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Date : 20171020


Dossier : IMM-644-17

Référence : 2017 CF 941

Montréal (Québec), le 20 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JEAN DE DIEU IKUZWE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Au préalable

[1]               L’agente a conclu que, eu égard aux renseignements concluants et dignes de foi fournis par le demandeur lui-même dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] au sujet de sa propre participation dans l’Armée Patriotique Rwandaise [APR], il était raisonnable de croire (ou de penser) que le demandeur était complice (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 au para 114 [Mugesera]). En effet, l’agente a tenu compte de la preuve présentée par le demandeur relativement à sa participation et à sa contribution dans l’APR. L’agente n’a donc pas seulement considéré la simple appartenance du demandeur en tant que membre de l’APR (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 303 aux para 24 à 27). Conséquemment, vu la participation directe du demandeur dans l’APR, telle que décrite dans son récit initial, il était certes logique pour l’agente de considérer la première version du demandeur à son arrivée au Canada.

II.                 Nature de l’affaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 16 décembre 2016 par une agente principale d’immigration de Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [agente]. Dans cette décision, l’agente a déterminé que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

III.               Faits

[3]               Le demandeur, âgé de 46 ans, est citoyen du Rwanda d’origine tutsie.

[4]               En janvier 2001, il a quitté le Rwanda et a présenté une demande d’asile au Canada. Il vit toujours au Canada, et ce, depuis maintenant 16 ans.

[5]               Le 24 avril 2003, la Section de la protection des réfugiés [SPR], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a refusé la demande d’asile du demandeur puisqu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’est rendu complice de crimes contre l’humanité au sens des articles 1(F)a) et 1(F)c) de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié, et que, par conséquent, il ne pouvait pas bénéficier de la protection du Canada en vertu de l’article 98 de la LIPR. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[6]               Dans sa décision, la SPR avait essentiellement retenu que dans son premier FRP et à la frontière canadienne de Lacolle, le demandeur avait déclaré au cours de son entrevue pour une demande d’asile qu’il avait joint l’APR de 1994 à 1997.

[7]               Plus de dix ans plus tard, soit le 16 octobre 2013, le demandeur a présenté une demande de réouverture de sa demande d’asile, qui a été rejetée par la SPR le 3 décembre 2013. La demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision, entendue par le juge Luc Martineau de cette Cour, a été rejetée le 15 septembre 2014 pour le motif qu’il n’y a eu aucune violation à un principe de justice naturelle.

[8]               Le demandeur avait allégué que la SPR aurait dû tenir compte de la décision rendue en 2013 par la Cour suprême dans Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], dans laquelle la Cour suprême a redéfini la notion de complicité. Le demandeur avait aussi allégué que, souffrant de schizophrénie (non diagnostiquée à l’époque), sa condition mentale aurait pu avoir une incidence sur l’évaluation de sa crédibilité au moment de l’audience devant la SPR.

[9]               Le 6 mars 2012, le demandeur a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. Cependant, il a volontairement retiré sa demande le 28 mai 2015.

[10]           Le 29 novembre 2010, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente comportant des considérations d’ordre humanitaire [CH].

IV.              Décision

[11]           Le 16 décembre 2016, l’agente a conclu que le demandeur est interdit de territoire suite à sa demande de résidence permanente comportant des motifs d’ordre humanitaire. Pour en arriver à sa décision, l’agente a procédé à une analyse pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur est une personne interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

[12]           Plus précisément, l’agente est arrivée aux conclusions suivantes dans son analyse sur l’admissibilité du demandeur au Canada :

[j]’estime que les tâches exercées par le demandeur au sein de l’APR ont pu faciliter la perpétration des crimes commis par cette organisation. Notamment, la divulgation de renseignements concernant les déplacements et les armes possédées par les Hutus ainsi que le transport de munition et de nourriture sont des éléments qui contribuent directement à l’élaboration de stratégie et à la capacité d’attaque de l’ennemi perçu, qu’il soit militaire ou civil.

[...]

Enfin, je suis d’avis que le demandeur n’a pas su démontrer de façon satisfaisante qu’il avait agi sous la contrainte ou que son état de santé mentale le dégageait de sa responsabilité criminelle.

Dans ce contexte, j’estime que la contribution du demandeur aux crimes commis par l’APR était significative, consciente et volontaire.

En tenant compte de l’analyse qui précède, je suis d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’article 35(1)a) de la LIPR.

(Dossier du demandeur, p 17, Motifs de la décision.)

[13]           C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

V.                 Questions en litige

[14]           Comme question préliminaire, étant donné que le demandeur a présenté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en dehors du délai prescrit de quinze jours, demande qui a d’ailleurs été présentée après un délai de dix ans, le défendeur demande à la Cour si le demandeur a soulevé un motif valable pour permettre à la Cour d’intervenir en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [LCF].

[15]           La question en litige dont la Cour est saisie consiste à savoir si l’agente a rendu une décision raisonnable en établissant que le demandeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

[16]           Il n’est pas contesté par les parties que la norme de contrôle applicable pour la question portant sur la décision de l’agente de conclure qu’une personne visée par l’alinéa 35(1)a) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Khasria c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 773 au para 16 [Khasria]).

VI.              Dispositions pertinentes

[17]           L’agente a décidé que le demandeur était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR :

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

35 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

[18]           La norme de preuve à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR est celle prévue à l’article 33 de la LIPR :

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

[19]           Il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur a été complice de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, selon la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, ch. 24 :

6 (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci-après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

6 (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada

[...]

...

b) crime contre l’humanité;

(b) a crime against humanity, or

c) crime de guerre.

(c) a war crime,

[EN BLANC]

is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8.

VII.            Observations des parties

A.                 Prétentions du demandeur

[20]           En ce qui concerne la question préliminaire, l’avocate du demandeur désire que soit acceptée la présente demande. En effet, l’avocate soulève qu’elle a rencontré des problèmes liés au dossier de son client. Elle explique qu’il ne s’agit aucunement de l’erreur du demandeur puisque ce dernier a agi de bonne foi, qu’il a des questions sérieuses à faire valoir pour les fins de la présente demande, et que le défendeur n’a subi aucun préjudice engendré par le retard dans la signification et le dépôt de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[21]           Ensuite, le demandeur soutient que la décision de l’agente est déraisonnable.

(1)               La maladie du demandeur : un élément central

[22]           Le demandeur allègue qu’il souffre de schizophrénie paranoïde et d’un trouble obsessif-compulsif et que sa condition mentale justifierait pourquoi il ait d’abord présenté à la frontière canadienne une fausse histoire (celle d’avoir fait partie de l’APR). En effet, l’agente se serait livrée à une analyse détaillée de certains documents déposés en preuve dans le dossier CH, mais elle n’aurait pas procédé de la même manière pour l’analyse de l’état de santé mentale du demandeur. L’agente aurait erré dans son analyse en estimant que le jugement rendu par le juge Martineau en septembre 2014 justifiait de ne pas accorder tant de poids à la condition mentale du demandeur. En n’effectuant qu’un survol des troubles mentaux du demandeur, l’agente n’aurait pas considéré un élément central et significatif pour rendre sa décision.

(2)               Notion de complicité

[23]           Le demandeur soutient que l’agente aurait également erré dans son analyse portant sur la notion de complicité. En effet, l’agente a noté dans son analyse que le demandeur n’a jamais mentionné à quelle section de l’APR il aurait appartenu, ni même quel poste ou rang il aurait occupé. Le demandeur explique que ce fait est tout à fait logique puisqu’il nie toute participation à l’armée rwandaise, et ce, catégoriquement. Par conséquent, l’agente n’aurait pas dû citer un extrait tiré de Human Rights Watch pour appuyer l’idée que le demandeur aurait fait partie d’une brigade spéciale et identifiable impliquée au sein de l’APR.

[24]           Enfin, le demandeur allègue qu’il ne peut avoir fait partie de l’APR étant donné qu’il poursuivait ses études en 1996 et 1997. Par conséquent, le demandeur considère que l’agente aurait spéculé en soulevant l’idée que « [l]e demandeur aurait pu être dans l’armée tout en poursuivant des études, ou encore, il aurait pu retourner aux études à temps plein en 1997 après son départ de l’armée, comme il l’affirme dans plusieurs formulaires » (Dossier du demandeur, p 10, Motifs de la décision).

B.                 Prétentions du défendeur

[25]           En premier lieu, le défendeur, quant à lui, soulève que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire doit être rejetée puisque le demandeur a agi hors délai pour déposer sa demande. Comme la décision contestée a été rendue le 16 décembre 2016, le demandeur avait quinze jours pour déposer sa demande. Le défendeur soutient que l’erreur ou l’inadvertance d’un procureur ne justifie pas, de façon générale, une prolongation de délai (Cornejo Arteaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 868 au para 17 [Cornejo Arteaga]).

[26]           En deuxième lieu, le défendeur soulève essentiellement que la décision de l’agente est bien fondée en fait et en droit, et qu’ainsi sa décision est raisonnable.

(1)               La maladie du demandeur : un élément central

[27]           Le défendeur prétend que l’agente a analysé toute la preuve médicale au dossier du demandeur. La preuve révèle entre autres que le demandeur a été hospitalisé pour la première fois en 2008 et que, par conséquent, rien n’indique que le demandeur souffrait de schizophrénie au Rwanda dans les années 1990, ni lors de l’audition devant la SPR en 2003 (Ikuzwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 875 au para 9).

(2)               Notion de complicité

[28]           D’après le défendeur, l’agente n’a pas commis d’erreur en concluant à la contribution volontaire, consciente et significative du demandeur aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par l’APR. En effet, les individus qui commettent personnellement des crimes contre l’humanité ou en sont complices peuvent être jugés interdits de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR (Khasria, ci-dessus, au para 25). Pour rendre sa décision, l’agente a appliqué les facteurs identifiés dans l’arrêt Ezokola, ci-dessus.

[29]           Dans les faits, l’agente a spécifié que les membres de l’APR ont commis des crimes contre l’humanité. De plus, le demandeur n’a ni mentionné à quelle section de l’organisation il aurait appartenu ni même quel poste ou rang il aurait occupé au sein de l’APR; et il a déclaré dans son FRP et à la frontière canadienne avoir fait partie de l’APR de 1994 à 1997 en décrivant à la SPR ses fonctions et activités au sein de l’APR. D’après les preuves au dossier, l’agente a conclu que le demandeur a poursuivi ses études en 1997, qu’il n’aurait quitté l’armée qu’en 1997, ne quittant donc pas à la première occasion qui lui aurait été donnée depuis 1994.

[30]           Il était donc raisonnable pour l’agente de conclure que le demandeur devait être conscient des crimes commis par l’APR, en plus du rôle qu’il jouait ou pouvait jouer dans la chaîne des événements. Par conséquent, le défendeur soulève que l’agente n’aurait pu négliger le fait que les gestes commis par le demandeur ont pu faciliter la perpétration de meurtres et de crimes violents.

[31]           Enfin, le défendeur soutient que l’agente n’a pas erré dans son analyse en considérant la version initiale du demandeur à son arrivée au Canada, puisque le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, conséquemment, celui auquel il faut ajouter le plus de foi (Athie c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 425 au para 49; Ishaku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 44 au para 53). C’est donc en se basant sur ce fait, entre autres, que l’agente a conclu que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité et, donc, interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

VIII.         Analyse

[32]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.                 Question préliminaire

[33]           Dans un premier temps, la Cour doit aborder la question portant sur la demande de prorogation de délai. Notre Cour a déjà établi que « c’est au requérant qu’il revient de fournir une raison valable pour justifier son retard » (Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1196 au para 7 [Kumar]; Semenduev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 70; Buhalzev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1098). Dans le cas présent, le délai de dix ans n’a pas été soulevé d’une façon pouvant transformer les données soumises aux autorités canadiennes à l’arrivée du demandeur au Canada, à un tel point que ces données devraient être mises de côté.

[34]           Les questions suivantes ont permis à notre Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de proroger le délai prescrit par la LCF (Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 61 [Larkman]; Monla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 668 au para 12) :

1. Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

2. La demande a-t-elle un certain fondement?

3. La Couronne a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

4. Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[35]           Même si ces facteurs sont établis par la jurisprudence, chaque cas est un cas d’espèce et mérite d’être traité dans son ensemble particulier, sachant que chaque cas possède une encyclopédie des références, un dictionnaire des termes, une galerie de portraits et la nécessité d’examiner s’il y a une harmonie ou une cacophonie à la logique inhérente dans le contexte et les circonstances. Toutefois, « [l]a considération primordiale est celle de savoir si l'octroi d'une prorogation de délai serait dans l'intérêt de la justice » (Larkman, ci-dessus, au para 62).

[36]           La Cour constate que le défendeur n’a pas subi de préjudice en raison du retard. En effet, le défendeur a pu faire valoir ses arguments de façon pleine et entière. Le demandeur, quant à lui, n’a pas réussi à fournir une explication raisonnable pour justifier le retard causé par son avocate, puisque l’erreur de cette dernière, la bonne foi et l’ignorance de la loi ne peuvent pas constituer des motifs valables (Cornejo Arteaga, ci-dessus, au para 17). Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue que le retard résulte d’un événement imprévu et hors du contrôle du demandeur (Kumar, ci-dessus, au para 8).

[37]           Le demandeur n’a pas non plus été en mesure de démontrer en quoi la décision de l’agente était déraisonnable.

B.                 L’agente a rendu une décision raisonnable

[38]           Tel que mentionné, chaque cas est un cas d’espèce, particulièrement lorsqu’une personne est déclarée interdite de territoire au Canada. En effet, « [i]l faut faire preuve de circonspection afin d'être tout à fait certain que ces conclusions sont tirées comme il se doit » (Alemu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 997 au para 41 [Alemu]; cité dans Bankole c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 373 au para 25).

[39]           Dans le cas présent, la Cour doit déterminer s’il était raisonnable pour l’agente de conclure qu’il y avait des « motifs raisonnables de croire » que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité. Cette norme de preuve exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités (Mugesera, ci-dessus, au para 114). Ainsi, la Cour n’a pas à apprécier à nouveau la preuve que l’agente avait devant elle lorsqu’elle a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, ni même lorsque l’analyse et le fondement de sa décision sont raisonnables (Alemu, ci-dessus, au para 41).

[40]           En effet, l’agente a conclu que, eu égard aux renseignements concluants et dignes de foi fournis par le demandeur lui-même dans son FRP au sujet de sa propre participation dans l’APR, il était raisonnable de croire (ou de penser) que le demandeur était complice (Mugesera, ci-dessus, au para 114). En effet, l’agente a tenu compte de la preuve présentée par le demandeur relativement à sa participation et à sa contribution dans l’APR. L’agente n’a donc pas seulement considéré la simple appartenance du demandeur en tant que membre de l’APR (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 303 aux para 24 à 27). Conséquemment, vu la participation directe du demandeur dans l’APR, telle que décrite dans son récit initial, il était certes logique pour l’agente de considérer la première version du demandeur à son arrivée au Canada.

[41]           La jurisprudence est d’accord pour dire que les décisions de la SPR ont force de chose jugée sur les conclusions de fait. Cependant, les agents d’immigration ne sont pas liés par les conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR. Ainsi, lorsque les décideurs doivent prendre des décisions sur l’admissibilité au Canada, ils doivent examiner les conclusions de fait à la lumière des dispositions de l’article 35 de la LIPR (Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 868 au para 25), d’après les faits du récit qui ressortent de chaque dossier selon la logique inhérente découlant de l’ensemble du dossier. C’est ce que l’agente a fait en l’espèce. Elle n’était pas obligée de reprendre la conclusion de la SPR et elle a donc pris la peine de considérer toute nouvelle preuve présentée par le demandeur, comme par exemple la lettre de son frère Emmanuel, afin de déterminer la complicité du demandeur dans les actes perpétrés par l’APR.

Bien qu’il soit un fait établi par le commissaire de la SPR que le demandeur faisait partie de l’APR pendant cette période, j’ai toutefois tenu à me pencher sur les preuves déposées par la représentante à ce sujet puisque la plupart d’entre elles n’ont pas été présentées devant la SPR.

(Dossier du demandeur, p 9, Motifs de la décision.)

[42]           Dans le même ordre d’idées, la Cour conclut que, selon l’intégralité du dossier, l’agente a considéré l’ensemble de la preuve. Elle a entre autres constaté que la poursuite des études du demandeur, en 1996 et 1997, ne l’empêchait pas, d’après ses déclarations, d’avoir continué ses activités au sein de l’APR. Si l’agente a accordé une plus grande valeur probante à certains documents en particulier, c’est qu’à son avis des contradictions importantes ont été relevées à l’égard de faits essentiels dans l’ensemble du dossier du demandeur.

[43]           Par conséquent, la décision de l’agente appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

IX.              Conclusion

[44]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-644-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-644-17

 

INTITULÉ :

JEAN DE DIEU IKUZWE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Annick Legault

 

Pour le demandeur

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Annick Legault

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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