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Date : 20170824


Dossier : IMM-642-17

Référence : 2017 CF 785

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 24 août 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ADANNEYA UGA IROHA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire démontre la nécessité de reconnaître, d’admettre et de comprendre toute l’affaire, motivée par des motifs, aussi brefs soient-ils, rendus dans une décision. Dans toute évaluation de la crédibilité, il est essentiel que les motifs, même s’ils sont réduits au minimum, démontrent une analyse complète de l’affaire. Ce principe n’a pas été respecté convenablement en ce qui concerne le témoignage de la demanderesse et la preuve clé au dossier.

II.  Nature de l’affaire

[2]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI ou Commission) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en date du 19 janvier 2017 maintenant la mesure de renvoi prise par un agent des visas (agent) pour le défaut de la demanderesse de se conformer à ses obligations de résidence à titre de résidente permanente en application de l’article 28 de la LIPR.

III.  Exposé des faits

[3]  La demanderesse est âgée de 41 ans et est une citoyenne du Nigéria. Elle a été parrainée en 2006 par son mari, un citoyen canadien, et a obtenu la résidence permanente au Canada le 3 juin 2008. Elle est restée au Canada pendant 42 jours avant de retourner au Nigéria le 15 juillet 2008, où elle est restée dix mois et demi. Selon l’exposé circonstancié de la demanderesse, elle était accompagnée de son mari qui travaillait au Nigéria. Elle prétend avoir quitté son emploi à la banque au Nigéria le 31 mai 2009 et a déménagé au Canada.

[4]  Le 20 juin 2013, la demanderesse est arrivée au Canada du Nigéria, s’est présentée à un comptoir d’immigration de l’aéroport et a demandé à présenter une demande pour une nouvelle carte de résidente permanente, car la sienne expirait le jour même.

[5]  Après l’avoir fouillée et interrogée, l’agent a conclu que la demanderesse avait omis de se conformer à l’article 28 de la LIRP, à savoir ses obligations de résidence exigeant une présence physique au Canada pendant au moins 730 jours au cours d’une période quinquennale consécutive. Par conséquent, la demanderesse était considérée comme interdite de territoire et une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre elle le 20 juin 2013, conformément à l’alinéa 41b) de la LIPR.

[6]  La demanderesse a interjeté appel de la mesure de renvoi prise par l’agent.

[7]  Le 18 avril 2016, la Section d’appel de l’immigration a demandé à la demanderesse de présenter des observations écrites et des éléments de preuve pour appuyer son appel au plus tard le 9 mai 2016. La demanderesse s’est vu accorder un report et lesdits documents ont été déposés le 1er août 2016.

[8]  Le 28 novembre 2016, huit jours avant l’audience, l’Agence des services frontaliers du Canada a déposé des documents en preuve pour appuyer la mesure de renvoi. Le 30 novembre 2016, l’avocat de la demanderesse, Me Ferdoussi, a demandé le report de l’audience étant donné que les documents avaient été divulgués par le ministre moins de 20 jours avant l’audience, et qu’il n’était pas en mesure de discuter du contenu de ces documents avec la demanderesse avant l’audience.

IV.  Décision contestée

[9]  Le 6 décembre 2016, la Section d’appel de l’immigration a refusé l’ajournement et une audience a eu lieu, avec un autre avocat, Me Hasa, représentant la demanderesse.

[10]  Le 19 janvier 2017, la Section d’appel de l’immigration a décidé que, selon la prépondérance des probabilités, la mesure de renvoi prise par l’agent était valide en droit et a rejeté l’appel de la demanderesse. La Commission a conclu que la demanderesse était interdite de territoire en raison de son défaut de se conformer à son obligation de résidence établie à l’article 28 de la LIPR, et a refusé de lui accorder une mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire.

[11]  La Section d’appel de l’immigration n’était pas convaincue que la demanderesse avait respecté son obligation de résidence de 730 jours au cours de la période de référence quinquennale allant du 20 juin 2008 au 20 juin 2013. La Commission a conclu que les timbres dans son passeport étaient une preuve non concluante de sa présence au Canada, et que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve suffisante et satisfaisante de sa présence physique au Canada. La demanderesse avait fourni à son avocat des déclarations de revenus, indiquant son revenu annuel comme coiffeuse au Canada; cependant, les documents n’avaient pas été déposés en temps opportun devant la Section d’appel de l’immigration. La Commission a aussi tiré une conclusion défavorable de l’identité professionnelle et des cartes professionnelles trouvées en sa possession à son arrivée à l’aéroport le 20 juin 2013. Celles-ci indiquaient son poste à titre d’employée de banque au Nigéria.

[12]  La Section d’appel de l’immigration a aussi examiné les éventuels motifs d’ordre humanitaire.

[13]  La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé un établissement initial et continu au Canada. La Commission a noté que la demanderesse était toujours légalement mariée à son mari, même s’ils s’étaient séparés à la fin de 2012, et a constaté une contradiction dans son témoignage, affirmant que la séparation était attribuable à l’infidélité de son mari, alors qu’elle avait déclaré le 20 juin 2013 que les problèmes relatifs à son mariage étaient liés à l’impossibilité d’avoir des enfants. Aucune autre preuve appuyant des liens familiaux au Canada n’a été fournie par la demanderesse, ce qui a été un autre élément négatif dans l’évaluation de la Commission.

[14]  La Commission a aussi examiné l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse, une fille âgée de deux ans, née au Canada et dont le père réside au Nigéria. Aucune preuve n’a été déposée par la demanderesse concernant l’enfant et aucun argument n’a été présenté à l’audience. La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de demeurer avec ses deux parents, et qu’en tant que citoyenne canadienne, elle serait toujours en mesure de retourner au Canada à l’avenir. Enfin, la Section d’appel de l’immigration n’était pas convaincue que la demanderesse et sa fille subiraient des difficultés au Nigéria si la demanderesse se voyait refuser l’entrée au Canada. La demanderesse n’a présenté aucune preuve orale ou documentaire pour appuyer son affirmation et la Commission a noté qu’elle avait vécu presque toute sa vie au Nigéria, qu’elle avait occupé un emploi rémunéré de 2001 à 2009 et avait reçu une promotion en 2006, et qu’elle avait encore de la famille là-bas.

V.  Questions en litige

[15]  Les parties soulèvent les questions en litige suivantes :

  1. La commissaire de la Section d’appel de l’immigration a-t-elle enfreint l’équité procédurale en omettant d’être impartiale et de paraître impartiale?

  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que la mesure de renvoi était valide en droit et en omettant d’accorder du poids au témoignage oral de la demanderesse?

  3. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire?

[16]  La question de l’équité procédurale doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, alors que la décision de la Section d’appel de l’immigration quant à la validité de la mesure de renvoi et du refus d’octroyer une mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et l’intérêt supérieur de l’enfant, à cet égard, doit faire l’objet d’un contrôle en application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 43 et 59).

VI.  Dispositions pertinentes

[17]  L’article 48 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, prévoit le changement de la date ou de l’heure d’une procédure :

Demande de changement de la date ou de l’heure d’une procédure

Application to change the date or time of a proceeding

48 (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

48 (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

Forme et contenu de la demande

Form and content of application

(2) La partie :

(2) The party must

a) fait sa demande selon la règle 43, mais n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle;

(a) follow rule 43, but is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration; and

b) indique dans sa demande au moins six dates, comprises dans la période fixée par la Section, auxquelles elle est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

(b) give at least six dates, within the period specified by the Division, on which the party is available to start or continue the proceeding.

Procédure dans deux jours ouvrables ou moins

Application received two days or less before proceeding

(3) Dans le cas où les destinataires reçoivent la demande deux jours ouvrables ou moins avant la procédure, la partie doit se présenter à la procédure et faire sa demande oralement.

(3) If the party’s application is received by the recipients two working days or less before the date of a proceeding, the party must appear at the proceeding and make the request orally.

Éléments à considérer

Factors

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

b) le moment auquel la demande a été faite;

(b) when the party made the application;

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

f) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

(f) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

g) tout report antérieur et sa justification;

(g) any previous delays and the reasons for them;

h) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

(h) whether the time and date fixed for the proceeding were peremptory;

i) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable;

(i) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings; and

j) la nature et la complexité de l’affaire.

(j) the nature and complexity of the matter to be heard.

Obligation de se présenter aux date et heure fixées

Duty to appear at the proceeding

(5) Sauf si elle reçoit une décision accueillant sa demande, la partie doit se présenter à la date et à l’heure qui avaient été fixées et être prête à commencer ou à poursuivre la procédure.

(5) Unless a party receives a decision from the Division allowing the application, the party must appear for the proceeding at the date and time fixed and be ready to start or continue the proceeding.

[18]  L’article 28 de la LIPR prévoit les obligations en matière de résidence que doivent respecter les résidents permanents :

Obligation de résidence

Residency obligation

28 (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

28 (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

(i) il est effectivement présent au Canada,

(i) physically present in Canada,

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent,

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

(b) it is sufficient for a permanent resident to demonstrate at examination

[BLANK]

(i) if they have been a permanent resident for less than five years, that they will be able to meet the residency obligation in respect of the five-year period immediately after they became a permanent resident;

[BLANK]

(ii) if they have been a permanent resident for five years or more, that they have met the residency obligation in respect of the five-year period immediately before the examination; and

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

[19]  L’article 41 de la LIPR établit l’interdiction de territoire d’un ressortissant étranger :

Manquement à la loi

Non-compliance with Act

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41 A person is inadmissible for failing to comply with this Act

[BLANK]

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

[BLANK]

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

VII.  Discussion

[20]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

[21]  La présente affaire démontre la nécessité de reconnaître, d’admettre et de comprendre toute l’affaire, motivée par des motifs, aussi brefs soient-ils, rendus dans une décision. Dans toute évaluation de la crédibilité, il est essentiel que les motifs, même s’ils sont réduits au minimum, démontrent une analyse complète de l’affaire. Ce principe n’a pas été respecté convenablement en ce qui concerne le témoignage de la demanderesse et la preuve clé au dossier.

A.  La commissaire de la Section d’appel de l’immigration a-t-elle enfreint l’équité procédurale en omettant d’être impartiale et de paraître impartiale?

[22]  La Cour conclut que la Section d’appel de l’immigration avait le droit de refuser l’ajournement. Le 2 décembre 2016, la Section d’appel de l’immigration a rejeté la demande de changement de date de la demanderesse en raison de la production tardive de documents par le ministre (copie certifiée du Tribunal, aux pages 70 et 71). Le tribunal a noté que la réponse appropriée aurait été de contester leur production lors de l’audience du 6 décembre 2016, ce que la demanderesse n’a pas fait. Le fait d’envoyer Me Hasa le 6 décembre 2016 pour obtenir un ajournement qui avait déjà été refusé par la Commission est, au mieux, discutable.

[23]  La Cour conclut également que la commissaire de la Section d’appel de l’immigration n’était ni partiale sur le fond de l’affaire ni ne semblait l’être. Il semble que la commissaire tentait de comprendre les arguments soulevés par Me Hasa, démontrant que la commissaire de la Section d’appel de l’immigration était, en fait, impartiale (copie certifiée du tribunal, à la page 237). Me Hasa a tenté de déposer des documents d’impôt sur le revenu le jour de l’audience, sans expliquer pourquoi il ne l’avait pas fait en août. L’avocat de la demanderesse s’attendait à ce que l’affaire soit ajournée, ce qui n’a pas eu lieu. Aucune excuse n’a été donnée pour que la commissaire accorde un tel ajournement. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le représentant du ministre avait bien déposé des éléments de preuve en retard, et que la demanderesse n’avait pas eu suffisamment de temps de préparation pour répondre au dépôt tardif de documents par le défendeur; et que la demanderesse n’avait pas été autorisée à déposer des documents tardivement.

B.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en concluant que la mesure de renvoi était valide en droit et en omettant d’accorder du poids au témoignage oral de la demanderesse?

1)  Arguments de la demanderesse

[24]  La demanderesse prétend que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en rejetant son témoignage fluide, cohérent et honnête, qui était exempt de toute contradiction. Les questions posées par l’agent à l’aéroport ont aussi été posées à l’audience, et la demanderesse a donné des réponses vraisemblables à chacune d’elles. La demanderesse a expliqué qu’elle avait subi un mauvais traitement à l’aéroport et qu’elle avait fait l’objet de profilage racial. Elle a démontré qu’elle avait résidé au Canada pendant 1 132 jours, bien au-delà de l’exigence minimale de 730 jours, ce qui est attesté par les timbres dans ses passeports. En conséquence, elle a démontré que l’agent qui avait pris la mesure de renvoi l’avait fait pour des motifs erronés, comme l’absence de timbres d’entrée au Nigéria, alors que ces timbres se trouvaient en fait dans un autre passeport, comme cela a été prouvé devant la Section d’appel de l’immigration.

[25]  Par conséquent, la commissaire de la Section d’appel de l’immigration a omis d’accorder le poids mérité au témoignage de la demanderesse et à la preuve présentée.

2)  Arguments du défendeur

[26]  Le défendeur soutient que la demanderesse a attaqué la validité légale de la mesure de renvoi, mais ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver qu’elle avait accumulé le nombre de jours requis pendant la période de référence quinquennale. La demanderesse n’a pas été en mesure de justifier par une preuve crédible ses allégations selon lesquelles elle avait résidé à Montréal pendant 1 132 jours, ni à l’aéroport le 30 juin 2013 ni lors de l’audience le 6 décembre 2016, bien qu’elle ait divulgué ses passeports nigériens dans lesquels les timbres d’entrée du Nigéria étaient manquants. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas fourni de preuve satisfaisante de sa présence physique au Canada. La Commission n’a pas été en mesure de vérifier le nombre de jours de présence au Canada à la lumière de la preuve soumise par la demanderesse, il était loisible à la Section d’appel de l’immigration d’exiger d’autres éléments de preuve pour établir la présence de la demanderesse pendant la période pertinente (Haddad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 976, aux paragraphes 24 et 25).

3)  Discussion

[27]  L’évaluation par l’agent de l’obligation de résidence de la demanderesse est problématique. Il semble que Mme Iroha totalisait bien plus que 730 jours de présence au Canada (copie certifiée du tribunal, à la page 37); cependant, les cartes professionnelles trouvées dans ses bagages sont, en soi, problématiques (copie certifiée du tribunal, à la page 26). Pourquoi voyagerait-elle avec de telles cartes d’identité si elle avait quitté son emploi au Nigéria quatre ans plus tôt? L’agent peut avoir eu des doutes valables quant à la crédibilité d’éléments importants de l’affaire; cependant, l’affaire n’avait pas été examinée intégralement.

[28]  Bien entendu, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation de la crédibilité par la Section d’appel de l’immigration, si cette évaluation est transparente, intelligible et raisonnable sur le fond.

[29]  Des contradictions mineures sont évidentes dans l’exposé circonstancié de la demanderesse. Qu’elle ait eu des difficultés maritales en raison de l’infidélité de son mari ou de leurs difficultés à concevoir un enfant, il est crédible qu’elle ait soulevé ces questions à l’aéroport en 2013 et au moment de l’audience en 2016.

[30]  Il est acquis en matière jurisprudentielle que les timbres de passeport seuls ne sont pas un indicateur de la présence physique d’un résident permanent au Canada; cependant, voici ce que la demanderesse a présenté en preuve : un bail échu pour un logement où elle avait résidé officiellement à Montréal en 2008-2009, bien qu’ils se trouvaient tous les deux au Nigéria pour le travail, une lettre et un dossier médical affirmant que sa mère était malade au Nigéria. Il incombait à la demanderesse de prouver qu’elle vivait au Canada entre 2008 et 2013. Les documents soumis ne suffisent tout simplement pas à réfuter les conclusions de l’agent.

[31]  La Cour, par conséquent, conclut que la Section d’appel de l’immigration n’a pas commis d’erreur en évaluant la crédibilité de la demanderesse seulement sur cette question en particulier.

C.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire?

1)  Arguments de la demanderesse

[32]  La demanderesse soutient que l’analyse par la Section d’appel de l’immigration des motifs d’ordre humanitaire a été faite sans fondement dans la preuve, et contre le témoignage non contesté, fluide et cohérent de la demanderesse. La Section d’appel de l’immigration a omis de fournir une justification raisonnable quant à la manière dont la preuve soumise par la demanderesse pour appuyer son établissement au Canada – la naissance de son enfant né au Canada, son travail comme coiffeuse et la production de déclarations de revenus chaque année depuis les 6 dernières années, en plus d’un témoignage fluide et cohérent – n’avait pas prouvé son établissement de façon continue au Canada (Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292).

[33]  La demanderesse prétend en outre que la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle la demanderesse n’avait pas de liens suffisants au Canada alors que son mari et sa fille étaient des citoyens canadiens n’est pas fondée sur la preuve et est considérée comme déraisonnable. La Section d’appel de l’immigration a omis de tenir compte des réponses de la demanderesse dans le formulaire intitulé [traduction] « Perte de statut de résidence permanente : motifs d’ordre humanitaire », dans lequel la demanderesse affirmait qu’elle avait un oncle, des membres de sa famille et un mari au Canada.

[34]  La demanderesse soutient que la Section d’appel de l’immigration avait l’obligation de consulter le cartable national de documentation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié quant à la situation au Nigéria et avait omis de le faire, faisant fi du traitement des enfants au Nigéria. Par conséquent, la Section d’appel de l’immigration a omis de prendre une décision éclairée en ne consultant pas et en ne traitant pas les sources indiquées dans le cartable national de documentation, et a commis une erreur en évaluant l’intérêt supérieur de l’enfant.

2)  Arguments du défendeur

[35]  Le défendeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a mené une évaluation complète de la preuve, notamment le témoignage de la demanderesse et l’ensemble de la preuve documentaire au dossier. La Section d’appel de l’immigration n’a commis aucune erreur de fait importante, et la Commission n’a pas fait fi de la preuve. Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte des principes établis par la jurisprudence suggérant les facteurs pertinents pour les appels liés à l’obligation de résidence, et a pondéré tous les facteurs pertinents à la lumière de toutes les circonstances de l’affaire. Selon le défendeur, il était loisible à la Section d’appel de l’immigration de conclure que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible et que sa preuve contenait des contradictions. La Commission a évalué raisonnablement l’intérêt supérieur de l’enfant comme étant un facteur neutre, et a raisonnablement conclu que le dossier de la demanderesse n’avait pas la preuve nécessaire en ce qui concerne son établissement et ses liens familiaux au Canada, ainsi que ses difficultés. Le défendeur prétend que la demanderesse tente de justifier les lacunes mises en évidence par la Section d’appel de l’immigration en offrant ex post facto des explications déjà rejetées par la Commission.

3)  Discussion

[36]  Le 1er août 2016, la demanderesse a déposé des observations devant la Section d’appel de l’immigration pour appuyer son appel. Le seul facteur d’ordre humanitaire soulevé était la raison donnée pour justifier son déplacement au Nigéria, soit pour rendre visite à sa mère qui était malade. Bien que le fardeau de prouver les motifs d’ordre humanitaire incombe à la demanderesse, les motifs d’ordre humanitaire auraient quand même dû être examinés dans une plus grande mesure par la commissaire de la Section d’appel de l’immigration (copie certifiée du tribunal, aux pages 93 et 94), en ce qui concerne le témoignage entendu.

[37]  La Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse, née au Canada, dans la mesure requise par l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909, 2015 CSC 61 [Kanthasamy] de la Cour suprême (au paragraphe 39). Il est important de noter que Kanthasamy a changé le contexte jurisprudentiel concernant l’intérêt supérieur d’un enfant. Par conséquent, l’obligation de la part d’un décideur est de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant et exige que le décideur suive les directives qui s’y rattachent clairement et particulièrement dans l’arrêt Kanthasamy :

[36]  La protection des enfants par l’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » fait l’objet d’une reconnaissance générale dans le système de justice canadien (A.B. c Bragg Communications Inc., [2012] 2 R.C.S. 567, par. 17). Il s’agit dès lors [traduction] « de décider de ce qui [. . .] dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (MacGyver c Richards (1995), 22 O.R. (3d) 481 (C.A.), p. 489.

[37]  Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, y compris la Convention relative aux droits de l’enfant, soulignent également l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant (R.T. Can. 1992 no 3; Baker, par. 71). En particulier, le par. 3(1) de la Convention consacre la primauté du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant :

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

[38]  Même avant que le principe ne figure expressément au par. 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, notamment dans l’arrêt Baker :

... l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable...

... pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [par. 74-75]

[39]  Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 CF 358 (CA), aux paragraphes 12 et 31; Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 323 F.T.R. 181, aux paragraphes 9 à 12.

(Kanthasamy, précité, aux paragraphes 36 à 39.)

[38]  Par conséquent, la Cour conclut que les motifs de la commissaire de la Section d’appel de l’immigration en ce qui concerne l’absence de motifs d’ordre humanitaire ne sont pas raisonnables à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant.

VIII.  Conclusion

[39]  Le motif principal (compte tenu de l’analyse qui précède) pour accueillir la demande de contrôle judiciaire est l’omission de la part de la commissaire de la Section d’appel de l’immigration concernant le fait qu’elle n’a pas accordé plus de considération à l’intérêt supérieur de l’enfant. Même si elle est très brève, la question de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être traitée de manière appropriée et adéquate, et une conclusion à son égard doit être prise, en soi, non pas en termes ambigus ou vagues, mais avec précision quant à l’enfant en question et au pays d’origine dans lequel l’enfant réside ou dans lequel il devrait retourner. Kanthasamy est une référence, car c’est une exigence essentielle qui doit être respectée, et non une ligne laissée-pour-compte ou une phrase symbolique sans analyse suffisante, spécifique et concluante.

[40]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour une nouvelle évaluation par un autre tribunal.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-642-17

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et le dossier sera renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour une nouvelle évaluation par un autre tribunal. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-642-17

 

INTITULÉ :

ADANNEYA UGA IROHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juillet 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 août 2017

 

COMPARUTIONS :

Laurence Delage

 

Pour la demanderesse

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waice Ferdoussi Attorneys

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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