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Date : 20170919


Dossier : T-1254-16

Référence : 2017 CF 859

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 septembre 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE COWESSESS No 73

demanderesse

et

GARY PELLETIER, STAN DELORME, PATRICK REDWOOD, CAROL LAVALLEE, MALCOLM DELORME, CURTIS LERAT ET TERRENCE LAVALLEE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  La présente requête, déposée aux termes de l’article 397 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), vise à obtenir le réexamen d’une ordonnance d’adjudication des dépens prononcée par notre Cour le 18 juillet 2017.

[2]  Ladite requête fait suite à une demande de la Première Nation de Cowessess no 73 (Cowessess) sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal d’appel électoral de la Première Nation de Cowessess (le Tribunal) concernant un litige électoral.

[3]  Cowessess avait désigné comme défendeurs les trois candidats disqualifiés par le Tribunal ainsi que les trois candidats ayant obtenu le deuxième plus grand nombre de voix. Parmi ces défendeurs, certains avaient appuyé la demande et d’autres n’avaient pas pris position.

[4]  C’est le défendeur Terrence Lavallee qui avait saisi le Tribunal de l’appel ayant abouti à la disqualification mise en cause dans la demande de Cowessess. Étant donné que Cowessess ne l’a pas désigné comme défendeur, M. Lavallee a saisi le juge Roy d’une requête en vue d’être constitué partie à l’instance. Le juge Roy a tranché que M. Lavallee était une partie nécessaire à la demande et que, étant donné que les défendeurs désignés avaient appuyé la demande ou n’avaient pas pris position, sa participation s’imposait pour garantir la tenue d’un véritable débat sur les questions en litige (Première nation de Cowessess no 73 c Pelletier, 2016 CF 1127, au paragraphe 8 [Cowessess 2016]). Le juge Roy a également conclu, au paragraphe 8 de la décision Cowessess 2016, que la demande avait été « délibérément constituée par la demanderesse afin d’exclure une personne qui a interjeté l’appel pour laisser comme défendeurs ceux qui ne s’opposeront pas à la demande de contrôle judiciaire ».

[5]  Dans la requête à l’origine de la décision Cowessess 2016, M. Lavallee demandait aussi au juge Roy de lui accorder une prorogation de délai afin qu’il puisse introduire sa propre demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. Le juge Roy a estimé que M. Lavallee n’avait pas établi le bien-fondé potentiel de la demande qu’il proposait d’introduire, et que la réparation réclamée – la disqualification des sept conseillers et la tenue d’une nouvelle élection – allait à l’encontre de la Cowessess First Nation No. 73 Custom Election Act (Cowessess Election Act) (voir le paragraphe 13 de la décision Cowessess 2016).

[6]  J’ai entendu la demande de contrôle judiciaire subséquente de Cowessess le 3 mars 2017. Lors de cette audience, j’ai indiqué aux avocats que j’examinerais leurs observations sur les dépens après avoir rendu ma décision sur le bien-fondé.

[7]  J’ai accueilli la demande présentée par Cowessess dans une décision rendue le 18 juillet 2017 (Première Nation de Cowessess no 73 c Pelletier, 2017 CF 692) (la décision). Dans la décision, j’ai rejeté l’argument préliminaire soulevé par M. Lavallee selon lequel Cowessess n’avait pas la qualité pour présenter la demande. J’ai tranché en faveur de Cowessess après avoir conclu que le Tribunal avait rendu une décision déraisonnable à l’égard du processus électoral de la Première Nation. J’ai toutefois omis, par inadvertance, d’entendre les observations sur les dépens. J’ai simplement adjugé les dépens à la partie gagnante, sans inviter les parties à me soumettre leurs observations.

[8]   Dans une lettre du 22 août 2017, l’avocat de Cowessess a demandé à la Cour de préciser si les dépens étaient dus par tous les défendeurs ou seulement par M. Lavallee. Le lendemain, l’avocate de M. Lavallee a répondu qu’elle n’avait pas eu l’occasion de s’exprimer sur les dépens et qu’elle souhaitait avoir cette possibilité.

[9]  Le 25 août 2017, l’avocat de Cowessess a répondu que le délai d’appel du jugement était expiré et que la Cour était de ce fait dessaisie du dossier. Selon Cowessess, il restait à la Cour à décider a) quel était le montant des dépens; b) si les dépens étaient dus par tous les défendeurs ou uniquement par M. Lavallee (Cowessess a précisé par la suite qu’elle demandait des directives sur ces questions en application de l’article 403 des Règles).

[10]  J’ai donc convié les parties à une conférence téléphonique et je les ai invitées à me transmettre par écrit leurs réponses et des précisions concernant les questions sur les dépens soulevées dans les lettres échangées. Pendant la conférence téléphonique, les parties se sont mises d’accord sur le principe de l’efficacité de l’instruction prévu à l’article 3 des Règles et, dans cet esprit, elles ont accepté que l’affaire soit traitée comme une requête en réexamen conformément à l’article 397, de même qu’aux articles 32 (audience par conférence téléphonique) et 55 (modification de l’obligation de dépôt d’une requête officielle en réexamen) des Règles.

II.  Thèses des parties

[11]  Même si Cowessess a obtenu gain de cause, M. Lavallee plaide qu’il ne devrait pas être personnellement condamné aux dépens, mais que Cowessess devrait les payer sur la base procureur-client. M. Lavallee soutient qu’il a joué un rôle important dans le contrôle judiciaire et que, en ordonnant qu’il soit constitué partie dans la décision Cowessess 2016, le juge Roy a confirmé qu’il était essentiel que quelqu’un remette en question le processus électoral et le processus d’appel de Cowessess. Il ajoute qu’il a participé à la demande même s’il n’avait aucun intérêt personnel dans l’issue. M. Lavallee fait valoir que sa condamnation aux dépens risque de dissuader d’autres personnes de soulever des questions d’intérêt public, et il attire l’attention de la Cour sur l’importance du processus de contrôle judiciaire dans le contexte de la gouvernance des Premières Nations.

[12]  Il invoque la décision Bellegarde c Poitras, 2009 CF 1212 [Bellegarde], à l’issue de laquelle une Première Nation a été condamnée à payer les dépens des parties qui avaient attaqué ou défendu une décision de son organe administratif (la Première Nation n’était pas elle-même partie à la demande de contrôle judiciaire). M. Lavallee s’appuie également sur la décision Vogel c Brazeau (Municipal District No 77), [1996] AJ no 319 [Vogel], un litige électoral dans lequel les dépens taxés sur une base procureur-client ont été adjugés à la partie perdante.

[13]  Cowessess fait d’abord valoir que la Cour ne peut pas invoquer l’article 397 des Règles pour [traduction] « infirmer » sa propre ordonnance d’adjudication des dépens (Bayer Inc. c Fresenius Kabi Canada Ltd., 2016 CF 970, au paragraphe 11; Halford c Seed Hawk Inc., 2004 CF 455). Elle sollicite plutôt les directives de la Cour en application de l’article 403 des Règles. À son avis, M. Lavallee devrait supporter seul les dépens puisqu’il a demandé à être constitué comme partie à une demande à l’égard de laquelle les autres défendeurs n’avaient pas pris position. Cowessess affirme par ailleurs que même si une partie est réputée nécessaire à l’instance, elle n’est pas à l’abri des conséquences défavorables quant aux dépens. Bien au contraire, elle devrait s’attendre à y être condamnée en cas d’échec de sa cause. M. Lavallee a été reconnu comme partie nécessaire par suite d’une requête en vue d’être constitué partie à la demande, qu’il a présentée de son propre chef et en sachant parfaitement qu’il risquait d’avoir à payer les dépens.

[14]  Cowessess met aussi en doute le désintéressement de M. Lavallee quant à l’issue de l’appel devant le Tribunal ou de la demande qu’elle a déposée, soulignant qu’il a brigué le poste de chef et que, si le Tribunal avait ordonné la tenue d’une nouvelle élection, il en aurait tiré profit. Effectivement, M. Lavallee a réclamé la tenue d’une nouvelle élection dans les documents soumis à l’appui de la demande de contrôle judiciaire instruite par le juge Roy et de nouveau dans la présente demande, soit après que celui-ci eut fait observer qu’une telle réparation [traduction] « irait à l’encontre » de la Cowessess Election Act. Enfin, Cowessess reproche à M. Lavallee de soulever des arguments infondés et ainsi de compromettre l’efficacité du processus de contrôle judiciaire.

III.  Discussion

A.  Pouvoir de réexamen établi à l’article 397 des Règles

[15]  L’article 397 dispose que :

Réexamen

Motion to reconsider

397 (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

397 (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

a) l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

Erreurs

Mistakes

(2) Les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans les ordonnances peuvent être corrigées à tout moment par la Cour.

(2) Clerical mistakes, errors or omissions in an order may at any time be corrected by the Court.

[16]  Après avoir instruit une affaire et rendu sa décision, la Cour est généralement dessaisie du dossier et n’a donc pas compétence pour revoir sa décision (Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848 (CSC), à la page 860, 1989 CarswellAlta 160 (WL Can), au paragraphe 75). L’article 397 des Règles prévoit toutefois une exception très limitée à cette règle (Taker c Canada (Procureur général), 2012 CAF 83, au paragraphe 5). Le pouvoir de réexamen se limite à la correction d’omissions, d’incohérences ou d’erreurs mineures (Yeager c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CAF 258, au paragraphe 9). On l’appelle parfois la « règle du lapsus » parce qu’elle permet à la Cour de corriger des erreurs mineures dans une décision définitive (Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2015 CF 149, au paragraphe 11).

[17]  Je ne puis retenir l’argument de Cowessess selon lequel la Cour n’a pas compétence pour [traduction] « infirmer » une ordonnance d’adjudication des dépens prise en application de l’article 397 des Règles. Au paragraphe 9 de l’arrêt Sauvé c Canada (Procureur général), 2015 CAF 59, la Cour d’appel fédérale précise que les « [r]equêtes en réexamen ne peuvent servir à faire infirmer une décision déjà rendue que si l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs donnés pour la justifier ou une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement » (je souligne). En l’espèce, une question a été oubliée ou omise involontairement, au sens de l’alinéa 397(1)b) des Règles, dans la décision que j’ai rendue puisque j’y ai inclus par inadvertance une ordonnance d’adjudication des dépens sans avoir au préalable entendu les observations des parties, contrairement à ce qui avait été entendu à l’audience.

[18]  Dans l’arrêt Pelletier c Canada (Procureur général), 2006 CAF 418, la Cour d’appel a indiqué dans une remarque incidente que la procédure à suivre quand une demande de dépens est ignorée dans un jugement consiste à présenter une requête en réexamen conformément à l’article 397 des Règles (au paragraphe 9). Le juge LeBlanc a suivi cet enseignement dans la décision Première Nation Hornepayne c Medeiros, 2015 CF 411 [Hornepayne] : il a réexaminé et entendu les observations sur la question des dépens après que la Cour eut accueilli la requête sans dépens parce qu’elle avait supposé à tort qu’ils n’avaient pas été demandés.

[19]  Au vu des circonstances, j’estime que l’article 397 des Règles autorise la Cour à réexaminer la question des dépens en tenant compte des observations des parties, et que la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale corrobore cette interprétation, comme en font foi sa propre pratique et les commentaires formulés dans les arrêts suivants :

  • a) Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 237 : La Cour réexamine et modifie son ordonnance d’adjudication des dépens par suite de son omission de tenir compte de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, qui prévoient qu’une demande introduite en application de ces règles ne donne pas lieu à des dépens, sauf pour des raisons spéciales (aux paragraphes 20 et 21).

  • b) Ollenberger c Canada, 2013 CAF 108 : La Cour modifie une ordonnance d’adjudication des dépens à la suite d’une requête en réexamen pour que les dépens du demandeur soient également adjugés devant la Cour (aux paragraphes 1 et 2).

  • c) Ratiopharm Inc. c Wyeth, 2007 CAF 361 : La Cour d’appel fédérale réexamine un jugement ignorant la question des dépens afférents à une demande connexe, et elle conclut « sans hésitation que c’est par inadvertance que nous avons omis de nous prononcer sur la question des dépens de la demande [connexe] en interdiction » (au paragraphe 9). Le jugement est modifié en conséquence.

  • d) Novopharm Limited c Janssen-Ortho Inc., 2007 CAF 105 : La juge Sharlow observe que la question des dépens a été « omise par inadvertance » et que la requête en réexamen aurait été accordée si le défendeur en avait présenté une (aux paragraphes 4 à 6).

[20]  Bref, la Cour a fait un oubli et, comme elle l’a déjà fait dans des cas semblables, il lui est loisible de procéder au réexamen d’une ordonnance d’adjudication des dépens en application de l’alinéa 397(1)b) des Règles. Si, dans de telles circonstances, il était interdit à la Cour de revenir sur une décision au motif qu’elle est functus officio, l’objectif que poursuivait le législateur en incorporant l’article 397 aux Règles serait compromis.

B.  Analyse des dépens

[21]  En règle générale, les dépens « suivent l’issue de la cause » et sont adjugés à la partie qui a obtenu gain de cause (MacFarlane c Day & Ross Inc., 2014 CAF 199, au paragraphe 6; Première nation de Coldwater c Canada (Affaires indiennes et Nord), 2016 CF 816, au paragraphe 16 [Coldwater]).

[22]  Le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Le paragraphe 400(3) donne une liste de facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, y compris la disposition d’application générale lui permettant de considérer « toute autre question qu’elle juge pertinente » (alinéa 400(3)o)). Par ailleurs, suivant l’alinéa 400(3)h), la Cour doit aussi se demander si « l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens ».

[23]  L’intérêt public est touché dès lors que l’affaire met en jeu des questions de caractère inédit, qui transcendent les intérêts immédiats des parties (Coldwater, au paragraphe 16). Dans la décision Hornepayne, la Cour a refusé d’adjuger les dépens à la partie gagnante parce qu’une telle décision n’aurait pas été « dans l’intérêt de la justice et de la collectivité de la Première Nation Hornepayne dans l’ensemble » (au paragraphe 6).

[24]  D’aucuns soutiennent que si une Première Nation est concernée, elle devrait payer les dépens des demandeurs déboutés puisque les demandes de contrôle judiciaire présentées dans ces communautés font progresser l’intérêt public. Ainsi, dans la décision Coutlee c Première nation Lower Nicola, 2015 CF 1305 [Coutlee], la Cour a conclu que la demande de contrôle judiciaire avait résolu une question importante en matière de gouvernance (au paragraphe 24). Elle a donc jugé équitable et juste que la bande paye les dépens du demandeur, même si elle avait obtenu gain de cause. Au paragraphe 23 de la décision Coutlee, le juge Campbell cite la décision rendue par le juge Mandamin dans la décision Knebush c Maygard, 2014 CF 1247 :

[59]  Il faut également tenir compte du déséquilibre entre un membre d’une Première Nation qui présente une demande de contrôle judiciaire pour faire respecter les lois de la Première Nation et les défendeurs qui constituent l’organisme dirigeant de la Première Nation. Ces défendeurs, généralement les chefs et les conseillers, sont en position de se faire rembourser leurs frais juridiques par la Première Nation. Si une demande de contrôle judiciaire traite bel et bien de la question de la loi de la Première Nation, il me semble que, dans l’intérêt public, les demandeurs individuels peuvent eux aussi avoir le même droit de s’adresser à la Première Nation pour se faire rembourser leurs frais.

[25]  Une autre possibilité consiste à ne pas adjuger de dépens pour souligner les efforts raisonnables de la partie perdante ou pour pénaliser une partie gagnante dont la conduite justifie une forme ou une autre de sanction. Notamment, il peut être justifié de ne pas adjuger de dépens pour souligner le caractère raisonnable d’une demande même si son auteur n’a pas obtenu gain de cause (voir Jacko c Cold Lake First Nation, 2014 CF 1108, au paragraphe 77; Meeches c Assiniboine, 2016 CF 427, au paragraphe 43). À l’inverse, dans la décision Gagnon c Bell, 2016 CF 1222, le juge Annis a refusé d’adjuger les dépens au défendeur gagnant (le conseil de la Première Nation d’Aroland) au motif qu’il avait fait fi des plaintes des demandeurs et les avait ainsi forcés à intenter des poursuites (aux paragraphes 79 et 80).

[26]  Après avoir étudié le droit applicable et les observations des parties, j’estime que le plus équitable en l’espèce est d’ordonner à chacune des parties d’assumer ses propres dépens. Même si le juge Roy a acquiescé à la demande de M. Lavallee et l’a reconnu comme partie nécessaire, je ne suis pas convaincu que l’intérêt public était sa seule motivation pour participer à la présente instance. Il a en effet demandé à notre Cour d’ordonner la tenue d’une autre élection même si le juge Roy avait clairement indiqué dans la décision Cowessess 2016 que cette réparation irait à l’encontre de la Cowessess Election Act (extrait précité au paragraphe 5). M. Lavallee a fait fi de cette directive et il a de nouveau réclamé cette réparation dans la présente demande.

[27]  Il ne peut pas invoquer la décision Bellegarde pour obtenir le paiement par Cowessess de ses dépens taxés sur la base procureur-client. Je viens justement de rendre un jugement dans lequel je me suis fondé sur la décision Bellegarde (Michel c Tribunal de révision de la collectivité de la bande d’Adams Lake, 2017 CF 835 [Michel]). J’ai ordonné au demandeur de payer les dépens du défendeur au tarif ordinaire, et à la Première Nation de payer le solde des dépens du défendeur, même si elle n’était pas partie à la demande. Toutefois, dans les décisions Bellegarde et Michel, c’est la partie gagnante qui a sollicité et obtenu les dépens, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

[28]  M. Lavallee ne peut pas non plus compter sur le secours de la décision Vogel. Dans cette décision, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a accordé l’intégralité de ses dépens d’indemnisation au demandeur perdant parce que l’élection en litige avait été [traduction« menée d’une manière totalement négligente » (au paragraphe 17). La Cour a adjugé les dépens pour sanctionner la conduite fautive du défendeur avant le litige (voir Pillar Resource Services Inc. v PrimeWest Energy Inc., 2017 ABCA 19, au paragraphe 92).

[29]  La situation de M. Lavallee est différente de celle du demandeur débouté dans la décision Vogel, qui avait de manière tout à fait légitime décrié certaines irrégularités dans le processus électoral. En l’espèce, M. Lavallee a rallongé l’instance en reprenant les mêmes arguments douteux qu’il avait présentés au Tribunal dans son appel relatif à l’élection. Si Cowessess est condamnée à payer les dépens de M. Lavallee, les membres de la Première Nation (et d’autres) pourraient être amenés à penser que s’ils introduisent ou défendent des requêtes et des appels en matière électorale, fondés ou non, la Première Nation assumera les frais, peu importe l’issue.

[30]  Entre le moment où il a été reconnu partie nécessaire et l’audition de la demande, M. Lavallee avait le choix de faire des concessions sur certaines des questions en litige, à l’instar des autres défendeurs qui ont manifesté leur appui ou qui n’ont pas pris position dans le litige (comme il a été expliqué ci-dessus, au paragraphe 3). Il a choisi de ne pas faire de concessions. Tout plaideur doit se demander si sa cause est solide et se rappeler qu’une action en justice entraîne des coûts et des risques.

[31]  Il convient toutefois de souligner que M. Lavallee a soulevé la question préliminaire de la qualité de Cowessess pour présenter la demande, tel qu’il a été mentionné au paragraphe 7 des présents motifs. Même si j’ai rejeté l’argument de M. Lavallee et tranché que Cowessess avait cette qualité, il s’agit d’une question juridique importante qui n’aurait sans doute pas été examinée sans sa participation à l’instance. J’ai conclu au paragraphe 33 de ma décision que la qualité de Cowessess découle des circonstances factuelles très particulières présentées à la Cour. M. Lavallee a donc joué un rôle utile en remettant en question la qualité de Cowessess puisqu’il a ainsi contribué à assurer H (Cowessess 2016, au paragraphe 8), au bénéfice autant de la Cour que du défendeur.

[32]  Je suis convaincu, après avoir procédé à un réexamen et à l’audition des observations dont j’avais omis de tenir compte dans ma décision, que l’ordonnance adjugeant les dépens à Cowessess doit être remplacée par une ordonnance n’adjugeant aucuns dépens, conformément aux facteurs prévus à l’article 400 des Règles et à la jurisprudence citée ci-dessus. Les motifs qui accompagnent mon jugement du 18 juillet 2017 (qui ne peut être modifié sous le régime de l’article 397 des Règles) devraient par conséquent être lus conjointement avec l’ordonnance et les motifs exposés en l’espèce.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1254-16

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. Par suite d’un réexamen effectué conformément à l’alinéa 397(1)b) des Règles, le jugement que j’ai rendu le 18 juillet 2017 est modifié.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés pour la présente demande. Chaque partie assumera ses propres dépens.

  3. Les motifs que j’ai exposés le 18 juillet 2017 doivent être lus conjointement avec l’ordonnance et les motifs exposés en l’espèce.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés en ce qui concerne la requête en réexamen sous-jacente.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1254-16

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE COWESSESS No 73 c GARY PELLETIER, STAN DELORME, PATRICK REDWOOD, CAROL LAVALLEE, MALCOLM DELORME, CURTIS LERAT ET TERRENCE LAVALLEE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE ENTRE REGINA ET OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

T. Joshua Morrison

 

Pour la demanderesse

 

Lynda K. Troup

 

Pour le défendeur

TERRENCE LAVALLEE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacPherson Leslie & Tyerman LLP

Avocats

Regina (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

 

Thompson Dorfman Sweatman LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

TERRENCE LAVALLEE

 

 

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