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Date : 20171103


Dossier : IMM-1438-17

Référence : 2017 CF 992

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SALAH AZIZ MOHAMMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas (agent) refusant au demandeur sa demande de visa de résident temporaire. La présente demande est présentée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Iraq qui a demandé un visa de résident temporaire le 15 mars 2017. Sa demande affirmait que son voyage avait pour but de [traduction] « visiter le Canada afin d’établir des possibilités d’affaires » et une lettre de présentation préparée par l’avocat du demandeur ajoutait à cela que la visite devait être [traduction] « une visite exploratoire au Canada pour étudier des possibilités d’affaires puisqu’il souhaitait présenter une demande à un programme d’investissement dans un avenir proche ». La demande affirme que le demandeur est propriétaire d’une entreprise florissante en Iraq, et il avait déjà voyagé dans d’autres pays, y compris le Canada. En outre, la demande affirme que, même si la plus grande partie de sa famille immédiate vit en Iraq, le demandeur a un frère en Suède et un autre au Canada. Il a aussi donné des renseignements concernant son entreprise ainsi qu’une lettre d’une banque.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[3]  Le 11 avril 2017, l’agent a refusé la demande sur le fondement que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences légales prévues par la LIPR et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR) qui place sur le demandeur d’un visa de résident temporaire le fardeau d’établir qu’il « aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée » (voir l’alinéa 20(1)b) de la LIRP et l’alinéa 179b) du RIPR). L’agent relève trois préoccupations à titre de fondement du refus : les liens familiaux du demandeur au Canada et en Iraq, le but de la visite proposée et la question de savoir si le demandeur avait suffisamment de fonds pour le voyage. Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent déclare ceci : [traduction] « Étant donné la conjoncture et l’environnement de sécurité dans le pays de résidence, les facteurs d’attirance pour demeurer au Canada sont forts. Je ne suis pas convaincu que le demandeur soit un visiteur de bonne foi qui quittera le Canada à la fin du séjour autorisé. Refusée ».

III.   Questions en litige et norme de contrôle

[4]  Il n’y a que deux questions en litige :

  1. Y a-t-il eu manquement au principe d’équité procédurale du fait que l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner au demandeur la possibilité de réfuter cette preuve?
  2. La décision est-elle raisonnable, ou l’agent a-t-il simplement examiné les éléments de preuve et les exigences prévues par la loi « de manière superficielle »?

[5]  La norme de contrôle concernant l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43), et la norme de contrôle concernant la décision est la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 [Dunsmuir]; Shakeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1327, au paragraphe 10; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 894, au paragraphe 15). Des décisions antérieures ont conclu qu’à la lumière du volume des demandes examinées par les agents des visas à l’étranger et de la nature des intérêts touchés par ces décisions, l’obligation de fournir des motifs « se situe au plus bas de l’échelle pour ce qui est des détails à fournir et des formalités procédurales à respecter » : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298, au paragraphe 20; Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527, aux paragraphes 32 et 33 [Bahr]; AloOmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 727, au paragraphe 26.

IV.  Discussion

A.  Y a-t-il manquement au principe d’équité procédurale?

[6]  Le demandeur soutient que les commentaires de l’agent dans les notes du SMGC concernant les facteurs d’attirance et d’incitation indiquent qu’il s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques, et que le défaut d’informer le demandeur de ces éléments de preuve et de lui donner une occasion de présenter des observations à leur sujet équivaut à un manquement au principe d’équité procédurale. Le demandeur renvoie à la décision Rukmangathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 284 [Rukmangathan] pour appuyer cet argument.

[7]  Il est bien établi en droit que les agents des visas ont le droit de se fier à leurs connaissances personnelles des conditions locales pour évaluer les éléments de preuve et les documents fournis à l’appui des demandes de visas. Dans la décision Bahr, le juge James Russel affirme ce qui suit :

[42] Il me paraît donc que le demandeur doit se rappeler que la charge pèse sur lui de constituer un dossier convaincant, et qu’il lui faut s’attendre à ce que l’agent des visas examine la demande en s’appuyant sur son expérience générale et sa connaissance des conditions locales pour faire des déductions et tirer des conclusions à partir des renseignements et documents produits par ledit demandeur, sans nécessairement lui faire part, le cas échéant, des doutes que le dossier suscite. Il incombe au demandeur de faire en sorte que sa demande soit complète et comprenne tous les éléments nécessaires pour convaincre l’agent.

[8]  Par ailleurs, dans la décision Rukmangathan, le juge Richard Mosley conclut qu’un agent des visas a l’obligation d’informer un demandeur des « doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » (paragraphe 22). Cette exigence a été commentée dans Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24 :

Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

[9]  Des décisions plus récentes confirment cette approche : Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, au paragraphe 6 citant Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091, au paragraphe 26; Lazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 16, au paragraphe 21.

[10]  Rien n’indique que l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques autres que des renseignements généralement disponibles sur la situation en Iraq au moment de la demande, une question qui relève de l’expertise de base d’un agent des visas. Dans la présente affaire, à la lumière de la situation récente en Iraq, il était entièrement raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur de visa de résident temporaire anticipe ce genre de préoccupation. Le demandeur ne peut ici prétendre avoir été étonné que l’agent tienne compte de la situation économique et sécuritaire en Iraq.

[11]  Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement au principe d’équité procédurale puisque l’agent n’a pas renvoyé à des éléments de preuve extrinsèques du genre qui aurait pu donner lieu à l’obligation de fournir une lettre relative à l’équité au demandeur.

B.  La décision est-elle raisonnable?

[12]  Le demandeur soutient qu’il y a plusieurs lacunes dans la décision de l’agent : elle met l’accent sur quelques facteurs pertinents seulement, elle semble écarter ou mal interpréter les éléments de preuve pertinents en ce qui a trait aux facteurs examinés et elle est si courte et vague qu’elle indique que l’agent n’a fait qu’examiner les critères et les considérations pertinents « de manière superficielle ».

[13]  Il y a plusieurs lignes de conduite clairement établies pour cette analyse : 1) il existe une présomption légale selon laquelle toutes personnes qui cherchent à entrer au Canada sont présumées être des immigrants, que le demandeur doit réfuter : Danioko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 479, au paragraphe 15; 2) il n’incombe pas à la Cour de réévaluer la preuve; 3) l’agent est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve sauf indication contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF)) et n’est pas tenu de mentionner tous les documents soumis (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (QL) (CAF); Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465, au paragraphe 20; 4) les motifs de la décision de l’agent incluent le formulaire et la lettre, ainsi que les notes du SMGC préparées pour l’affaire.

[14]  Pour évaluer le caractère suffisant de ces motifs, je dois être guidé par les leçons de la Cour suprême du Canada à ce sujet : les motifs démontrent la « justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, au paragraphe 47), et « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses]).

[15]  En l’espèce, le demandeur mentionne le formulaire qui accompagnait la lettre de décision, où l’agent note seulement trois préoccupations (sur les neuf points inscrits au formulaire), ainsi que les facteurs d’attirance et d’incitation des notes du SMGC. Le demandeur soutient que les éléments de preuve soumis quant aux trois secteurs préoccupants de l’agent auraient dû en fait être favorables à la demande.

[16]  En ce qui a trait aux liens familiaux au Canada et en Iraq, le demandeur mentionne le fait que la majorité des membres de sa famille immédiate réside en Iraq, alors qu’un frère habite en Suède et un autre au Canada. Le demandeur soutient que ces éléments de preuve n’appuient pas une conclusion qu’il ne quittera pas le Canada à la fin de la période autorisée par le visa de résident temporaire, et cherche à renforcer cette conclusion en mentionnant d’autres renseignements dont l’agent disposait, notamment les antécédents de voyage du demandeur à l’extérieur de l’Iraq. Ces antécédents démontrent que le demandeur a quitté l’Iraq et y est retourné, y compris un récent voyage au Canada.

[17]  En ce qui concerne la préoccupation quant à l’objet de la visite, le demandeur mentionne la lettre d’invitation dont disposait l’agent, qui démontre nettement que le voyage était planifié, en partie, comme une occasion d’étudier des possibilités d’affaires. Le demandeur fait remarquer que la LIPR et la jurisprudence antérieure indiquent que les voyages ayant deux buts sont autorisés; en effet, s’il en était autrement, il serait difficile pour beaucoup d’investisseurs proposés ou de professionnels d’affaires d’établir des liens avec le Canada qui sont nécessaires pour appuyer les demandes selon d’autres volets d’immigration.

[18]  Enfin, le demandeur affirme que les doutes de l’agent quant à savoir s’il avait les fonds suffisants pour effectuer cette visite ne sont pas raisonnables, puisque les éléments de preuve fournis à l’appui de la demande comprenait une lettre d’une banque, des renseignements d’entreprise sur l’enregistrement et l’exploitation de la société qu’il possède en Iraq, ainsi que les documents qui indiquent que le vol et la chambre d’hôtel avaient déjà été payés par le demandeur.

[19]  Le défendeur soutient que la décision d’un agent des visas mérite tous les égards, et que ce que le demandeur demande en l’espèce est essentiellement une réévaluation des éléments de preuve. Concernant l’argument relatif au formulaire, le défendeur remarque que les documents de décision de l’agent indiquent qu’il a tenu compte de plusieurs facteurs pour rendre sa décision, notamment l’historique de voyages, le but du voyage, les liens avec le pays de résidence, la capacité de payer le voyage et la question de savoir si la personne est susceptible de quitter le Canada à la fin du voyage. Quant au fait que seulement trois des neuf cases du formulaire avaient été cochées, le défendeur précise que le formulaire lui-même indique : [traduction] « Veuillez noter que seuls les motifs cochés s’appliquent au refus de votre demande ». Les autres facteurs n’étaient donc pas le fondement du refus. Le fait que l’agent n’a coché que trois cases n’est pas une indication que les autres n’ont pas été prises en considération.

[20]  En l’espèce, les motifs fournis par l’agent sont « raisonnables, intelligibles et justifiables » à l’égard de la preuve et du droit. Même si les motifs présentés par l’agent ne sont pas longs, ils donnent une indication nette du fondement de la décision : Newfoundland Nurses, au paragraphe 16. Rien n’indique que les éléments de preuve pertinents ont été écartés et le fait qu’un autre décideur aurait pu tirer une conclusion différente n’est pas un fondement pour annuler la décision.

[21]  Le dossier indique que l’agent a examiné les renseignements fournis par le demandeur qui ont donné lieu à plusieurs préoccupations que l’agent mentionne pour fonder le refus du VRT visa de résident temporaire. Le contexte économique et sécuritaire général en Iraq au moment de la demande est évidemment une considération pertinente et entre dans les connaissances générales de l’agent. Les renseignements financiers fournis étaient une lettre d’une banque, mais aucun relevé de compte n’avait été inclus pour justifier la situation financière du demandeur. Au moment de la demande, le demandeur était un célibataire ayant de la famille en Iraq, en Suède et au Canada. Le but déclaré du voyage était l’étude de possibilités d’affaires, mais il n’y avait aucun renseignement à l’appui concernant la nature de ces possibilités.

[22]  Dans l’ensemble, il est évident qu’il y avait des renseignements qui auraient pu appuyer l’autorisation ou le refus du visa de résident temporaire. Il incombait au demandeur de fournir les renseignements à l’appui de sa demande. La décision a été rendue en fonction de l’examen par l’agent des renseignements et de l’application de son expertise et de son jugement. Cette décision n’était pas déraisonnable.

V.  Conclusion

[23]  Ayant examiné le dossier et les arguments des parties, je ne vois aucun motif d’infirmer la décision de l’agent.

[24]  Le demandeur a soutenu qu’une question d’importance générale devrait être certifiée, à savoir si les agents qui traitent des demandes de visa de résident temporaire ont l’obligation de fournir des motifs précis démontrant comment les conditions économiques ou de sécurité du pays nuisent à la situation du demandeur. Le défendeur s’y est opposé, au motif que la présente cause ne soulève pas de questions nouvelles qui n’ont pas déjà été entièrement abordées dans des affaires antérieures. Je suis d’accord avec le défendeur – il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1438-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La présente affaire ne donne lieu à aucune question de portée générale.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1438-17

 

INTITULÉ :

SALAH AZIZ MOHAMMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Mehran Youssefi

 

Pour le demandeur

 

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mehran Youssefi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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