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Date : 20171006


Dossier : T-503-16

Référence : 2017 CF 861

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SANDRA CROWCHILD

demanderesse

et

LA NATION TSUU T’INA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Sandra Crowchild (la demanderesse) me demande d’infirmer des décisions rendues par le chef et le conseil de la Nation Tsuu T’ina (Tsuu T’ina) d’attribuer vingt-cinq acres de terres de la réserve qu’elle occupe à sa demi-sœur Regina Crowchild. Elle prétend que le processus était injuste, qu’on ne lui a pas signifié le moment où se tenaient les réunions clés au cours desquelles les décisions ont été prises et qu’on ne lui a pas donné l’occasion de donner son point de vue. Elle prétend aussi que le processus suivi suscite une crainte raisonnable de partialité, parce qu’Emmet Crowchild a joué un rôle important en tant que membre du conseil de bande, en dépit de son intérêt personnel à l’égard de l’issue. La demanderesse veut que ces décisions soient infirmées et demande de renvoyer l’affaire avec des directives.

[2]  Tsuu T’ina soutient que la demanderesse présente sa demande hors délai et qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut contester qu’une décision, plutôt que les deux décisions visées en l’espèce. Tsuu T’ina prétend aussi que les décisions ont été prises de manière équitable et que je devrais hésiter à jouer un rôle dans le processus décisionnel visant à déterminer qui peut occuper quelles terres de la réserve Tsuu T’ina.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire. Les décisions sont annulées et l’affaire est renvoyée au chef et au conseil de Tsuu T’ina.

I.  Contexte

[4]  Tsuu T’ina, signataire du traité no 7, occupe environ 70 000 acres de terres désignés sous le nom de Réserve indienne Tsuu T’ina (Sarcee) no 145, qui jouxte les limites de la ville de Calgary. L’État détient ces terres, qui sont des terres de réserve en application de la Loi sur les Indiens (LRC 1985, c I-5), en fief simple à l’usage et au profit de la Première Nation. Tsuu T’ina ne délivre pas de certificats de possession en application de l’article 20 de la Loi sur les Indiens et n’a pas adopté de politiques, de procédures ou de règlements internes écrits sur l’attribution des terres de réserve. Elle suit plutôt ses propres coutumes et traditions pour attribuer et réattribuer des terres de réserve. Ces affaires sont traitées de façon [traduction] « ponctuelle » et les décisions rendues sur les questions foncières sont exposées dans des directives émises par le chef et le conseil. Deux directives de ce genre sont contestées en l’espèce.

[5]  Le litige remonte à la fin des années 1940 ou au début des années 1950, lorsque Tsuu T’ina a attribué, selon ses coutumes et sa pratique, plusieurs centaines d’acres de terres de réserve à Harold Crowchild. En 1955, Harold Crowchild a abandonné sa femme Violet et leurs enfants. Violet a habité sur les terres Crowchild jusqu’à son décès. La demanderesse est née de Violet Crowchild en 1958; elle a habité avec sa mère sur les terres Crowchild pratiquement toute sa vie. La demanderesse et sa mère ont aménagé ces terres afin d’en faire une exploitation bovine opérationnelle.

[6]  Au fil du temps, il est devenu entendu que les terres Crowchild étaient destinées à l’usage de Violet, conformément aux coutumes et aux pratiques de Tsuu T’ina. À la fin des années 1970, le ministère des Terres de Tsuu T’ina a inscrit 212,5 acres de terres de réserve attribués à Violet Crowchild. En 1967, une maison (l’ancienne maison) a été construite pour Violet Crowchild, où la demanderesse et elle ont habité jusqu’à ce que Tsuu T’ina lui construise une nouvelle maison, au milieu des années 1980. La demanderesse a habité avec sa mère dans la nouvelle maison jusqu’au décès de sa mère, en 2014. Depuis, la demanderesse habite toujours dans la maison.

[7]  En 1994 environ, Violet Crowchild a consenti à l’attribution de 27 acres des terres Crowchild à Emmet Crowchild, son petit-fils. Emmet Crowchild et sa mère, Vera Marie Crowchild, ont habité sur cette terre dans des maisons attribuées par Tsuu T’ina.

[8]  L’utilisation et l’occupation des terres Crowchild ont fait l’objet de litiges. L’un des incidents consignés dans le dossier est lié aux efforts déployés par Emmet Crowchild pour bâtir une clôture sur des terres extérieures au terrain qui lui a été attribué; il semble qu’il cherchait à s’approprier le contrôle d’une partie supplémentaire des terres Crowchild. Dès qu’elle s’en est aperçue, Violet Crowchild a porté plainte devant les autorités de la réserve. À la suite de l’intervention de la police autochtone de Tsuu T’ina et de l’échec d’un ordre de suspendre les travaux émis par l’agent de développement économique et de développement des entreprises, le chef et le conseil ont pris une ordonnance visant à faire retirer la clôture.

[9]  Deux événements clés survenus plus récemment ont jeté les bases de la présente instance : Emmet Crowchild a été élu au poste de chef et au conseil et le nom de Regina Crowchild, la tante d’Emmet (et la demi-sœur de la demanderesse), a refait son apparition sur la liste des membres de la bande après de nombreuses années. En 2014 ou environ, le chef et le conseil ont approuvé une maison pour Regina Crowchild; cette approbation ne lui donnait toutefois pas le droit de commencer la construction, étant donné qu’aucune terre ne lui avait été attribuée à cette fin. Selon les coutumes et les traditions de la Première Nation, on s’attendait à ce que Regina Crowchild discute de l’attribution de terres avec les membres de sa famille afin de déterminer s’il était possible de conclure un arrangement adéquat. À défaut de le faire, selon la coutume et la pratique, elle doit présenter l’affaire au gestionnaire des terres de Tsuu T’ina. Cette démarche n’a cependant pas donné lieu à une solution satisfaisante.

[10]  Tsuu T’ina a ensuite discuté de cette affaire à plusieurs reprises, ce qui a donné lieu à l’émission des deux directives en litige dans la présente instance. Après l’émission de la directive définitive, une série de discussions a eu lieu entre les parties afin de déterminer des façons possibles de répondre aux préoccupations continues de la demanderesse sur l’attribution des terres en litige. Lorsque ces discussions n’ont pas abouti à un accord satisfaisant, la demanderesse a fini par recourir aux services d’un avocat et a amorcé la présente instance.

II.  Questions en litige

[11]  Trois questions se posent en l’espèce :

  • (i) La demande est-elle frappée de prescription par le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC, 1985, c F-7) ou parce qu’elle contrevient à l’article 302 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106), puisqu’elle conteste deux décisions rendues par le chef et le conseil de Tsuu T’ina?

  • (ii) Les décisions respectent-elles l’équité procédurale?

  • (iii) Quel est le redressement approprié?

III.  Discussion

A.  Première question : La demande est-elle frappée de prescription?

[12]  J’aborderai les deux questions préliminaires ensemble : la demande est-elle présentée hors délai en application du paragraphe 18.1(2) ou est-elle frappée de prescription en application de l’article 302 des Règles, étant donné qu’elle conteste plus d’une décision rendue par le chef et le conseil?

[13]  La demanderesse cherche à faire infirmer deux décisions prises par le chef et le conseil de Tsuu T’ina, comme il est indiqué dans la directive 218 émise le 3 juillet 2015 et la directive 244 émise le 3 septembre 2015. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 24 mars 2016.

[14]  Tsuu T’ina soutient que la demande porte sur deux décisions entièrement différentes et qu’elle doit être rejetée parce qu’aucune explication raisonnable ne justifie le retard. Tsuu T’ina prétend que la demanderesse doit prouver la diligence raisonnable au moment de respecter le délai prévu au paragraphe 18.1(2). Le fait d’attendre que les détails entourant une décision soient connus ne suffit pas à obtenir une prorogation et le délai commence au moment où la personne est informée du contenu de la décision, même si elle en ignore les détails; Canada (Procureur général) c Hennelly (1999), 244 NR 399 (CAF), au paragraphe 3; Forster c Canada (Procureur général) (1999), 247 NR 300, 1999 CanLII 8762 (CAF), aux paragraphes 3 et 6; et Goodwin c Canada (Procureur général), 2005 CF 1185, aux paragraphes 33 à 35.

[15]  En l’espèce, Tsuu T’ina affirme avoir été prise par surprise, puisque la demanderesse n’a jamais indiqué clairement qu’elle s’opposait à la décision contenue dans la directive 244; elle cherchait plutôt à obtenir une meilleure contrepartie pour son fils et elle-même. Dans cette situation, elle croyait que la demanderesse avait accepté la décision et qu’il ne faudrait pas lui pardonner son retard entre le moment où elle a été informée de la décision, le 3 septembre 2015, et le moment où elle a présenté sa demande de contrôle judiciaire, le 24 mars 2016.

[16]  Tsuu T’ina fait aussi valoir qu’il est interdit à une partie demanderesse de contester deux décisions en ne présentant qu’une seule demande de contrôle judiciaire, conformément à l’article 302 des Règles. Elle soutient en l’espèce que la contestation vise deux décisions entièrement différentes : en juillet, le chef et le conseil ont simplement décidé d’attribuer 25 acres de terres de réserve à Regina Crowchild, comme l’indique la directive 218. Cette décision est distincte de celle prise par la suite par Tsuu T’ani d’attribuer une parcelle précise des terres Crowchild à Regina Crowchild, comme l’indique la directive 244. Ces deux décisions ne devraient pas être contestées dans la même demande de contrôle judiciaire.

[17]  Pour les motifs qui suivent, je n’accepte pas les arguments exposés par la défenderesse sur ces points.

[18]  En application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours qui suivent la communication de la décision à la demanderesse. Cette échéance sert l’intérêt public, en ce sens qu’elle confère une certaine certitude et un caractère définitif tant aux décideurs administratifs qu’aux personnes qui sont liées par leurs décisions : Canada c Berhad, 2005 CAF 267, au paragraphe 60.

[19]  Il est toutefois possible de prolonger ce délai; pour ce faire, il importe principalement de déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. La Cour a statué que la partie demanderesse doit prouver : i) une intention constante de poursuivre sa demande; ii) que la demande est bien fondée; iii) que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; iv) qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai : Virdi c Canada (Ministre du Revenu national) 2005 CF 529, au paragraphe 7; James Richardson International Ltd c Canada, 2004 CF 1577, au paragraphe 29; Tsetta c Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux-Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 21. Dans bon nombre des précédents pertinents, on renvoie à une intention de poursuivre une demande de contrôle judiciaire; selon moi, il est toutefois suffisant que la demanderesse ait démontré une intention continue de poursuivre ses recours judiciaires par rapport à cette décision : Apv Canada Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2001 CFPI 737, au paragraphe 13.

[20]  L’article 302 dispose ceci : « Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. » Il sert aussi l’intérêt du public et prévoit l’examen ordonné des questions. Il est possible d’accorder une exception dans les cas où de multiples décisions constituent « une même série d’actes » : Servier Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CF 196, au paragraphe 17; Whitehead c Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270, aux paragraphes 49 à 52 [Whitehead].

[21]  En l’espèce, la demanderesse conteste deux décisions prises à quelques mois d’intervalle par le même décideur, sur le même sujet et elle cherche à obtenir un redressement identique pour les deux décisions; voir Whitehead, au paragraphe 51, et Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750, au paragraphe 64 [Shotclose]. Même si Tsuu T’ina soutient que la première décision, qui visait simplement à déterminer s’il fallait attribuer des terres de réserve à Regina Crowchild, était donc entièrement différente de la deuxième, qui portait sur la parcelle en particulier, rien dans le dossier ne porte à croire que l’on songeait sérieusement à attribuer d’autres terres que les terres Crowchild. Toutes les autres réunions et discussions pertinentes découlent de la demande d’attribution de terres présentée par Regina Crowchild afin de construire sa maison, et cette demande était axée sur son désir d’obtenir une partie des terres Crowchild à cette fin.

[22]  Dans le dossier qui m’est présenté, je conclus que la demanderesse a continuellement fait part de ses préoccupations à Tsuu T’ina à propos des décisions et qu’elle a respecté la coutume et la pratique de la Première Nation en cherchant à régler les questions à l’interne plutôt que devant un tribunal. Le fait que le chef et le conseil aient pris part à ces discussions témoigne de cette coutume et confirme qu’il n’a pas été pris par surprise ou que le temps écoulé ne lui a causé aucun préjudice.

[23]  Je conclus que la demande est bien fondée, comme je l’explique de façon plus approfondie ci-dessous. Je conclus aussi que la demanderesse a démontré une intention constante de poursuivre l’affaire et qu’elle a présenté une explication raisonnable au retard. Enfin, Tsuu T’ina n’a pas été prise par surprise et n’a subi aucun préjudice en raison du temps écoulé.

[24]  Vu les faits en l’espèce, je conclus que ces décisions s’inscrivent dans une « une même série d’actes » et qu’il y a lieu de traiter les deux décisions ensemble. Je conclus aussi qu’il est dans l’intérêt de la justice de proroger le délai.

B.  Deuxième question : Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[25]  Les deux parties font valoir que les décisions prises par le chef et le conseil sur le contenu des coutumes et des traditions de la Nation Tsuu T’ina ainsi que la décision d’attribuer des terres de réserve conformément à ces coutumes et traditions méritent que l’on fasse preuve de retenue et doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Je suis du même avis. Comme l’a indiqué le juge Richard Mosley dans Shotclose, au paragraphe 58 :

Notre Cour a reconnu que le chef et les conseillers jouissent d’une expertise sur des questions comme la connaissance des coutumes de la bande et la détermination des faits (Martselos c Première Nation no 195 de Salt River, 2008 CAF 221, 411 NR 1, au paragraphe 30, citant la décision Vollant, précitée, au paragraphe 31; Giroux c Première nation de Salt River, 2006 CF 285, au paragraphe 54, modifié pour d’autres motifs à 2007 CAF 108). Ainsi donc, comme l’a fait observer le juge William McKeown au paragraphe 20 de la décision News c Wahta Mohawks (2000), 189 FTR 218, 97 ACWS (3d) 585 : « [...] il faudrait faire preuve d’une retenue considérable à l’égard d’une décision prise par un conseil de bande ». Ce principe ne vaut toutefois que si les principes d’équité procédurale et de justice naturelle ont été respectés (Ermineskin c Conseil de bande d’Ermineskin, (1995), 96 FTR 181, 55 ACWS (3d) 888, au paragraphe 11).

Voir aussi Parker c Conseil de la bande indienne d’Okanagan, 2010 CF 1218, aux paragraphes 38 à 41 [Parker].

[26]  Les parties soutiennent aussi que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte afin de savoir s’il y a eu violation de l’équité procédurale, et je suis d’accord : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, et Shotclose, aux paragraphes 58 et 59. Bien que la Cour d’appel fédérale ait indiqué que la question n’a pas été définitivement tranchée (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, au paragraphe 13), je n’ai pas à trancher cette question, puisque je conclus à une violation de l’équité procédurale, peu importe qu’il s’agisse de la norme de la décision correcte ou de celle de la décision raisonnable.

[27]  Il est maintenant bien établi en droit que la Cour a compétence pour entendre les affaires qui découlent de décisions rendues par le chef et le conseil d’une Première Nation lorsque cette question est de nature « publique », peu importe si la décision a été prise en application de la Loi sur les Indiens, d’un règlement interne d’une bande ou de l’application d’une coutume ou d’une pratique de la Première Nation : voir Vollant c Sioui, 2006 CF 487, au paragraphe 25 [Vollant]; Hill c Nation des Onneiouts de la Thames et Clinton Wayne Hill, 2014 CF 796, aux paragraphes 37 et 38 [Hill].

[28]  Comme la juge Cecily Strickland l’a observé dans Hill, au paragraphe 69 :

[L’]absence d’exigences prescrites en matière d’équité procédurale ne veut pas dire que de telles exigences n’existent pas. En effet, selon la jurisprudence, il est de droit constant que les conseils de bande doivent agir conformément aux principes de la primauté du droit, et qu’une des pierres angulaires de l’équité procédurale est le droit d’une personne d’être entendue et de présenter des observations avant que soit rendue une décision touchant ses droits ou ses intérêts (décision Sucker Creek, précitée, au paragraphe 39; décision Shotclose, précitée, au paragraphe 97; Minde c Première Nation Crie d’Ermineskin, 2006 CF 1311, aux paragraphes 44 à 46; Laboucan c Nation crie de Little Red River no 447, 2010 CF 722, aux paragraphes 36 à 39; décision Dénés Couteaux-Jaunes, précitée).

[29]  La juge Strickland a ensuite indiqué, au paragraphe 71, que la Cour suprême, dans Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, a conclu que l’obligation d’équité procédurale est souple et variable et dépend d’une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits touchés :

Plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer la teneur de l’obligation d’équité procédurale : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; 3) l’importance de la décision pour les personnes touchées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive.

[30]  En appliquant ces facteurs à l’affaire qui lui était présentée, qui portait aussi sur une décision relative à une attribution de terres prise par une Première Nation conformément à ses coutumes et traditions, la juge Strickland a conclu que « l’équité procédurale due se situe vers le bas de l’échelle. Toutefois, même lorsque les droits découlant de l’obligation d’équité procédurale sont minimaux, ces droits comprennent le droit à un avis, la possibilité d’être entendu et de voir ses observations examinées et un avis de la décision [...] » (au paragraphe 77; citations omises). (Voir également Parker, au paragraphe 61.)

[31]  Le cœur même de la demande en l’espèce réside dans l’iniquité du processus, parce que Tsuu T’ina n’a pas donné à la demanderesse un préavis suffisant des réunions clés au cours desquelles les questions touchant l’attribution de terres a été abordée. On fait également valoir que le processus était vicié par une crainte raisonnable de partialité, parce qu’Emmet Crowchild a joué un rôle important dans les deux réunions, en dépit de son intérêt personnel à l’égard de l’issue.

[32]  Il est relativement simple d’appliquer le droit pertinent aux faits qui m’ont été présentés. Je n’ai pas à tirer de conclusion sur la description précise de l’intérêt juridique ou coutumier de la demanderesse à l’égard des terres Crowchild; son intérêt n’est pas contesté et elle était reconnue comme l’occupante de ces terres à la suite du décès de sa mère. À cet égard, l’histoire est révélatrice : à un moment donné après 1957, le chef et le conseil ont reconnu que la terre attribuée au départ à Harold Crowchild était destinée à l’utilisation et à l’occupation par Violet Crowchild, ce que les registres de la Première Nation confirment. On ignore quand il a été officiellement décidé d’« attribuer » ces terres à Violet Crowchild ou si une telle décision a même été prise; il semble qu’au fil du temps, on a simplement accepté qu’il s’agissait de la réalité.

[33]  Il est évident en l’espèce que Tsuu T’ina a reconnu l’intérêt de la demanderesse à l’égard des terres Crowchild. Sa conduite le prouve : elle a été invitée à rencontrer le président-directeur général (PDG) après la réunion du 14 juillet et elle a plus tard été invitée à la réunion du 3 septembre. Selon les discussions tenues pendant les réunions du 6 mai et du 14 juillet, le chef et le conseil étaient généralement au courant de l’historique des enjeux liés à l’utilisation et l’occupation de ces terres; il était conscient qu’il fallait résoudre ces questions après le décès de Violet Crowchild.

[34]  Tsuu T’ina a comme coutume et pratique de tenir compte, en temps normal, des intentions du membre qui détient une attribution dans toute décision sur l’attribution des terres au moment du décès du membre, même si les décisions ultimes quant à ceux qui utilisent ou qui occupent des terres de la réserve sont prises par le chef et le conseil. En l’espèce, le dossier indique clairement que Tsuu T’ina savait que Violet Crowchild avait fait part à maintes reprises de son intention de léguer les terres Crowchild à la demanderesse et à Shane Crowchild à son décès. Même s’il est indiqué dans le dossier que les intentions de Violet Crowchild ont évolué au fil des ans, les deux faits qui suivent ne sont pas contestés : elle a toujours indiqué qu’elle voulait que la demanderesse reçoive une partie des terres et à aucun moment elle n’a indiqué que Vera Marie ou Regina Crowchild en obtiennent une partie. Le chef et le conseil étaient au courant des souhaits de Violet Crowchild et les avaient pris en considération.

[35]  Il ne fait aucun doute que les intérêts de la demanderesse seraient touchés par une décision d’attribuer une partie des terres Crowchild sur lesquelles se trouvaient l’ancienne maison, la grange, les puits et d’autres améliorations. Il ne fait aussi aucun doute que la demanderesse n’a aucunement été informée de la tenue des deux premières réunions où cette question a été abordée.

[36]  Tsuu T’ina a soutenu que la demanderesse a reçu un préavis raisonnable de la réunion du 3 septembre et fait remarquer qu’elle a été invitée à la réunion avec le PDG après l’émission de la directive 214 en juillet. La défenderesse est d’avis qu’il s’agissait d’un préavis raisonnable et qu’elle a répondu aux exigences relatives à l’équité procédurale.

[37]  Il est vrai que la demanderesse a été invitée à discuter de l’affaire avec le PDG après la réunion du 14 juillet; je conclus toutefois selon les faits qu’elle n’a pas reçu un « préavis raisonnable ». Il s’agit en grande partie d’une question de fait. La demanderesse a reçu l’invitation à la réunion avec le PDG par l’intermédiaire d’un message sur son répondeur le jeudi 16 juillet 2015; elle n’a toutefois pas reçu ce message avant le 20 juillet, au petit matin, soit le jour où la réunion devait avoir lieu. Au moment où elle a reçu le message et avant l’heure à laquelle la réunion devait avoir lieu, la demanderesse a téléphoné au bureau de la bande et a laissé un message dans lequel elle indiquait qu’elle ne pourrait pas être présente, et en expliquant pourquoi.

[38]  Aucun effort n’a été déployé pour repousser ou remettre la réunion; aucun effort n’a été déployé pour organiser une réunion distincte afin de donner à la demanderesse l’occasion de « présenter son dossier » avant que la recommandation ne soit présentée à Tsuu T’ina. Vu la preuve produite en l’espèce, je conclus qu’il ne s’agit pas d’un « préavis raisonnable » de cette réunion. Je conclus aussi que cette réunion était un élément clé de la série d’événements ayant mené à la décision ultime. Selon la preuve produite par l’unique déposant de Tsuu T’ina, une fois que le PDG a formulé sa recommandation au chef et au conseil, la décision ne faisait aucun doute. En contre-interrogatoire, il était d’accord pour dire que la réunion du chef et du conseil du 3 septembre était « formalité ».

[39]  Dans tous les cas, et vu la preuve en l’espèce, je conclus que le chef et le conseil de Tsuu T’ina, en prenant ces décisions, ont agi d’une façon qui contrevient à l’équité procédurale en omettant de donner un préavis raisonnable de la tenue des réunions.

[40]  Enfin, je me penche sur l’allégation selon laquelle le processus décisionnel était vicié par une crainte raisonnable de partialité. Encore une fois, la séquence des événements est révélatrice. Tsuu T’ina a déterminé que Regina Crowchild avait droit à une maison à son retour en tant que membre de la Première Nation. Regina Crowchild a ensuite rencontré le chef et le PDG afin de discuter de l’attribution d’une terre sur laquelle sa maison serait construite. Cette rencontre a été suivie par une première discussion sur cette question dans le cadre d’une réunion du chef et du conseil, le 6 mai 2015. J’observe en particulier qu’Emmet Crowchild a été « excusé » de cette discussion, selon le procès-verbal de la réunion. Même s’il n’est pas clairement indiqué dans le dossier si c’est Emmet Crowchild ou le chef et le conseil qui ont déterminé qu’il ne devrait pas y participer, le procès-verbal indique aussi qu’il n’a pas participé à cette discussion, probablement parce que l’on reconnaissait qu’il était question de l’attribution des terres Crowchild.

[41]  Le fait qu’Emmet Crowchild ait été excusé de participer à la discussion indique en soi qu’il n’aurait pas dû participer à toute autre discussion subséquente sur cette affaire; ce n’est toutefois pas ce qui s’est produit. Le dossier indique plutôt qu’Emmet Crowchild a participé activement à la discussion du 14 juillet 2015, pendant laquelle sa mère et sa tante ont présenté des observations sur l’attribution des terres Crowchild. Le procès-verbal de cette réunion comprend ce qui suit :

Vera Marie Crowchild – (salutations en tsuut’ina)

demande l’attribution de terres pour construire une nouvelle maison et aimerait que les terres de feu Violet Crowchild soient divisées en trois entre elle-même, Sandra Crowchild et Regina Noel Crowchild. Personne n’est propriétaire de ces terres.

(Dossier de demande, à la page 74)

[42]  Selon le dossier, la discussion portait principalement sur la demande présentée par Regina Crowchild afin de lui attribuer l’une des terres Crowchild sur laquelle elle pourrait construire sa maison. Emmet Crowchild avait déjà été partie à un litige entourant une partie de ces mêmes terres. J’observe qu’Emmet Crowchild n’a pas participé à la discussion sur cette question le 3 septembre 2015.

[43]  Le droit est clair : l’équité procédurale repose notamment sur le principe selon lequel chacun peut faire entendre sa cause par un décideur impartial; toute décision viciée par une crainte raisonnable de partialité est nulle : voir Newfoundland Telephone Co c Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623, à la page 645 [Newfoundland Telephone].

[44]  Le critère de crainte raisonnable de partialité est bien établi. La demanderesse doit démontrer qu’une personne qui examinerait de façon réaliste et pratique la question et qui l’aurait étudiée en profondeur penserait qu’il est fort probable que le décideur ne prendrait pas une décision équitable : voir Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394.

[45]  Il est aussi bien établi en droit que l’application de ce critère est contextuelle et que les décisions prises par des élus ne seront pas examinées selon la même norme que celle qui s’applique aux décideurs judiciaires ou quasi-judiciaires afin de reconnaître la fonction de représentation légitime des décideurs élus de façon démocratique : voir Assoc des résidents du vieux St-Boniface inc c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170, aux pages 1195 à 1197 [Vieux St-Boniface]; et Newfoundland Telephone, à la page 638.

[46]  De quelle façon les actes accomplis par un chef et un conseil élus démocratiquement devraient-ils être évalués? La Cour a tranché cette question dans un certain nombre de décisions récentes. En premier lieu, les éléments centraux de l’équité procédurale doivent s’appliquer à ceux dont les droits et les intérêts sont fondamentalement touchés par les décisions rendues par le chef et le conseil, et tout rajustement justifié doit être apporté pour tenir compte de la situation propre à la Première Nation : voir Hill, au paragraphe 69; Sparvier c Bande indienne Cowessess no 73 (1993), [1994] 1 CNLR 182, aux pages 198 et 199 (CF 1re inst.); Vollant, au paragraphe 31; Shotclose, aux paragraphes 90 à 92; Bande indienne de Lower Nicola c Joe, 2011 CF 1220, aux paragraphes 46 et 47 [Bande indienne de Lower Nicola].

[47]  En second lieu, nous devons reconnaître que le chef et le conseil prennent une vaste gamme de décisions, semblable à celles que prennent d’autres organes élus démocratiquement : voir Vieux St-Boniface et Newfoundland Telephone. Il conviendrait d’appliquer le critère de « l’ouverture d’esprit » établi dans Vieux St-Boniface et des affaires subséquentes si, dans le cadre de l’affaire, le chef et le conseil devaient se pencher sur une question politique élargie et générale, comme un nouveau code pour le régime foncier ou un nouveau processus d’attribution général de terres de réserve.

[48]  En l’espèce, toutefois, la décision portait sur l’attribution d’une terre en particulier liée à une parcelle de terrain sur laquelle la demanderesse a habité pendant toute sa vie ou presque et à l’égard de laquelle elle a un intérêt reconnu (voire officiellement défini). Il s’agit donc d’une décision qui touchait un ensemble connu et limité d’intérêts, dans le contexte élargi de la situation unique de biens fonciers dans une Première Nation, il faut convenir, et où les terres sont rares, et le chef et le conseil ont de nombreux intérêts à prendre en considération au moment de prendre ces décisions : voir Nicola Band et al c Trans-Can Displays et al, 2000 BCSC 1209, au paragraphe 155. La décision particulière en litige en l’espèce s’approche davantage de l’extrémité « juridictionnelle » de l’ensemble des politiques, par rapport à de nombreuses autres décisions que le chef et le conseil doivent prendre : comparer la situation dans Hill, où la question concernait une attribution de terres selon la coutume et visait une seule personne, aux faits dans Parker, où le conseil étudiait un cas précis dans le contexte de l’élaboration d’une politique générale sur l’attribution de terres.

[49]  En outre, la crainte alléguée de partialité invoquée en l’espèce découle d’un intérêt personnel particulier. L’allégation précise est la suivante : vu l’historique des démarches et des litiges entourant les terres Crowchild, Emmet Crowchild, en raison de son intérêt personnel, ne devait pas participer à ce processus. Sur ce point, l’extrait suivant de la décision du juge Sopinka dans Vieux St-Boniface, à la page 1196, est révélateur :

Je fais une distinction entre la partialité pour cause de préjugé, d’une part, et la partialité découlant d’un intérêt personnel, d’autre part [...] En effet, il n’y a rien d’inhérent aux fonctions hybrides des conseillers municipaux, qu’elles soient politiques, législatives ou autres, qui rendrait obligatoire ou souhaitable de les soustraire à l’obligation de ne pas intervenir dans des affaires dans lesquelles ils ont un intérêt personnel ou autre. Il n’est pas exigé des conseillers municipaux qu’ils aient dans les dossiers qui leur sont soumis un intérêt personnel au-delà de l’intérêt qu’ils partagent avec d’autres citoyens dans la municipalité.

J’adopte ce raisonnement avec autant de force à la situation du chef et du conseil en l’espèce.

[50]  Cela dit, je m’empresse d’ajouter que la Cour a reconnu à plusieurs occasions que les questions de partialité et d’équité procédurale doivent être tranchées à la lumière du contexte particulier des petites Premières Nations, où il peut s’avérer difficile de séparer les liens familiaux étroits ou l’emploi dans la Première Nation des processus décisionnels. Je souscris aux observations du juge Marshall Rothstein dans Sparvier, au paragraphe 75 :

Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes.

Voir aussi Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146, aux paragraphes 41 à 43; et Michel c Tribunal de révision de la collectivité de la bande d’Adams Lake, 2017 CF 835, aux paragraphes 33 et 34.

[51]  À cet égard, j’observe que, pendant la lecture de l’historique factuel de l’affaire, la demanderesse s’est dite préoccupée par le fait que Regina Crowchild avait discuté, à un moment donné, de la question touchant la terre avec le gestionnaire des terres de Tsuu T’ina, Jim Two-Guns, qui est son demi-frère. L’avocat n’a pas insisté sur ce point pendant son argumentation orale. J’étais prêt à conclure que ce genre d’interaction ne susciterait pas une crainte raisonnable de partialité dans cette situation, s’il avait été nécessaire de le faire. En tenant cette discussion, M. Two-Guns ne faisait que son travail et il ne formulait qu’une recommandation au chef et au conseil – il n’était pas le décideur ultime. À l’instar de nombreuses petites collectivités rurales au Canada, pour bon nombre de Premières Nations, le processus décisionnel local s’arrêterait, le cas échéant, afin d’éviter toute négociation entre membres proches d’une famille ou amis proches. Vu la conclusion à laquelle je parviens ci-dessous, je n’ai toutefois pas à trancher cette question en l’espèce.

[52]  Même si je reconnais que, dans certains cas, il est impératif qu’un chef ou qu’un conseiller ayant un intérêt personnel participe à une décision qui touche directement cet intérêt, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En l’espèce, il n’était pas nécessaire qu’Emmet Crowchild participe à ce processus décisionnel. Rien ne sous-entend que le conseil serait devenu incapable de prendre une décision en son absence (par exemple, en perdant le quorum ou en s’écartant d’une coutume de longue date sur la participation d’un aîné) : voir Bande indienne de Lower Nicola, au paragraphe 47. En réalité, le fait qu’il ait été « excusé » de participer à la réunion du 6 mai est révélateur.

[53]  Je conclus que la participation d’Emmet Crowchild à la réunion du 14 juillet du chef et du conseil a suscité une crainte raisonnable de partialité, qui suffirait en soi à vicier le processus décisionnel, particulièrement vu les éléments de preuve selon lesquels la réunion du 3 septembre n’était qu’une « formalité ».

C.  Troisième question : Quel est le redressement approprié?

[54]  La demanderesse me demande d’annuler les deux décisions prises par le chef et le conseil et de leur renvoyer l’affaire avec des directives. Tsuu T’ina me demande de formuler des directives à l’intention du chef et du conseil, si j’accorde le redressement demandé.

[55]  Tsuu T’ina m’a toutefois averti que je devrais hésiter à annuler la décision en l’espèce, parce que cette situation pourrait déclencher une avalanche de demandes semblables de membres déçus. L’avocat a aussi fait valoir qu’il ne m’appartient pas de décider qui habitera à quel endroit dans la réserve Tsuu T’ina – seuls le chef et le conseil peuvent prendre cette décision. Pour les motifs déjà énoncés, je n’accepte pas cet argument. D’abord, la demanderesse a indiqué très clairement qu’elle reconnaît que la décision ultime sur l’attribution de terres dans la réserve appartient au chef et au conseil. Elle ne demande qu’un processus équitable et l’occasion de présenter sa cause. La demanderesse ne demande pas non plus à la Cour de décider qui habite à quel endroit dans la réserve.

[56]  En outre, même s’il est malheureux que cette affaire me soit présentée plutôt que d’être résolue dans le cadre d’un processus interne quelconque de la Première Nation et de manière plus adaptée à ses coutumes et à ses traditions, il serait tout aussi malheureux que les membres de Tsuu T’ina ou de toute autre Première Nation n’aient aucun recours utile pour justifier leurs droits ou leurs intérêts essentiels; voir Hill, au paragraphe 69, et Laboucan c Nation crie de Little Red River no 447, 2010 CF 722, aux paragraphes 36 à 39.

[57]  Pour les motifs qui précèdent, j’annule les décisions prises par le chef et le conseil, exprimées dans la directive 218, datée du 14 juillet 2015, et dans la directive 244, datée du 3 septembre 2015, et je renvoie l’affaire à Tsuu T’ina. Je précise ici que les deux avocats ont indiqué qu’à la suite d’élections du conseil de bande tenues pendant cette période, Emmet Crowchild n’est plus chef et membre du conseil. Je n’ai donc pas à rendre une ordonnance sur sa participation aux processus décisionnels futurs sur cette question.

[58]  Les parties m’ont demandé de présenter des directives à l’intention du chef et du conseil de Tsuu T’ina. Je garde à l’esprit la mise en garde faite par les deux parties de faire preuve de retenue à l’égard des décisions prises par le chef et le conseil, en ce qui concerne la nature des coutumes et des traditions de Tsuu T’ina et les décisions prises par le chef et le conseil dûment élus, conformément à ces coutumes et à ces traditions.

[59]  Outre la retenue qui s’impose, un autre obstacle se dresse en l’espèce. Les prochaines étapes que doivent suivre les parties dépendent de plusieurs faits inconnus : Regina Crowchild souhaite-t-elle toujours poursuivre une demande d’attribution de terres pour sa maison et d’autres arrangements ont-ils été pris pour cette attribution? Regina Crowchild, la demanderesse, et tout autre membre de la famille dont les intérêts sont en cause peuvent-ils conclure un arrangement adéquat? Et, à quel moment le chef et le conseil veulent-ils régler cette question ou aborder leur politique plus générale sur le processus décisionnel entourant les attributions de terres, de quelle manière veulent-ils le faire et souhaitent-ils le faire?

[60]  Vu ces questions sans réponse et étant donné le respect à accorder aux traditions et aux coutumes de Tsuu T’ina, je refuse de donner des directives contraignantes aux parties. Il est évident, à la lumière des motifs présentés en l’espèce, que Tsuu T’ina doit trouver une façon de garantir à ceux dont les intérêts personnels sont directement touchés par ce genre de décisions sur l’attribution de terres qu’ils ont l’occasion de participer sérieusement au processus. Vu la preuve produite en l’espèce, il semble s’agir de la coutume et de la tradition acceptées de Tsuu T’ina. Qui plus est, Tsuu T’ina doit chercher à éviter, dans la mesure du possible, que quiconque dont les intérêts sont directement touchés par la décision participe au processus décisionnel réel. Il appartient à Tsuu T’ina de déterminer comment respecter ces règles procédurales minimales dans l’exercice de ses coutumes et de ses traditions.

IV.  Dépens

[61]  Aucune des parties n’a présenté d’observations sur les dépens. Lorsque j’ai soulevé cette question pendant l’audience, la demanderesse a demandé à se voir adjuger les dépens avocat-client, vu les difficultés éprouvées par sa cliente pour présenter cette demande et sa situation financière et personnelle. Tsuu T’ina s’est opposée à cette demande et a demandé à avoir l’occasion de présenter ses observations sur ce point. Je ne crois pas qu’il s’agit d’un cas approprié d’adjudication des dépens avocat-client : voir Young c Young, [1993] 4 RCS 3; et Asics Corporation c 9153-2267 Québec Inc., 2017 CF 257.

[62]  La demanderesse a obtenu gain de cause en l’espèce et je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle habituelle. J’ordonne donc que les dépens soient adjugés en faveur de la demanderesse. Vu l’absence d’observations détaillées sur les dépens outre les arguments exposés ci-dessus, j’ai étudié la question en fonction de la complexité de cette affaire – qui comportait un dossier relativement simple, le contre-interrogatoire d’un seul témoin pour chacune des parties et une audience d’une journée. Je fixe donc les dépens à 2 500 $, y compris les débours et les taxes, en faveur de la demanderesse.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-503-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Le contrôle judiciaire est accueilli et la défenderesse doit payer à la demanderesse des dépens établis à 2 500 $, y compris les débours et les taxes.

  2. La directive 218, datée du 14 juillet 2015, et la directive 244, datée du 3 septembre 2015, sont annulées par la présente et la question visant à décider s’il faut attribuer une partie des « terres Crowchild » à ReginaCrowchild est renvoyée par la présente au chef et au conseil de Tsuu T’ina aux fins de nouvel examen.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-503-16

 

INTITULÉ :

SANDRA CROWCHILD c LA NATION TSUU T’INA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Clarke Ries

 

Pour la demanderesse

 

Gilbert Eagle Bear

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clarke Ries Professional Corporation

Avocat

Calgary (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Gilbert Eagle Bear

Avocat

Tsuu T’ina (Sarcee) (Alberta)

 

Pour la défenderesse

 

 

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