

[28]           Bien que les Directives no. 3 prévoient le droit d’un mineur de témoigner lors des procédures le visant, la Cour rappelle que les Directives no. 3 n’ont pas force de loi, même si elles traduisent la reconnaissance des principes directeurs sur la protection des enfants réfugiés établis par la communauté internationale (Andrade au para 13). En vertu de ces Directives no. 3, la SPR a avant tout l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en s’assurant qu’un représentant soit désigné dans tous les cas où un enfant revendique le statut de réfugié. Même si l’enfant a le droit d’être entendu, en l’absence d’une demande à cet effet, il appartient à la SPR de déterminer si l’enfant est en mesure de témoigner et si la SPR avait besoin de son témoignage.

[29]           Considérant l’allégation générale de ségrégation, l’âge des enfants, le fait que seul l’aîné des enfants mineurs était d’âge scolaire et qu’il fréquentait l’école depuis moins d’un an, la SPR pouvait raisonnablement conclure que le témoignage des enfants n’était pas requis et que leurs intérêts seraient mieux servis par le témoignage de leurs parents.

[30]           Il appert des transcriptions de l’audience que Mme Bukvic a témoigné sur les allégations de ségrégation à l’école malgré qu’elle ne soit pas la représentante désignée des enfants mineurs. Elle affirme que son fils aîné avait sept (7) ans lorsqu’il a commencé l’école. Bien qu’il soit normalement très sensible et introverti, elle constate un changement à son égard après environ deux mois et demi d’école quand il commence à la questionner sur les Serbes et leur conflit avec les Croates. Elle témoigne que son fils aîné se sentait différemment et qu’il se repliait sur lui-même. Mme Bukvic indique à la SPR qu’elle et son époux étaient en mesure de protéger les enfants avant que son aîné aille à l’école. Ils n’avaient aucun problème puisque les deux (2) plus vieux fréquentaient une prématernelle privée.

[31]           Un peu plus tard dans son témoignage, Mme Bukvic témoigne qu’il y avait quatre (4) classes de première année et qu’il était évident qu’une classe était composée d’enfants d’origines serbes et roms. Du même coup, elle ajoute que certains enfants croates se trouvaient dans la classe si leurs parents avaient pris parti pour les Serbes durant la guerre. La SPR la questionne à nouveau sur la ségrégation des enfants à l’école. Mme Bukvic précise alors qu’elle en avait discuté avec le professeur de son fils aîné, qui avait également été le professeur de Mme Bukvic alors qu’elle allait à l’école. Elle témoigne qu’elle aurait pu faire une plainte auprès des dirigeants de l’école, mais elle ne l’a pas fait parce qu’elle était bien contente que son fils soit enseigné par une professeure qu’elle connaissait bien et respectait.

[32]           Dans sa décision, la SPR note que les enfants des demandeurs avaient accès à une éducation en Croatie et que les demandeurs n’ont pas démontré ni dans leur narratif ou durant leur témoignage que cette éducation serait limitée. Elle note de plus que le seul motif de persécution allégué découle du fait que les enfants des demandeurs doivent se présenter dans des classes séparées avec des enfants d’origine rom. Après considération des effets de la ségrégation sur les enfants ainsi que la possibilité qu’ils reçoivent une éducation de moins bonne qualité, la SPR détermine que les demandeurs n’ont pas suffisamment démontré que cette discrimination constituait de la persécution.

[33]           Les demandeurs reprochent à la SPR de ne pas leur avoir donné l’opportunité de soumettre une preuve additionnelle pour combler les lacunes dans la preuve alors qu’elle conclut aux paragraphes 29, 30 et 47 de sa décision que les demandeurs n’avaient pas démontré de manière satisfaisante que les enfants feraient l’objet de persécution et l’impact sur leur bien-être psychologique.

[34]           Ce reproche est mal fondé et ne tient pas compte que le fardeau de preuve revenait aux demandeurs. Il est de jurisprudence constante qu'il incombe aux demandeurs d’asile de produire des éléments de preuve à l'appui de leur demande (Radics c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110 au para 33; Segura Agudelo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 465 au para 24; Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1498 au para 25). Même en tenant compte du statut particulier que peut avoir un enfant revendiquant le statut de réfugié, il ne revient pas à la SPR de faire la preuve des demandeurs. Les demandeurs étaient représentés par un conseil et un représentant avait été désigné pour les  enfants.

[35]           Les demandeurs prétendent également que la SPR a violé l’équité procédurale en ne motivant pas convenablement sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de lien entre l’incendie de la maison des demandeurs et les motifs énoncés dans la Convention.

[36]           La Cour ne peut souscrire à cet argument. Premièrement, il est bien établi que la suffisance des motifs ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale sauf s’il y a absence totale de motifs (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14-16 [Newfoundland Nurses]; Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11). Les motifs du décideur administratif n’ont pas à être parfaits ni exhaustifs et la cour siégeant en révision doit les examiner dans le contexte de la procédure, des observations des parties et de la preuve (Newfoundland Nurses au para 18).

[37]           Deuxièmement, la SPR a motivé sa décision à cet égard. Elle indique au paragraphe 39 de sa décision que les demandeurs ont affirmé dans leur narratif ainsi que lors de leur témoignage qu’un incendie criminel avait détruit la maison familiale. La SPR constate que les demandeurs n’ont pas été en mesure d’identifier les personnes responsables. En conséquence, la SPR conclut qu’il n’a pas été démontré que l’incendie était lié à leur nationalité.

[38]           En résumé, la Cour est d’avis que le processus suivi par la SPR était équitable. La SPR a tenu compte du meilleur intérêt des enfants par la nomination d’un représentant désigné. Elle s’est assurée que ce dernier n’était pas en conflit d’intérêts avec ceux des enfants. Elle a considéré si les enfants devaient témoigner en tenant compte des motifs de revendication identifiés dans leur FRP, leur jeune âge ainsi que le fait qu’ils étaient représentés. Elle a aussi entendu et considéré les arguments des demandeurs concernant la ségrégation scolaire en Croatie. Les demandeurs n’ont pas démontré que la SPR a failli à ses obligations de justice naturelle et d’équité procédurale.

C.                 Est-ce que la SPR a erré en trouvant que la discrimination n’équivaut pas à la persécution?

[39]           Les demandeurs prétendent que la SPR a également erré en appliquant deux (2) tests différents pour la violence et la discrimination. Au paragraphe 41, la SPR « affirme que la preuve devant le tribunal n’établit pas que les Serbes de Croatie font face à une violence systémique. » Ils soutiennent que le test consiste plutôt à se demander si les demandeurs d’asile font face à une violation systémique de leurs droits fondamentaux d’une manière fondamentale.

[40]           La Cour est d’avis que la SPR a appliqué les bons critères pour déterminer si les demandeurs avaient une crainte raisonnable de persécution et que ses propos doivent être replacés dans leur contexte.

[41]           D’emblée, la SPR reconnait que les demandeurs ont une crainte subjective de persécution. Elle précise toutefois que cette crainte se doit d’être raisonnablement fondée sur un motif de la Convention. La SPR reconnait également que les Serbes sont victimes de discrimination dans le domaine de l’emploi et du logement et que M. Bukvic a été victime de harcèlement de la part de ses collègues. Cependant, elle considère que la preuve au dossier ne lui permet pas de conclure que les demandeurs ont été victimes de persécution en raison de leurs origines serbes.

[42]           La SPR souligne notamment que les demandeurs adultes occupaient des emplois à temps plein avant leur départ de la Croatie et qu’en fait, M. Bukvic a obtenu son emploi de policier en raison d’une initiative des autorités croates voulant que 10 % des forces policières soient constitués de Serbes. Elle précise que l’absence de promotion ne constitue pas une violation de ses droits de la personne. Quant à la discrimination dans le domaine du logement, la SPR note que les demandeurs habitaient une maison en Croatie. D’ailleurs, lors de l’audience, M. Bukvic a même admis que sa famille était dans une situation financière assez aisée (DCT, p 436) et Mme Bukvic a témoigné que sa famille n’était aimée ni des Serbes ni des Croates pour cette raison (DCT, 9 446).

[43]           Comme discuté plus haut, la SPR se penche également sur le système d’éducation en Croatie. Elle note que les enfants des demandeurs avaient accès à une éducation en Croatie et que le seul motif de persécution allégué découle du fait qu’ils doivent se présenter dans des classes séparées avec des enfants d’origine rom. Après considération des effets de la ségrégation sur les enfants ainsi que la possibilité qu’ils reçoivent une éducation de moins bonne qualité, la SPR détermine que les demandeurs n’ont pas suffisamment démontré que cette discrimination constituait de la persécution.

[44]           La SPR examine également la situation des Serbes en Croatie relativement à leur accès à d’autres services et elle tient compte du fait que les demandeurs n’ont allégué aucune difficulté particulière à cet égard.

[45]           Enfin, la SPR s’interroge sur les incidents de violence envers les Serbes en Croatie. Elle affirme ne pouvoir déterminer si la Croatie connait une augmentation de la violence envers les Serbes puisque la preuve à cet égard est divisée. Puisque les demandeurs ne sont pas en mesure d’identifier les responsables de l’incendie de la maison familiale ou leurs motivations, la SPR détermine qu’elle ne peut conclure à l’existence d’un lien fondé sur les origines serbes des demandeurs. Par ailleurs, elle note que M. Bukvic n’a fait l’objet d’aucune menace physique à son endroit malgré le harcèlement qu’il ait pu subir de la part de ses collègues croates au travail.

[46]           La SPR conclut que même si l’on considère les incidents discriminatoires de manière cumulative, la discrimination vécue par les demandeurs ne constitue pas de la persécution.

[47]           Dans Nyembua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 970, la Cour statue au paragraphe 20, « pour que de mauvais traitements soient considérés comme de la persécution, ils doivent toutefois être graves, infligés de façon répétitive ou persistante, ou de manière systémique ». Les mauvais traitements sont considérés comme graves lorsque la victime se voit privée de façon importante d’un droit fondamental, y compris le droit de participer au processus politique, le droit de gagner sa vie, le droit de pratiquer une religion ou le droit d’accéder aux services pédagogiques normalement offerts (Sefa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1190 au para 27). En l’espèce, les évènements rapportés par les demandeurs ne remplissent pas ces critères.

[48]           La preuve démontre au contraire que les deux (2) demandeurs adultes n’étaient pas empêchés d’occuper des emplois, qu’ils habitaient une maison, que les enfants avaient accès au système d’éducation et que la violence à laquelle ils pouvaient être confrontés n’équivalait pas de façon cumulative à de la persécution. M. Bukvic a d’ailleurs témoigné lors de l’audience à propos d’un incident au travail où un de ses collègues croates est intervenu pour désamorcer une situation tendue avec un autre collègue croate (DCT, pp 438-439).

[49]           La Cour est donc d’avis que la conclusion de la SPR relativement à l’absence de persécution est raisonnable eu égard à la preuve.

D.                Est-ce que la SPR a erré dans son évaluation de la protection étatique?

[50]           Les demandeurs prétendent que la SPR a erré en concluant que les autorités croates sont disposées et aptes à fournir une protection aux demandeurs alors que le test approprié est celui de l’efficacité de cette protection. L’existence de mesures contre la discrimination ne constitue pas en soi une preuve que la protection de l’État est disponible en fait; il y a lieu dans tous les cas de confronter la situation théorique avec le vécu de chaque revendicateur. De plus, l’amélioration et les progrès réalisés ne sont pas une preuve que les mesures actuelles sont une protection efficace.

[51]           Les demandeurs prétendent que c’était une erreur pour la SPR de conclure que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve claire et convaincante réfutant la présomption de protection étatique. Il était raisonnable pour M. Bukvic de ne pas faire de plainte à la police puisqu’il était lui-même policier et était persécuté au travail. Par ailleurs, le fait qu’un an et demi après l’incendie, les policiers se soient contentés d’affirmer que la cause de l’incendie était inconnue démontre qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs tentent d’obtenir davantage d’aide de la police. Selon les demandeurs, la SPR devait tenir compte des mesures prises par le demandeur d’asile en fonction de la situation en Croatie et des interactions que celui-ci a eues avec les autorités policières. Les demandeurs prétendent qu’ils n’avaient pas à risquer leur vie pour démontrer que la protection de l’État était inadéquate.

[52]           Il est bien établi en droit qu’il existe une présomption qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens (Canada c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 au para 30 [Flores Carrillo]). Cette présomption peut être renversée si les demandeurs démontrent qu’ils ne peuvent se réclamer de cette protection ou qu’en raison d’une crainte raisonnable de persécution, ils ne veulent pas s’en réclamer (Ward; Ruszo au para 30). Le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire « une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Flores Carillo au para 30). La jurisprudence exige que la protection étatique soit adéquate. De sérieux efforts de la part de l’État ne seront pas suffisants (Dawidowicz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115 au para 29).

[53]           À nouveau, la Cour est d’avis que les demandeurs citent hors contexte les critères appliqués par la SPR. Ils mettent leur emphase sur les mots « disposées et aptes » et omettent de considérer l’utilisation du mot « adéquate » lorsque la SPR conclut que « les autorités croates sont disposées et aptes à offrir une protection étatique adéquate aux demandeurs » (au para 75 de la décision).

[54]           La SPR a examiné la preuve documentaire. Celle-ci démontre que la discrimination et le harcèlement existent en Croatie envers la minorité serbe. Il existe toutefois de la législation qui interdit la discrimination et les crimes haineux. Dans les deux (2) cas, les procédures sont en place pour permettre aux victimes de se plaindre. Elle ajoute que malheureusement, les victimes ne portent pas plainte systématiquement.

[55]           La SPR examine par la suite les circonstances particulières des demandeurs. Elle note que M. Bukvic a témoigné qu’il était au courant du mécanisme de plainte au sein de la police, mais qu’il n’y a pas donné suite parce qu’il considérait que ses efforts seraient en vain et un collègue lui avait mentionné que le dépôt d’une plainte serait préjudiciable à sa famille. La SPR juge qu’étant donné que M. Bukvic était policier, il aurait été raisonnablement au courant des mécanismes qui lui étaient ouverts.

[56]           Elle conclut, sur la base des circonstances particulières des demandeurs et de son évaluation de la documentation sur la protection de l’État en Croatie, que les autorités croates sont disposées et aptes à offrir une protection étatique adéquate et que les demandeurs n’ont pas réfuté avec de la preuve claire et convaincante la présomption que leur pays d’origine est en mesure de les protéger.

[57]           La Cour est d’avis que cette conclusion est raisonnable et supportée par la preuve au dossier. La Cour souligne notamment que M. Bukvic a été embauché par la police en raison d’une politique de la Croatie qui favorise l’embauche de policiers serbes. De plus, la Cour note que suite à l’incendie de la maison, les policiers ont ouvert une enquête et pris des photos. Ce n’est pas parce que l’enquête n’a pas mené au résultat espéré qu’il n’y a pas de protection étatique. Les demandeurs d’asile n’ont pas droit dans leur pays d’origine à une protection supérieure à celle qui leur est offerte au Canada (Ruszo au para 40). Quant à la ségrégation subie par l’enfant aîné des demandeurs, Mme Bukvic a témoigné qu’ils n’ont ultimement pas porté plainte à la direction scolaire, car Mme Bukvic voulait garder l’aîné dans une classe avec cette même professeure (DCT, pp 446-447).

[58]           Bien que les demandeurs ne sont pas d’accord avec les conclusions de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer la preuve soumise à la SPR, ni de remplacer sa propre appréciation de la preuve à celle de la SPR (Khosa au para 59; Dunsmuir au para 47).

[59]           La Cour est d’avis que la décision de la SPR appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47). De plus, la Cour ne peut pas valablement conclure en l’instance à une violation des principes de justice naturelle ou d'équité procédurale.

[60]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.


JUGEMENT dans IMM-2308-16

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      L’intitulé est modifié pour que « Marko Bukvic, mineur » remplace « Marko Bujvic, mineur »;

3.      Aucune question n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2308-16

INTITULÉ :

NEBOJSA BUKVIC, TIJANA BUKVIC, FILIP BUKVIC, MINEUR, SARA BUKVIC, MINEUR, MARKO BUKVIC, MINEUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUIN 2017

COMPARUTIONS :

Claudia Andrea Molina

Pour les demandeurs

Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Molina Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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