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Date : 20170727

Dossiers : IMM-5045-16

IMM-5200-16

Référence : 2017 CF 728

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : IMM-5045-16

ENTRE :

MOHSEN MOHAMMED ALHAQLI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-5200-16

ET ENTRE :

MOHAMMED SALIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre de deux décisions datées du 22 novembre 2016 et du 30 novembre 2016 [les décisions], par lesquelles des agents de gestion des cas de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés [la CISR] ont annulé l’audition des demandes d’asile des demandeurs. Étant donné la similitude des faits et la représentation par le même avocat, les demandes ont été réunies pour instruction conjointe.

II.  CONTEXTE

A.  Monsieur Alhaqli

[2]  Monsieur Alhaqli, citoyen du Yémen, résidait en Arabie saoudite avant de venir au Canada le 11 août 2016. Après son arrivée, il a demandé l’asile le 12 octobre 2016. Sa demande d’asile devait être instruite le 6 décembre 2016, mais l’audition a été reportée au 22 juin 2017. Pendant qu’il attendait l’issue de sa demande d’asile, M. Alhaqli a demandé un permis d’études et un permis de travail le 23 février 2017 et le 13 mars 2017, respectivement. Il a obtenu son permis d’études le 12 avril 2017, alors que sa demande de permis de travail est toujours en traitement.

B.  Monsieur Salim

[3]  Monsieur Salim, citoyen de la Syrie, résidait en Arabie saoudite avant d’arriver au Canada le 18 octobre 2016. Il a demandé l’asile le même jour. Sa demande devait être instruite le 14 décembre 2016, mais l’audition a été reportée au 16 décembre 2016 à sa demande. Pendant qu’il attendait l’issue de sa demande d’asile, M. Salim a demandé un permis de travail le 1er novembre 2016, qu’il a d’ailleurs obtenu le 29 novembre 2016. Le 16 février 2017, il a été informé que sa demande d’asile avait été sélectionnée pour un traitement accéléré. Le 4 mai 2017, M. Salim a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

A.  Monsieur Alhaqli

[4]  À la suite d’une décision qu’elle a fait parvenir à M. Alhaqli par lettre en date du 22 novembre 2016, la SPR a annulé l’audition de sa demande d’asile. Suivant les Instructions régissant la gestion des demandes d’asile en attente du contrôle de sécurité préliminaire [les instructions], l’audience a été annulée parce que la CISR n’avait pas reçu de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] la confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité préliminaire [le CSP] du demandeur d’asile. Dans la lettre, la SPR informait M. Alhaqli que l’audience serait remise au rôle sur réception de la confirmation de l’exécution du CSP. À titre subsidiaire, l’audience pouvait être remise au rôle si le CSP n’était pas exécuté au plus tard le 12 avril 2017. Pour terminer, la lettre indiquait que le retard dans l’exécution du CSP n’était pas lié au bien‑fondé de la demande d’asile.

B.  Monsieur Salim

[5]  À la suite d’une décision qu’elle a fait parvenir à M. Salim par lettre en date du 30 novembre 2016, la SPR a annulé l’audition de sa demande d’asile. Suivant les instructions, l’audience a été annulée parce que la CISR n’avait pas reçu de l’ASFC la confirmation de l’exécution du CSP du demandeur d’asile. Dans la lettre, la SPR informait M. Salim que l’audience serait remise au rôle sur réception de la confirmation de l’exécution du CSP. À titre subsidiaire, l’audience pouvait être remise au rôle si le CSP n’était pas exécuté au plus tard le 19 avril 2017. Pour terminer, la lettre indiquait que le retard dans l’exécution du CSP n’était pas lié au bien‑fondé de la demande d’asile.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[6]  Selon les demandeurs, l’espèce porte sur les questions suivantes :

  1. Les questions soulevées sont‑elles justiciables?

  2. Les instructions suscitent‑elles une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, de sorte que les décisions en cause sont inéquitables et illégales?

  1. Les instructions sont‑elles ultra vires dans la mesure où elles ne relèvent d’aucune autorité législative et qu’elles imposent à la SPR de reporter les audiences d’une manière qui l’emporte sur le régime énoncé dans la LIPR, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], ainsi que dans les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles]?

V.  LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[7]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. En fait, si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question précise qui se pose, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[8]  Les questions touchant véritablement à la compétence sont assujetties à la norme de la décision correcte. Or, cette catégorie est restreinte et rare : Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, aux paragraphes 24, 26 [Edmonton]. Dans la présente affaire, tout comme dans l’arrêt Edmonton, la deuxième question soulevée porte sur l’interprétation que donne le président de la CISR à une loi constitutive dans le cadre de l’exécution du mandat consistant à instruire et à trancher les demandes d’asile. Par conséquent, aucune question touchant véritablement à la compétence ne se pose et la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée.

[9]  La troisième question, qui porte sur la partialité et l’indépendance institutionnelles au sein de la SPR, a trait à l’équité procédurale et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Muhammad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 448, au paragraphe 51; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa].

[10]  Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir les arrêts Dunsmuir, au paragraphe 47, et Khosa, au paragraphe 59, précités. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si les décisions sont déraisonnables en ce sens qu’elles n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[11]  Voici les dispositions de la LIPR qui s’appliquent en l’espèce :

Sursis pour décision

Decision

(2) L’agent sursoit à l’étude de la recevabilité dans les cas suivants :

100 (2) The officer shall suspend consideration of the eligibility of the person’s claim if

a) le cas a déjà été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée;

(a) a report has been referred for a determination, at an admissibility hearing, of whether the person is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality; or

[...]

...

Sursis

Suspension

103 (1) La Section de la protection des réfugiés sursoit à l’étude de la demande d’asile sur avis de l’agent portant que :

103 (1) Proceedings of the Refugee Protection Division in respect of a claim for refugee protection are suspended on notice by an officer that

a) le cas a été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée;

(a) the matter has been referred to the Immigration Division to determine whether the claimant is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality; or

b) il l’estime nécessaire, afin qu’il soit statué sur une accusation pour infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(b) an officer considers it necessary to wait for a decision of a court with respect to a claimant who is charged with an offence under an Act of Parliament that may be punished by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[...]

...

Fonctions

Chairperson

159 (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d’office des quatre sections; à ce titre :

159(1) The Chairperson is, by virtue of holding that office, a member of each Division of the Board and is the chief executive officer of the Board. In that capacity, the Chairperson

[...]

...

h) après consultation des vice-présidents et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel;

(h) may issue guidelines in writing to members of the Board and identify decisions of the Board as jurisprudential guides, after consulting with the Deputy Chairpersons, to assist members in carrying out their duties; and

[...]

...

Règles

Rules

161 (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice-présidents, le président peut prendre des règles visant :

161 (1) Subject to the approval of the Governor in Council, and in consultation with the Deputy Chairpersons, the Chairperson may make rules respecting

a) le renvoi de la demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés;

(a) the referral of a claim for refugee protection to the Refugee Protection Division;

a.1) les facteurs à prendre en compte pour fixer ou modifier la date de l’audition mentionnée au paragraphe 100(4.1);

(a.1) the factors to be taken into account in fixing or changing the date of the hearing referred to in subsection 100(4.1);

a.2) les travaux, la procédure et la pratique des sections, et notamment les délais pour interjeter appel de leurs décisions, à l’exception des décisions de la Section de la protection des réfugiés, l’ordre de priorité pour l’étude des affaires et les préavis à donner, ainsi que les délais afférents;

(a.2) the activities, practice and procedure of each of the Divisions of the Board, including the periods for appeal, other than in respect of appeals of decisions of the Refugee Protection Division, the priority to be given to proceedings, the notice that is required and the period in which notice must be given;

b) la conduite des personnes dans les affaires devant la Commission, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite;

(b) the conduct of persons in proceedings before the Board, as well as the consequences of, and sanctions for, the breach of those rules;

c) la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie;

(c) the information that may be required and the manner in which, and the time within which, it must be provided with respect to a proceeding before the Board; and

d) toute autre mesure nécessitant, selon lui, la prise de règles.

(d) any other matter considered by the Chairperson to require rules.

[12]  Les dispositions du Règlement qui suivent s’appliquent en l’espèce :

Délais — audition

Time limits for hearing

159.9 (1) Pour l’application du paragraphe 100(4.1) de la Loi et sous réserve des paragraphes (2) et (3), la date de l’audition devant la Section de la protection des réfugiés ne peut être postérieure à l’expiration :

159.9 (1) Subject to subsections (2) and (3), for the purpose of subsection 100(4.1) of the Act, the date fixed for the hearing before the Refugee Protection Division must be not later than

a) dans le cas d’un demandeur visé au paragraphe 111.1(2) de la Loi :

(a) in the case of a claimant referred to in subsection 111.1(2) of the Act,

(i) d’un délai de trente jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section, si le demandeur se trouve au Canada et demande l’asile ailleurs qu’à un point d’entrée,

(i) 30 days after the day on which the claim is referred to the Refugee Protection Division, if the claim is made inside Canada other than at a port of entry, and

(ii) d’un délai de quarante-cinq jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section, si le demandeur se trouve au Canada et demande l’asile à un point d’entrée;

(ii) 45 days after the day on which the claim is referred to the Refugee Protection Division, if the claim is made inside Canada at a port of entry; and

b) dans le cas de tout autre demandeur — que la demande ait été faite à un point d’entrée ou ailleurs au Canada —, d’un délai de soixante jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section.

(b) in the case of any other claimant, 60 days after the day on which the claim is referred to the Refugee Protection Division, whether the claim is made inside Canada at a port of entry or inside Canada other than at a port of entry.

Exclusion

Exclusion

(2) Si le délai visé au sous-alinéa (1)a)(i) ou (ii) ou à l’alinéa (1)b) expire un samedi, il est prolongé jusqu’au prochain jour ouvrable.

(2) If the time limit set out in subparagraph (1)(a)(i) or (ii) or paragraph (1)(b) ends on a Saturday, that time limit is extended to the next working day.

Exceptions

Exceptions

(3) Si, pour l’une ou l’autre des raisons ci-après, l’audition ne peut être tenue dans le délai visé au sous-alinéa (1)a)(i) ou (ii) ou à l’alinéa (1)b), elle est tenue dès que possible après l’expiration du délai :

(3) If the hearing cannot be held within the time limit set out in subparagraph (1)(a)(i) or (ii) or paragraph (1)(b) for any of the following reasons, the hearing must be held as soon as feasible after that time limit:

a) en raison de considérations d’équité et de justice naturelle;

(a) for reasons of fairness and natural justice;

b) en raison d’une investigation ou d’une enquête en cours, effectuée dans le cadre de l’un des articles 34 à 37 de la Loi;

(b) because of a pending investigation or inquiry relating to any of sections 34 to 37 of the Act; or

c) en raison de restrictions d’ordre fonctionnel touchant la Section de la protection des réfugiés.

(c) because of operational limitations of the Refugee Protection Division.

[13]  Les dispositions suivantes des Règles s’appliquent en l’espèce :

Demande par écrit et délai

Written application and time limit

50 (1) Sauf indication contraire des présentes règles, toute demande est faite par écrit, sans délai, et doit être reçue par la Section au plus tard dix jours avant la date fixée pour la prochaine procédure.

50 (1) Unless these Rules provide otherwise, an application must be made in writing, without delay, and must be received by the Division no later than 10 days before the date fixed for the next proceeding.

Demande faite oralement

Oral application

(2) La Section ne peut autoriser que la demande soit faite oralement pendant une procédure que si la partie a été dans l’impossibilité, malgré des efforts raisonnables, de le faire par écrit avant la procédure.

(2) The Division must not allow a party to make an application orally at a proceeding unless the party, with reasonable effort, could not have made a written application before the proceeding.

Contenu de la demande

Content of application

(3) Dans sa demande écrite, sauf indication contraire des présentes règles, la partie :

(3) Unless these Rules provide otherwise, in a written application, the party must

a) énonce la décision recherchée;

(a) state the decision the party wants the Division to make;

b) énonce les motifs pour lesquels la Section devrait rendre cette décision;

(b) give reasons why the Division should make that decision; and

c) indique si l’autre partie, le cas échéant, consent à la demande, dans le cas où elle connaît l’opinion de cette autre partie.

(c) if there is another party and the views of that party are known, state whether the other party agrees to the application.

Affidavit ou déclaration solennelle

Affidavit or statutory declaration

(4) Sauf indication contraire des présentes règles, la partie énonce dans un affidavit ou une déclaration solennelle qu’elle joint à sa demande écrite tout élément de preuve qu’elle veut soumettre à l’examen de la Section.

(4) Unless these Rules provide otherwise, any evidence that the party wants the Division to consider with a written application must be given in an affidavit or statutory declaration that accompanies the application.

Transmission de la demande à l’autre partie et à la Section

Providing application to other party and Division

(5) La partie qui fait une demande par écrit transmet :

(5) A party who makes a written application must provide

a) à l’autre partie, le cas échéant, une copie de la demande et, selon le cas, de l’affidavit ou de la déclaration solennelle;

(a) to the other party, if any, a copy of the application and a copy of any affidavit or statutory declaration; and

b) à la Section, l’original de la demande et, selon le cas, de l’affidavit ou de la déclaration solennelle, accompagnés d’une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon la copie de ces documents a été transmise à l’autre partie, le cas échéant.

(b) to the Division, the original application and the original of any affidavit or statutory declaration, together with a written statement indicating how and when the party provided a copy to the other party, if any.

[...]

...

Demande par écrit

Application in writing

54 (1) Sous réserve du paragraphe (5), la demande de changer la date ou l’heure d’une procédure est faite conformément à la règle 50, mais la partie n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

54 (1) Subject to subrule (5), an application to change the date or time of a proceeding must be made in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

Délai et contenu de la demande

Time limit and content of application

(2) La demande :

(2) The application must

a) est faite sans délai;

(a) be made without delay;

b) est reçue par la Section au plus tard trois jours ouvrables avant la date fixée pour la procédure, à moins que la demande soit faite pour des raisons médicales ou d’autres urgences;

(b) be received by the Division no later than three working days before the date fixed for the proceeding, unless the application is made for medical reasons or other emergencies; and

c) inclut au moins trois dates et heures, qui sont au plus tard dix jours ouvrables après la date initialement fixée pour la procédure, auxquelles la partie est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

(c) include at least three dates and times, which are no later than 10 working days after the date originally fixed for the proceeding, on which the party is available to start or continue the proceeding.

Demande faite oralement

Oral application

(3) S’il ne lui est pas possible de faire la demande conformément à l’alinéa (2)b), la partie se présente à la date fixée pour la procédure et fait sa demande oralement avant l’heure fixée pour la procédure.

(3) If it is not possible for the party to make the application in accordance with paragraph (2)(b), the party must appear on the date fixed for the proceeding and make the application orally before the time fixed for the proceeding.

Éléments à considérer

Factors

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la Section ne peut accueillir la demande, sauf en cas des circonstances exceptionnelles, notamment :

(4) Subject to subrule (5), the Division must not allow the application unless there are exceptional circumstances, such as

a) le changement est nécessaire pour accommoder une personne vulnérable;

(a) the change is required to accommodate a vulnerable person; or

b) dans le cas d’une urgence ou d’un autre développement hors du contrôle de la partie, lorsque celle-ci s’est conduite avec diligence.

(b) an emergency or other development outside the party’s control and the party has acted diligently.

Conseil retenu ou disponibilités du conseil transmises après la date à laquelle l’audience a été fixée

Counsel retained or availability of counsel provided after hearing date fixed

(5) Si, au moment où l’agent a fixé la date d’une audience en vertu du paragraphe 3(1), il n’avait pas de conseil ou était incapable de transmettre les dates auxquelles son conseil serait disponible pour se présenter à une audience, le demandeur d’asile peut faire une demande pour changer la date ou l’heure de l’audience. Sous ré- serve de restrictions d’ordre fonctionnel, la Section accueille la demande si, à la fois :

(5) If, at the time the officer fixed the hearing date under subrule 3(1), a claimant did not have counsel or was unable to provide the dates when their counsel would be available to attend a hearing, the claimant may make an application to change the date or time of the hearing. Subject to operational limitations, the Division must allow the application if

a) le demandeur d’asile retient les services d’un conseil au plus tard cinq jours ouvrables après la date à laquelle l’audience a été fixée par l’agent;

(a) the claimant retains counsel no later than five working days after the day on which the hearing date was fixed by the officer;

b) le conseil n’est pas disponible à la date fixée pour l’audience;

(b) the counsel retained is not available on the date fixed for the hearing;

c) la demande est faite par écrit;

(c) the application is made in writing;

d) la demande est faite sans délai et au plus tard cinq jours ouvrables après la date à laquelle l’audience a été fixée par l’agent;

(d) the application is made without delay and no later than five working days after the day on which the hearing date was fixed by the officer; and

e) le demandeur d’asile transmet au moins trois dates et heures auxquelles le conseil est disponible, qui sont dans les délais prévus par le Règlement pour l’audience relative à la demande d’asile.

(e) the claimant provides at least three dates and times when counsel is available, which are within the time limits set out in the Regulations for the hearing of the claim.

Demande pour raisons médicales

Application for medical reasons

(6) Si le demandeur d’asile ou la personne protégée pré- sente une demande pour des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, il transmet avec la demande un certificat médical récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier. Le demandeur d’asile ou la personne protégée qui a transmis une copie du certificat à la Section lui transmet sans délai le document original.

(6) If a claimant or protected person makes the application for medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the application, a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate. A claimant or protected person who has provided a copy of the certificate to the Division must provide the original document to the Division without delay.

Contenu du certificat

Content of certificate

(7) Le certificat médical indique, à la fois : a) sans mentionner de diagnostic, les particularités de la situation médicale qui empêchent le demandeur d’asile ou la personne protégée de participer à la procédure à la date fixée; b) la date à laquelle le demandeur d’asile ou la personne protégée devrait être en mesure de participer à la procédure.

(7) The medical certificate must set out (a) the particulars of the medical condition, without specifying the diagnosis, that prevent the claimant or protected person from participating in the proceeding on the date fixed for the proceeding; and (b) the date on which the claimant or protected person is expected to be able to participate in the proceeding.

Défaut de transmettre un certificat médical

Failure to provide medical certificate

(8) À défaut de transmettre un certificat médical, conformément aux paragraphes (6) et (7), le demandeur d’asile ou la personne protégée fournit avec sa demande :

(8) If a claimant or protected person fails to provide a medical certificate in accordance with subrules (6) and (7), they must include in their application

a) des précisions quant aux efforts qu’il a faits pour obtenir le certificat médical requis ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(a) particulars of any efforts they made to obtain the required medical certificate, supported by corroborating evidence;

b) des précisions quant aux raisons médicales au soutien de la demande ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(b) particulars of the medical reasons for the application, supported by corroborating evidence; and

c) une explication de la raison pour laquelle la situation médicale l’empêche de participer à la procédure à la date fixée.

(c) an explanation of how the medical condition prevents them from participating in the proceeding on the date fixed for the proceeding.

Demande subséquente

Subsequent application

(9) Si la partie a déjà présenté une demande qui a été refusée, la Section prend en considération les motifs du refus et ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve.

(9) If the party made a previous application that was denied, the Division must consider the reasons for the denial and must not allow the subsequent application unless there are exceptional circumstances supported by new evidence.

Obligation de se présenter

Duty to appear

(10) Sauf si elle reçoit une décision de la Section accueillant la demande, la partie est tenue de se présenter pour la procédure à la date et à l’heure fixées et d’être prête à commencer ou à poursuivre la procédure.

(10) Unless a party receives a decision from the Division allowing the application, the party must appear for the proceeding at the date and time fixed and be ready to start or continue the proceeding.

Nouvelle date

New date

(11) Si la demande de changement de date ou d’heure d’une procédure est accueillie, la Section fixe une nouvelle date qui tombe au plus tard dix jours ouvrables après la date initialement fixée ou dès que possible après cette date.

(11) If an application for a change to the date or time of a proceeding is allowed, the new date fixed by the Division must be no later than 10 working days after the date originally fixed for the proceeding or as soon as possible after that date.

VII.  LA THÈSE DES PARTIES

A.  Les demandeurs

(1)  La justiciabilité

[14]  Les demandeurs affirment que les questions soulevées sont justiciables.

[15]  Le report de l’audience porte atteinte aux droits des demandeurs, car le Canada prive les demandeurs d’asile de droits importants avant l’obtention du statut de réfugié. En conséquence, le retard qu’accuse l’instruction des demandes fait obstacle à l’exercice de ces droits.

[16]  De plus, la remise soudaine d’une procédure importante et qui change le cours d’une vie, ainsi que la période d’attente indéterminée qui s’en suit, causent un stress qui porte préjudice aux demandeurs.

[17]  En outre, les demandeurs ont qualité pour contester la légalité des instructions en raison des effets préjudiciables qu’elles ont sur eux. Par conséquent, la question soulevée est justiciable; il ne s’agit pas d’une simple étape interlocutoire de l’instance.

(2)  Le caractère ultra vires

[18]  Les demandeurs font valoir que les décisions et les instructions sont ultra vires parce qu’elles permettent aux décideurs de la SPR de reporter, de leur propre chef, l’audition des demandes d’asile lorsqu’ils n’ont pas reçules résultats du CSP, et qu’elles sont incompatibles avec les procédures de mise au rôle et de remise des demandes d’asile prévues par la LIPR, le Règlement et les Règles.

a.  Cadre législatif

[19]  Il ressort des dispositions législatives et réglementaires applicables que des délais précis doivent être respecter dans le processus de traitement des demandes d’asile. Selon la LIPR, l’agent dispose de trois jours, suivant la réception de la demande d’asile, pour la déférer à la SPR. Sauf sursis ou constat d’irrecevabilité, la saisine de la SPR est réputée survenue à l’expiration des trois jours. Il est précisé au paragraphe 159.9(1) du Règlement que les audiences concernant les demandes d’asile doivent avoir lieu dans un délai de 30, 45 ou 60 jours, selon l’endroit où la demande d’asile est présentée. Une exception est prévue au paragraphe 159.9(3) du Règlement, mais l’audition de la demande doit être tenue dès que possible après l’expiration du délai. Alors que la CISR jouit d’une certaine latitude en matière de prolongation des délais, les parties qui sollicitent le changement de la date d’une procédure doivent répondre aux critères énoncés aux articles 50 et 54 des Règles.

[20]  Suivant l’alinéa 100(2)a) et le paragraphe 103(1) de la LIPR, la SPR sursoit à l’étude de la demande d’asile en attente d’un éventuel constat d’interdiction de territoire. L’ASFC exécute le CSP en collaboration avec le Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS] et fait parvenir à la CISR la confirmation de l’exécution du CSP. Dans le cas où le CSP n’est pas exécuté, les instructions prévoient que le SPR retire l’audience du rôle et fixe une nouvelle date dès que possible après avoir reçu la confirmation de l’exécution du CSP. Si la confirmation de l’exécution du CSP n’est pas reçue dans les six mois suivant le moment où la demande a été déférée, la SPR met au rôle et instruit la demande, sauf si l’ASFC présente une demande de changement de la date et que cette demande est acceptée. Dans les cas où les résultats du CSP sont toujours attendus douze mois après que le cas a été déféré, la SPR réunit toutes les parties et peut fixer une date d’audience. Autrement dit, l’ASFC se voit accorder de plein droit une prolongation maximale de six mois si elle accuse un retard dans la production des résultats du CSP.

[21]  Par ailleurs, les instructions ont un caractère obligatoire et universel. Contrairement aux Directives no 6 du président : Mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure [les directives], qui n’ont pas force exécutoire, les instructions sont expressément impératives, comme il ressort de l’énoncé suivant : « Les commissaires et les autres membres du personnel de la CISR suivront les instructions aux fins du traitement des demandes d’asile devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) » [non souligné dans l’original].

b.  Autorité législative

[22]  Les demandeurs soutiennent que les instructions ne constituent pas de simples formalités d’ordre administratif; elles ont une incidence sur la mise au rôle et le report des audiences de la SPR, des procédures qui sont déjà régies par la LIPR, le Règlement et les Règles. Les instructions permettent également à la SPR de reporter des audiences de son propre chef lorsqu’elle ne reçoit pas les résultats du CSP. En outre, dans les directives, il est tenu pour acquis que les instructions sont obligatoires, même si elles n’ont aucun fondement juridique et ne reposent sur aucune autorité législative leur permettant de l’emporter sur la LIPR, le Règlement et les Règles.

[23]  Les demandeurs affirment que rien dans la loi ne confère aux instructions une force obligatoire. Selon les paragraphes 161(1) et 161(2) de la LIPR, les règles visant les questions de procédure en matière d’audition doivent faire l’objet de l’agrément du gouverneur en conseil et être déposées devant chacune des chambres du Parlement dans les premiers quinze jours de séance de celle‑ci. Les instructions n’ont pas été adoptées de cette façon; elles ne sont donc pas établies en application du paragraphe 161(1), contrairement aux Règles qui ont force de loi.

[24]  La Cour d’appel fédérale a confirmé que la LIPR confère au président de larges pouvoirs, notamment le pouvoir de donner des directives et de prendre des règles : Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, aux paragraphes 60 et 61. Or, l’alinéa 159(1)h) de la LIPR prévoit que les directives visent à aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, mais elles ne sauraient entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire ni l’emporter sur la LIPR ou le Règlement.

[25]  Les demandeurs font valoir que les instructions ne reposent sur aucun texte législatif et ont pour effet de lier les décideurs en mentionnant que ceux‑ci « suivront » les instructions qui précisent les conditions concernant le report de plein droit de l’audience. Qui plus est, les instructions vont également à l’encontre des dispositions législatives et réglementaires applicables. Ces dispositions prévoient des délais et des procédures à suivre clairs, et pourtant, les instructions obligent la SPR à ne pas en tenir compte et à changer la date de l’audience sans que les parties ne le demandent et sans que les conditions prévues par la loi et son règlement d’application soient respectées.

[26]  Par conséquent, les instructions sont ultra vires, car elles ne reposent sur aucune autorité législative et qu’elles l’emportent sur d’autres instruments juridiques.

c.  Incompatibilité

[27]  Les demandeurs s’opposent à la thèse du défendeur voulant que les instructions n’exigent pas que la SPR agisse d’une manière qui va à l’encontre de la LIPR ou du Règlement.

[28]  Le paragraphe 159.9(3) du Règlement établit les critères permettant de changer la date de l’audience, alors que le processus à cet égard est énoncé aux articles 50 et 54 des Règles. Bien qu’elle soit habilitée à fixer l’heure et le lieu de l’audience, et à changer la date de celle‑ci, la SPR n’est pas autorisée à écarter la disposition législative qui prévoit les critères qui permettent de reporter une audience au‑delà du délai prescrit par la loi. Le président a le pouvoir de donner des directives qui n’ont pas force obligatoire; cependant, les instructions ont force obligatoire.

[29]  De plus, les exceptions permettent le report de l’audience lorsqu’il y a une enquête en cours. Or, le fait que les résultats du CSP n’ont pas été reçus ne correspond pas nécessairement à une enquête en cours. En l’espèce, rien dans la preuve n’indique que l’absence des résultats du CSP signifie qu’il y a une enquête en cours. Même lorsque l’existence d’une enquête en cours est établie, la procédure à suivre quant au sursis de l’étude d’une demande d’asile est régie par l’article 103 de la LIPR, sur lequel les instructions ont en fait priorité.

(3)  Partialité institutionnelle

[30]  Les demandeurs font valoir que les décisions et les instructions manquent à l’équité procédurale parce qu’elles donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle en permettant au défendeur d’annuler l’audition de la demande d’asile sans suivre les procédures relatives à la mise au rôle et à la remise des demandes d’asile prévues par la LIPR, le Règlement et les Règles. Le défendeur bénéficie donc d’un traitement préférentiel grâce au report de plein droit de l’audience dès lors que l’ASFC ne s’est pas conformée à ses obligations législativesdans les délais prescrits, parce qu’il n’est pas tenu d’établir que les critères législatifs et réglementaires concernant le report sont réunis ni de présenter de demande à cet égard.

[31]  Si les exigences de l’équité procédurale peuvent varier selon la nature et la fonction du tribunal en question, la nature juridictionnelle des audiences devant la SPR exige que l’indépendance de celle‑ci se situe à l’extrémité supérieure de l’échelle : Bell Canada c Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, au paragraphe 21. Une décision doit être annulée pour partialité si une personne raisonnable conclurait, selon la prépondérance des probabilités, que le décideur n’a pas été impartial : Restrepo Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 6. La partialité institutionnelle est établie lorsqu’il y a une crainte raisonnable dans un grand nombre de cas  : R c Lippé, [1991] 2 RCS 114.

[32]  Selon les demandeurs, une personne raisonnable et bien informée ne peut que conclure que la CISR n’est pas impartiale parce qu’elle permet à la SPR d’annuler l’audition des demandes d’asile dès lors qu’elle ne reçoit pas les résultats du CSP, et sans que les parties ne présentent de demande écrite à cet égard. Le demandeur d’asile doit respecter les procédures applicables en matière de report de l’audience, alors que le défendeur y est entièrement soustrait. L’écart qui en résulte démontre que la CISR fait preuve de partialité institutionnelle et manque d’indépendance.

[33]  Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas à établir que la SPR annule toujours une audience lorsqu’elle ne reçoit pas les résultats du CSP. C’est d’ailleurs le motif qu’elle a invoqué pour annuler l’audition de leurs demandes, et les instructions prévoient expressément que la SPR est tenue d’annuler les audiences dans ces circonstances. Rien dans la preuve ne montre que la SPR écarte ses propres instructions.

[34]  En outre, les demandeurs font valoir que la question de savoir si le report de l’audience favorise le défendeur ou influe sur le déroulement de l’audience et sur le traitement de la demande d’asile n’est pas déterminante. Les instructions exigent que la SPR remédie automatiquement au défaut du défendeur d’agir dans les délais prescrits, alors que les demandeurs d’asile ne bénéficient pas du même traitement. Le défendeur se voit donc accorder un traitement procédural favorable en étant automatiquement déchargé de son défaut de respecter les délais prescrits. Par conséquent, les instructions compromettent l’indépendance institutionnelle de la SPR en raison du traitement préférentiel accordé au défendeur.

B.  Le défendeur

(1)  Les demandes sont irrecevables

[35]  Le défendeur soutient que la Cour n’est pas régulièrement saisie des demandes en cause.

[36]  Premièrement, le report des audiences ne porte pas atteinte aux droits des demandeurs, ne leur impose pas d’obligations juridiques, ni ne cause de préjudice susceptible de contrôle judiciaire. L’audition se poursuivra et les demandes d’asile seront tranchées. Même si les décisions sont susceptibles de contrôle judiciaire, l’annulation des audiences constitue une étape interlocutoire dans le cadre d’une procédure en cours et n’est pas assujettie à un examen immédiat : Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, aux paragraphes 27, 32; CB Powell Limited c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 à 33 [CB Powell]. Par ailleurs, les demandeurs disposaient d’autres recours dont ils ne se sont pas prévalus, par exemple présenter une demande à la SPR.

[37]  Deuxièmement, les demandeurs ont invoqué les questions en litige pour la première fois à l’étape de la demande d’autorisation et non devant la SPR, bien que la validité des instructions et les allégations de partialité institutionnelle portent sur des questions de droit relevant de la compétence de la SPR.

(2)  Le caractère théorique

[38]  En ce qui concerne M. Salim, le défendeur affirme que la demande est théorique parce que sa demande d’asile a été accueillie.

(3)  Le caractère intra vires

[39]  Le défendeur fait valoir que les instructions sont intra vires. Le président a le pouvoir de donner des directives écrites sur toute question relevant de sa compétence, y compris sur la procédure que la SPR doit suivre pour fixer la date des audiences : alinéas 159(1)h) et f) de la LIPR. Les instructions sont également conformes à la façon dont est fixée la date des audiences devant la SPR et ne portent pas atteinte à l’examen du bien‑fondé des demandes d’asile. En outre, les instructions ne sont pas incompatibles avec les dispositions législatives, qui prévoient des exceptions aux délais prescrits lorsqu’une enquête est en cours à l’égard d’une éventuelle interdiction de territoire. Les instructions viennent renforcer la capacité de surseoir aux procédures de la SPR dans de pareilles circonstances et évitent d’avoir à annuler une décision concernant une demande d’asile qui est ultérieurement jugée irrecevable. De plus, une brève remise pour permettre l’exécution du CSP est conforme aux objectifs visant à respecter l’intégrité du processus d’asile et à garantir la sécurité des Canadiens. Les instructions sont donc compatibles avec le pouvoir conféré au défendeur et garantissent que les commissaires remplissent leurs fonctions avec efficacité.

(4)  Partialité institutionnelle

[40]  Le défendeur conteste également les allégations des demandeurs au sujet de la partialité institutionnelle. Rien dans la preuve n’indique que la SPR annule l’audience dans chaque cas où elle ne reçoit pas les résultats du CSP. En fait, les décisions portent sur la possibilité de reporter les audiences et d’instruire les demandes d’asile même en l’absence de confirmation de l’exécution du CSP avant des dates précises. Les instructions permettent de déterminer les mises et les remises au rôle, selon l’issue du CSP. Les instructions n’influent pas sur le déroulement de l’audience ni sur le traitement de la demande d’asile. Par conséquent, une personne informée n’est pas susceptible de craindre une réelle probabilité de partialité.

[41]  En outre, le report de l’audience ne favorise pas pour autant le ministre. Ce dernier est rarement partie aux procédures de la SPR, sauf en cas d’exclusion, et ne peut donc pas bénéficier de l’avantage judiciaire qui sous‑tend les allégations de partialité institutionnelle formulées par les demandeurs.

C.  Arguments supplémentaires du défendeur

(1)  Les demandes sont irrecevables

[42]  Le défendeur réaffirme que la Cour n’est pas régulièrement saisie des demandes de contrôle judiciaire.

a.  Le contrôle judiciaire

[43]  Selon le défendeur, le report d’une audience de la SPR ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Les décisions en cause n’ont pas caractère définitif en ce qui concerne les demandes d’asile et ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs d’asile. Le report des audiences n’entraîne donc aucune conséquence juridique. Les demandeurs contestent une mesure administrative ou une étape interlocutoire qui ne saurait faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[44]  Bien que les demandeurs formulent une question de compétence, leurs arguments doivent être rejetés. Premièrement, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’existence d’une question de compétence n’est pas suffisante et ne constitue pas en soi une circonstance exceptionnelle qui permet à une partie d’introduire une demande de contrôle judiciaire avant que le processus administratif ne soit complété ou que les prétentions sur la question de compétence ne soient présentées à la CISR : CB Powell, précité, aux paragraphes 39 à 46. Deuxièmement, les instructions sont de nature administrative en ce qu’elles s’appliquent à la mise au rôle, à la gestion interne des avis, à la preuve et aux communications. Elles ne portent pas sur le processus concernant l’audience elle‑même. De plus, les demandeurs n’ont pas établi que la SPR n’a pas compétence pour instruire l’affaire.

b.  Autres recours

[45]  Le défendeur soutient également que les demandeurs n’ont aucunement établi avoir épuisé toutes les voies de recours qui leur étaient ouvertes en vertu du processus administratif. Ils auraient pu attaquer les instructions devant la SPR, mais ils ont choisi de ne pas le faire. La SPR a le pouvoir de trancher les questions de droit concernant sa propre compétence, dont l’habilitation et la partialité institutionnelle. Les demandeurs ne peuvent donc invoquer ces questions pour la première fois au stade du contrôle judiciaire, alors qu’il leur était loisible de le faire devant la SPR.

(2)  Le caractère théorique

[46]  Le défendeur fait valoir que l’affaire est théorique en ce qui concerne M. Salim, dont la demande d’asile a été accueillie le 4 mai 2017, et l’est aussi à présent relativement à M. Alhaqli, dont l’audition de la demande d’asile a été fixée au 22 juin 2017. La relation entre les parties n’est plus contradictoire , et l’annulation n’entraînera aucune conséquences. Les demandes doivent être donc rejetées, conformément à la doctrine relative au caractère théorique : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, aux pages 353, 358 et 359 [Borowski].

(3)  Le caractère intra vires

a.  Aperçu

[47]  La sécurité publique et la sécurité nationale s’inscrivent parmi les principales préoccupations du gouvernement. Le processus de protection des réfugiés souscrit à l’objectif visant à protéger les Canadiens et à promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice. Par conséquent, la LIPR prévoit le sursis de l’étude d’une demande d’asile en raison d’une enquête en cours en matière d’interdiction de territoire. Le Règlement établit les délais et les exceptions à cet égard. Selon les instructions, la SPR n’instruira aucune demande d’asile pendant une période d’au plus six mois suivant le moment où le cas est déféré si elle ne reçoit pas les résultats du CSP. Au terme de cette période, la SPR instruira la demande même si elle n’a pas reçu les résultats du CSP, sauf si l’ASFC présente une demande de changement de la date de l’audience et que cette demande lui est accordée, ou si le ministre présente une telle demande. Si les résultats du CSP sont toujours en attente douze mois après que le cas a été déféré, les parties pourront se réunir et fixer une date d’audience.

b.  Pouvoir

[48]  À titre de tribunal administratif, la SPR a le pouvoir inhérent d’assurer le contrôle de ses propres processus, y compris la mise au rôle des affaires dont elle est saisie. Les instructions relèvent donc des pouvoirs conférés au président de donner des directives et des instructions.

[49]  Il y a deux façons de changer la date d’une audience. Si c’est l’une des parties qui demande le changement, c’est l’article 54 des Règles qui régit la procédure. Si c’est le président qui procède au changement, la procédure sera alors régie par les alinéas 159(1)a), h), f) et g) du Règlement. Les deux méthodes permettent de garantir que le CSP sera exécuté avant la date de l’audience et d’éviter que celle‑ci ne soit reportée indéfiniment.

[50]  Il existe des distinctions entre les instructions et les directives. Les instructions sont de nature administrative, alors que les directives visent le processus décisionnel qui porte précisément sur l’audience. Le défendeur affirme que les instructions ont une nature administrative et n’ont pas d’incidence sur l’audience elle‑même ni sur le traitement de la demande d’asile, et ne sont donc pas assujetties au même processus d’approbation que les règles prescrites.

[51]  Les instructions n’obligent pas non plus la SPR à agir d’une manière non conforme à la loi. Le Règlement impose la tenue des audiences dans des délais bien précis, mais prévoit aussi des exceptions, notamment dans les cas où des enquêtes sur des cas possibles d’interdiction de territoire sont en cours. Les instructions viennent renforcer la capacité de surseoir aux procédures de la SPR et évitent d’avoir à annuler une décision concernant une demande d’asile qui est ultérieurement jugée irrecevable. Les instructions relèvent donc du pouvoir conféré au président de contrôler la gestion des activités de la SPR et de veiller à ce que les commissaires remplissent leurs fonctions avec efficacité.

[52]  Le défendeur soutient qu’il est évident que le président a le pouvoir de donner des instructions en application de l’alinéa 159.9(3)b) du Règlement. Le législateur permet à toute personne de demander l’asile au Canada, sauf en cas d’interdiction de territoire pour des motifs en particulier. Les circonstances donnant lieu à l’exception énoncée au paragraphe 159.9(3) reflètent les dispositions relatives à l’interdiction de territoire. Cette exception est de toute évidence liée à la possibilité qu’une enquête soit en cours au sujet des résultats du CSP.

[53]  De plus, le président a le pouvoir d’ordonner à la SPR de changer les dates des audiences : alinéa 159(1)f) de la LIPR; paragraphe 159.9(3) du Règlement.

[54]  Les instructions répondent donc aux objectifs de la LIPR en donnant l’occasion au ministre de mener à terme une enquête tout en tenant compte du droit des demandeurs d’asile au règlement rapide de leurs demandes. Le défendeur fait donc valoir que les instructions n’ont pas pour objet de reporter indéfiniment l’audition des demandes d’asile en attente des résultats du CSP, mais plutôt de promouvoir les intérêts en matière de sécurité et de garantir un règlement rapide des demandes d’asile. Par conséquent, les instructions ne sont pas intra vires.

(4)  Partialité institutionnelle

[55]  Le défendeur soutient que les demandeurs ne satisfont pas au critère applicable à la partialité institutionnelle tant pour des motifs liés à la preuve que pour des motifs d’ordre juridique.

[56]  Le critère applicable à la partialité institutionnelle comporte deux volets, comme il est énoncé dans l’arrêt Canadian Pacific Ltée c Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3, au paragraphe 67 :

Première étape : Compte tenu d’un certain nombre de facteurs, y compris, mais sans s’y restreindre, le risque de conflit entre les intérêts des membres des tribunaux et ceux des parties qui comparaissent devant eux, une personne pleinement informée éprouvera‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas?

Deuxième étape : Si la réponse à cette question est négative, on ne saurait alléguer qu’il y a crainte de partialité sur le plan institutionnel, et la question doit se régler au cas par cas.

[57]  La SPR doit faire preuve d’un degré élevé d’impartialité lorsqu’elle rend une décision. Pour établir qu’il y a eu partialité institutionnelle,la crainte raisonnable de partialité doit reposer sur  des motifs sérieux et le critère ne doit pas être celui d’une personne de nature scrupuleuse et tatillonne : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), [2015] 2 RCS 282, au paragraphe 26.

[58]  Selon le défendeur, l’incidence sur les droits garantis aux demandeurs par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est tout au plus marginale. Les demandeurs ont fourni peu d’éléments de preuve à l’appui de leur argument selon lequel le report des audiences les concernant leur a causé un préjudice. En effet, M. Salim a obtenu une décision favorable. Les demandeurs ont bénéficié des avantages du Programme fédéral de santé intérimaire et de l’aide sociale et ont eu la possibilité de demander des permis d’études et de travail. Le stress qu’ils disent avoir vécu n’est rien de plus que les conséquences normales du processus d’asile.

[59]  De plus, aucun élément de preuve ne permet d’affirmer que la SPR annule l’audience chaque fois qu’elle ne reçoit pas les résultats du CSP. Les instructions permettent de déterminer à quel moment l’audience peut être fixée ou reportée, selon l’issue du CSP, mais elles n’influent pas sur le déroulement de l’audience ni sur le traitement de la demande d’asile. C’est au ministre qu’il incombe de demander des ajournements lorsque les retards échappent à la portée des instructions. Par conséquent, une personne informée ne serait pas susceptible de craindre qu’une réelle probabilité de partialité découle des instructions.

[60]  En outre, l’application des instructions ne suffit par pour établir qu’il y a eu partialité institutionnelle. La loi autorise le président à donner des directives de nature obligatoire et le législateur peut déroger au degré d’indépendance institutionnelle que commande l’équité procédurale ou la justice naturelle. Dans le cas qui nous occupe, le législateur a choisi de donner priorité à la sécurité. Les instructions constituent un outil administratif souple qui permet à la SPR de gérer les demandes à traiter dans le respect des droits des demandeurs d’asile.

[61]  Enfin, les demandeurs supposent, sans preuve à l’appui, que le report de l’audience favorise le ministre. Or, ce dernier est rarement partie aux procédures de la SPR, sauf en cas d’exclusion. En l’espèce, le ministre ne peut bénéficier de l’avantage judiciaire qui sous‑tend les allégations de partialité institutionnelle formulées par les demandeurs.

VIII.  ANALYSE

A.  Introduction

[62]  Pour traiter de la situation où la SPR ne reçoit pas les résultats du CSP avant la date fixée pour l’audition de la demande d’asile, le président a donné les instructions suivantes :

Lorsque la confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité n’est pas reçue avant l’audience initialement prévue, la CISR retirera l’audience du rôle et fixera une nouvelle date et une nouvelle heure pour l’audience dès que possible après avoir reçu la confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité. Les parties seront informées conformément au processus établi dans Notification.

Lorsque la confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité n’est pas reçue dans les six (6) mois suivant le moment où le cas est déféré, la SPR mettra au rôle et instruira habituellement la demande d’asile, sauf si l’ASFC présente une demande de changement de la date et de l’heure et que cette demande est accordée par la CISR. Au moment d’examiner une telle demande, la SPR donnera au demandeur d’asile l’occasion de présenter des observations.

Lorsque la CISR accorde une remise et qu’une confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité est reçue par la suite, une nouvelle date d’audience est fixée dès que possible.

Dans les cas où une confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité est toujours attendue douze (12) mois après que le cas a été déféré, la SPR se réunira avec le demandeur d’asile, le conseil de ce dernier et le conseil du ministre et pourra fixer une date d’audience.

[63]  Il s’ensuit que l’audition de la demande d’asile sera retirée du rôle et une nouvelle date et une nouvelle heure seront fixées dès que possible après la réception de la confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité. Si les résultats du contrôle de sécurité ne sont pas reçus dans les six mois suivant le moment où le cas est déféré, la demande d’asile sera remise au rôle et instruite, sauf si l’ASFC présente une demande de changement de la date et de l’heure et que cette demande est accordée. Dans les cas où on attend toujours une confirmation de l’exécution du contrôle de sécurité douze mois après que le cas ait été déféré, la SPR se réunira avec le demandeur d’asile, le conseil de ce dernier et le conseil du ministre et pourra fixer une date d’audience.

[64]  L’objectif évident des instructions est de dégager, dans les cas ordinaires et exceptionnels, une latitude administrative pour faire en sorte que les résultats du CSP soient disponibles avant la tenue de l’audience relative à la demande d’asile. Cela est tout à fait logique, car il est inutile de tenir une audience si la recevabilité peut poser problème.

[65]  Dans la présente instance, l’audition des demandes d’asile des demandeurs a été reportée conformément aux instructions, mais, en ce qui concerne M. Salim, sa demande a été déjà instruite et il a obtenu le statut de réfugié. Dans le cas de M. Alhaqli, la date de l’audience est maintenant fixée au 22 juin 2017. En d’autres mots, les retards n’ont pas été importants.

M. Salim

Arrivée au Canada :

Le 18 octobre 2016

[BLANK]

Présentation de la demande d’asile :

 

Le 18 octobre 2016

[BLANK]

Date prévue de l’audience :

 

Le 14 décembre 2016 (date changée au 16 décembre 2016 à la demande de son conseil)

[BLANK]

Date de l’audience annulée :

 

Le 30 novembre 2016

[BLANK]

Nouvelle date de l’audience :

 

Inconnue– le demandeur a été informé le 16 février 2017 que sa demande a été sélectionnée pour un traitement accéléré

[BLANK]

Décision:

Le 4 mai 2017

M. Alhaqli

Arrivée au Canada :

Le 11 août 2016

[BLANK]

Présentation de la demande d’asile :

 

Le 12 octobre 2016

[BLANK]

Date prévue de l’audience :

 

Le 6 décembre 2016

[BLANK]

Date de l’audience annulée :

 

Le 22 novembre 2016

[BLANK]

Nouvelle date de l’audience :

 

Le 22 juin 2017

[BLANK]

Décision :

Date inconnue ou décision en attente

[66]  Les demandeurs reconnaissent la nécessité de remettre l’audience si les résultats du CSP ne sont pas reçus avant la date prévue de l’audience. Ils affirment toutefois que cette mesure ne saurait être prise en conformité avec les instructions, qui outrepassent la compétence du président et donnent lieu à une partialité systémique qui favorise le ministre. Avant d’examiner ces questions, il convient de noter que le statut actuel des demandeurs et l’approche adoptée à l’égard de leurs préoccupations soulèvent des questions préliminaires que la Cour doit trancher.

B.  Caractère théorique

[67]  Dans le cas de M. Salim, il a obtenu déjà ce qu’il voulait précisément, soit le statut de réfugié. La raison pour laquelle il souhaite à présent contester le délai nécessaire pour garantir la recevabilité de sa demande d’asile n’est pas expliquée de manière convaincante.

[68]  En ce qui concerne M. Alhaqli, s’il n’a pas encore obtenu tout ce qu’il voulait, il bénéficie quand même de ce à quoi il a droit, à savoir une date fixée pour son audience. S’il n’obtient pas l’asile, il peut demander à la Cour le contrôle judiciaire de toute décision défavorable. M. Alhaqli n’a pas besoin à cet égard d’un jugement déclaratoire au sujet des instructions, lesquelles ne seront pas non plus remises en question en pareil cas.

[69]  À leur arrivée au Canada, les demandeurs avaient tous deux droit au traitement de leurs demandes d’asile conformément au droit canadien, aux services de soutien et de logement offerts aux demandeurs en attente de l’audience et à une décision les concernant. La demande d’asile de M. Salim a été tranchée sur le fond, et la demande de M. Alhaqli fera l’objet du même traitement. Les instructions n’ont eu aucune incidence sur le bien‑fondé de l’une ou l’autre des demandes. La décision favorable dans le cas de M. Salim témoigne de l’absence de partialité systémique en ce qui le concerne, et rien ne justifie une crainte de partialité dans le cas de la demande de M. Alhaqli qui sera tranchée sur le fond. Rien ne porte à croire que l’un ou l’autre des demandeurs a besoin de l’aide de la Cour à ce stade ou que le jugement déclaratoire demandé pourrait avoir une incidence pratique sur leurs vies.

[70]  L’avocat des demandeurs a plaidé devant moi que les retards ont exposé les demandeurs à un stress supplémentaire et que le jugement déclaratoire demandé aurait une incidence pratique s’ils décident de poursuivre la Couronne au civil pour les retards. Aucun élément de preuve ne montre que les demandeurs ont été exposés à autre chose qu’au stress inhérent au fait de venir dans un nouveau pays et de demander l’asile. La Cour n’a pas pour fonction de rendre des jugements déclaratoires pour les parties qui pourraient décider d’intenter des poursuites au civil. Il est plus réaliste de dire, d’après le dossier dont je dispose, qu’une action civile est très peu probable. L’avocat des demandeurs n’a pas réussi à me convaincre que le report des audiences relatives aux demandes d’asile ont eu une incidence réelle importante sur les droits ou le bien‑être de ceux‑ci.

[71]  Dans les circonstances, il n’y a aucun litige actuel entre les parties; le jugement déclaratoire demandé n’est d’aucune utilité pour l’un ou l’autre des demandeurs. Autrement dit, les présentes demandes sont théoriques conformément aux principes établis dans l’arrêt Borowski, précité, et réitérés dans l’arrêt Doucet‑Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, au par. 17 :

17.  La règle du caractère théorique procède du principe voulant que les tribunaux n’instruisent que des affaires présentant un litige actuel à résoudre, où leur décision aura ou pourra avoir des conséquences sur les droits des parties, sauf s’ils décident, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, qu’il est néanmoins dans l’intérêt de la justice d’entendre un appel (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 353).  Nous sommes d’avis que le présent pourvoi est devenu théorique.  Les parties ont comparu à plusieurs auditions de comptes rendus, fourni des éléments de preuve et permis le contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits.  L’effet recherché a été obtenu : les écoles demandées ont été construites. Le rétablissement de la validité de l’ordonnance du juge de première instance n’entraînerait en l’espèce aucun effet pratique pour les parties, et aucune autre audition de comptes rendus ne s’impose.

[72]  La question dont je suis saisi alors consiste à savoir s’il est dans l’intérêt de la justice d’instruire et de trancher les présentes demandes bien que j’estime qu’il n’existe aucun litige actuel entre les parties et que la réparation sollicitée n’aura aucun effet pratique sur les droits des demandeurs.

[73]  Pour décider d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire d’instruire et de trancher une affaire théorique, la Cour est guidée par l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 44 [Baron] :

Une observation finale sur la question. Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux paragraphes 29 à 42, la Cour suprême a énuméré trois facteurs dont le tribunal doit tenir compte pour se prononcer sur l’opportunité d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur le fond d’une action ou d’une demande de contrôle judiciaire qu’il considère théorique : 1) l’existence d’un débat contradictoire entre les parties; 2) le souci d’économie des ressources judiciaires; 3) la nécessité pour les tribunaux de ne pas empiéter sur les fonctions législatives.

[74]  Depuis, notre Cour a appliqué les principes de l’arrêt Baron, tout en insistant sur l’économie des ressources judiciaires. Voir Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 403, au paragraphe 10 :

Lorsqu’il n’existe plus de litige actuel, qui puisse avoir des conséquences pratiques sur les droits des parties, un recours judiciaire devient théorique. En pareil cas, trois facteurs peuvent être pris en compte pour déterminer si un tribunal devrait quand même se pencher sur le fond : l’existence d’un débat contradictoire; l’économie des ressources judiciaires; le rôle des tribunaux judiciaires dans l’élaboration du droit et le non‑empiètement avec la fonction législative (Borowski c Canada (Procureur Général), [1989] 1 RCS 342). Même s’il y a eu un débat contradictoire au sujet de la raisonnabilité de la décision de l’agent, l’économie des ressources judiciaires milite contre l’exercice de ma discrétion judiciaire de décider du mérite de la demande, tandis qu’au niveau du rôle de la Cour fédérale dans l’élaboration du droit, aucune question de droit de portée générale n’a été vraiment débattue par les parties, comme c’était le cas dans Baron.

[75]  Les demandeurs font valoir que la Cour devrait trancher les questions soulevées concernant la compétence et la partialité, en mettant particulièrement en évidence les éléments suivants :

  • a) Il existe un débat contradictoire entre les parties;

  • b) Les questions substantielles sont désormais débattues à fond devant moi et la Cour dispose d’un dossier suffisant pour rendre une décision;

  • c) Les questions soulevées échappent à l’examen judiciaire;

  • d) Si les instructions ne sont pas déclarées ultra vires, les demandeurs d’asile subiront toujours un préjudice;

  • e) Il n’y a aucun empiètement dans la compétence du législateur parce qu’il s’agit d’une pure question de la primauté du droit : Lorsqu’il a donné les instructions, le président a‑t‑il outrepassé les pouvoirs conférés par le législateur et énoncés dans la LIPR et dans le Règlement?;

  • f) Les questions soulevées sont désormais débattues à fond devant la Cour et la procédure ne comporte pas de dépenses excessives.

[76]  J’ai déjà conclu qu’il n’existe pas de litige actuel entre les parties et j’estime qu’il n’y a pas non plus de débat contradictoire dans les circonstances actuelles. Les demandeurs ont choisi de venir au Canada et de s’exposer au stress inhérent aux demandes d’asile. Lorsque leurs audiences ont été remises, les demandeurs ont été assurés que le retard n’aurait pas d’incidence sur leur droit de demander l’asile et ils ont continué d’être hébergés et de recevoir l’aide offerte aux personnes qui demandent l’asile. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve concernant un préjudice psychologique, physique, personnel ou social subi par les demandeurs en raison des retards dans l’instruction de leurs demandes d’asile.

[77]  En fait, on demande à la Cour une opinion juridique sur la légitimité des instructions, sans faits aucuns sur la nécessité de fournir une telle opinion à ce stade. À mon avis, une opinion à cet égard n’est d’aucun secours aux demandeurs. L’avocat de ces derniers souligne que les instructions servent et serviront à reporter l’audition des demandes d’asile dans de nombreuses autres affaires. Or, je ne dispose d’aucun élément de preuve qui indique que l’application des instructions à cette fin a causé ou causera un préjudice aux demandeurs d’asile, qu’elle portera sensiblement atteinte à leurs droits, ou qu’elle aura une incidence sur l’évaluation juste de toute demande d’asile sur son bien‑fondé. Les arguments concernant la partialité systémique que les demandeurs ont invoqués devant moi demeurent tout à fait abstraits. Je dispose d’une preuve concrète quant à l’absence de partialité dans le fait que M. Salim a déjà obtenu le statut de réfugié, malgré le retard dans l’audition de sa demande d’asile par suite des instructions. Qui plus est, faute d’application des instructions, il est probable que l’audience de toute demande devant la SPR soit reportée de toute façon si celle‑ci n’a pas encore reçu les résultats du CSP. Ni l’un ni l’autre demandeur en l’espèce n’a établi que, n’eussent été les instructions, leurs demandes auraient été instruites aux dates d’audience prévues initialement.

[78]  Il m’apparaît que la principale préoccupation de l’avocat des demandeurs relativement à d’autres affaires tient à ce que les instructions entraînent une remise de l’audience sans donner aux demandeurs d’asile l’occasion de se faire entendre à cet égard. Cela risque fort bien d’entraîner une iniquité ou d’autres problèmes dans des cas particuliers, mais j’estime que la Cour ne doit pas se prononcer sous la forme d’une opinion juridique sur la validité des instructions tant qu’elle n’est pas saisie d’un ensemble particulier de faits qui exigent une telle opinion. Je suis d’avis que la Cour ne doit pas inciter les avocats à lui demander une opinion juridique sur des mesures administratives, sans faits aucuns qui exigent une telle opinion et qui justifient en pratique le jugement déclaratoire sollicité.

[79]  L’avocat des demandeurs estime que les instructions sont ultra vires et causent un déséquilibre inacceptable dans le processus d’asile qui favorise le ministre. En fin de compte, il s’agit d’une question générale portant sur les conséquences d’un instrument administratif qui vise manifestement à remédier à un problème réel (c’est‑à‑dire comment établir un équilibre entre la sécurité et la protection dans le cas où la SPR ne reçoit pas les résultats du CSP à temps pour l’audience). Il n’y a rien de sournois à cet égard et rien dans la preuve dont je dispose n’indique que les instructions trouvent une application qui porte d’une quelconque façon atteinte aux droits des demandeurs d’asile.

[80]  Le rôle de la Cour consiste à trancher des différends et non de fournir des avis juridiques à l’égard de débats abstraits. Les ressources de la Cour ne devraient pas servir à débattre de la légalité des retards sans conséquence alors qu’il n’y a pas de litige entre les parties, qui veulent obtenir une réponse.

[81]  Pour ces motifs, je conclus que les présentes demandes de contrôle judiciaire sont théoriques. La Cour doit refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher les questions du caractère ultra vires et de la partialité systémique soulevées par les demandeurs.

[82]  L’avocat des demandeurs a présenté les questions suivantes aux fins de certification :

1.  Les Instructions régissant la gestion des demandes d’asile en attente du contrôle de sécurité préliminaire données par le président de la CISR sont‑elles ultra vires?

2.  Les Instructions régissant la gestion des demandes d’asile en attente du contrôle de sécurité préliminaire suscitent‑elles une crainte raisonnable de partialité institutionnelle?

[83]  L’avocat du défendeur a demandé que les questions suivantes soient certifiées :

1.  Les Instructions régissant la gestion des demandes d’asile en attente du contrôle de sécurité préliminaire données par le président de la CISR sont‑elles autorisées conformément au paragraphe 159(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du paragraphe 159(3) de la Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés?

2.  Les Instructions régissant la gestion des demandes d’asile en attente du contrôle de sécurité préliminaire données par le président donnent‑elles lieu à une crainte raisonnable de partialité?

[84]  Dans l’arrêt Zaghbib c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182, aux paragraphes 55 et 56, le juge Pelletier déclarait ce qui suit concernant les questions certifiées :

La jurisprudence de notre Cour est claire : elle n’a compétence pour entendre un appel que si elle est saisie d’une légitime question certifiée. Une légitime question certifiée s’entend d’une question qui a été examinée dans les motifs de la Cour fédérale et qui permet de trancher l’appel (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, [2004] A.C.F. no 368, au par. 12; Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, au par. 43; O’Brien c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 159, [2016] A.C.F. no 567, au par. 8.

La question certifiée en l’espèce ne se posait pas dans les faits. En effet, au moment où l’affaire a été entendue, une décision avait été rendue, même si le ministre, pour des raisons que lui seul connaît, a agi comme si ce n’était pas le cas. En outre, la Cour fédérale a traité la demande de M. Zaghbib comme si celle‑ci portait sur les délais d’exécution : « [...] l’ASFC n’a envers lui aucune obligation de mener une enquête dans le laps de temps écoulé jusqu’à maintenant » (voir la décision, au par. 29). Elle n’a pas abordé la question du droit à une enquête sur une plainte de mariage frauduleux déposée par un particulier en qualité de citoyen.

[Non souligné dans l’original.]

[85]  Compte tenu de mes conclusions sur le caractère théorique, les questions proposées ne sauraient être certifiées vu qu’elles n’ont pas été examinées dans le cadre de la présente instance et qu’elles ne permettent pas de trancher l’appel, car les demandes ont été rejetées en raison de leur caractère théorique.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM‑5045‑16 ET IMM 5200‑16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.  Les demandes sont rejetées;

2.  Aucune question n’est certifiée.

3.  Une copie du présent jugement et des motifs sera versée dans chacun des dossiers.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5045-16

 

INTITULÉ :

MOHSEN MOHAMMED ALHAQLI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :

IMM-5200-16

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD SALIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Jared Will

POUR LES DEMANDEURs

 

Alexis Singer

Gordon Lee

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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