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Date : 20170908


Dossier : IMM-856-17

Référence : 2017 CF 814

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

WEIZE CHEN (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE WEI ZE CHEN)

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 30 janvier 2017, par laquelle elle a rejeté un appel déposé en application du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre d’une décision d’un agent d’immigration de ne pas délivrer un visa de résident permanent à l’épouse du demandeur.

[2]  Sa demande est rejetée pour les motifs expliqués de façon plus détaillée ci-après. Les évaluations de la Section d’appel de l’immigration concernant la crédibilité étaient raisonnables. Le contexte culturel et les intentions exprimées par les parties à une relation peuvent être pertinents pour déterminer l’existence d’une relation conjugale, ce contexte servant de lentille par laquelle évaluer ces intentions. Cependant, les expressions de l’intention ont peu de valeur lorsque les parties ne s’avèrent pas dignes de foi. Par conséquent, en l’espèce, le fait que la Section d’appel de l’immigration dans sa décision n’ait pas expressément mentionné avoir pris en considération le contexte culturel de la relation des parties ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur, M. Weize Chen, est un ressortissant chinois qui est devenu résident permanent du Canada le 14 novembre 2008. Il était auparavant marié à sa première épouse avec qui il a eu un fils. M. Chen et son épouse actuelle, Mme Xiao Feng Gao, se sont rencontrés en 2005 lorsqu’elle a commencé à travailler dans son entreprise. Ils se sont engagés dans une relation amoureuse, et elle a déménagé chez lui en 2006. Lorsque M. Chen a obtenu la résidence permanente en 2008, il a quitté la Chine pour le Canada, accompagné de son fils. Il n’a pas déclaré Mme Gao comme personne à charge. M. Chen et Mme Gao se sont mariés en Chine le 13 septembre 2011, et Mme Gao a demandé la résidence permanente comme membre de la catégorie du regroupement familial, avec M. Chen comme parrain. Sa demande a été rejetée le 15 mars 2013 au motif que leur relation n’était pas authentique. M. Chen a interjeté appel de cette décision à la Section d’appel de l’immigration.

[4]  Au cours de l’appel, le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), a concédé que le mariage était authentique. Cependant, le ministre a invoqué un motif subsidiaire de refus, affirmant que Mme Gao n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial, en raison de l’effet de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), et parce que M. Chen n’a pas nommé Mme Gao, et qu’elle n’a pas fait l’objet d’un contrôle, lorsque M. Chen a demandé la résidence permanente. L’alinéa 117(9)d) précise qu’un étranger ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial dans le cas où le parrain a présenté auparavant une demande de résidence permanente, est devenu résident permanent et, à l’époque où la demande de résidence permanente a été faite, l’étranger était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

[5]  La position du ministre était que M. Chen et Mme Gao étaient dans une union de fait au moment de l’arrivée de M. Chen le 14 novembre 2008, selon le paragraphe 1(1) du RIPR qui définit un « conjoint de fait » comme une personne qui vit avec une autre dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il n’est pas contesté que M. Chen et Mme Gao vivaient ensemble depuis plus d’un an au moment de l’arrivée de M. Chen. Par conséquent, la question que la Section d’appel de l’immigration devait considérer consistait à déterminer si le couple avait été dans une relation conjugale.

[6]  La Section d’appel de l’immigration a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Chen et Mme Gao vivaient ensemble comme conjoints de fait depuis janvier ou juin 2006 jusqu’en novembre 2008, lorsque M. Chen est arrivé au Canada. La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’ils étaient dans une relation conjugale ou dans une relation « semblable au mariage ». Ils vivaient ensemble, avaient des relations sexuelles, partageaient leurs ressources financières comme ils l’ont fait après le mariage, chacun faisait les achats et cuisinait, et ils prenaient leurs repas ensemble. Ils étaient reconnus comme un couple par leurs familles et, même s’ils n’étaient pas généralement reconnus comme un couple par leurs collègues de travail, ce fait était dû à leurs efforts intentionnels de dissimuler leur relation afin de ne pas nuire au moral du milieu de travail.

[7]  La Section d’appel de l’immigration a aussi tiré un certain nombre de conclusions défavorables quant à la crédibilité concernant M. Chen et à Mme Gao, lesquelles sont examinées plus en détail plus loin dans les présents motifs. Ainsi, la Section d’appel de l’immigration ne les a pas crus lorsqu’ils ont dit qu’ils n’étaient pas dans une relation conjugale. Soulignant que l’application de l’alinéa 117(9)d) ne se limite pas à la non-divulgation délibérée ou frauduleuse des membres de la famille n’accompagnant pas le demandeur, la Section d’appel de l’immigration a affirmé être convaincue que le motif du refus ajouté par le ministre pendant l’appel était valide et a, par conséquent, rejeté l’appel interjeté par M. Chen.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[8]  Le demandeur soumet les questions suivantes à la Cour :

  1. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la totalité de la preuve et en pratiquant un examen microscopique de la preuve concernant la crédibilité du demandeur et de Mme Gao?

  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte du contexte culturel dans lequel la relation préconjugale du demandeur avec Mme Gao a commencé, et par conséquent, en concluant de manière déraisonnable que la relation était une union de fait malgré les éléments de preuve au dossier montrant le contraire?

[9]  Les parties conviennent, et je suis d’accord, que ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

IV.  Discussion

La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la totalité de la preuve et en pratiquant un examen microscopique de la preuve concernant la crédibilité du demandeur et de Mme Gao?

[10]  M. Chen soutient que la Section d’appel de l’immigration a rejeté son appel principalement parce qu’elle a jugé que lui et Mme Gao n’étaient pas dignes de foi en ce qui concerne leur affirmation selon laquelle ils n’étaient pas dans une union de fait à l’époque en cause. Il conteste certaines conclusions individuelles sur la crédibilité et la conclusion défavorable quant à la crédibilité générale.

[11]  M. Chen mentionne en particulier les conclusions d’invraisemblance de la Section d’appel de l’immigration, qui, selon lui, ne sont pas suffisamment claires et évidentes pour résister à un contrôle. La Section d’appel de l’immigration a trouvé invraisemblable le témoignage de M. Chen selon lequel l’agent qui l’a aidé avec sa demande de résidence permanente ne lui a pas demandé s’il était dans une relation, et selon lequel M. Chen a simplement signé la demande après que l’agent l’eut remplie pour lui, sans que le contenu de la demande ne lui soit traduit pour qu’il en vérifie l’exactitude. M. Chen soutient que cette conclusion constitue une erreur susceptible de révision, citant la décision Totaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 853 [Totaram], au paragraphe 27, où le juge Zinn a infirmé le rejet d’un appel par la Section d’appel de l’immigration, concluant qu’il n’est pas impossible ni même improbable qu’un demandeur, qui a remis à la personne chargée de remplir le formulaire ce qu’il croyait être tous les documents pertinents et qui croyait comprendre que cette personne avait toujours eu du succès avec ce genre de démarche, signe le formulaire en question sans l’avoir lu. Le juge Zinn a affirmé que cette hypothèse n’avait rien d’invraisemblable lorsque l’intéressé est par ailleurs considéré comme un témoin honnête et digne de foi.

[12]  J’estime qu’il convient d’établir une distinction d’avec la décision Totaram, en partie, parce que, comme je le décris plus loin, M. Chen n’était pas par ailleurs considéré comme un témoin honnête et digne de foi. La Section d’appel de l’immigration a aussi souligné que, en expliquant pourquoi il n’avait pas inclus Mme Gao dans sa demande d’établissement au Canada, M. Chen a d’abord indiqué qu’elle n’était pas une conjointe de fait puisqu’ils n’étaient pas dans une relation conjugale et a ensuite a tenté de blâmer l’agent pour cette omission. Dans ce contexte, je ne trouve pas qu’il était déraisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de M. Chen en raison de cette explication.

[13]  M. Chen indique également que la Section d’appel de l’immigration a exprimé des doutes quant à l’authenticité d’une lettre fournie par la compagnie de gestion immobilière indiquant à quel moment Mme Gao avait élu domicile chez lui. La Section d’appel de l’immigration avait des doutes parce que l’en-tête anglais de la lettre contenait le terme « Manage » dans le nom de la compagnie, alors qu’il est clair qu’il aurait fallu lire « Management ». Par conséquent, la Section d’appel de l’immigration a soupçonné que la lettre n’était pas authentique et avait été préparée pour renforcer le dossier de M. Chen, lorsque l’authenticité du mariage a été contestée dans sa demande de parrainage. Il soutient que cela constitue encore une fois une conclusion d’invraisemblance, où on applique des normes canadiennes aux pratiques d’une compagnie étrangère, sans se demander si cela était réellement invraisemblable dans ce contexte particulier.

[14]  J’estime que cet argument est dénué de fondement. M. Chen demande à la Cour de soupeser à nouveau cet aspect de la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. De plus, la Section d’appel de l’immigration avait des doutes quant à l’authenticité de la lettre, non seulement en raison de l’erreur dans l’en-tête, mais aussi en raison d’une incohérence entre son contenu et le témoignage du demandeur. La lettre indiquait que Mme Gao avait déménagé chez M. Chen en janvier 2006, et non en juin 2006 comme ce dernier l’a affirmé.

[15]  M. Chen soutient aussi que la Section d’appel de l’immigration a mal interprété son témoignage, concernant ses motivations pour aider la famille de Mme Gao dont le père avait subi une crise cardiaque en 2005. Dans sa décision, la Section d’appel de l’immigration a souligné l’argument de M. Chen, selon lequel il n’était pas dans une union de fait avec Mme Gao avant leur mariage, parce qu’il n’avait pas l’obligation de subvenir aux besoins de ses parents. La Section d’appel de l’immigration n’a pas accepté cet argument, car une partie de l’explication concernant le développement de la relation du couple avait trait au fait que M. Chen a offert de l’aide au père de Mme Gao lorsqu’il a fait une crise cardiaque. M. Chen soutient qu’il est clair dans son témoignage qu’il a fait le choix d’aider le père de Mme Gao, ce qui diffère, à son avis, de la responsabilité morale à l’égard de Mme Gao et de sa famille qu’il a assumée après leur mariage. M. Chen soutient donc que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en concluant qu’il s’était contredit.

[16]  Je ne lis pas la conclusion de la Section d’appel de l’immigration sur ce point comme une conclusion en matière de crédibilité. La Section d’appel de l’immigration a plutôt estimé que l’aide offerte au père de Mme Gao au début de leur relation a miné l’argument de M. Chen selon lequel ils n’étaient pas dans une union de fait avant leur mariage. Je comprends qu’il existe une distinction entre agir par choix et agir par obligation. On pourrait aussi établir une autre distinction entre une obligation légale et une obligation morale, soit le type de responsabilité que M. Chen soutient avoir assumé à l’égard de la famille de Mme Gao après leur mariage. Même si la Section d’appel de l’immigration n’a pas mené une analyse explicite de ces distinctions, elle a souligné à juste titre le fait que l’assistance familiale a été offerte au début de la relation, et je ne peux conclure que cette partie de la décision révèle une méprise de la preuve. Je considère plutôt que la conclusion de la Section d’appel de l’immigration quant à cet élément de preuve appartient aux issues possibles et acceptables, et est donc raisonnable.

[17]  M. Chen souligne aussi la mention faite par la Section d’appel de l’immigration des diverses manières avec lesquelles il a caractérisé sa relation avec Mme Gao. La Section d’appel de l’immigration mentionne le fait que M. Chen a dit qu’elle était comme un membre de la famille, puis a dit qu’il s’agissait d’une relation de travail, puis d’une relation amoureuse, pour dire ensuite qu’ils vivaient simplement ensemble. Cependant, je ne lis pas dans la décision de la Section d’appel de l’immigration qu’elle a tiré une inférence défavorable en matière de crédibilité en raison de ces différentes caractérisations.

[18]  Enfin, M. Chen soutient qu’en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité générale à son égard et à l’égard de Mme Gao, la Section d’appel de l’immigration s’est appuyée sur des incohérences liées à des questions périphériques non pertinentes quant aux événements clés entourant l’existence ou non d’une union de fait. Une fois encore, cet argument n’a guère de fondement. J’accepte qu’une partie des préoccupations en matière de crédibilité relevées par la Section d’appel de l’immigration se rapportaient à des événements moins essentiels que d’autres. Cependant, étant donné le nombre d’incohérences relevées et les doutes en matière de crédibilité exprimés par la Section d’appel de l’immigration, je ne peux conclure que sa conclusion défavorable quant à la crédibilité générale était déraisonnable. Bien que j’accueille l’argument de M. Chen selon lequel un décideur ne devrait pas être trop vigilant ou microscopique dans son examen de la preuve, et que les écarts ou les incohérences doivent être reliés de façon rationnelle à la crédibilité du demandeur, je conclus que l’analyse de la Section d’appel de l’immigration ne peut être qualifiée comme telle.

[19]  Je souligne, par exemple, la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle une lettre envoyée à Mme Gao pour la convoquer à une entrevue le 14 mars 2013 avait été modifiée et que la date avait été remplacée par le 14 mai 2013, dans le but d’appuyer une explication justifiant l’absence de Mme Gao à cette entrevue. Sur ce fondement, la Section d’appel de l’immigration a estimé que Mme Gao n’était dans l’ensemble pas digne de foi et que rien dans ces déclarations ne devait être accepté comme véridique à moins d’être vérifiable. Cette question a aussi soulevé des doutes à la Section d’appel de l’immigration quant à la crédibilité de M. Chen, puisqu’il n’a pas nié que la lettre avait été modifiée, mais a tenté de blâmer pour cela son ex-épouse ou son fils, sans fournir de justification plausible pour une telle explication.

[20]  Ma décision est donc que la Section d’appel de l’immigration a agi raisonnablement dans ses conclusions défavorables sur la crédibilité générale. Comme je l’explique plus loin, ces conclusions influent sur l’analyse de la deuxième question soulevée par M. Chen dans le présent contrôle judiciaire.

La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte du contexte culturel dans lequel la relation préconjugale du demandeur avec Mme Gao a commencé, et par conséquent, en concluant de manière déraisonnable que la relation était une union de fait malgré les éléments de preuve au dossier montrant le contraire?

[21]  L’avocat de M. Chen a expliqué à l’audience du présent contrôle judiciaire que la question principale qu’il souhaitait soulever était que la Section d’appel de l’immigration a tiré sa conclusion selon laquelle la relation était de nature conjugale sans tenir compte du contexte culturel de la relation. Il soutient que les intentions des parties à une relation sont un facteur très important dont il faut tenir compte pour apprécier la nature de la relation, que ces intentions ne peuvent être évaluées que dans un contexte culturel et que la Section d’appel de l’immigration a omis d’entreprendre cette analyse.

[22]  En présentant cette position, l’avocat de M. Chen a souligné qu’il était conscient de la décision rendue dans Savescu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 353, où le juge Mainville a maintenu que le droit roumain, qui ne reconnaît pas le concubinage, importait peu pour déterminer si le demandeur en l’espèce et sa partenaire étaient des conjoints de fait au sens du RIPR. La Cour a souligné que la définition de conjoint de fait n’est pas variable selon le cadre du droit étranger applicable, et que la reconnaisse ou non par une juridiction étrangère du concubinage n’a aucune incidence sur la mise en œuvre du RIPR. M. Chen ne conteste pas cette jurisprudence, et son avocat a pris soin d’expliquer qu’il ne soutenait pas que l’absence de reconnaissance des relations de fait dans le droit chinois empêchait de conclure que lui et Mme Gao était dans une relation conjugale. Son argument est plutôt que le décideur doit être conscient du contexte culturel étranger, et en tenir compte pour évaluer la nature de la relation.

[23]  Le ministre s’oppose à l’argument de M. Chen selon lequel l’analyse de l’existence ou non d’une relation conjugale doit mettre l’accent sur les intentions des parties. Le ministre souligne que la Section d’appel de l’immigration a fait référence à la décision Adjani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 32, où on explique que la portée de l’alinéa 117(9)d) du RIPR ne se limite pas à la non-divulgation délibérée ou frauduleuse des membres de la famille n’accompagnant pas le demandeur, et soutient que les intentions des parties ne sont donc pas pertinentes, ou ont peu d’importance, concernant la conclusion à laquelle la Section d’appel de l’immigration doit parvenir. Je ne souscris pas à cet argument. Même si je reconnais que l’intention de représenter faussement ou d’omettre une information n’est pas pertinente dans l’application de l’alinéa 117(9)d), les arguments du demandeur ne visent pas cette intention.

[24]  M. Chen soutient plutôt que les intentions des parties à une relation doivent être prises en considération pour évaluer la nature de la relation et déterminer s’il s’agit d’une relation pouvant être qualifiée de conjugale. Il mentionne que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c Walsh, 2002 CSC 83, aux paragraphes 43 et 54 à 57, met l’accent sur le fait que les intentions des parties à une relation doivent constituer le fondement permettant de conclure à l’existence ou non d’une relation de fait. Bien que cette affaire ait été tranchée dans un contexte différent, alors que la Cour suprême se penchait sur la question de savoir si le régime de la Nouvelle-Écosse régissant les biens matrimoniaux contrevenait à la Charte parce qu’il ne s’appliquait pas aux conjoints de fait, j’accueille la proposition de M. Chen selon laquelle les intentions des parties à une relation sont pertinentes et, en fait, importantes pour caractériser cette relation.

[25]  Je reconnais également que le contexte culturel entourant les parties peut être pertinent pour évaluer les intentions des parties et par conséquent déterminer la nature de la relation. Bien qu’elle ne soit pas contraignante pour la Cour, la décision de la Section d’appel de l’immigration dans l’affaire McCulloch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 41 Imm LR (3d) 168, est révélatrice, car elle renvoie à la nécessité de tenir compte des différentes mœurs et coutumes, et établit une distinction entre les opinions sociétales et l’acceptation des relations conjugales qui peuvent exister dans différents pays, lorsque l’existence des relations conjugales est évaluée à des fins d’immigration.

[26]  Cependant, cela ne veut pas dire que, lorsqu’il s’agit de déterminer si une relation conjugale existe, cette décision dépend de la façon dont les parties à la relation décrivent subjectivement leurs intentions ou qualifient leur relation. Les intentions peuvent plutôt être évaluées au moyen d’indicateurs tant subjectifs qu’objectifs. Il est acquis de part et d’autre que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt M. c H., [1999] 2 RCS 3 [M. c H.], au paragraphe 59, énonce comme caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale, le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l’image sociétale du couple, tout en reconnaissant que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l’union soit tenue pour conjugale. À mon avis, ces caractéristiques aident à évaluer l’engagement mutuel d’un couple et représentent donc des indicateurs objectifs des intentions du couple. Cela ne veut pas dire que la façon dont les parties à la relation décrivent leurs intentions ne soit pas pertinente pour en déterminer la nature. Cependant, la mesure dans laquelle l’expression de leurs intentions par les parties, par rapport aux indicateurs objectifs de leurs intentions, est utile pour le décideur chargé de déterminer la nature de la relation, dépendra, du moins en partie, de la crédibilité de ces parties.

[27]   C’est dans ce contexte que je ne peux conclure que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur susceptible de révision dans son analyse de la relation entre M. Chen et Mme Gao. Comme il est précisé dans la décision de la Section d’appel de l’immigration, et reconnu par le demandeur, la conclusion de la Section d’appel de l’immigration selon laquelle M. Chen et Mme Gao n’étaient pas dignes de foi en ce qui concerne leur affirmation selon laquelle ils n’étaient pas dans une relation de fait a été déterminante au rejet de leur appel. Je n’ai trouvé aucune erreur susceptible de révision dans les conclusions défavorables sur la crédibilité. Comme je l’ai mentionné plus haut, je reconnais que le contexte culturel peut être pertinent pour déterminer si une relation conjugale existe, un tel contexte représentant la lentille par laquelle sont évaluées les intentions exprimées par les parties à la relation. Cependant, les expressions par les parties de leurs intentions sont peu utiles lorsque les parties ont été trouvées non dignes de foi. Dans ce contexte, j’estime que ce n’est pas une erreur susceptible de révision de la part de la Section d’appel de l’immigration que de ne pas avoir, en l’espèce, expressément mentionné avoir pris en considération le contexte culturel entourant la relation des parties. Le raisonnement de la Section d’appel de l’immigration est transparent et intelligible, et fondé sur les considérations plus objectives énoncées dans l’arrêt M. c H., et le résultat appartient aux issues possibles et acceptables fondées sur la preuve dont était saisie la Section d’appel de l’immigration. Il est donc raisonnable.

[28]  Puisque j’ai conclu que la Section d’appel de l’immigration n’a commis aucune erreur susceptible de révision, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-856-17

INTITULÉ :

WEIZE CHEN (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE WEIZE CHEN) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 8 septembre 2016

COMPARUTIONS :

Joel Sandaluk

Pour le demandeur

Jocelyn Espejo Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Cabinet spécialisé en droit de l’immigration

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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