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Date : 20170811


Dossier : IMM-199-17

Référence : 2017 CF 767

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 août 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LLANA MAGNOLA POMPEY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 novembre 2016, par laquelle un agent d’immigration principal [l’agent] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] de la demanderesse.

[2]  Tel qu’il est expliqué en détail ci‑dessous, la demande est accueillie pour les motifs suivants : a) l’agent a commis une erreur en n’accordant que peu de poids à la preuve produite par la famille de la demanderesse, en particulier à celle produite par sa fille, relativement au risque prospectif de la demanderesse, au motif que ces personnes n’étaient pas des sources impartiales et objectives quant à l’issue de la demande, et b) la demanderesse a subi un préjudice en raison du fait que son ancien conseil a omis par inadvertance de transmettre à l’agent la preuve par affidavit qui fournissait des détails sur les sévices dont elle avait été victime et les efforts qu’elle avait déployés pour obtenir la protection de l’État.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Llana Magnola Pompey, est une citoyenne de Saint‑Vincent âgée de 45 ans. Elle déclare avoir quitté l’île pour venir au Canada en octobre 2010 afin d’échapper aux sévices de son époux, Ormiston King. Mme Pompey indique que sa fille, Omishca, a été témoin de ces sévices. Mme Pompey affirme également qu’elle a signalé ces sévices à la police à une occasion, mais que le poste de police le plus près de chez elle est administré par le cousin de M. King. Elle allègue qu’elle a été battue à son retour à la maison. En conséquence, elle estimait ne pas pouvoir retourner porter plainte à la police.

[4]  Mme Pompey est entrée au Canada à titre de visiteur et a été autorisée à y séjourner pendant six mois. Au terme de cette période, elle est demeurée continuellement au pays sans statut légal. Par conséquent, elle a fait l’objet d’une mesure d’exclusion, qu’elle a contestée par une demande de contrôle judiciaire. Au cours de la procédure, l’ancien conseil de Mme Pompey a demandé un sursis à son renvoi. Il a étayé sa demande par un affidavit de la fille de la demanderesse ainsi que par le propre affidavit de Mme Pompey, lesquels ont été souscrits le 7 août 2015 et le 23 novembre 2015 respectivement [les affidavits de 2015]. Après le rejet de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse par le juge Russell le 22 juillet 2016 (voir Pompey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 862), l’ancien conseil de Mme Pompey a de nouveau demandé un sursis à son renvoi jusqu’à l’issue d’une demande d’ERAR qui avait été présentée le 22 septembre 2016. Il a joint à la demande de sursis un affidavit souscrit par la sœur de Mme Pompey le 14 septembre 2016 ainsi qu’un deuxième affidavit souscrit par sa fille le 8 septembre 2016 [les affidavits de 2016].

[5]  La demande de sursis au renvoi de Mme Pompey a été rejetée, et cette dernière a demandé le contrôle judiciaire de la décision relative au sursis. Le 29 septembre 2016, le juge Harrington a ordonné un sursis à la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de la demande de contrôle judiciaire, qui a néanmoins été subséquemment abandonnée.

[6]  Le 30 novembre 2016, l’agent a rendu la décision défavorable relative à l’ERAR qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Mme Pompey a maintenant une nouvelle avocate et, parmi les autres arguments invoqués ci‑dessous, elle soulève le caractère inefficace de l’assistance offerte par son ancien conseil. Elle explique, comme le reconnaissent le défendeur et son ancien conseil, que lorsque ce dernier a présenté sa demande d’ERAR le 22 septembre 2016, il y a joint des copies des affidavits de 2016, mais a omis par inadvertance d’inclure les affidavits de 2015.

III.  Décision contestée

[7]  L’agent a noté que la demande d’ERAR de Mme Pompey était étayée par des affidavits de sa sœur et de sa fille (c.‑à‑d. les affidavits de 2016). L’agent a examiné ses observations et a effectué ses propres recherches sur la situation dans le pays.

[8]  L’agent a pris connaissance du témoignage de la sœur de Mme Pompey, selon laquelle la relation entre Mme Pompey et son mari était très violente et qu’elle avait proposé à Mme Pompey de se rendre au Canada. L’agent a également pris connaissance du témoignage de la fille de Mme Pompey, selon laquelle son père continue de chercher Mme Pompey et qu’il menace de s’en prendre à elle si elle rentre à Saint‑Vincent. Toutefois, l’agent a souligné que la demande d’ERAR ne contenait aucun autre détail sur les sévices que Mme Pompey avait subis à Saint‑Vincent. L’agent n’a accordé que peu de poids à la preuve par affidavit de la sœur et de la fille de Mme Pompey étant donné que ces documents ne provenaient pas de sources impartiales et objectives quant à l’issue de la demande d’ERAR. L’agent a également fait remarquer que ces affidavits n’étaient étayés par aucun autre élément de preuve corroborant. L’agent a souligné que Mme Pompey ne vivait plus à Saint‑Vincent depuis plus de six ans et a conclu qu’elle n’avait pas présenté d’éléments de preuve objectifs suffisants pour établir que son mari voudrait toujours s’en prendre à elle.

[9]  L’agent a ensuite examiné la situation actuelle à Saint‑Vincent et a constaté, d’une part, que la violence familiale constitue certes une importante préoccupation dans ce pays, mais que le gouvernement de Saint-Vincent déploie de sérieux efforts pour protéger ses citoyens et que, d’autre part, la protection est adéquate, bien qu’elle soit imparfaite. L’agent a déclaré que Mme Pompey n’avait pas tenté d’obtenir la protection de la police dans son pays et a conclu qu’elle n’avait pas démontré, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, qu’elle ne peut se réclamer de la protection de l’État à Saint-Vincent.

[10]  L’agent a ajouté que Mme Pompey avait vécu au Canada pendant plus de six ans sans avoir présenté de demande d’asile et a jugé que ce délai était incompatible avec la situation d’une personne qui fuit la persécution. En conclusion, l’agent a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que Mme Pompey était exposée à plus qu’une simple possibilité d’être persécutée pour l’un des motifs prévus dans la Convention, ou qu’elle serait exposée à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle rentrait à Saint‑Vincent.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle applicable

[11]  La demanderesse décrit ainsi les questions soumises à l’examen de la Cour :

  1. La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale en raison de l’assistance inefficace de son ancien conseil?

  2. L’agent a‑t‑il fait une évaluation déraisonnable de la preuve produite par la famille de la demanderesse?

  3. L’agent a‑t‑il omis d’effectuer une analyse indépendante de la protection offerte par l’État ainsi que de tenir compte des renseignements pertinents et détaillés concernant la disponibilité de la protection de l’État?

[12]  La demanderesse fait valoir, et je suis d’accord avec elle, que la norme de contrôle qui s’applique à la première question en litige, qui se rapporte à l’équité procédurale, est la norme de la décision correcte (voir Srignanavel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 584 [Srignanavel], au paragraphe 15) et que la norme qui s’applique aux deuxième et troisième questions en litige, qui se rapportent à l’appréciation de la preuve par l’agent, est celle de la raisonnabilité (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 1 RCS 190, au paragraphe 47).

V.  Analyse

[13]  Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur mon analyse des première et deuxième questions en litige soulevées par la demanderesse. À l’audience portant sur la présente demande, le défendeur fait valoir que la décision de l’agent était fondée sur deux conclusions cruciales. La première était liée au risque prospectif de Mme Pompey, soit, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs selon lesquelles le mari de Mme Pompey voudrait encore s’en prendre à elle six ans après son départ de Saint‑Vincent. La seconde était que, même si la Cour acceptait que le mari de Mme Pompey veuille encore s’en prendre à elle six ans après son départ, elle n’avait pas démontré qu’elle ne pouvait se réclamer de la protection de l’État à Saint‑Vincent.

[14]  Je partage la façon dont le défendeur caractérise ces conclusions comme étant les conclusions cruciales aux fins de la décision. La première de ces conclusions met en cause la deuxième question en litige soulevée par la demanderesse, qui se rapporte au traitement par l’agent de la preuve produite par les membres de sa famille. Mon analyse commence donc par cette question, bien que ma décision d’annuler la décision de l’agent découle d’une combinaison des première et deuxième questions, comme je l’explique ci‑dessous.

A.  L’agent a-t-il fait une évaluation déraisonnable de la preuve produite par la famille de la demanderesse?

[15]  Mme Pompey fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’agent d’accorder peu de poids et de valeur probante aux affidavits de sa fille et de sa sœur simplement parce que ces personnes font partie de sa famille et ne sont donc pas des sources impartiales et objectives quant à l’issue de la demande d’ERAR. Le défendeur est d’avis que l’agent a traité ces éléments de preuve de façon raisonnable étant donné qu’il ne les a pas écartés uniquement pour ce motif. Comme l’expose le défendeur, la juge Kane a expliqué le principe applicable de la manière suivante aux paragraphes 27 et 28 de la décision Ali Gilani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 243 [Ali Gilani] :

[27]  La Cour a examiné d’autres décisions dans les circonstances particulières et réitéré que des éléments de preuve ne devraient pas être écartés uniquement parce qu’ils sont intéressés. Dans un autre passage pertinent dans Ahmed, la juge Mactavish applique ce principe :

[32] Cela dit, malgré les failles que montrent les conclusions de la Commission sur la valeur probante de la lettre en ce qui a trait à la nature du rôle de M. Ahmed au sein du Anjuman Hussainia, ces conclusions n’étaient pas manifestement déraisonnables. La Commission a relevé que la lettre avait été écrite longtemps après les présumés incidents, et qu’elle ne faisait état d’aucune des réalisations ou des responsabilités de M. Ahmed au sein de l’organisation Anjuman. Par ailleurs, les doutes de la Commission à propos des ennuis que connaissait M. Ahmed avec le SSP ne reposaient pas uniquement sur cette lettre. La Commission mettait en doute plusieurs aspects de sa revendication, notamment l’existence même d’un atelier de confection, et le niveau de la participation de M. Ahmed à la manifestation. Il n’était donc pas manifestement déraisonnable pour la Commission de ne pas accorder beaucoup de crédit à cette lettre.

[28] De même, dans Ray c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 731 (CanLII), [2006] ACF no 927, au paragraphe 39, le juge Teitelbaum a déclaré que le fait d’accorder peu de valeur probante à des documents parce qu’ils sont intéressés constitue une erreur, mais que l’attribution d’une faible valeur probante pouvait reposer sur d’autres fondements.

[16]  Suivant ce principe, le défendeur fait valoir que l’appréciation faite par l’agent de la preuve produite par les membres de la famille de Mme Pompey ne reposait pas uniquement sur le lien entre ces personnes et la demanderesse. Dans sa décision, l’agent indique plutôt que la preuve comprend très peu de détails sur les sévices que Mme Pompey a subis pendant qu’elle vivait à Saint‑Vincent et qu’aucun élément de preuve ne corrobore les affidavits des membres de la famille de la demanderesse.

[17]  J’accepte le principe qui se dégage de la décision Ali Gilani, mais j’estime qu’il n’aide pas le défendeur en l’espèce. En ce qui concerne l’absence d’éléments de preuve corroborants, ce principe ne constitue pas un fondement légitime pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, à moins qu’il n’existe d’autres préoccupations en matière de crédibilité et que la demanderesse n’a fourni aucune explication raisonnable à l’égard de l’absence d’éléments de preuve corroborants (voir, par exemple, Magyar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 750, au paragraphe 36; Ndjizera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 601, au paragraphe 34).

[18]  Le défendeur souligne que la preuve présentée à l’agent n’était pas étayée par des éléments de preuve documentaire, comme des rapports de police ou des rapports médicaux. Cependant, l’analyse de l’agent ne précise pas le motif qui permettrait de douter de la crédibilité de la preuve produite par la famille de la demanderesse, en particulier de la preuve contenue dans l’affidavit de septembre 2016 de la fille de Mme Pompey, dans lequel celle-ci affirme que son père continue de s’informer au sujet de Mme Pompey et qu’il a menacé cette dernière de s’en prendre à elle si elle rentrait à Saint‑Vincent. En outre, l’agent n’a pas non plus fait référence à l’absence de rapport de police ou de rapport médical et n’a fait mention d’aucun élément de preuve corroborant qu’il aurait pu s’attendre à recevoir de la part de Mme Pompey ou des membres de sa famille concernant l’intérêt continu du mari de la demanderesse envers elle. En l’absence d’une telle analyse, je ne peux pas conclure que les observations de l’agent concernant l’absence d’éléments de preuve corroborants et la partialité des membres de la famille de la demanderesse représentent un motif valable pour écarter leur preuve.

[19]  En ce qui a trait à l’observation de l’agent sur le manque de détails concernant les sévices dans la preuve produite par les membres de la famille de la demanderesse, j’accepte que l’absence de tels détails puisse représenter un motif légitime d’accorder peu de valeur probante à cette preuve. Comme le fait remarquer l’agent, l’affidavit de la sœur de Mme Pompey indique seulement que la relation entre Mme Pompey et son mari était très violente, tandis que la fille de la demanderesse, dans son affidavit, affirme seulement avoir été témoin de certains sévices. Il s’agit effectivement de détails très minces. Cependant, les affidavits de 2015 contenaient davantage de détails sur les sévices, de sorte qu’il devient nécessaire d’analyser la première question soulevée par la demanderesse, soit celle qui se rapporte à l’assistance inefficace de son ancien conseil.

B.  La demanderesse a‑t‑elle été privée de son droit à l’équité procédurale en raison de l’assistance inefficace de son ancien conseil?

[20]  La Cour a statué que, pour établir un manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence d’un conseil, il faut établir que l’issue de l’affaire aurait été différente n’eût été l’incompétence (voir la décision Galyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 250, au paragraphe 84). Autrement dit, un demandeur doit montrer non seulement que son conseil était incompétent ou inefficace, mais aussi qu’il a subi un préjudice en conséquence. En l’espèce, étant donné que l’ancien conseil de Mme Pompey et le défendeur ont tous deux reconnu l’incompétence ou l’inefficacité, l’analyse de la Cour doit porter sur l’existence d’un préjudice subi en conséquence.

[21]  Dans la décision Brown c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 56, la Cour a déclaré que l’incompétence du conseil ne constitue un manquement aux principes de justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires » et que le demandeur doit démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue du procès aurait été différente n’eût été l’incompétence de son représentant. En revanche, Mme Pompey se reporte à l’affaire Srignanavel, dans laquelle l’incompétence alléguée découlait d’une erreur administrative involontaire, où l’avocat du demandeur a omis de déposer des observations écrites à l’appui de la demande d’ERAR de celui‑ci. Le juge Brown a statué, aux paragraphes 18 à 21, que, pour une erreur de cette nature, il n’était pas nécessaire d’établir selon la prépondérance des probabilités que le demandeur aurait eu gain de cause n’eût été l’erreur. Le demandeur devait plutôt seulement démontrer qu’il existe une cause raisonnablement défendable suivant laquelle, n’eût été l’erreur en question, le résultat aurait pu être différent. J’arrive à la conclusion que le manquement du conseil de Mme Pompey dans la présente affaire est suffisamment semblable à celui de l’avocat dans l’affaire Srignanavel, et que le critère établi par la Cour à cet égard devrait être appliqué.

[22]  Pour en revenir à l’observation de l’agent quant au manque de détails concernant les sévices dans la preuve des membres de la famille de la demanderesse, les affidavits de 2015 contiennent davantage de détails que les affidavits de 2016. Dans son affidavit, Mme Pompey affirme que son mari l’a agressée tant de fois qu’elle ne se souvient plus exactement du nombre exact de fois. Elle affirme qu’elle a eu des yeux tuméfiés et des ecchymoses, qu’elle a reçu des gifles et que son mari a agressé son oncle avec une machette. Elle explique également les circonstances qui pouvaient déclencher les sévices, par exemple si elle s’informait au sujet des autres femmes qu’il avait rencontrées, s’il n’y avait plus de nourriture dans la maison ou si elle lui répliquait, et ajoute que sa fille Omishca a été témoin des coups qu’elle a reçus.

[23]  L’affidavit qu’Omishca a souscrit en 2015 présente d’autres précisions. Elle se remémore les nombreuses fois où son père a perdu le contrôle et s’est montré violent. Elle affirme qu’il a frappé son grand‑père et qu’il a attaqué son cousin avec une machette. Elle se souvient qu’il a giflé sa mère et l’a battue parce qu’elle lui avait demandé s’il voyait une autre femme.

[24]  La Cour ne peut savoir à quel point les détails supplémentaires contenus dans les affidavits de 2015 auraient pu influencer l’analyse que l’agent a faite de la preuve. Toutefois, étant donné que celui‑ci a précisément fait référence au manque de détails, que le défendeur fait valoir comme un motif de confirmer la décision de l’agent d’écarter les affidavits de la famille de la demanderesse, je suis d’avis que Mme Pompey a présenté un argument raisonnablement défendable, soit que si son ancien conseil n’avait pas commis d’erreur et qu’il avait présenté ces éléments de preuve à l’agent, l’issue aurait pu être différente. Cette erreur de son ancien conseil a causé un préjudice à Mme Pompey sous la forme d’un manquement à l’équité procédurale. En conséquence, la décision de l’agent d’accorder peu de poids et de valeur probante à la preuve présentée par la famille de la demanderesse ne peut être jugée raisonnable, étant donné l’observation de l’agent quant au manque de détails dans la preuve.

[25]  Comme je l’ai soulevé précédemment, la décision de l’agent reposait sur deux conclusions cruciales. La deuxième conclusion, selon laquelle Mme Pompey n’a pas démontré qu’elle ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État à Saint‑Vincent, aurait été déterminante quant à l’issue de la demande d’ERAR même si l’agent avait accepté le fait que Mme Pompey était exposée à un risque prospectif. Cependant, la conclusion de l’agent relativement à la protection de l’État reposait au moins partiellement son observation selon laquelle Mme Pompey n’a pas demandé la protection de la police dans son pays. L’agent ne disposait pas de la preuve contenue dans les affidavits de 2015, qui indiquent que Mme Pompey a porté plainte à la police, mais que le poste de police le plus près de chez elle était administré par le cousin de son mari. Lorsque ce dernier est rentré à la maison, il savait que son épouse l’avait dénoncé à la police. Il l’a battue et elle en a conclu qu’elle ne pourrait pas retourner le dénoncer à la police.

[26]  En ce qui concerne cet élément de preuve, le défendeur affirme que les incapacités locales à assurer une protection policière ne suffisent pas à démontrer une absence de protection de l’État. En effet, l’agent a noté que l’accès aux services policiers ne se limite pas au fait d’aller voir un gendarme en poste. Bien que j’accepte l’argument du défendeur comme quoi l’analyse des incapacités locales ne suffit pas à elle seule pour conclure à l’absence de protection de l’État, en l’espèce, l’erreur commise par l’ancien conseil de Mme Pompey a empêché l’agent de tenir compte de la preuve des efforts que Mme Pompey avait déployés pour bénéficier de la protection de la police et des résultats de ces efforts.

[27]  Comme dans le cas de l’autre conclusion cruciale, la Cour ne peut savoir précisément en quoi l’examen de cette preuve aurait pu influer sur l’analyse de la protection de l’État menée par l’agent. Cependant, compte tenu particulièrement de la preuve selon laquelle Mme Pompey a été agressée en conséquence directe de l’unique signalement qu’elle avait fait à la police, je suis là encore convaincu qu’elle a soulevé un argument raisonnablement défendable suivant lequel l’issue aurait pu être différente si son ancien conseil n’avait pas commis d’erreur et qu’il avait présenté cette preuve à l’agent.

VI.  Conclusion

[28]  J’ai analysé les deux premières questions soulevées par la demanderesse et je suis convaincu que la combinaison de celles‑ci justifie l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de sa demande d’ERAR à un autre agent pour nouvelle décision. La Cour n’a donc pas à tirer une conclusion concernant la troisième question, qui soulève d’autres arguments concernant l’analyse relative à la protection de l’État effectuée par l’agent.

[29]  Les parties n’ont proposé aucune question en vue de la certification et le dossier n’en révèle aucune.


JUGEMENT dans IMM-199-17

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent en vue qu’une nouvelle décision soit rendue. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-199-17

INTITULÉ :

LLANA MAGNOLA POMPEY C MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 29 JUIN 2017

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AOÛT 2017

COMPARUTIONS :

Adrienne Lei

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adrienne Lei

Avocate

Dewart Gleason LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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