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Date : 20171027


Dossier : IMM-809-17

Référence : 2017 CF 963

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

Z. W.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration supérieur selon laquelle [traduction] « il ne découle pas de la situation personnelle de la demanderesse suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour approuver la présente demande de dérogation aux exigences prescrites par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ».

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable et j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

[3]  Z. W. est née en Chine, mais elle est partie en 1991 et elle a déménagé au Kenya avec son seul enfant, une fille. Elle a adopté un nom anglais, elle a obtenu la citoyenneté kényane, elle a perdu sa citoyenneté chinoise et elle a exploité une entreprise au Kenya qui, selon ses dires, lui a été dérobée. La police ne lui a offert aucun secours. En 2001, sa fille a obtenu un visa d’étudiant et Z. W. a obtenu un visa de visiteur pour venir au Canada.

[4]  Depuis, la fille a obtenu son diplôme, elle s’est mariée et elle a eu deux enfants. Elle est maintenant une résidente permanente du Canada.

[5]  Les efforts déployés par la demanderesse pour rester au Canada, au moyen d’une demande d’asile et d’une demande de parrainage à titre de conjoint, ont été infructueux. Aucun membre de sa famille ne réside au Kenya. Elle a appris qu’elle est séropositive.

[6]  Son avocate a invoqué quatre motifs pour étayer sa thèse selon laquelle la décision de refuser la demande d’asile fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse était déraisonnable : 1) l’agent a fait fi des éléments de preuve ou il les a mal interprétés, 2) l’agent n’a tenu compte que des antécédents d’immigration de la demanderesse, 3) l’agent a omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et 4) l’agent a déraisonnablement omis d’accorder une dérogation à la demanderesse concernant la non-admissibilité pour des raisons médicales, sur la base de motifs d’ordre humanitaire.

[7]  Je suis d’accord avec la demanderesse que l’agent a mal interprété les éléments de preuve montrant que les personnes d’origine chinoise sont victimes de discrimination au Kenya. L’agent semble avoir accepté que la discrimination à l’égard des personnes d’origine chinoise concerne uniquement les personnes qui s’adonnent au braconnage de l’ivoire, celles qui vendent des produits chinois de mauvaise qualité ou celles qui s’adonnent à des pratiques commerciales déloyales. En fait, les éléments de preuve semblent indiquer qu’il s’agit là des [traduction« motifs » pour lesquels les Kényans agissent de manière discriminatoire à l’encontre des personnes d’origine chinoise, sans égard aux activités que ces personnes exercent.

[8]  Je suis aussi d’accord avec la demanderesse que l’agent semble s’être concentré démesurément sur ses antécédents d’immigration et sur le fait qu’elle a excédé la durée fixée de son visa, sans tenir compte du fait qu’elle a agi ainsi pour rester au Canada avec sa fille mineure.

[9]  En soi, rien de ce qui précède ne justifie une conclusion selon laquelle la décision de l’agent était déraisonnable; cependant, les conclusions de l’agent à deux autres égards mènent à cette conclusion.

[10]  La fille et le gendre de la demanderesse ont tous deux rédigé des lettres de soutien. Sa fille a écrit ce qui suit :

[traduction] Elle a été plus qu’une mère pour moi et nous avons été l’unique famille et le principal soutien l’une de l’autre pendant de nombreuses années.

[...]

Elle a été d’une grande aide pour ma petite famille et, sans elle, nous n’aurions eu pratiquement aucun système de soutien.

Son gendre a écrit ce qui suit :

[traduction] Ce serait absolument dévastateur si la demanderesse n’était pas autorisée à rester au Canada. Nous serions privés du soutien familial considérable que la demanderesse nous offre, ainsi que du soutien dont nous avons besoin en tant que jeune et petite famille. Mes propres parents n’ont pas été là pour nous comme ma belle-mère l’a été, et nous avons besoin qu’elle fasse partie de notre petite famille.

[11]  Ils ont tous deux présenté des exemples de ce [traduction] « soutien familial considérable », y compris le fait que la demanderesse prend soin de sa petite-fille. L’agent omet de mentionner ces lettres et, manifestement, d’examiner ces éléments de preuve. La conclusion de l’agent selon laquelle la famille de la demanderesse éprouverait [traduction] « le sentiment de tristesse habituelle qu’une personne ressent lorsqu’elle est séparée d’un parent ou d’un enfant » est déraisonnable, sauf si l’agent se penche réellement sur ces éléments de preuve.

[12]  Le deuxième aspect de la décision qui ne satisfait pas à l’analyse du caractère raisonnable concerne la séropositivité de la demanderesse. L’agent reconnaît que [traduction] « de nombreuses personnes séropositives continuent d’être victimes de stigmatisation et de discrimination » au Kenya, mais il conclut tout de même qu’il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que la demanderesse [traduction] « pourrait être forcée de divulguer sa séropositivité » et [traduction] « qu’il est difficile de comprendre comment ou pourquoi la demanderesse serait rejetée, puisque les gens ne connaîtraient pas ses problèmes de santé ».

[13]  L’agent décrit en détail les traitements disponibles au Kenya pour les personnes séropositives – un traitement dont la demanderesse en l’espèce aura besoin. Toutefois, l’agent omet de tenir compte du fait qu’une personne ne peut pas recevoir de traitement sans divulguer qu’elle est séropositive et de rechercher si une telle divulgation peut ou est susceptible d’entraîner une divulgation supplémentaire. En outre, comme le fait valoir la demanderesse, si le dévoilement de son état de santé la rendait victime de stigmatisation et de discrimination, alors [traduction] « elle devrait vivre toute sa vie dans la crainte que l’on “découvre” sa séropositivité, si elle était forcée de retourner au Kenya ». Il s’agit d’une réalité dont l’agent n’a pas tenu compte.

[14]  Pour ces motifs, la décision ne peut être maintenue et il n’est pas nécessaire que j’examine les observations de la demanderesse concernant l’intérêt supérieur de l’enfant ou la demande de dérogation de la demanderesse concernant la non-admissibilité pour des raisons médicales. Aucune des parties n’a proposé de questions à certifier et il n’y en a aucune à l’égard des faits propres à l’espèce.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-809-17

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie, que la décision soit annulée et que la demande d’asile pour des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse soit renvoyée pour nouvel examen devant un autre agent. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-809-17

 

 

INTITULÉ :

Z. W. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Avvy Yao-Yao Go

 

Pour la demanderesse

 

Marcia Prtizker Schmitt

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Metro Toronto Chinese & Southeast Legal Clinic

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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