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Date : 20171017


Dossier : IMM-1008-17

Référence : 2017 CF 920

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

ANITA BOZIK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande concerne une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) dans laquelle les demandeurs, des ressortissants hongrois d’origine ethnique rome, présentent une demande d’asile en application de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au motif que, s’ils devaient retourner en Hongrie, ils seraient exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de leur origine ethnique. Dans une décision datée du 17 janvier 2017, l’agent ayant effectué l’ERAR (agent) a rejeté la demande des demandeurs.

[2]  À l’appui des arguments de la demanderesse selon lesquels elle craint d’être persécutée en Hongrie bien fondée et que l’État n’est pas en mesure de protéger adéquatement les citoyens roms, la demanderesse a déposé deux volumes de preuve des conditions dans son pays. Le témoignage de la demanderesse a été jugé crédible et son identité en tant que ressortissante hongroise d’origine rome n’a pas été remise en question.

[3]  La Cour doit décider si l’agent a apprécié correctement les éléments de preuve portant sur les conditions dans le pays de la demanderesse. Voici les extraits de la décision visée par le contrôle judiciaire qui donnent lieu au contentieux :

La demanderesse a également présenté deux volumes contenant 120 pages et 184 pages d’éléments de preuve documentaire étayant les conditions dans son pays, qui comprennent des articles de nouvelles et de recherche venant de diverses sources et portant sur les questions en matière de droits de la personne et de justice sociale concernant la situation des Roms en Hongrie. Après avoir examiné ces articles, je reconnais que la population rome en Hongrie est confrontée à des attitudes sociales qui sont inhospitalières et intolérantes. Notamment, la discrimination contre les Roms en matière d’éducation, de logement, d’emploi et d’accès aux lieux publics a été déterminée comme des préoccupations. Le développement du nationalisme de droite a exacerbé davantage le sentiment anti-Roms, la rhétorique xénophobe et la violence fondée sur la violence. [traduction] « Bien que j’aie examiné tous ces documents dans le cadre de l’évaluation de la situation prévalant au pays, ceux-ci sont de nature générale et n’établissent pas un lien direct avec la situation personnelle du demandeur. Les éléments de preuve relatifs à la situation dans un pays ne sont pas en soi suffisants pour démontrer que le demandeur est personnellement exposé à un risque de subir un préjudice. »

La demanderesse craint l’insécurité en raison des groupes racistes organisés et de la croissance et de l’influence du parti politique de droite Jobbik.

Les éléments de preuve documentaire déposés indiquent que les Roms ont fait face à de l’intimidation de la part des milices nationalistes radicales. Des groupes comme la Garde hongroise ont tenu des rassemblements incitant à la violence dans les campements roms. La demanderesse déclare que la situation est exacerbée par la police qui est du côté de ces groupes. Même si la demanderesse affirme qu’elle n’a jamais été attaquée, elle savait que ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne subisse un préjudice. Même si cette possibilité existe certainement, elle est fondée sur une simple supposition. Je conclus que la demanderesse n’a pas déposé suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle risque d’être victime de violence aux mains de ces groupes.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, aux pages 3 et 4)

[4]  L’avocat de la demanderesse soutient que l’approche adoptée par l’agent en ce qui concerne les éléments de preuve des conditions dans le pays est contraire à la loi parce qu’elle confond les critères pour établir la demande d’asile de la demanderesse en application de l’article 96 avec les exigences nécessaires pour établir une demande d’asile en application de l’article 97. L’avocat de la demanderesse soutient que ces deux motifs d’asile sont distincts et que la pertinence et la valeur probante des documents portant sur les conditions dans le pays sont traitées de manière différente par les deux articles.

[5]  L’argument bien étayé de l’avocat de la demanderesse concernant la qualité et, par conséquent, le caractère raisonnable de la décision visée par le contrôle judiciaire est reproduit ci-dessous :

L’article 96 vise clairement à protéger les personnes qui craignent à juste titre d’être persécutées en raison du fait de faire partie d’un groupe plus général de personne de la même race, religion, nationalité ou ayant les mêmes opinions politiques et caractéristiques inhérentes à la personne et donc essentiellement inchangeables. Selon l’article 96, la personne doit, à titre de point de départ, établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle fait partie d’un des groupes que la Convention vise à protéger. Une fois que ce lien est établi, on fait ensuite valoir le fait que les documents sur les conditions générales du pays qui rendent compte du traitement des membres de ce groupe ne sont plus de nature générale; ils sont maintenant propres au demandeur. Il y a des décisions de nombreuses sources, y compris des travaux savants, le manuel du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), la jurisprudence de la Cour fédérale du Canada et les directives publiées par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour évaluer les demandes d’asile des femmes et des enfants, qui confirment toutes l’importance de la preuve des conditions générale du pays quant au traitement de personnes dans des situations semblables en ce qui concerne l’évaluation de leur demande en vertu de l’article 96.

D’autre part, l’article 97 vise essentiellement à offrir une protection aux personnes qui ne sont pas visées par l’article 96 ou qui n’ont pas, pour une raison quelconque, rempli toutes les conditions exigées en application de l’article 96 pour être considérées comme des réfugiés au sens de la Convention. La protection en application de l’article 97 peut être offerte à ces personnes si elles peuvent établir, entre autres, que le risque auquel elles sont exposées n’est pas un risque auquel sont généralement exposées d’autres personnes originaires de ce pays ou les personnes qui s’y trouvent, et qu’elles seraient personnellement assujetties aux risques de traitements ou peines cruels et inusités, de torture ou d’une menace à sa vie.

Je soutiens que l’article 96 vise à protéger des personnes qui font partie de groupes de personnes potentiellement importants qui pourraient tous être exposés à des mesures de persécution en raison de leurs caractéristiques inhérentes reconnues par la Convention comme un motif de protection. Par conséquent, les éléments de preuve qui concernent un groupe particulier ne constituent pas un document sur les conditions générales du pays, ils constituent une preuve du traitement général d’un groupe particulier dont est membre un demandeur. Cela ne veut pas dire que chaque membre d’un groupe qui est généralement exposé à des mesures ou à des risques équivalents à la persécution est automatiquement réputé être un réfugié au sens de la Convention. Toutefois, le fait qu’une personne a établi qu’elle est membre de ce groupe général, qu’elle ne s’est pas distinguée d’être susceptible d’être soumise au traitement dont le groupe fait habituellement l’objet et qui a établi qu’elle éprouve une crainte subjective, conformément aux exigences, et qu’elle n’a pas accès à une protection de l’État adéquate devrait être considéré comme une situation de réfugié au sens de la Convention si les documents portant sur les conditions générales du pays appuient cette conclusion. Le fait d’importer les principes de risque généralisé et personnalisé de l’article 97 à la décision relative aux éléments de preuve documentaire qui sont pertinents à une évaluation du bien-fondé des demandes en application de l’article 96 pourrait entraîner des décisions déraisonnables dans le contexte de la prise de décision concernant l’ERAR. Les documents sur les conditions dans le pays ne sont pas habituellement écartés au motif qu’ils sont généralisés et non personnels aux demandeurs au niveau de la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés puisqu’il est bien établi qu’un examen équitable de la preuve des conditions générales du pays est absolument nécessaire pour trancher une question en matière de protection en application de l’article 96.

Selon l’argument présenté par la demanderesse, l’erreur centrale découlant d’une décision déraisonnable était l’omission de tenir compte, dans sa totalité, des éléments de preuve documentaire des conditions générales du pays concernant le traitement des Roms en Hongrie au motif qu’elle n’établissait pas un lien avec les circonstances personnelles des demandeurs. On soutient que les documents sur les conditions générales du pays n’établissement pas un lien avec les circonstances personnelles des demandeurs. Selon l’article 96, la demanderesse doit établir un lien avec le groupe qui bénéficie de la protection en application de la Convention, en l’espèce, fondé sur son origine rome. Le lien a été établi. Ni sa crédibilité ni son affirmation selon laquelle elle est Hongroise d’origine rome n’ont été remises en question. Une fois que le lien avec la Convention est établi, la preuve des conditions générales pour les Roms dans des situations semblables à celle de la demanderesse devient entièrement pertinente puisqu’elle lui est personnelle. Il est soutenu que l’agent chargé de l’ERAR semble avoir cherché une preuve au sein des documents généraux renvoyant plus particulièrement à cette demanderesse et, puisqu’un tel renvoi n’existe pas, il a conclu que le lien n’existe pas.

[Non souligné dans l’original.]

(Argument additionnel de la demanderesse, aux paragraphes 5 à 8)

[...]

Il est soutenu que, dans le cas de la demanderesse, l’agent se protège en invoquant l’argument selon lequel [traduction] « les documents [...] sont de nature générale et n’établissement pas un lien direct avec les circonstances personnelles de la demanderesse »; l’épithète que l’on fait également valoir, avec respect, est [traduction] « ne suffit pas ». Selon tout ce qui précède, on soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a omis d’évaluer de manière appropriée le risque de la demanderesse en application de l’article 96 au regard de tous les éléments de preuve et, plus important encore, des documents objectifs sur les conditions du pays. L’explication semble être liée à la confusion entre les principes de risque général et de risque personnel dans la mesure où ils s’appliquent à l’article 97 [sic] plutôt qu’à l’article 97. On fait toutefois valoir le fait que, peu importe l’erreur commise, la décision est déraisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

(Argument additionnel de la demanderesse, au paragraphe 24)

[6]  Un précédent particulièrement important qui étaye l’argument de l’avocat de la demanderesse est la décision du juge Strickland dans Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166.

[7]  L’utilisation appropriée de la preuve des conditions du pays constitue une question soulevée dans la présente demande. Je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse pour dire que l’agent devait examiner la preuve des conditions du pays déposée pour le compte de la demanderesse afin de décider si la crainte de violence subjective de la demanderesse était fondée sur une preuve objective. La preuve de l’expérience des personnes dans une situation semblable à celle de la demanderesse peut constituer le fondement objectif.

[8]  Comme l’agent a conclu dans les extraits tirés de la décision citée ci‑dessus, les craintes d’incertitude de la demanderesse en raison de groupes racistes organisés et de l’importance accrue et l’influence du parti politique Jobbik de droite. Dans l’argument présenté à l’agent, l’avocat de la demanderesse a renvoyé à la preuve des conditions du pays qui permet d’établir que des personnes dans une situation semblable à celle de la demanderesse avaient été victimes de la violence qu’elle craint.

[9]  Je conclus que l’agent devait apprécier attentivement ces éléments de preuve et établir leur valeur en ce qui concerne la demande de la demanderesse. Si, selon les éléments de preuve, la crainte de la demanderesse passait d’une supposition à plus qu’une simple possibilité d’être victime d’une violence de persécution, elle aurait établi sa demande d’asile. Je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse pour dire que l’agent n’a pas évalué de manière appropriée la preuve des conditions du pays déposée par la demanderesse de cette façon. En conséquence, je conclus que la décision était déraisonnable.

[10]  Ironiquement, tel que cela a été cité et souligné ci-dessus, l’agent a tiré une conclusion fondée sur la preuve des conditions du pays qui peut être interprétée de manière équitable comme établissant effectivement la demande de la demanderesse. Cela veut dire que, même si l’argument selon lequel elle sera victime de la violence qu’elle craint constitue une conjecture, il est possible qu’elle en sera une victime :

Même si la demanderesse affirme qu’elle n’a jamais été attaquée, elle savait que ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne subisse un préjudice. Même si cette possibilité existe certainement, elle est fondée sur une simple supposition.

[11]  Je suis d’avis que, pour que l’agent tire cette conclusion, la demanderesse avait droit à ce que sa demande d’ERAR soit accordée. Puisqu’en vertu de la décision visée par le contrôle judiciaire, sa demande a été refusée, je constate un deuxième motif pour conclure que la décision est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR annule la décision visée par le présent contrôle et renvoie l’affaire pour réexamen par un autre décideur.

Il n’y aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1008-17

INTITULÉ :

ANITA BOZIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 octobre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

Le 17 octobre 2017

COMPARUTIONS :

John W. Grice

Pour la demanderesse

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVIS AND GRICE

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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