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Date : 20171102


Dossier : IMM-842-17

Référence : 2017 CF 988

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

À Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ADRIANA PATRICIA QUEBRADA BATERO

MICHAEL STEVE QUEBRADA BATERO

SARAY MELISSA BELLO QUEBRADA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Adriana Patricia Quebrada Batero, la demanderesse principale qui est maintenant âgée de 40 ans, son fils et sa fille qui sont âgés de 23 ans et de 13 ans, respectivement, sont arrivés au Canada au poste frontalier à Fort Erie le 14 décembre 2016. Ils ont présenté une demande d’asile le même jour au motif que la demanderesse principale avait été victime de demandes d’extorsion à Bogotá, en Colombie, par un groupe qui s’identifie comme les Aigles noirs. Leur demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 10 février 2017. Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

I.  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[2]  La demande des demandeurs a été entendue par la Section de la protection des réfugiés le 10 février 2017 et refusée dans une décision prononcée oralement le même jour. Même si la Section de la protection des réfugiés a conclu que les allégations des demandeurs étaient crédibles, elle a conclu que des endroits au sein de la Colombie, autre que Bogotá, comme Medellín ou Cali, constitueraient pour eux une possibilité de refuge intérieur viable. Plus particulièrement, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs pourraient déménager en toute sécurité de Bogotá à Medellín ou à Cali et qu’il était raisonnable pour eux de le faire. La Section de la protection des réfugiés a fondé cette conclusion sur son examen des documents ayant trait aux Aigles noirs, notamment les deux réponses aux demandes de renseignements, un rapport d’InSight Crime, un document d’Agencia Prensa Rural et un article de l’organisation Southport. La Section de la protection des réfugiés était d’avis que les Aigles noirs n’étaient pas une organisation distincte ayant une structure de commande centrale, mais qu’il s’agit plutôt de plusieurs groupes indépendants locaux qui avaient adopté le nom générique « Aigles noirs » par souci de commodité aux fins d’intimidation.

[3]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que même si les Aigles noirs étaient présents à Medellín ou à Cali, la « nature fragmentaire des Aigles noirs et le caractère localisé de leurs activités » faisaient en sorte qu’il était « peu probable qu’ils soient en mesure de pourchasser les demandeurs d’asile partout au pays, dans des endroits comme Medellín ou Cali, compte tenu de leur structure ». De l’avis de la Section de la protection des réfugiés, « Les éléments de preuve [...] ne suffisent pas à prouver que les personnes ayant pris les demandeurs d’asile pour cible ne font pas tout simplement partie d’un groupe local, ou que les Aigles noirs sont dotés d’un réseau et de ressources s’apparentant, par exemple, aux groupes paramilitaires ou aux organisations criminelles mieux organisées et structurées, de manière à pouvoir trouver les demandeurs d’asile ailleurs. » La Section de la protection des réfugiés a indiqué en outre que même s’il existait certains éléments de preuve que les Aigles noirs ciblaient certaines personnes aux fins de persécution, comme les militants des droits de la personne, les journalistes, les Afro-Colombiens, les membres de peuples autochtones, les propriétaires fonciers et les agriculteurs, certains exploitants d’entreprise et chauffeurs, les représentants gouvernementaux, les syndicalistes et les femmes et enfants ayant un profil précis, les demandeurs ne répondaient à aucun de ces profils. En réponse aux arguments selon lesquels le fils adulte de la demanderesse principale serait vulnérable au recrutement forcé par des gangs et des paramilitaires partout en Colombie, la Section de la protection des réfugiés a conclu « qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que le recrutement forcé d’adultes dans les régions urbaines est systématique, au point où il est plus probable que le contraire qu’il survienne à Medellín ou à Cali ».

[4]  La Section de la protection des réfugiés a reconnu le témoignage des demandeurs portant sur les difficultés auxquelles ils seraient confrontés en s’installant dans une autre ville. Toutefois, elle a conclu que de telles difficultés n’atteignent pas le seuil établi dans la jurisprudence, comme Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172, [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu], et Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2118, [2001] 2 RCF 164 (CA). La Section de la protection des réfugiés a indiqué que les préférences et les convenances des demandeurs ne sont généralement pas des considérations pertinentes et que les difficultés associées au déplacement et à la réinstallation ne sont pas suffisantes pour conférer un caractère déraisonnable à la possibilité de refuge intérieur. La Section de la protection des réfugiés a reconnu en outre que même si le niveau de crime à Medellín et à Cali était élevé, Bogotá fait également l’objet de crimes graves.

[5]  Aux fins de l’analyse du deuxième volet du critère applicable à la possibilité de refuge intérieur, la Section de la protection des réfugiés a tenu compte des Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe et de la question de savoir si le statut de la demanderesse principale en tant que mère célibataire influait sur sa capacité de réinstallation. La Section de la protection des réfugiés a conclu que le fait d’être une mère célibataire ne mine pas le caractère raisonnable de la réinstallation de la demanderesse principale. La Section de la protection des réfugiés a ensuite déclaré :

Medellín et Cali sont des villes très étendues dotées d’une infrastructure développée, de services essentiels et de commodités. Les demandeurs d’asile adultes, qui sont âgés de 39 et 22 ans, sont tous les deux jeunes, et rien n’atteste que leur santé est mauvaise ou qu’ils ne seraient pas en mesure de subvenir à leurs besoins. La demandeure d’asile principale a travaillé comme adjointe administrative ou experte-conseil en affaires durant l’essentiel de la dernière décennie. Pendant ce temps, elle exploitait également une entreprise parallèle. Son fils a fait des études postsecondaires et, l’an dernier, il a travaillé dans le domaine des technologies de l’information jusqu’à ce qu’il quitte le pays. J’estime que la preuve est insuffisante pour inciter à croire que ces compétences ne sont pas transférables à Cali ou à Medellín.

[6]  La Section de la protection des réfugiés a conclu son analyse du caractère raisonnable de la possibilité de refuge intérieur proposée en indiquant que « [l]e gouvernement a mis en place des programmes d’aide en matière de logement, de services sociaux ou d’éducation destinés aux personnes [...] qui se réinstallent à Medellín ou à Cali. » La Section de la protection des réfugiés a conclu en déclarant que les demandeurs pourraient « se réinstaller en toute sécurité dans d’autres villes de la Colombie et qu’il est raisonnable pour eux de le faire ».

II.  Questions en litige

[7]  La demanderesse décrit les questions comme celles de savoir si la Section de la protection des réfugiés a omis de tenir compte des éléments de preuve contradictoire concernant 1) la nature des Aigles noirs et leur capacité de trouver les demandeurs et 2) la viabilité de la possibilité de refuge intérieur. Toutefois, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire soulève une question principale : La conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs ont une possibilité de refuge intérieur viable à Medellín ou à Cali est-elle raisonnable?

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[8]  La conclusion de la Section de la protection des réfugiés quant à la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Rodriguez Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1243, au paragraphe 24, [2009] 3 RCF 395). Tel que la Cour l’a indiqué dans Lebedeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1165, au paragraphe 32, [2011] ACF no 1439, les conclusions qui touchent une possibilité de refuge intérieur « appellent la retenue de la Cour parce qu’elles concernent non seulement l’évaluation des circonstances propres au demandeur, circonstances relatées par son témoignage, mais également une compréhension intime de la situation qui règne dans le pays concerné ».

[9]  Conformément à la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision en s’en tenant « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Toutefois, la Cour doit aussi se demander si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.

[10]  De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339. Il faut considérer la décision de la Section de la protection des réfugiés comme « un tout » et la Cour doit s’abstenir de faire « une chasse au trésor, phrase par phrase », à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458).

B.  La conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs ont une possibilité de refuge intérieur viable à Medellín ou à Cali est-elle raisonnable?

[11]  Les demandeurs soutiennent que la Section de la protection des réfugiés n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui contredisent sa conclusion selon laquelle les Aigles noirs ne seraient pas en mesure de pourchasser les demandeurs jusqu’aux possibilités de refuge intérieur proposées. Ils font valoir que les Aigles noirs sont un réseau paramilitaire ayant des liens avec l’État et l’armée et qu’ils font partie d’un réseau plus important d’organisations criminelles connues comme le « Clan Usaga » qui comporte une structure hiérarchique, une portée nationale et a la capacité de pourchasser les personnes partout en Colombie. Selon les demandeurs, il n’y a aucun élément de preuve qui établit que les Aigles noirs à Bogotá sont distincts des groupes liés au Clan Usaga. Les demandeurs soutiennent en outre que la Section de la protection des réfugiés a omis de tenir compte d’éléments de preuve quant au caractère inadéquat des programmes gouvernementaux à l’intention des personnes déplacées à l’intérieur du territoire lorsqu’elle a conclu que Cali et Medellín constituaient des possibilités de refuge intérieur viables.

[12]  Le défendeur soutient que les observations des demandeurs [traduction] « obscurcissent » la véritable conclusion de la Section de la protection des réfugiés, soit que les Aigles noirs à Bogotá n’avaient pas la capacité de les pourchasser jusqu’aux possibilités de refuge intérieur proposées. Le défendeur indique que la Section de la protection des réfugiés a conclu que les Aigles noirs à Bogotá n’étaient pas susceptibles d’avoir des liens avec les groupes d’Aigles noirs d’autres régions. Il conteste l’argument des demandeurs selon lequel la Section de la protection des réfugiés s’est fondée exclusivement sur un seul document en indiquant que, dans ses motifs, la Section de la protection des réfugiés a renvoyé à un vaste éventail de documents sur les conditions dans le pays. Le défendeur reconnaît que même si les éléments de preuve documentaire indiquent que les programmes en Colombie qui visent à aider les personnes déplacées à l’intérieur du territoire sont généralement considérés comme inadéquats, l’existence de programmes gouvernementaux ne constituait pas le fondement des conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la viabilité des possibilités de refuge intérieur. Selon le défendeur, la conclusion de la Section de la protection des réfugiés quant à la viabilité des possibilités de refuge intérieur proposées était également fondée sur la capacité des demandeurs de se trouver un emploi dans des villes colombiennes importantes comme Cali ou Medellín.

[13]  Je souscris à l’argument du défendeur présenté à l’audience de l’espèce selon lequel les demandeurs demandent à la Cour de soupeser à nouveau et à la loupe les éléments de preuve. La Section de la protection des réfugiés n’est pas tenue de mentionner chaque élément de la preuve dans ses motifs et, en outre, elle est présumée avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance, à moins que le contraire ne soit établi (voir : Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629, au paragraphe 15, 130 ACWS (3d) 1004; D’Souza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] 1 CF 343, au paragraphe 8, 16 ACWS (2d) 324 (CA); et Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1, [1993] ACF no 598 (CA)).

[14]  La Section de la protection des réfugiés doit toutefois indiquer de manière appropriée le critère à deux volets concernant une possibilité de refuge intérieur et elle doit l’appliquer de manière raisonnable, conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA), 140 NR 138. Lorsqu’elle détermine la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur proposée, la Section de la protection des réfugiés doit d’abord être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’un demandeur d’asile n’est exposé à aucune possibilité grave de persécution dans la possibilité de refuge intérieur proposée et, ensuite, il doit être raisonnable, du point de vue objectif, pour le demandeur de se réfugier dans la possibilité de refuge intérieur proposée. Il incombe au demandeur d’asile d’établir qu’une possibilité de refuge intérieur n’est pas viable (voir Thirunavukkarasu, aux paragraphes 5 et 6).

[15]  En l’espèce, les éléments de preuve documentaire dont était saisie la Section de la protection des réfugiés étaient tels qu’il était raisonnable de conclure qu’il était peu probable que les Aigles noirs à Bogotá eussent la capacité de pourchasser les demandeurs partout dans le pays, dans des endroits comme Medellín ou Cali. Toutefois, il n’était pas raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de conclure que Cali ou Medellín offraient une possibilité de refuge intérieur viable pour les demandeurs parce que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas tenu compte de la possibilité que les demandeurs subissent un préjudice à titre de personnes déplacées à l’intérieur de la Colombie. Même si la Section de la protection des réfugiés a indiqué l’existence de programmes gouvernementaux dont les personnes qui se réinstallent à Medellín ou à Cali peuvent se prévaloir afin d’obtenir une aide en matière de logement, de soins de santé et d’éducation, elle n’a pas tenu compte ou n’a pas évalué de manière raisonnable le préjudice possible que les demandeurs pourraient subir dans les possibilités de refuge intérieur proposées en tant que personnes déplacées à l’intérieur du territoire. En l’espèce, les éléments de preuve documentaire objectifs dont la Section de la protection des réfugiés était saisie indiquaient qu’il ne serait pas objectivement raisonnable pour les demandeurs de se réfugier dans les possibilités de refuge intérieur proposées. Voici ce qu’indique la preuve : [traduction]

[...] les victimes d’un déplacement intra-urbain et ceux d’autres parties du pays vivent dans des territoires contrôlés par des groupes armés. Même si ces groupes ne sont parfois pas les mêmes que ceux qui ont entraîné le déplacement initial des victimes, ces groupes deviennent, en fin de compte, une menace grave pour les personnes déplacées. Même si ces groupes armés n’ont aucun pouvoir au niveau national, il s’agit de gangs criminels importants, qui sont très puissants [...]

[...] les personnes déplacées ont vécu des retards importants dans l’obtention de réponses à leurs demandes de déplacement, à l’origine en raison des retards dans l’établissement de critères de contrôle pour les demandes et ensuite en raison de l’arriéré important accumulé au cours de plusieurs mois au début de l’année. Les organisations internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) demeurent préoccupées par la sous-inscription de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et la réponse institutionnelle lente au déplacement. Le CODHES [bureau consultatif sur les droits de la personne et les déplacements] a cité le refus du gouvernement de nombreuses inscriptions, le manque d’accès au système d’inscription dans certaines régions et la crainte de représailles de la part de groupes armés illégaux en tant qu’obstacles à l’inscription intégrale [...]

[...] il y a environ 10 000 victimes du déplacement entre les villes à Medellín [...] les personnes inscrites en tant que [traduction] « déplacées » reçoivent environ 150 $ US par mois pendant six mois, ce qui est « insuffisant » pour subvenir à leurs besoins (ibid.). Le directeur a indiqué que, par exemple à Medellín, la situation en matière d’emploi est très mauvaise et les personnes déplacées qui arrivent à Medellín se trouvent un emploi qui consiste à vendre [traduction] « des choses dans la rue » (ibid.). El Universal indique qu’il existe une insuffisance de possibilités d’emploi à Cartagena [...]

[d]ans la plupart des cas, les personnes déplacées qui se réinstallent à Cali, à Cartagena ou à Medellín ou dans une autre ville déménagent avec des amis ou des membres de la famille. Si elles n’ont aucun proche ou ami à Cali, à Cartagena ou à Medellín, elles déménagent habituellement dans les quartiers pauvres d’une ville où ils doivent participer au [traduction] « marché immobilier officieux », ce qui signifie qu’elles ne concluront aucune entente de location officielle qui empêche l’expulsion des locataires à tout moment donné. En outre, l’hygiène et la sécurité sont habituellement piètres dans les quartiers pauvres.

De même, le directeur a déclaré qu’à Medellín, les personnes déplacées s’installent à la périphérie d’une ville (Corporación Región, le 25 novembre 2013). Selon le directeur, les programmes de logement municipaux à Medellín ne comptent pas un nombre précis de maisons attribuées aux personnes déplacées (ibid.).

[16]  À mon avis, il incombait à la Section de la protection des réfugiés d’évaluer la viabilité de la réinstallation des demandeurs à Cali ou à Medellín à titre de personnes déplacées à l’intérieur du territoire. Les éléments de preuve concernant les personnes déplacées à l’intérieur de la Colombie étaient directement pertinents à la question de savoir s’il était objectivement raisonnable pour les demandeurs de se réfugier à Cali ou à Medellín. Même s’il était loisible à la Section de la protection des réfugiés de rejeter ou d’attribuer peu ou aucun poids à cette preuve, elle a omis d’expliquer pourquoi ou comment les demandeurs ne seraient pas confrontés à des difficultés semblables à celles auxquelles sont confrontées les personnes déplacées à Cali ou à Medellín. Le témoignage des demandeurs devant la Section de la protection des réfugiés indiquait qu’ils n’avaient aucun membre de la famille ni aucune ressource à Cali ou à Medellín. Il était déraisonnable pour la Section de la protection des réfugiés de mettre l’accent sur la question de savoir si les compétences de la demanderesse principale et celles de son fils adulte étaient transférables aux possibilités de refuge intérieur proposées.

[17]  En conclusion, je souligne que l’espèce s’apparente à la décision Arias Ultima c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 81, 224 ACWS (3d) 754 [Arias Ultima], où la Cour a conclu qu’une possibilité de refuge intérieur à Bogotá était déraisonnable parce que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas pris en compte des éléments de preuve documentaire révélant que les personnes déplacées à l’intérieur du territoire en Colombie étaient très vulnérables et menaient une vie très précaire. Dans la décision Arias Ultima (au paragraphe 35), la Cour a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait :

[...] commis une erreur en faisant abstraction de cet élément de preuve lorsqu’elle a examiné si les demandeurs disposaient ou non d’une PRI valable. Cet élément de preuve était directement pertinent pour établir s’il était objectivement raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs cherchent refuge dans la partie du pays jugée constituer une PRI et laissait entrevoir une conclusion différente de celle tirée par la Commission quant au deuxième volet du critère. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en ne le mentionnant pas et en ne l’analysant pas [...]

IV.  Conclusion

[18]  La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie. Même si la Section de la protection des réfugiés a conclu raisonnablement qu’il était peu probable que les Aigles noirs à Bogotá aient la capacité de pourchasser les demandeurs partout dans le pays, dans des endroits comme Medellín ou Cali, elle a apprécié de manière déraisonnable les éléments de preuve quant à savoir s’il était objectivement raisonnable pour les demandeurs de se réfugier à Cali ou à Medellín.

[19]  Aucune des parties n’a soulevé une question grave de portée générale et aucune question en ce sens n’est certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-842-17

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; la décision rendue le 10 février 2017 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il en fasse un nouvel examen conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-842-17

 

INTITULÉ :

ADRIANA PATRICIA QUEBRADA BATERO, MICHAEL STEVE QUEBRADA BATERO, SARAY MELISSA BELLO QUEBRADA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 septembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Ram Sankaran

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Shiroky

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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