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Date : 20171006


Dossier : IMM-4639-16

Référence : 2017 CF 891

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

ABDULHALIM HASHIR ABDULRAHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi), de la décision datée du 3 août 2016 (la décision) dans laquelle l’agent d’immigration (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya, a refusé la demande de résidence permanente du demandeur à titre de membre de la catégorie des réfugiés outre-frontières au sens de la Convention ou de membre de la catégorie désignée des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

II.  CONTEXTE

[2]  Le demandeur est un ressortissant éthiopien qui habite au Kenya depuis qu’il a fui l’Éthiopie en 1993. Le demandeur, qui appartient au peuple Oromo, allègue que sa participation perçue au groupe Oromo Liberation Front (OLF) lui a valu des persécutions de la part du gouvernement éthiopien, ce qui rend impossible son retour en Éthiopie.

[3]  En 2010, le bureau des visas a refusé la première demande de résidence permanente au Canada du demandeur en tant que réfugié outre-frontières au sens de la Convention ou personne protégée à titre humanitaire outre-frontières. Dans le contexte de cette première demande, un agent des visas a tenu une entrevue avec le demandeur, en compagnie d’un interprète, au camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, le 25 mars 2009. D’après les notes de l’entrevue de 2009, le demandeur a affirmé avoir fourni à l’OLF de la nourriture, de l’argent et des renseignements et avoir rencontré toutes les semaines une personne qu’il croyait être un combattant de haut rang de l’OLF.

[4]  Préoccupé par certaines réponses du demandeur, le bureau des visas lui a fait parvenir une lettre lui demandant de décrire de façon détaillée sa participation à l’OLF. Dans sa lettre de réponse, le demandeur a nié avoir soutenu l’OLF. Aux dires du demandeur, il n’a jamais affirmé, lors de l’entrevue de 2009, avoir soutenu l’OLF ou entretenu des liens avec ce groupe. Dans sa lettre, le demandeur a expliqué avoir tenté de raconter comment il avait été accusé à tort de soutenir l’OLF, et il a blâmé l’interprète pour le malentendu. Le bureau des visas n’était pas satisfait de la réponse du demandeur. Le bureau a constaté des incohérences dans les renseignements figurant au formulaire d’enregistrement aux fins de la réinstallation (FER) du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), lequel indiquait également que le demandeur avait soutenu l’OLF en lui fournissant de la nourriture, de l’argent et des renseignements. Le bureau des visas a refusé la première demande pour des motifs liés à la crédibilité. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

[5]  Le demandeur a présenté une nouvelle demande de résidence permanente au Canada en 2015. L’agent a interrogé le demandeur en personne le 18 août 2015. Après l’entrevue, l’agent a perçu des divergences entre les réponses du demandeur aux questions portant sur ses liens avec l’OLF, les notes de l’entrevue de 2009 et le FER du demandeur. Par conséquent, l’agent a fait parvenir une lettre relative à l’équité procédurale (lettre relative à l’équité) au demandeur afin de lui permettre de répondre à ces préoccupations et de fournir davantage de renseignements. Dans sa lettre de réponse, le demandeur a expliqué avoir seulement soutenu moralement l’OLF avant que celui-ci se retire du gouvernement éthiopien de transition. Il a encore une fois affirmé n’avoir jamais personnellement soutenu l’OLF sur le plan financier. Le demandeur a plutôt allégué qu’il soupçonnait son père d’offrir un soutien financier et alimentaire à l’OLF. Il a d’abord assumé la responsabilité des activités de son père, mais il en est venu à la conclusion que ces activités ne devraient pas lui être imputées, même s’il soutenait moralement l’OLF.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]  L’agent a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il ne répondait pas aux exigences en matière d’immigration au Canada, que ce soit à titre de membre de la catégorie des réfugiés outre-frontières au sens de la Convention ou de membre de la catégorie désignée des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières.

[7]  La décision indique que le demandeur a été interrogé de nouveau en 2015, en compagnie d’un interprète parlant couramment l’oromo. L’agent mentionne que le demandeur n’a évoqué aucune difficulté à comprendre l’interprète, ou à se faire comprendre par ce dernier, lors de l’entrevue. Après une explication des catégories de réfugiés pertinentes ainsi que des lois canadiennes en la matière, la décision fait état des motifs de la conclusion de l’agent relative à la crédibilité du demandeur. Dans la décision, on réitère que l’agent a trouvé des [traduction] « incohérences importantes » entre les réponses fournies par le demandeur lors de son entrevue de 2015, les documents afférents à la demande de 2015, les réponses fournies lors de l’entrevue de 2009, et les renseignements figurant au FER du demandeur. On indique dans la décision que la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité a été prise en considération, mais que ses réponses ont donné lieu à d’autres incohérences. Selon l’agent, la participation du demandeur dans l’OLF était le fondement de sa demande, mais la description qu’il en fait semble être contradictoire. Ne trouvant pas le demandeur crédible à cet égard, l’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention ou de personne protégée à titre humanitaire outre-frontières.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[8]  Le demandeur a d’abord soutenu que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. La décision a-t-elle été rendue sans égard aux documents présentés à l’agent?
  2. L’agent a-t-il mal compris le fondement de la demande du demandeur?

[9]  Étant donné l’évolution des arguments de la présente demande, j’ajouterais les questions en litige suivantes :

  1. Dans la présente demande de contrôle judiciaire devant la Cour, le défendeur a-t-il le droit d’utiliser les notes de l’entrevue de 2009 et le FER du demandeur pour justifier la décision?
  2. Si la réponse à la première question est affirmative, l’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de fournir au demandeur les notes de l’entrevue de 2009 ou le FER avec la lettre relative à l’équité?
  3. Si la réponse à la deuxième question est négative, la conclusion relative à la crédibilité et la décision de l’agent étaient-elles justifiées eu égard aux documents qui lui avaient été présentés?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[10]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[11]  La question en litige concernant l’utilisation des notes de l’entrevue de 2009 et du FER n’implique pas le contrôle judiciaire de la décision. Il s’agit plutôt d’une interprétation, par la Cour, des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les Règles), et des directives du juge Phelan datées du 1er mars 2017.

[12]  La deuxième question en litige porte sur l’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa].

[13]  Les autres questions en litige portent sur la conclusion de l’agent relative à la crédibilité ainsi que sur sa pertinence en ce qui concerne la décision sur l’admissibilité du demandeur à la résidence permanente. Il s’agit donc d’une question de fait et d’une question mixte de fait et de droit à contrôler suivant la norme de la décision raisonnable : Tesfamichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 337, au paragraphe 8, citant Sivakumaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 590, au paragraphe 19.

[14]  Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, dans la mesure où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[15]  Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de réfugié

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

Convention refugee

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[16]  Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, sont applicables en l’espèce :

Exigences générales

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

General requirements

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

e) il fait partie d’une catégorie établie dans la présente section;

(e) the foreign national is a member of one of the classes prescribed by this Division;

Qualité

Member of Convention refugees abroad class

145 Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

145 A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

Personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention

Person in similar circumstances to those of a Convention refugee

146 (1) Pour l’application du paragraphe 12(3) de la Loi, la personne dans une situation semblable à celle d’un réfugié au sens de la Convention appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil

146 (1) For the purposes of subsection 12(3) of the Act, a person in similar circumstances to those of a Convention refugee is a member of the country of asylum class.

Personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières

Humanitarian-protected persons abroad

(2) La catégorie de personnes de pays d’accueil est une catégorie réglementaire de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières qui peuvent obtenir un visa de résident permanent sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

(2) The country of asylum class is prescribed as a humanitarian-protected persons abroad class of persons who may be issued permanent resident visas on the basis of the requirements of this Division.

Catégorie de personnes de pays d’accueil

Member of country of asylum class

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

[17]  Les dispositions suivantes du Règlement sont applicables en l’espèce :

Production de la décision du tribunal administratif et des motifs y afférents

Obtaining Tribunal’s Decision and Reasons

9 (1) Dans le cas où le demandeur indique dans sa demande d’autorisation qu’il n’a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, le greffe envoie immédiatement à ce dernier une demande écrite à cet effet selon la formule IR-3 figurant à l’annexe.

9 (1) Where an application for leave sets out that the applicant has not received the written reasons of the tribunal, the Registry shall forthwith send the tribunal a written request in Form IR-3 as set out in the schedule.

(2) Dès réception de la demande prévue au paragraphe (1), le tribunal administratif envoie :

(2) Upon receipt of a request under subrule (1) a tribunal shall, without delay,

a) à chacune des parties une copie du dispositif et des motifs écrits de la décision, de l’ordonnance ou de la mesure, certifiée conforme par un fonctionnaire compétent, et au greffe deux copies de ces documents;

(a) send a copy of the decision or order, and written reasons therefor, duly certified by an appropriate officer to be correct, to each of the parties, and two copies to the Registry;

Production du dossier du tribunal administratif

Obtaining Tribunal’s Record

17 Dès réception de l’ordonnance visée à la règle 15, le tribunal administratif constitue un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

17 Upon receipt of an order under Rule 15, a tribunal shall, without delay, prepare a record containing the following, on consecutively numbered pages and in the following order:

a) la décision, l’ordonnance ou la mesure visée par la demande de contrôle judiciaire, ainsi que les motifs écrits y afférents;

(a) the decision or order in respect of which the application for judicial review is made and the written reasons given therefor,

b) tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal administratif,

(b) all papers relevant to the matter that are in the possession or control of the tribunal,

c) les affidavits et autres documents déposés lors de l’audition,

(c) any affidavits, or other documents filed during any such hearing, and

d) la transcription, s’il y a lieu, de tout témoignage donné de vive voix à l’audition qui a abouti à la décision, à l’ordonnance, à la mesure ou à la question visée par la demande de contrôle judiciaire,

(d) a transcript, if any, of any oral testimony given during the hearing, giving rise to the decision or order or other matter that is the subject of the application for judicial review,

dont il envoie à chacune des parties une copie certifiée conforme par un fonctionnaire compétent et au greffe deux copies de ces documents.

and shall send a copy, duly certified by an appropriate officer to be correct, to each of the parties and two copies to the Registry.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Demandeur

1)  Questions liées à l’utilisation

[18]  Le demandeur allègue que le défendeur n’avait pas le droit d’utiliser les notes de l’entrevue de 2009 ou le FER afin de justifier la décision, en raison du refus, par le défendeur, de joindre ces documents à sa réponse fournie en application de l’article 9 des Règles. Le juge Phelan indique dans sa directive qu’il [traduction] « appartient au décideur de signer le certificat qui énonce les motifs. Les parties […] doivent composer avec le certificat et ne seraient vraisemblablement pas en mesure d’utiliser les notes en tant que motifs de décision. » Le demandeur affirme que les incohérences alléguées entre les notes de l’entrevue de 2009 et celles de l’entrevue de 2015 font bel et bien partie des motifs de l’agent, peu importe si les notes de l’entrevue de 2009 sont considérées ou non comme des éléments de preuve ou des motifs. Le demandeur mentionne que le FER est un document externe remis au défendeur par le HCR, mais dont il n’a pas reçu copie. Au lieu de fonder son argumentation sur les Règles, le demandeur soutient que le défendeur a manqué à son obligation d’équité procédurale en fondant sa décision sur des incohérences alléguées, sans pour autant fournir les notes de l’entrevue de 2009 ou le FER. Le demandeur allègue que, selon la juste façon d’interpréter la directive du juge Phelan, la décision doit être confirmée ou infirmée sans aucune référence aux notes de l’entrevue de 2009 ou au FER.

2)  Équité procédurale

[19]  Subsidiairement, le demandeur affirme que, si les incohérences entre les notes de l’entrevue de 2009, le FER et les notes de l’entrevue de 2015 peuvent être utilisées pour justifier la décision, alors l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne fournissant pas au demandeur les notes initiales ou le FER avec la lettre relative à l’équité. Le demandeur fait valoir que l’obligation de divulguer exige que l’agent fournisse au demandeur tous les documents externes pertinents dans son évaluation de la crédibilité et indique s’il a utilisé ces documents pour motiver sa décision.

3)  Norme de la décision raisonnable

[20]  Le demandeur soutient en outre qu’il y avait quatre problèmes liés au raisonnement de l’agent qui venaient miner le caractère raisonnable de sa conclusion relative à la crédibilité.

[21]  Premièrement, le demandeur affirme que, contrairement à la conclusion de l’agent, il n’a pas nié avoir soutenu l’OLF lors de son entrevue de 2015. Le demandeur allègue que l’agent ne lui a jamais demandé explicitement s’il avait soutenu l’OLF. Bien que les notes de l’entrevue de 2015 indiquent que le demandeur a nié avoir soutenu l’OLF financièrement, cela n’équivaut pas à nier en bloc toute forme de soutien. Le demandeur affirme que, dans son esprit, les questions relatives aux contributions faisaient référence à du soutien tangible, plutôt que moral, et il dit avoir effectivement soutenu l’OLF moralement.

[22]  Deuxièmement, le demandeur soutient que l’agent a mal interprété sa réponse concernant la participation de son père à l’OLF. La décision précise que, lors de l’entrevue de 2015, le demandeur a affirmé [traduction] « qu’il ignorait toute participation de son père à l’OLF ». D’après le demandeur, les notes de l’entrevue de 2015 indiquent seulement que le demandeur a nié avoir une connaissance précise de la nature de la participation de son père à l’OLF. Le demandeur affirme que cette distinction importante a contribué au caractère déraisonnable de la conclusion de l’agent relative à la crédibilité.

[23]  Troisièmement, le demandeur prétend que la décision ne tient pas compte de sa réponse à la lettre relative à l’équité. Dans sa lettre de réponse, le demandeur a expliqué qu’il avait auparavant déclaré avoir soutenu l’OLF parce qu’il croyait à tort qu’en étant aîné de la famille, il était responsable des activités de son père. Ce n’est que plus tard qu’il a su qu’il n’était pas responsable des activités de son père et il a cherché dès lors à clarifier le fait qu’il n’avait offert qu’un soutien moral à l’OLF. Le demandeur soutient que l’agent était tenu de prendre en compte ses explications et d’étayer ses motifs de refus. Il soutient également que la brève déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « [les réponses du demandeur] ont donné lieu à d’autres incohérences », sans offrir aucune autre explication, prouve que l’agent n’a pas sérieusement examiné sa réponse.

[24]  Quatrièmement, le demandeur affirme que l’agent a mal compris le fondement de sa demande. La demande est fondée sur la [traduction] « participation perçue » du demandeur à l’OLF, et non sur sa participation réelle. Le demandeur explique qu’en raison de son appartenance au peuple Oromo, le gouvernement éthiopien l’a soupçonné de soutenir l’OLF. Or, plutôt que de reconnaître que la demande du demandeur était fondée sur cette perception de soutien, l’agent a cherché à déterminer si le demandeur avait réellement soutenu l’OLF. Le demandeur affirme que l’évaluation de la crédibilité menée par l’agent quant à sa participation réelle à l’OLF n’est pas pertinente, car sa demande est fondée sur sa participation perçue. Il en résulte, selon le demandeur, que l’agent n’a jamais examiné le fondement réel de sa demande.

[25]  Pour ces motifs, le demandeur demande que la décision soit annulée et que le dossier soit renvoyé à un autre agent pour nouvelle décision.

B.  Défendeur

1)  Questions liées à l’utilisation

[26]  Le défendeur prétend que le demandeur interprète la directive du juge Phelan de façon trop vaste, ce qui va à l’encontre de l’esprit des Règles. Même si, selon la directive, le défendeur ne peut utiliser les notes de l’entrevue de 2009 ou le FER comme motifs de décision, le défendeur peut les utiliser à titre d’éléments de preuve qui justifient sa décision. Le défendeur soutient que l’article 9 des Règles n’envisage pas que le décideur remette tous les éléments de preuve sous-jacents sur lesquels s’appuie sa décision. Si l’autorisation est accordée, les éléments de preuve sont alors joints au dossier certifié du tribunal, aux termes de l’article 17 des Règles. Le défendeur soutient que c’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce. Le demandeur dispose maintenant des notes de l’entrevue de 2009 ainsi que du FER. Le défendeur prétend d’une part que cela vient régler les préoccupations du demandeur relativement à ces documents et que, d’autre part, il est en droit d’utiliser les notes de l’entrevue de 2009 et le FER pour justifier sa décision.

2)  Équité procédurale

[27]  Le défendeur affirme que la jurisprudence n’étaye pas l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent a manqué à son obligation d’équité en ne lui fournissant pas les notes de l’entrevue de 2009 ou le FER. Le défendeur cite la décision Hussaini c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 289, au paragraphe 10 [Hussaini], afin d’établir l’obligation d’équité qui incombait à l’agent, soit celle de transmettre suffisamment de renseignements avec la lettre relative à l’équité afin que le demandeur « [ait] une occasion valable de répondre » aux préoccupations de l’agent. Dans la décision Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 386, au paragraphe 18 [Feng], le juge Zinn a conclu que les demandeurs dans cette affaire s’étaient vu offrir une occasion valable de répondre à une lettre relative à l’équité, en dépit du fait que l’agent ne leur avait pas fourni le courriel à l’origine de ses préoccupations ni indiqué la source des renseignements figurant dans la lettre relative à l’équité. En l’espèce, la lettre relative à l’équité informait le demandeur qu’il y avait des incohérences entre les éléments de preuve qu’il avait soumis, elle décrivait la nature des incohérences et elle expliquait les incohérences elles-mêmes. Le défendeur affirme que ces détails étaient suffisants pour donner au demandeur une occasion valable de répondre aux préoccupations de l’agent et que, par conséquent, l’agent a atteint le niveau d’équité requis.

3)  Norme de la décision raisonnable

[28]  Le défendeur invoque le fait que les éléments de preuve dont disposait l’agent démontraient de nombreuses incohérences dans le récit du demandeur qui justifiaient la conclusion de l’agent relative à la crédibilité. Le défendeur soutient que les décisions examinées selon la norme de la décision raisonnable nécessitent qu’on s’abstienne « de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54. La Cour doit plutôt examiner les motifs « en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Le défendeur affirme que les arguments du demandeur s’apparentent à une chasse au trésor.

[29]  Le défendeur affirme également que la déclaration de l’agent, selon laquelle le demandeur a [traduction] « nié avoir soutenu l’OLF », est conforme à la dénégation du demandeur selon laquelle il a fourni un soutien important à l’OLF. Le choix du mot « soutien » pour signifier exclusivement « soutien réel » ne signifie pas que l’agent a écarté la possibilité que le demandeur ait moralement soutenu l’OLF. Par rapport à une section des notes de l’entrevue de 2015 dans laquelle l’agent aurait indiqué, selon le demandeur, qu’il soutenait l’OLF, le défendeur explique que l’agent citait alors le demandeur en train de réciter le chef d’accusation du gouvernement éthiopien quant à son soutien à l’OLF. Par conséquent, il n’y a aucune incohérence interne avec la déclaration de l’agent selon laquelle le demandeur a nié avoir soutenu l’OLF.

[30]  Le défendeur affirme également que l’agent n’a pas mal qualifié la connaissance qu’avait le demandeur de la participation de son père à l’OLF. La distinction dont fait mention le demandeur est une simple paraphrase de la déclaration reconnue du demandeur selon laquelle il ne connaissait pas exactement la nature des activités de son père auprès de l’OLF.

[31]  Le défendeur prétend que les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), jointes aux motifs de la décision, indiquent que l’agent résume et évalue la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité. Dans les notes du SMGC, l’agent explique comment la réponse du demandeur vient contredire les renseignements qu’il a fournis dans son entrevue de 2015, sa réponse à la lettre de 2009, son entrevue de 2009 et son FER. Par conséquent, l’agent a dûment évalué la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité.

[32]  Le défendeur soutient également que l’agent n’a pas mal compris le fondement de la demande du demandeur. La décision de l’agent était principalement fondée sur le fait que le demandeur a d’abord affirmé avoir participé à l’OLF au cours de l’entrevue de 2009, puis a depuis changé son récit. L’agent a estimé qu’il s’agissait d’une contradiction et, par conséquent, il n’a pas trouvé crédible le récit du demandeur.

[33]  Le défendeur précise que le demandeur n’a pas soumis d’arguments expliquant les incohérences entre ses réponses soumises lors de l’entrevue de 2009, le FER, l’entrevue de 2015 et la réponse à la lettre relative à l’équité. Le demandeur a plutôt choisi de faire valoir que le défendeur n’était pas en droit d’invoquer ces incohérences pour justifier la décision. Comme il a été mentionné, le défendeur soutient qu’il est effectivement en droit de les invoquer. Ainsi, le défendeur souligne qu’en bonne partie, le fondement de la décision n’a pas été contesté.

VIII.  DISCUSSION

[34]  Selon la directive du juge Phelan datée du 1er mars 2017, les parties [traduction] « doivent composer avec le certificat [aux termes de l’article 9 des Règles] et ne seraient vraisemblablement pas en mesure d’utiliser les notes en tant que motifs de décision ». Puisque le juge Phelan s’est uniquement penché sur les questions liées à l’article 9 des Règles, sa directive ne touche pas les obligations du tribunal, aux termes de l’article 17 des Règles, de préparer un dossier qui comprend notamment « tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal administratif ». Ainsi, le tribunal avait l’obligation de divulguer toutes les « notes » ainsi que tout autre document pertinent comme la lettre relative à l’équité et la réponse du demandeur à cette lettre. Les parties reconnaissent que les notes mentionnées dans la directive du juge Phelan sont celles de l’entrevue du 25 mars 2009 en lien avec la première demande du demandeur. Les notes du SMGC relatives à la décision du 3 août 2016 faisant l’objet du contrôle ont été divulguées avec cette décision et ne sont pas exclues des motifs de la décision, selon la directive du juge Phelan.

[35]  En fait, la directive du juge Phelan empêche le défendeur d’étayer ses motifs au-delà de la décision et des motifs énoncés à l’article 9 des Règles; néanmoins, elle n’empêche ou n’excuse pas la non-divulgation de « documents pertinents ». Le tribunal devait divulguer les notes de l’entrevue de 2009 aux termes de l’article 17 des Règles, et ces notes ont été présentées à la Cour par suite d’une divulgation en application de cet article.

[36]  La demande de contrôle judiciaire porte donc essentiellement sur les motifs suivants :

[traduction]

Après avoir examiné attentivement tous les facteurs relatifs à votre demande, je ne peux conclure que vous êtes admissible au titre de l’une des catégories réglementaires, car je ne vous trouve pas crédible. J’ai constaté des incohérences importantes entre les réponses données lors de votre entrevue du 18 août 2015, l’allégation faite dans votre demande de PPR (figurant à l’annexe 2 et à l’exposé des faits), les réponses données lors de votre entrevue du 25 mars 2009 et l’allégation figurant au FER de votre demande précédente. J’ai examiné votre réponse à ma lettre relative à l’équité procédure datée du 10 mai 2016, mais vos réponses ont donné lieu à d’autres incohérences. Puisque la nature de votre participation à l’OLF est contredite d’une fois à l’autre, je doute de la crédibilité de votre récit. Et puisque votre participation à l’OLF constitue le fondement de votre demande d’asile, je ne peux conclure que votre crainte de persécution est bien fondée. Je ne peux conclure non plus que vous répondez à la définition d’un réfugié au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ni aux critères de la catégorie de personnes de pays d’accueil, aux termes de l’article 146 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

J’ai pris en compte les motifs d’ordre humanitaire dans le cas de votre dossier. Après examen de votre dossier, je n’ai pu cerner aucun motif d’ordre humanitaire convaincant.

[37]  Les notes du SMGC, qui font également partie des motifs, sont rédigées comme suit dans la partie qui est pertinente :

[traduction]

ÉCHEC DE L’ADMISSIBILITÉ : Le demandeur principal a répondu aux préoccupations que j’ai énoncées dans la lettre relative à l’équité procédurale envoyée le 10 mai 2016. J’ai examiné sa réponse. Le demandeur principal allègue que son père et lui ont soutenu l’OLF après le renversement du régime militaire de Dergue, car il avait été déclaré que tous les citoyens du pays avaient pleinement le droit d’appuyer le parti politique de leur choix et de se ranger derrière lui. Le demandeur principal précise qu’ils ont appuyé l’OLF jusqu’à ce que le groupe se retire du gouvernement de transition. Dans la même réponse, le demandeur principal a donné ses raisons pour soutenir l’OLF, notamment en expliquant la nature de sa participation à l’OLF ainsi que celle de son père. J’ai également remarqué que le demandeur principal était en mesure de fournir beaucoup de détails et d’exemples quant à la participation de son père. Cependant, à l’entrevue du 18 août 2015, le demandeur principal niait avoir soutenu l’OLF et affirmait ignorer la nature de la participation de son père au groupe. Auparavant, en réponse à une lettre datée du 31 mars 2009, le demandeur principal a indiqué qu’il n’avait jamais soutenu l’OLF de quelque façon, que ce soit, financière, alimentaire ou autre. Or, le demandeur principal a expliqué en détail dans son entrevue du 25 mars 2009 comment et pourquoi il avait appuyé l’OLF, notamment en leur fournissant de la nourriture et de l’argent et en rencontrant un certain membre de l’OLF toutes les semaines. Il a ensuite allégué qu’il devait y avoir eu un malentendu avec l’interprète. Cependant, il avait de toute évidence donné les mêmes renseignements au HCR précédemment, sa participation à l’OLF ayant été décrite en détail dans son FER. Étant donné l’ensemble des renseignements au dossier, mes préoccupations persistent. Les incohérences se multiplient d’un récit à l’autre chaque fois que le demandeur fournit d’autres renseignements. Puisque la participation du demandeur principal à l’OLF est contredite d’une fois à l’autre, je doute de la crédibilité de son récit. Et puisque sa participation à l’OLF constitue le fondement de sa demande d’asile, je ne peux conclure que sa crainte de persécution est bien fondée. Échec de l’admissibilité. La demande est rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[38]  La lettre relative à l’équité de l’agent datée du 10 mai 2016 ainsi que la réponse du demandeur datée du 30 juin 2016 sont également importantes pour la présente demande.

[39]  La lettre relative à l’équité est rédigée comme suit dans la partie pertinente :

[traduction]

Après avoir examiné tous les renseignements dont je dispose, j’ai constaté des incohérences importantes entre les réponses données lors de votre entrevue du 18 août 2015, l’allégation faite dans votre demande de PPR (figurant à l’annexe 2 et à l’exposé des faits), les réponses données lors de votre entrevue du 25 mars 2009 et l’allégation figurant au FER. Devant ces incohérences, j’ai des préoccupations quant à votre crédibilité.

Dans votre FER et les notes de l’entrevue, vous avez expliqué en détail comment et pourquoi vous aviez soutenu l’OLF, notamment en leur fournissant de la nourriture et de l’argent et en rencontrant un certain membre de l’OLF toutes les semaines. Afin d’examiner vos antécédents, nous vous avons demandé, dans une lettre datée du 31 mars 2009, de fournir plus de détails sur les dates auxquelles vous avez offert ce soutien. Vous avez déclaré n’avoir jamais soutenu l’OLF de quelque façon, que ce soit financière, alimentaire ou autre, et vous avez attribué ces incohérences à un malentendu de la part de l’interprète. Lors de l’entrevue du 18 août 2015, vous avez nié avoir soutenu l’OLF et avez affirmé tout ignorer de la nature de la participation de votre père au groupe. Cependant, vous avez également décrit votre soutien à l’OLF dans le FER.

[40]  Il est évident que la décision en l’espèce est celle d’une conclusion défavorable générale relative à la crédibilité en raison des [traduction] « incohérences importantes entre les réponses données lors de votre entrevue du 18 août 2015, l’allégation faite dans votre demande de PPR (figurant à l’annexe 2 et à l’exposé des faits), les réponses données lors de votre entrevue du 25 mars 2009 et l’allégation figurant au FER de votre demande précédente ». Le demandeur n’a pas réglé ces incohérences dans sa réponse à la lettre relative à l’équité.

[41]  Le demandeur avance maintenant une série d’arguments à l’appui de la présence d’une erreur susceptible de révision dans la décision. J’analyserai chacun de ces arguments séparément.

A.  Notes de l’entrevue du 25 mars 2009

[42]  Le demandeur soutient que les notes de l’entrevue de 2009 [traduction] « ne peuvent pas être utilisées pour justifier la décision en l’espèce », car elles font tout simplement partie de la décision que le juge Phelan a exclue dans sa directive du 1er mars 2017.

[43]  On peut répondre brièvement à cet argument en affirmant que ces documents ne sont pas exclus par la directive du juge Phelan, laquelle indique tout simplement que les parties [traduction] « doivent composer avec le certificat [en application de l’article 9 des Règles] et ne seraient vraisemblablement pas en mesure d’utiliser les notes en tant que motifs de la décision ». [Non souligné dans l’original.] Le juge Phelan ne mentionne rien au sujet de la divulgation énoncée à l’article 17 des Règles, laquelle, par obligation légale, exige que le tribunal produise tous les documents pertinents. En raison de la directive du juge Phelan, les notes de l’entrevue de 2009 ne peuvent pas être utilisées à l’appui des « motifs », mais elles doivent être examinées dans le contexte des éléments de preuve qui sous-tendent ces motifs. En l’espèce, ces éléments de preuve démontrent l’incohérence entre le récit du demandeur en 2009 et son récit de 2015, dont le demandeur a été informé par la lettre relative à l’équité.

[44]  Il n’y a aucun motif de droit qui viendrait appuyer l’exclusion de ces notes. Le demandeur tente d’exclure des éléments de preuve qui ne lui sont pas favorables.

B.  Formulaire d’enregistrement aux fins de la réinstallation

[45]  Une fois encore, le demandeur soutient que [traduction] « les incohérences entre le formulaire d’enregistrement aux fins de la réinstallation du HCR et d’autres documents ne peuvent pas être utilisées pour justifier la décision en l’espèce ». Il présente deux motifs pour cette affirmation :

[TRADUCTION]

a) « Le formulaire d’enregistrement aux fins de la réinstallation provient d’un bureau régional du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il s’agit d’un document externe qui n’a pas été fourni par le demandeur »;

b) « Tout comme les notes de l’entrevue du 25 mars 2009, ce document ne fait pas partie de la réponse du bureau des visas aux termes de l’article 9 des Règles. »

[46]  On peut répondre brièvement à ces affirmations en indiquant que le FER pertinent du demandeur lui a été effectivement fourni en lien avec la divulgation faite en application de l’article 17 des Règles, et qu’il n’avait pas à figurer dans la réponse aux termes de l’article 9 des Règles, car il ne s’agit pas d’un élément de preuve à divulguer aux termes de cet article.

[47]  Il n’y a aucun motif de droit pour appuyer l’exclusion du FER. Une fois encore, le demandeur tente d’exclure des éléments de preuve qui ne lui sont pas favorables.

C.  Soutien de l’OLF

[48]  Le demandeur soutient que les notes du SMGC sur l’entrevue de 2015 indiquent que [traduction] « le demandeur principal niait avoir soutenu l’OLF » et que cette affirmation fait fi du soutien « moral » du demandeur à l’OLF.

[49]  Le demandeur souligne qu’on lui a demandé : [traduction] « Avez-vous déjà contribué à l’OLF en argent ou sous une autre forme? », ce à quoi il a répondu : [traduction] « Non ». Il affirme maintenant que [traduction] « la contribution en argent ou autre est différente du soutien, qui peut être et qui a été de nature purement morale, selon d’autres documents du demandeur ».

[50]  Dans un autre échange, on a demandé au demandeur s’il avait déjà [traduction] « été un partisan ou un membre d’organisations politiques/religieuses/étudiantes/communautaires/professionnelles [sic] », et encore une fois, il a répondu [traduction] « Non ». Il affirme maintenant que [traduction] « cet échange n’est pas spécifiquement un reniement de soutien à l’OLF » et l’agent a mal compris son récit.

[51]  La notion de soutien « moral » invoquée par le demandeur est loin d’être claire. Il semble l’opposer à la notion de soutien « réel » qui, à vrai dire, signifierait tout simplement qu’il souscrivait aux objectifs de l’OLF, mais n’avait rien fait pour soutenir réellement le groupe. Vu la nature de ses questions, il est évident que l’agent cherchait à savoir si le demandeur avait apporté un soutien « réel » à l’OLF, et non pas simplement un soutien moral, ou s’il souscrivait aux objectifs du groupe.

[52]  Le demandeur ne prétend pas avoir donné des éléments de preuve cohérents à l’égard de son soutien à l’OLF, ce que confirme son dossier. Or, il demande à la Cour de trouver une erreur susceptible de révision fondée sur une prétendue distinction d’ordre sémantique. Rien dans le libellé de l’agent n’indique qu’il entend autre chose par « soutien » qu’un soutien réel, soit une contribution véritable en « argent ou autre ». Le demandeur tente simplement d’ouvrir un débat sémantique plutôt que de résoudre les incohérences réelles dans les éléments de preuve qui sont le fondement de la décision. Il ne s’agit pas d’un fondement suffisant pour un contrôle judiciaire. Le juge Gascon a été clair à cet effet dans la décision Newman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 888 [Newman] :

[14]  La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Dunsmuir, au paragraphe 47). Pour déterminer le caractère raisonnable d’une décision, la Cour peut non seulement examiner les motifs, mais elle peut également examiner le dossier sous-jacent (Newfoundland Nurses, au paragraphe 15). Cela dit, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit examiner les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15).

[Non souligné dans l’original.]

[53]  Le dossier est clair : le demandeur, dans sa réponse à la lettre relative à l’équité, a effectivement omis d’offrir une explication quant aux incohérences dans son témoignage. Il a plutôt soumis une troisième version sans fondement des événements, en affirmant ceci : [traduction] « J’ai assumé la responsabilité des activités de mon père. » Il n’explique pas adéquatement les raisons pour lesquelles il n’a pas donné ce récit dès le départ. Ces témoignages changeants n’expliquent pas les contradictions flagrantes avec ses témoignages antérieurs, ce qui a amené l’agent à conclure que [traduction] « vos réponses ont donné lieu à d’autres incohérences ».

D.  Participation du père

[54]  Le demandeur s’attarde également à une section des notes dans laquelle l’agent a écrit [traduction] « lors de l’entrevue du 18 août 2015, le demandeur principal a nié avoir soutenu l’OLF et a affirmé tout ignorer de la nature de la participation de son père à l’OLF ». Le demandeur affirme avoir dit ceci : [traduction] « Je ne connais pas exactement la nature de la participation de mon père à l’OLF, mais il a été accusé par le gouvernement de soutenir le groupe. » En revanche, il renie avoir dit [traduction] « tout ignorer de la nature de la participation de son père à l’OLF » et qu’il existe [traduction] « une différence entre ignorer la participation et ne pas connaître exactement la nature de la participation ».

[55]  À mon avis, il n’y a aucune incohérence entre le libellé du demandeur [traduction] « Je ne connais pas exactement la nature de la participation de mon père à l’OLF » et la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur [traduction] « [ignorait tout] de la nature de la participation de son père à l’OLF ». L’agent ne fait qu’indiquer que le demandeur n’était pas en mesure de décrire la nature de l’éventuelle participation de son père à l’OLF. De tels arguments sémantiques ne peuvent pas constituer le fondement d’une erreur susceptible de révision. Voir la décision Newman, précitée, au paragraphe 14. Encore une fois, le demandeur tente tout simplement de ne pas tenir compte du fondement de la décision, c’est-à-dire les incohérences et les contradictions flagrantes dans les éléments de preuve concernant sa propre participation à l’OLF.

E.  Réponse à la lettre relative à l’équité procédurale

[56]  Le demandeur allègue également une erreur susceptible de révision, car l’agent n’a pas fait référence à l’explication qu’il a fournie dans sa réponse à la lettre relative à l’équité. Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité, le demandeur reconnaît avoir affirmé soutenir, à une certaine époque, l’OLF en lui fournissant de l’argent et de la nourriture, même s’il ne l’avait pas fait réellement. Il a expliqué que son père avait apporté ce soutien et qu’il avait assumé la responsabilité des activités de son père. Il a reconnu plus tard que les activités de son père ne devraient pas lui être attribuées, même s’il a soutenu l’OLF moralement.

[57]  Les notes du SMGC indiquent clairement que l’agent a effectivement tenu compte de la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité. La décision elle-même informe le demandeur de ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné votre réponse à ma lettre relative à l’équité procédure datée du 10 mai 2016, mais vos réponses ont donné lieu à d’autres incohérences. Puisque la nature de votre participation à l’OLF est contredite d’une fois à l’autre, je doute de la crédibilité de votre récit.

[58]  L’agent n’est pas tenu d’accepter l’explication du demandeur. Il n’a qu’à en tenir compte et, s’il la trouve inacceptable, il n’a qu’à justifier sa décision. Il est évident que l’agent a procédé ainsi. Il est manifeste, à la lecture du dossier, que l’expression [traduction] « d’autres incohérences » signifie encore une autre nouvelle version concernant la participation du demandeur à l’OLF.

F.  Fondement de la demande

[59]  Le demandeur allègue que l’agent n’a pas bien décrit le fondement de sa demande d’asile. Dans sa décision, l’agent affirme ceci : [traduction] « Et puisque votre participation à l’OLF constitue le fondement de votre demande d’asile, je ne peux conclure que votre crainte de persécution est bien fondée. » Le demandeur soutient que ce n’est pas le cas, car le fondement de sa demande est [traduction] « sa participation perçue à l’OLF, et non sa participation réelle au groupe. Le demandeur a demandé à obtenir le statut de réfugié, car le gouvernement, selon ses dires, le soupçonnait de participer à l’OLF, et non parce qu’il y participait réellement. »

[60]  Le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]

Puisque le fondement de sa demande n’était pas sa participation à l’OLF, mais plutôt sa participation perçue au groupe, une conclusion relative à la crédibilité, laquelle est fondée sur sa participation réelle à l’OLF, ne traite pas du fondement de la demande.

[61]  Une fois encore, le demandeur cherche une faille sémantique autour du fondement réel de la décision. La décision est réellement fondée sur le fait que le demandeur n’est pas crédible :

[traduction]

Après avoir examiné attentivement tous les facteurs relatifs à votre demande, je ne peux conclure que vous êtes admissible au titre de l’une des catégories réglementaires, car je ne vous trouve pas crédible.

[Non souligné dans l’original.]

[62]  Lorsque l’agent affirme dans ses motifs que [traduction] « votre participation à l’OLF constitue le fondement de votre demande d’asile », il ne fait aucune distinction sur la nature de la « participation », à savoir si elle est réelle ou perçue, car l’agent ne croit tout simplement pas quoique ce soit du récit du demandeur concernant ses liens avec l’OLF. De façon générale, la décision indique clairement que le récit du demandeur concernant son soutien à l’OLF, et tout lien possible avec le groupe, est complètement incohérent. Puisque le demandeur a présenté un récit différent chaque fois qu’il a été appelé à décrire ses liens avec l’OLF, l’agent a naturellement porté son attention au fait que [traduction] « la nature de [sa] participation à l’OLF [était] contredite d’une fois à l’autre ». En outre, la [traduction] « participation [du demandeur] à l’OLF » était bel et bien le fondement de sa demande. Tout ce que cela signifie, c’est que la demande, qu’elle soit fondée sur la participation réelle ou perçue du demandeur à l’OLF, est principalement problématique en raison des incohérences du récit du demandeur concernant sa participation au groupe. Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité, le demandeur affirme que [traduction] « concernant mes activités personnelles, je n’ai pas participé à l’OLF autrement qu’en lui apportant un soutien moral » et que :

[traduction]

Mon soutien moral ainsi que la participation de mon père à l’OLF se sont poursuivis jusqu’à ce que l’OLF se retire du gouvernement de transition du pays. Par la suite, nous avons été ciblés par le FDRPE, nous avons subi de mauvais traitements, et notre vie entière a été démolie. Par conséquent, j’ai été contraint de quitter le pays pour sauver ma vie, car elle y était menacée.

[63]  L’agent n’a pas cru non plus ce récit pour les motifs qu’il a cités. L’agent n’a pas à s’attarder à la distinction que fait maintenant le demandeur, car il conclut que : [traduction] « Puisque la nature de votre participation à l’OLF est contredite d’une fois à l’autre, je doute de la crédibilité de votre récit » [non souligné dans l’original]. Cela comprend toute allégation du demandeur voulant qu’il ait été ciblé en raison de sa participation perçue.

G.  Équité procédurale

[64]  Dans sa réponse, le demandeur soulève la question de l’équité procédurale, même si elle est absente de son mémoire des arguments initial :

[traduction]

Si les incohérences entre les notes d’entretien de mars 2009 et le formulaire de réinstallation des réfugiés du HCR, d’une part, et les notes d’entretien d’août 2015, d’autre part, peuvent être utilisées pour justifier la décision, elles devaient, dans le respect du devoir d’équité, être divulguées au demandeur d’une manière ou d’une autre [...] Le demandeur soutient que l’obligation de divulgation exige la divulgation de documents externes lorsque l’agent des visas procède à une comparaison entre ces documents et ce qui est dit lors du ou des entretiens afin de tirer des conclusions d’incohérences.

[65]  Aucune autorité légale n’est citée pour appuyer cette simple assertion et, comme le souligne le défendeur, tel n’est pas l’état du droit. Le principe d’équité procédurale dans ce contexte exigeait seulement que l’agent fournisse suffisamment de renseignements dans sa lettre relative à l’équité afin de donner au demandeur une « occasion valable » de répondre aux préoccupations de l’agent concernant les incohérences. Voir la décision Hussaini, précitée, au paragraphe 10 et la décision Feng, précitée, au paragraphe 18.

[66]  En l’espèce, les détails fournis dans la lettre relative à l’équité sont suffisants pour offrir une occasion valable au demandeur de répondre aux préoccupations de l’agent concernant les incohérences du dossier. La lettre relative à l’équité informe le demandeur des éléments de preuve et décrit les incohérences. La réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité indique clairement qu’il était pleinement conscient de la nature du problème dans son dossier et qu’il savait ce qu’il devait clarifier. Il s’agit d’une situation semblable à celle dans la décision Feng, précitée, où le juge Zinn a formulé à ce sujet les observations suivantes :

[18]  En résumé, je conclus que l’omission de transmettre le courriel et ses pièces jointes aux demandeurs n’a pas empêché ces derniers d’élaborer une explication détaillée et complète; l’omission par l’agente de révéler la source des renseignements et de la preuve produite n’a pas lésé les demandeurs. Le niveau de détail donné dans la réponse à la lettre relative à l’équité révèle que les demandeurs n’auraient pas été en meilleure position pour réagir aux allégations si on leur avait fait parvenir le courriel et ses pièces jointes.

[Non souligné dans l’original.]

[67]  Le demandeur s’est efforcé dans sa demande d’éviter les conséquences d’une décision plutôt simple fondée sur des incohérences importantes dans ses propres éléments de preuve. Comme l’a souligné la juge Snider dans la décision Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 720 :

Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l’absence de crédibilité (Rajaratnam, précité) et c’est à bon droit que la Commission s’est appuyée sur ces contradictions et incohérences pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur en ce qui avait trait au compte rendu qu’il avait livré de son arrivée au Canada. La Commission a exposé les motifs de ses conclusions défavorables de manière claire et non équivoque et a relevé des exemples précis d’incohérences et de contradictions (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. No 228 (C.A.) (QL). Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en tirant une conclusion défavorable au sujet de la description que le demandeur a donnée de son arrivée au Canada.

[68]  Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la décision.

[69]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4639-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4639-16

 

INTITULÉ :

ABDULHALIM HASHIR ABDULRAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Brendan Friesen

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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