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Date : 20170829


Dossier : IMM-548-17

Référence : 2017 CF 780

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 29 août 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

KENRICK KIRK HOWARD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Kenrick Kirk Howard, sollicite le contrôle judiciaire du refus par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de sa demande en vue d’être déclaré personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Barbade. Son histoire comme résident du Canada, pour le moins mouvementée, a été ponctuée d’expulsions et de retours. Il est d’abord arrivé au Canada en 1978 à titre de résident permanent. Il a été déclaré coupable d’infractions criminelles au Canada qui lui ont valu une première expulsion en 1989.

[3]  Après son retour au pays, il a de nouveau été frappé d’une mesure d’expulsion du Canada en avril 2011.

[4]  Il est par la suite revenu au Canada en passant par un point d’entrée inconnu, à une date indéterminée. En février 2016, il a attiré l’attention de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et a été mis en détention. Il est toujours détenu.

[5]  En 2016, le demandeur a soumis une demande d’ERAR dans laquelle il fait valoir que sa bisexualité et le fait qu’il soit porteur du VIH/sida l’exposent à un risque de persécution s’il est renvoyé à la Barbade. Il ajoute qu’il n’aurait pas accès aux soins de santé requis par son état dans son pays d’origine. Son avocat a demandé la tenue d’une audience dans ses observations.

[6]  Dans l’affidavit joint à sa demande d’ERAR, le demandeur affirme qu’il a commencé à fréquenter un homme à la Barbade et à vivre avec lui en 2010. Il a déclaré sous serment que son conjoint était décédé du sida en 2012. Après le décès de son ami, le demandeur a été sommé de déménager. Une femme a ébruité l’information concernant son orientation sexuelle et le fait qu’il était atteint du sida dans la maison où il habitait. Le demandeur a déclaré sous serment qu’il a été attaqué et menacé d’être jeté à l’océan. Il est clair selon lui qu’il a été visé parce qu’il était bisexuel et atteint du sida.

[7]  Dans sa déposition, le demandeur a affirmé que le jour après avoir reçu cette menace, un ami l’a reconduit à l’aéroport et il a quitté la Barbade.

[8]  Le demandeur n’a donné aucune précision sur la destination envisagée à ce moment.

[9]  Il n’a pas demandé la protection de la police, qui de toute façon lui aurait été refusée puisque [traduction] « les actes bisexuels sont illégaux à la Barbade ». Dans son affidavit, il exprime ses craintes d’être persécuté par la police de la Barbade s’il devait y retourner.

[10]  L’agent a jugé que le demandeur n’a pas réussi à établir son orientation bisexuelle et son diagnostic de VIH/sida. Par conséquent, il a accordé peu de poids aux éléments de preuve documentaire présentés relativement à la discrimination et à la violence visant les personnes de la communauté LGBT ou atteintes du VIH/sida à la Barbade.

[11]  L’agent a relevé des incohérences dans les dates liées à la relation bisexuelle entretenue par le demandeur avec un homme à la Barbade, qui selon ses dires aurait commencé en 2010. L’agent a noté que lors de l’interrogatoire subi en février 2016, le demandeur avait déclaré à l’ASFC qu’il était revenu au Canada en 2014. Il est consigné au dossier que le demandeur a été renvoyé du Canada en avril 2011. Voici la conclusion de l’agent : [traduction] « Le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est bisexuel. J’ai donc accordé peu de valeur à cette affirmation. »

[12]  L’agent a déduit des documents sur la situation qui règne à la Barbade que son modèle de démocratie est fonctionnel, même s’il est imparfait, et que l’État fait des efforts pour protéger ses citoyens.

[13]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur reproche à l’agent de l’avoir spolié de son droit à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience et en le privant par conséquent de la possibilité de dissiper les doutes quant à sa crédibilité, tel qu’il est prévu à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR). Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent concernant l’insuffisance de preuve constitue en fait une conclusion déguisée sur la crédibilité.

[14]  Le demandeur fait aussi valoir que l’agent n’a pas fait une lecture raisonnable des documents concernant la situation dans son pays d’origine et que sa conclusion quant à la protection que lui offre l’État n’est pas plus raisonnable.

[15]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) estime que l’agent a raisonnablement conclu que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause et qu’une audience n’était pas requise. Il soutient en outre qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur n’est pas une personne à protéger et qu’il peut compter sur la protection de l’État à la Barbade.

[16]  En bref, le défendeur considère que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

[17]  La première question qui se pose est celle de la norme de contrôle applicable.

[18]  Le demandeur soutient que le refus de lui accorder une audience sur la question de la crédibilité constitue un manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte. Le défendeur rétorque qu’en l’espèce, la question de l’équité procédurale peut être examinée selon la norme de la décision raisonnable, tel que l’a établi notre Cour dans la décision Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275.

[19]  Je privilégie quant à moi le point de vue orthodoxe selon lequel les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada au paragraphe 79 de l’arrêt Mission Institution c Khela, [2014] 1 RSC 537.

[20]  La conclusion de l’agent relativement à la protection offerte par l’État s’examine suivant la norme de la décision raisonnable; voir à ce titre la décision Omid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 202, au paragraphe 3.

[21]  La question suivante à trancher est de savoir si l’agent a rendu une conclusion « déguisée » sur la crédibilité en évoquant l’insuffisance de la preuve dans sa conclusion comme quoi le défendeur n’était pas parvenu à établir le fondement de sa demande d’asile.

[22]  Le demandeur met en relief les remarques de l’agent au sujet des incohérences dans la chronologie de sa relation bisexuelle à la Barbade, qu’il prétend avoir entamée en 2010 alors qu’il vivait toujours au Canada. L’on trouve dans le dossier certifié du tribunal une « attestation de départ » signée par le demandeur le 15 avril 2011 et faisant état de son expulsion du Canada.

[23]  L’agent a relevé une divergence entre les déclarations que fait le demandeur dans l’affidavit joint à sa demande d’ERAR et d’autres éléments de preuve indiquant qu’il avait été présent au Canada jusqu’au 15 avril 2011. À cause de cette divergence, l’agent n’a pas accordé crédit à l’affirmation du défendeur concernant sa bisexualité, sur laquelle il fonde sa demande de protection au Canada contre la Barbade.

[24]  Par ailleurs, l’agent a conclu que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants de son diagnostic de VIH/sida, en faisant remarquer qu’il est seulement question dans les lettres de l’Ordre des chirurgiens et médecins de l’Ontario [traduction]  « de déséquilibres du système immunitaire et d’un état d’immunodéficience chronique ». Les explications de l’agent sont les suivantes : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve fournis par le demandeur suffisent pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est atteint du VIH/sida, et j’ai donc accordé peu de valeur à cette affirmation. »

[25]  L’article 167 du RIPR dispose que :

Pour l’application de l’alinéa 113b) de la LIPR, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la LIPR qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[26]  Se fondant sur la décision de notre Cour dans l’affaire Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, le demandeur soutient que l’agent aurait dû lui donner la possibilité de dissiper les doutes soulevés par la divergence entre son affidavit et le dossier relativement à son expulsion le 15 avril 2011. Il estime qu’il avait droit à une audience pour plaider ses arguments.

[27]  Compte tenu de la décision Zmari, précitée, je partage l’avis du demandeur selon lequel l’agent a rendu une conclusion « déguisée » sur sa crédibilité, et j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire. Il est inutile d’aborder les autres questions soulevées.

[28]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il l’examine à nouveau. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il l’examine à nouveau. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-548-17

INTITULÉ :

KENRICK KIRK HOWARD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 août 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 29 août 2017

COMPARUTIONS :

Keith MacMillan

Pour le demandeur

Norah Dorcine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Hamilton (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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