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Date : 20171016


Dossier : IMM-1227-17

Référence : 2017 CF 915

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

HUU SON NGUYEN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le procureur général du Canada, au nom du Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, recherche le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration [SAI] qui avait fait droit à l’appel de Monsieur Nguyen contre qui une mesure d’expulsion avait été prononcée par la Section de l’immigration le 6 septembre 2012.

[2]               Les règles s’appliquant au contrôle judiciaire de décisions administratives sont les mêmes, que le contrôle judiciaire soit demandé par le procureur général ou un justiciable. Ce qui constituera une décision raisonnable pour le justiciable qui se présente devant la Cour sera gouverné par les mêmes règles si c’est le procureur général qui recherche un contrôle judiciaire. Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du procureur général est rejetée.

I.                    Les faits

[3]               La mesure d’expulsion prononcée par la Section de l’immigration était en raison de l’inadmissibilité de M. Nguyen pour grande criminalité. C’est l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch 27) [LIPR] qui était invoqué et il se lit ainsi :

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[4]               Or, ce n’est pas la validité de cette mesure d’expulsion qui est contestée. Des infractions pour lesquelles M. Nguyen a été déclaré coupable se qualifient aux termes de l’alinéa 36(1)a). C’est plutôt que la SAI, en appel, a jugé que des considérations d’ordre humanitaire militaient en faveur de M. Nguyen. Cette fois, c’est l’alinéa 67(1)c) de la LIPR qui trouve application :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[5]               M. Nguyen a vécu au Canada pendant 27 ans. Il n’est jamais devenu un citoyen canadien et il est maintenant âgé de 46 ans.

[6]               Le procureur général prétend que le passé de M. Nguyen fait en sorte qu’il ne devrait pas bénéficier des considérations humanitaires pour lui permettre d’éviter l’expulsion dans son pays d’origine, le Vietnam. Pour ce faire, il faut bien sûr comparer le passé de M. Nguyen aux considérations relevées par la SAI.

[7]               Le dossier concernant M. Nguyen n’est pas limpide. Les faits présentés sont ambigus et de l’information qui aurait pu être utile n’a pas été rendue disponible. Quoi qu’il en soit, le passé de M. Nguyen que veut mettre en exergue le procureur général consiste essentiellement en des activités criminelles. Ce passé criminel comporte deux volets.

[8]               D’abord, M. Nguyen a été condamné en avril 1996 pour l’infraction grave de trafic de narcotiques, en l’espèce l’héroïne. M. Nguyen avait alors 25 ans et il était au Canada depuis 1990. Il a été condamné à purger une peine d’emprisonnement de 3 ans.

[9]               Ce n’est que le 16 novembre 2000 qu’une mesure d’expulsion a été prise à son égard. Cependant, cette mesure a fait l’objet d’un sursis pour une période de 3 ans; cette décision avait été rendue le 10 décembre 2001. Le dossier n’est pas clair quant à la raison pour laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada cherchait à obtenir une annulation du sursis de la mesure d’expulsion en février 2005 puisque celui-ci aurait dû avoir déjà expiré. On peut peut-être inférer que cette action a été prise à la suite de l’arrestation de Nguyen le 6 août 2004 pour une infraction de production et de possession en vue de faire le trafic de marijuana. Ce qui est paradoxal, c’est que ces accusations ont été retirées le 6 octobre 2005. Malgré cela, ledit sursis a fait l’objet d’une annulation par la SAI le 2 mai 2006. Les circonstances de ces incidents ne sont pas claires, mais M. Nguyen n’est jamais retourné dans son pays d’origine.

[10]           De toute manière, M. Nguyen a fait une demande pour obtenir la suspension de son casier judiciaire en vertu de la Loi sur le casier judiciaire (LRC (1985), ch C-47). Cette demande était faite à la Commission des libérations conditionnelles du Canada le 14 septembre 2006 et était accordée le 24 avril 2008.

[11]           Par ailleurs, M. Nguyen a été arrêté de nouveau en octobre 2009. Cette fois, il a fait l’objet d’accusations de possession de marijuana aux fins de trafic et de conspiration. Ce qu’il faut noter, c’est que sa participation à ce qui semblait être un réseau d’importance (88 personnes arrêtées) ayant fait l’objet d’une enquête des autorités policières pendant plusieurs années aurait été entre le 26 juin et le 9 octobre 2007. Dit autrement, son arrestation en octobre 2009 était pour des faits qui s’étaient produits plus de deux ans auparavant. Le rôle qu’il a effectivement joué dans cette possession de marijuana aux fins d’en faire le trafic au sein d’un réseau n’est pas expliqué au dossier devant la Cour. Ce que l’on sait, c’est que M. Nguyen a plaidé coupable à l’infraction le 14 décembre 2011. Une peine d’emprisonnement de 14 mois lui a alors été imposée.

[12]           On doit comprendre que M. Nguyen avait été remis en liberté sous condition à la suite de son arrestation d’octobre 2009. L’une de ces conditions semble avoir été qu’il ne devait pas être en possession d’un téléphone cellulaire. Or, le 28 novembre 2011, il a été trouvé au volant d’un véhicule automobile alors qu’il conduisait et utilisait un téléphone cellulaire. Intercepté par la police, on a vite fait de constater qu’il y avait violation d’une des conditions de sa remise en liberté et une accusation a donc été portée en vertu de l’alinéa 145(3)b) du Code criminel (LRC (1985), ch C-46). Ainsi, M. Nguyen a plaidé coupable à cette accusation le même jour qu’il se reconnaissait coupable de l’infraction de possession de stupéfiants aux fins d’en faire le trafic, soit le 14 décembre 2011. Une amende de 500$ lui a été imposée.

[13]           Il appert donc que M. Nguyen aura été coupable de trois accusations pour lesquelles il a plaidé coupable en avril 1996 et en décembre 2011. Quant à la première accusation, il a bénéficié d’une suspension du casier judiciaire. Quant aux deux autres infractions, elles sont liées d’une certaine manière en ce que l’accusation sous l’alinéa 145 (3) b) découle directement de l’accusation portée pour possession de marijuana aux fins d’en faire le trafic.

[14]           Le procureur général a aussi présenté que M. Nguyen a fait l’objet d’une arrestation le 6 août 2004, toujours en relation avec les narcotiques. Cependant, ces accusations ont été retirées le 6 octobre 2005, si bien que je vois mal en quoi cela pourrait avoir quelque incidence; le défendeur ne peut avoir à se défendre d’une accusation qui a été retirée. De même, lorsqu’arrêté en novembre 2011, il y avait dans l’automobile une épée en plastique au sujet de laquelle, semble-t-il, une accusation a été portée. Or, cette accusation a fait l’objet d’un acquittement en janvier 2012. Il en découle qu’aucune inférence négative ne peut être tirée à cet égard. Enfin, une somme d’argent se trouvait dans le véhicule que conduisait le défendeur le 28 novembre 2011, véhicule dont il n’était pas le propriétaire. La possession de cette somme d’argent n’a pas fait l’objet d’une accusation non plus.

[15]           Sur l’autre plateau de la balance se trouvent les considérations humanitaires qui ont été retenues par la SAI. La SAI aura considéré que l’expulsion de M. Nguyen causerait des difficultés et des bouleversements à sa famille. En effet, l’appelant et sa conjointe ont trois fils mineurs âgés au moment de la décision de 8, 11, et 13 ans. Sa conjointe de fait et les trois fils sont tous des citoyens canadiens et ils n’accompagneraient pas M. Nguyen si celui était contraint de quitter le Canada. Le défendeur est aussi le père d’une fille, âgée de 20 ans au moment de la décision, qui poursuit des études universitaires à Toronto. Cependant, elle a témoigné pour dire qu’elle revenait fréquemment à Montréal pour y vivre avec son père et ses trois demi-frères. Elle a témoigné que ses trois demi-frères seraient dévastés si leur père était expulsé. C’est ainsi que la SAI déclare dans sa décision qu’ « (i)l est dans l’intérêt supérieur des trois fils mineurs de l’appelant que leur père puisse continuer de jouer un rôle actif dans leur éducation » (para 22).

[16]           Qui plus est, la SAI mettait en exergue que la seule infraction criminelle pour laquelle le défendeur a été trouvé coupable depuis les faits survenus entre juin et octobre 2007 est l’utilisation d’un téléphone cellulaire en contravention avec les conditions de son cautionnement. Pour les infractions dont il a été trouvé coupable, aucun recours à la violence n’a été noté.

[17]           Ainsi, pour la SAI, M. Nguyen « a démontré avoir la capacité de fonctionner dans la société sans risque de récidive et, selon toute vraisemblance, la capacité de mener une vie exempte de crime » (para 21). Il occupe un emploi rémunéré depuis 2 ans et a déclaré ses revenus aux autorités fiscales. C’est ainsi que la SAI a fait droit à l’appel, évitant ainsi l’expulsion à M. Nguyen.

II.                 Norme de contrôle et analyse

[18]           Il ne saurait faire de doute que la norme de contrôle en l’espèce est la norme de la décision raisonnable. En effet, cette question a fait l’objet d’une décision de la part de la Cour Suprême du Canada, dans le contexte d’une révision judiciaire d’un appel de la SAI en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]. Il n’est pas inutile de rappeler combien la décision prise en vertu de l’alinéa 67(1)c) est discrétionnaire. Dans Khosa, le Juge Binnie, pour une pluralité de 5 des 7 juges ayant entendu l’affaire, écrivait aux paragraphes 57 et 58 :

[57]      Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé [. . .] il y a [. . .] des motifs d’ordre humanitaire justifiant [. . .] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaires », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle-même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique. [...]

[58]      L’intimé n’a soulevé aucune question de pratique ou de procédure. Il a reconnu que la mesure de renvoi avait été validement prise contre lui en application du par. 36(1) de la LIPR. Sa contestation visait directement le refus de la SAI de lui accorder un « privilège discrétionnaire ». La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier. La SAI a eu l’avantage de tenir les audiences et d’évaluer la preuve, y compris le témoignage de l’intimé lui-même. Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR. Considérés ensemble, ces facteurs font clairement ressortir que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique. Aucun motif ne permettrait d’aboutir à un résultat différent. Le paragraphe 18.1(4) ne comporte aucun élément qui s’opposerait à l’adoption de la norme de contrôle de la « raisonnabilité » à l’égard des décisions rendues en vertu de l’al. 67(1)c). Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la « raisonnabilité ».

[19]           Il en découle que celui qui s’attaque à une telle décision pour en obtenir le contrôle judiciaire doit faire la démonstration, par prépondérance des probabilités, que ladite décision n’est pas raisonnable. Le Juge Binnie, dans Khosa, exprime clairement quelles sont les conséquences d’un tel fardeau. On lit au paragraphe 59 de la décision :

[59]      La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

[20]           Lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que la SAI n’avait pas tort de mettre en exergue que la condamnation pour possession aux fins d’en faire le trafic remontait à des faits qui se sont produits entre juin et octobre 2007. La seule anicroche est venue en novembre 2011 alors que M. Nguyen a été intercepté alors qu’il utilisait un téléphone cellulaire, ce qui lui était interdit par les conditions de sa remise en liberté. Une amende de 500$ a disposé de la question.

[21]           J’ai questionné l’avocat du procureur général au sujet de la première condamnation, celle de 1996 relative à ce que d’aucuns appellent une drogue dure, l’héroïne. De fait, M. Nguyen avait alors été condamné à trois années de pénitencier. Cependant, cette condamnation a fait l’objet d’une suspension en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. L’avocat est demeuré largement coi lorsque questionné sur l’effet d’une telle suspension et quel serait l’effet d’une condamnation subséquente au prononcé de la suspension. Selon l’avocat, le dossier n’était pas clair. On avait indiqué que l’effet de la suspension était de ne pas ternir la réputation du demandeur. En fait, l’article 2.3 de la Loi sur le casier judiciaire établit que non seulement la réputation de celui dont le casier judiciaire a été suspendu ne devrait pas être ternie, mais la suspension établit que le demandeur s’était bien conduit et, d’autre part, la suspension « fait cesser toute incapacité ou obligation que la condamnation pouvait entraîner en vertu d’une loi fédérale ». Ainsi, à moins que la suspension ne fusse révoquée ultérieurement, celui qui obtient la suspension bénéficie du classement de son dossier à part des autres dossiers judiciaires et fait cesser toute incapacité ou obligation. Le demandeur n’a pas été en mesure d’éclairer la Cour davantage sur l’effet à donner à la suspension obtenue et si elle a fait l’objet d’une révocation.

[22]           À tout événement, à moins d’une révocation, il apparaîtrait que le poids à donner à une condamnation rendue en 1996, mais faisant l’objet d’une suspension du casier judiciaire, jouerait clairement en faveur d’un poids limité. On aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement soit plus éclairant à cet égard. D’autre part, l’avocat a dit s’en remettre davantage aux plaidoyers de culpabilité de décembre 2011.

[23]           À la lumière de ce qui précède, l’argument du demandeur selon lequel l’erreur déraisonnable commise aurait été la minimisation de la gravité des crimes commis par le défendeur tient mal la route.

[24]           Pour ce qui est de la condamnation, le dossier ne révèle pas si la suspension de casier judiciaire vaut toujours et quel effet cela aurait sur la décision de la SAI. De toute façon, l’infraction avait été commise il y a plus de vingt ans et le procureur général a plutôt voulu se reposer sur les deux condamnations plus récentes.

[25]           Je n’ai pu trouver nulle part la minimisation de la gravité des infractions alléguées par le demandeur. Il est vrai que les faits ayant mené à l’accusation relative aux stupéfiants remontent à 2007. La preuve ne permet pas de conclure au rôle joué par M. Nguyen ou qu’il y ait eu violence. Ce n’est pas minimiser déraisonnablement la gravité de l’infraction que de conclure qu’il n’y a aucun élément aggravant.

[26]           La tentative de colorer le dossier en parlant d’autres événements ne saurait être retenue contre la SAI. Des accusations retirées ou pour lesquelles des acquittements sont enregistrés ne devraient, à mon sens, bénéficier d’aucun poids. C’est encore davantage le cas lorsque des accusations ne sont même pas portées. Si des soupçons peuvent exister pour certains, cela ne fait pas en sorte qu’une décision d’un tribunal administratif en devient déraisonnable.

[27]           Le demandeur se plaint aussi que la SAI n’aurait pas fait une évaluation raisonnable des facteurs énoncés dans Ribic c Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] IADD No 4 (QL) [Ribic]. Ces facteurs qui ont été endossés par la Cour Suprême du Canada dans Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84 [Chieu] servent dans l’évaluation des circonstances pouvant donner lieu à des mesures spéciales, évitant l’expulsion pour des motifs humanitaires. La liste est indicative et n’est pas exhaustive. Il convient de citer au texte le paragraphe de Ribic qui est endossé par la Cour Suprême du Canada au paragraphe 40 de Chieu :

Dans chaque cas, la Commission tient compte des mêmes considérations générales pour déterminer si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la personne ne devrait pas être renvoyée du Canada. Ces circonstances comprennent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la durée de la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. Même si les questions générales à examiner sont similaires dans chaque affaire, les faits, eux, ne sont que rarement, voire jamais, identiques.

[28]           Le demandeur prétend que la conclusion de la SAI que le défendeur est réadapté serait déraisonnable et irrationnelle à sa face même. Outre qu’il s’agit d’une déclaration forte, on ne comprend pas pourquoi elle est faite. D’abord, la SAI n’a pas conclu que le demandeur est réadapté. Elle s’est plutôt contentée d’accepter la capacité du demandeur de fonctionner dans la société sans risque de récidive. De plus, le demandeur ne démontre aucunement en quoi cette conclusion serait déraisonnable. La Cour d’appel fédérale écrivait dans Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 :

[28]      Lorsqu’il applique la norme de la décision raisonnable, le juge n’élabore pas sa propre opinion sur la question pour la substituer ensuite à la décision de l’administrateur, en déclarant déraisonnable tout ce qui est incompatible avec cette opinion. Autrement dit, le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur et déclarer déraisonnable tout ce qui est contraire à ce critère. Ce faire équivaudrait, de la part du juge, à élaborer, affirmer et imposer son propre point de vue sur la question, soit un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte.

[29]           Le demandeur n’a jamais fait quelque démonstration de l’absence de raisonnabilité de cette décision et il invite la Cour à le suivre parce que, selon lui, à sa face même, la conclusion de la SAI est déraisonnable (para 5, mémoire des faits et du droit). Il ne suffit pas de déclarer une chose pour qu’elle soit démontrée. Il ne suffit pas plus d’arguer qu’une solution différente serait possible, ou même, plus adéquate. Il faut démontrer que la décision n’est pas l’une des issues possibles et acceptables en fonction des faits et du droit. Le demandeur prétend à un historique de non-respect des lois. Lorsqu’on y regarde de plus près, il n’est pas déraisonnable de conclure que ce non-respect, qui remonte en fin de compte à octobre 2007 avec une anicroche en 2011, n’a pas fait l’objet d’une démonstration telle que les considérations d’ordre humanitaire ne contrebalancent pas le tout. Si on considère le casier judiciaire de M. Nguyen pour ce qu’il est, on pouvait raisonnablement tirer la conclusion qu’il est mince. Des accusations retirées, des acquittements et des accusations non portées ne sauraient être considérés. C’est ce qu’a fait la SAI. Le demandeur fait fi des considérations humanitaires qui ont été retenues par la SAI. Elles me semblent pourtant bien présentes et elles méritaient d’être mises sur la balance. Le silence du demandeur à cet égard ne l’avantage point. Ces considérations sont non seulement pertinentes, mais elles sont essentielles à l’examen sous l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[30]           On peut concevoir qu’une autre conclusion que celle de la SAI puisse être possible en fonction des faits et du droit. Mais le fardeau sur le demandeur est de démontrer que la conclusion à laquelle la SAI en est arrivée n’est pas l’une des issues possibles acceptables en fonction des faits et du droit. Cette démonstration n’a pas été faite et le procureur général est tenu aux mêmes normes que tout autre justiciable. De plus, la décision de la SAI est justifiée, transparente et intelligible, comme le requiert l’état du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick), 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, para 47). La preuve qui était disponible à la SAI est tout à fait conforme à la décision à laquelle elle en est venue lorsque le casier judiciaire, sur lequel se repose exclusivement le procureur général, est examiné adéquatement et est comparé aux considérations humanitaires, incluant l’intérêt supérieur des enfants. On oppose au casier judiciaire les 27 années passées au Canada, la famille, les bouleversements qui seraient causés, les difficultés qui seraient rencontrées au Vietnam que le défendeur a quitté en 1987. Le demandeur ne s’est pas déchargé du fardeau qui était le sien.

[31]           Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-1227-17

LA COUR STATUE que :

1.    La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.    Les parties n’ont pas soulevé une question grave de portée générale. Aucune telle question n’est certifiée.

3.    Aucune raison n’existe pour imposer des dépens.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1227-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c HUU SON NGUYEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Michel Pépin

 

Pour le demandeur

 

Viken Artinian

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Allen & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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