Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170911


Dossier : IMM-965-17

Référence : 2017 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ZEBIDERU GENENE ASFEW

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 3 février 2017 par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et transmise par un avis de décision daté du 9 février 2017. Cette décision confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, conformément à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), ni une personne à protéger, conformément à l’article 97 de la LIPR.

[2]  Comme il est expliqué avec plus de détails plus loin, la présente demande est rejetée, car les arguments de la demanderesse ne démontrent pas que la décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable.

Résumé des faits

[3]  L’appelante, Mme Zebideru Genene Asfew, est une citoyenne de l’Éthiopie qui dit dans ses allégations craindre d’être persécutée en raison de ses activités politiques, de celles de sa famille en Éthiopie et de ses activités politiques après son arrivée au Canada. Elle dit dans ses allégations être une partisane du parti Semayawi ou parti « Bleu » en Éthiopie et avoir été arrêtée et détenue en avril 2015 pendant une journée après avoir participé à un rassemblement qui a donné lieu à une confrontation avec les autorités gouvernementales. Dans ses allégations, elle dit aussi que des contrats ont été refusés à son entreprise du fait qu’elle n’est pas une partisane du parti du gouvernement et qu’elle craint d’être persécutée, car son époux et son frère sont des membres du parti Bleu et que son époux a été arrêté à plusieurs occasions.

[4]  De plus, Mme Asfew dépose une demande sur place. Après son arrivée au Canada, elle est devenue membre de l’organisme non gouvernemental Unity for Democracy and Human Rights Toronto qui s’oppose aux violations des droits de la personne commises par le gouvernement éthiopien. Sa participation aux activités de cet organisme a été consignée dans les médias sociaux et elle dit dans ses allégations craindre que ses activités au Canada soient portées à la connaissance des autorités éthiopiennes.

[5]  La demande de Mme Asfew a initialement été entendue par la Section de la protection des réfugiés le 18 février 2016, mais, en raison de problèmes en matière d’interprétation, elle a fait l’objet d’une audience de novo le 22 août 2016. La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande par une décision rendue le 12 septembre 2016, après avoir conclu que Mme Asfew n’était pas crédible et que sa crainte de persécution n’était pas bien fondée. Elle a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés, faisant valoir que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en appréciant sa crédibilité et sa demande sur place. La Section d’appel des réfugiés a admis de nouveaux éléments de preuve en appel, surtout pour faire le point sur les conditions actuelles en Éthiopie à la suite de la déclaration de l’état d’urgence de 2016, mais elle a conclu que Mme Asfew n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi et crédibles pour démontrer que la persécution qu’elle dit craindre était bien fondée. La Section d’appel des réfugiés a par conséquent confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés.

Questions en litige et norme de contrôle

[6]  La demanderesse formule à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la demande sur place de la demanderesse?

  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en décidant que la demanderesse ne présentait pas le profil politique ciblé en Éthiopie, compte tenu notamment de la déclaration de l’état d’urgence en 2016?

  3. La conclusion rendue par la Section d’appel des réfugiés sur la crédibilité était-elle raisonnable?

[7]  Il n’est pas controversé entre les parties que l’examen de ces questions se fait selon la norme de la décision raisonnable, et c’est mon avis également.

Discussion

La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la demande sur place de la demanderesse?

[8]  Mme Asfew précise que la Section d’appel des réfugiés a accepté le fait qu’elle ait participé à un certain nombre de réunions et de rassemblements au Canada lors desquels des politiciens de l’opposition d’Éthiopie se sont affichés et/ou les manifestants brandissaient des pancartes sur lesquelles des messages critiquant le gouvernement éthiopien avaient été écrits. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés a affirmé que la question sur laquelle elle devait se pencher consistait à examiner si ces activités avaient été vues par les autorités éthiopiennes ou leurs agents et, le cas échéant, si les circonstances de cette activité justifiaient une crainte de persécution bien fondée.

[9]  Mme Asfew précise également que la Section d’appel des réfugiés a accepté un fait rapporté par les documents décrivant la situation du pays, à savoir que les autorités éthiopiennes surveillent les personnes de la diaspora éthiopienne et qu’il régnait un climat de restriction à l’égard de toute démonstration de dissidence après la déclaration de l’état d’urgence d’octobre 2016. Cependant, elle conteste deux conclusions de la Section d’appel des réfugiés, à savoir, premièrement, qu’il est impossible que les autorités éthiopiennes aient les ressources pour surveiller tous les participants lors de petites manifestations ou protestations, comme celles qui figurent sur les photographies présentées par Mme Asfew et, deuxièmement que, même si l’une de ses activités avait effectivement été surveillée par des agents du gouvernement, son profil est si petit qu’il est peu probable qu’elle apparaisse sur le radar du gouvernement éthiopien ou qu’elle soit ciblée à son retour en Éthiopie. Mme Asfew fait valoir que ces conclusions étaient conjecturales et contredites par les documents de la preuve portant sur les conditions du pays, lesquels indiquent que les autorités éthiopiennes ciblent tous les dissidents en masse.

[10]  L’avocat de Mme Asfew, lorsqu’il lui a été demandé de nommer les éléments de preuve documentaire qui étayaient cet argument, a renvoyé la Cour à certains extraits du rapport du Département d’État des États-Unis intitulé Ethiopia 2015 Human Rights Report (le rapport du Département d’État). Ce rapport fait état du refus du gouvernement éthiopien à l’égard des organismes internationaux des droits de la personne qui demandaient l’accès aux prisonniers, politiques ou non, et aux rapports sur les personnes détenues dans des centres de détention non officiels de tout le pays. À la section intitulée Freedom of Speech and Expression, le rapport du Département d’État relate que les autorités ont arrêté et harcelé des personnes pour avoir critiqué le gouvernement, que des organisations non gouvernementales ont signalé des cas de torture sur ces détenus, que le gouvernement a procédé à l’arrestation de journalistes et d’activistes de l’opposition et qu’il a surveillé les activités de groupes d’opposition politique tout en cherchant à nuire à ces activités. Le rapport donne également une description de la restriction de l’accès à certains contenus sur Internet que le gouvernement éthiopien impose et signale l’usage de logiciels servant à surveiller les activités en ligne des Éthiopiens qui vivent à l’étranger. De plus, Mme Asfew a insisté sur le fait que le rapport du Département d’État a été publié avant la déclaration de l’état d’urgence de 2016.

[11]  S’il n’est pas controversé que ces extraits de la preuve documentaire établissent que le gouvernement éthiopien cible des dissidents politiques, je conclus qu’ils n’étayent pas la proposition de Mme Asfew, à savoir que le gouvernement a la capacité et l’habitude de surveiller et de cibler toutes les personnes qui participent d’une façon quelconque à la dissidence politique. Comme l’a indiqué le défendeur, une partie du rapport du Département d’État parle plus précisément des craintes à l’égard de la détention probable de journalistes, de rédacteurs et d’éditeurs. L’avocat de Mme Asfew a également attiré l’attention de la Cour sur la réponse à une demande d’information qui désignait une lettre que le directeur des affaires de la diaspora éthiopienne au gouvernement éthiopien a adressée aux ambassades de l’Éthiopie en mentionnant la présentation d’une liste de coordonnateurs de groupes d’opposition extrémistes en activité dans la diaspora. Cet élément de preuve appuie, plutôt que contredit, la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle une personne qui aurait selon la même Section un profil politique aussi petit que celui de Mme Asfew ne serait pas ciblée par les autorités éthiopiennes. Par conséquent, je conclus que cet aspect de la décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable et que Mme Asfew n’a relevé aucune erreur susceptible de révision de la part du tribunal.

La Section d’appel des réfugiés a-t-elle commis une erreur en décidant que la demanderesse ne présentait pas le profil politique ciblé en Éthiopie, compte tenu notamment de la déclaration de l’état d’urgence le 8 octobre 2016?

[12]  Selon l’argument de Mme Asfew à cet égard, la Section d’appel des réfugiés s’est concentrée indûment sur les éléments de preuve de la persécution subie par elle-même ou les membres de sa famille et elle n’a pas reconnu que, du fait d’être membre d’une famille de dissidents politiques et d’avoir participé à des activités politiques, la demanderesse correspond au profil du type de personne qui est exposée, selon les éléments de preuve documentaire, à un risque de persécution de la part du gouvernement éthiopien. La demanderesse note le renvoi de la Section d’appel des réfugiés à la déclaration tirée des éléments de preuve documentaire selon laquelle les autorités éthiopiennes ciblent les familles de suspect, les placent en détention et les interrogent. Elle fait valoir que la Section d’appel des réfugiés a accepté le fait qu’elle était l’épouse d’un dissident qui avait été arrêté dans le passé, que sa maison avait été démolie en raison des opinions politiques de son époux et qu’elle avait participé à une manifestation en Éthiopie et avait été détenue en conséquence.

[13]  Cependant, comme l’a fait valoir le défendeur, les observations de Mme Asfew à cet égard surévaluent les conclusions de la Section d’appel des réfugiés. La décision démontre que la Section d’appel des réfugiés était préoccupée par la crédibilité des éléments de preuve relatifs à Mme Asfew et à son époux. Cette décision ne peut pas être interprétée comme une acceptation des affirmations relatives à la destruction de la maison ou aux activités politiques de l’époux. Une fois de plus, je conclus que la décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable et que Mme Asfew n’a relevé aucune erreur susceptible de révision.

La conclusion rendue par la Section d’appel des réfugiés sur la crédibilité était-elle raisonnable?

[14]  La Section d’appel des réfugiés a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité, car Mme Asfew a modifié son formulaire de Fondement de la demande d’asile (FDA) pour ajouter qu’elle avait reçu l’aide de son oncle pour franchir les contrôles de sécurité aéroportuaires en Éthiopie. La Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion négative du fait que la demanderesse n’a pas indiqué dans son formulaire de FDA qu’elle avait eu besoin d’aide pour franchir les contrôles de sécurité et sortir du pays. Elle en est arrivée à la conclusion que la sortie du pays par l’aéroport était pertinente aux allégations voulant que la demanderesse soit exposée à un risque à son retour en Éthiopie et que l’omission de ce renseignement dans le premier formulaire de FDA était importante et pertinente. La Section d’appel des réfugiés n’a pas retenu son explication voulant que Mme Asfew ait omis ce renseignement dans le formulaire de FDA initial à cause du stress ressenti, parce que la modification n’a été apportée que des mois après la première audience. Elle est du même avis que la Section de la protection des réfugiés sur l’influence négative de cette omission sur la conclusion relative à la crédibilité de la demanderesse.

[15]  Mme Asfew soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en tirant cette conclusion au motif qu’elle avait produit des éléments de preuve contradictoire. Elle soutient que la Section d’appel des réfugiés a rejeté son témoignage uniquement parce qu’un avis d’expert qu’elle avait produit l’a contredite. Selon cet avis, seuls les dirigeants de l’opposition de haut niveau ou bien connus ne peuvent quitter le pays. Elle fait valoir qu’il s’agissait d’une erreur, car cette opinion n’a pas été elle-même acceptée. Je ne trouve aucun bien-fondé à cet argument. La Section d’appel des réfugiés a indiqué que la Section de la protection des réfugiés a rejeté l’avis d’expert au motif que l’avis n’était pas appuyé par des pièces d’identité et qu’il n’était pas conforme à une réponse à une demande d’information. Cependant, la Section d’appel des réfugiés ne s’est pas appuyée sur cette analyse pour tirer sa propre conclusion en matière de crédibilité. Elle n’a pas non plus tiré de conclusion portant sur les contradictions dans les éléments de preuve. Au lieu de cela, la Section d’appel des réfugiés a tiré une conclusion défavorable du fait que Mme Asfew a omis de mentionner dans son formulaire de FDA initial l’aide qu’elle a reçue de son oncle pour quitter l’Éthiopie et qu’elle n’a pas fourni d’explication valable à cet égard.

[16]  Mme Asfew conteste également le fait que la Section d’appel des réfugiés s’attaque à sa crédibilité du fait qu’elle n’a pas déclaré qu’elle avait fait des commentaires à l’encontre du gouvernement au moment de la protestation qui a entraîné sa détention. Elle précise que la Section d’appel des réfugiés a omis d’indiquer si la Section de la protection des réfugiés lui a demandé si elle avait fait de tels commentaires, et elle fait valoir que sa crédibilité ne peut être attaquée au motif d’une question qui ne lui a jamais été posée. Encore une fois, je ne trouve aucun bien-fondé à cet argument. La Section d’appel des réfugiés s’est livrée à une analyse pour savoir si la détention à la suite de la protestation étayait une conclusion voulant que la demanderesse soit une opposante notoire du gouvernement et, dans ce contexte, elle a indiqué que Mme Asfew n’a pas déclaré avoir fait de commentaires à l’encontre du gouvernement. Cependant, la Section d’appel des réfugiés n’a tiré aucune conclusion relativement à la crédibilité sur ce point.

[17]  Étant donné qu’aucune erreur susceptible de révision n’a été soulevée dans la décision de la Section d’appel des réfugiés, la décision est raisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-965-17

INTITULÉ :

ZEBIDERU GENENE ASFEW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 SEPTEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 11 SEPTEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

POUR LA DEMANDERESSE

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Tilahun Kebede

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.