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Date : 20171102

Dossier : IMM-1243-17

Référence : 2017 CF 983

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

NOWEL MWOROSHA

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision rendue le 28 février 2017 [Décision] par un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [délégué] concluant que le demandeur, Nowel Mworosha [M. Mworosha], un résident permanent, constitue un danger pour le public au Canada au sens du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 [LIPR] [Décision]. La Décision indique que M. Mworosha pourrait être renvoyé du Canada. Pour les raisons qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.                 Survol

[2]               M. Mworosha est un citoyen de la République démocratique du Congo [RDC]. En septembre 1996, il a dû fuir dans un camp de réfugiés en Ouganda lorsque ses parents et ses frères ont été massacrés dans son village natal par les forces armées du gouvernement congolais. En janvier 1997, M. Mworosha a tenté de se réinstaller dans son village natal. Les miliciens responsables de la mort de sa famille avaient alors le contrôle du village et avaient confisqué tous les biens de sa famille. Il a donc dû vivre caché jusqu’en décembre 2001, lorsqu’il a encore dû fuir en Ouganda. Les miliciens l’ont reconnu et poursuivi pour essayer de le tuer. Il n’a pas pu s’y établir en permanence en raison de la législation restrictive qui était en vigueur dans ce pays.

[3]               Le 5 juin 2012, M. Mworosha est entré au Canada avec son épouse, Esther Emeline [Mme Emeline], et ses trois enfants nés à l’époque (un quatrième étant né après son arrivée au Canada.

[4]               Entre juin et octobre 2013, M. Mworosha a été impliqué dans sept incidents qui ont mené à des condamnations criminelles, dont quatre chefs de harcèlement criminel et trois chefs d’agression sexuelle. Les incidents, impliquant sept différentes victimes, sont exposés comme suit :

                                   i.                   Le 13 juin 2013, M. Mworosha a demandé à la victime comment se rendre à un local précis du Cégep de Sainte-Foy à Québec, lieu où il suivait des cours de francisation. La victime l’a accompagné vers le local afin de lui rendre service. Rendu au local, M. Mworosha a coincé la victime, qui avait une déficience intellectuelle, contre le mur en lui disant qu’elle était belle et qu’il voulait l’embrasser. Elle l’a repoussé à cinq ou six reprises et il est parti.

                                 ii.                   Le 4 juillet 2013, la victime était dans le même autobus que M. Mworosha. La victime est sortie de l’autobus et a fait quelques commissions au dépanneur près de chez elle. À son retour à la maison, elle a laissé la porte entrouverte et a éventuellement constaté que M. Mworosha était entré par infraction dans sa cuisine. Il a dit à la victime qu’il l’aimait, qu’il voulait la revoir et aimerait son numéro de téléphone. Il a tenté de l’embrasser et a touché ses fesses, seins et parties génitales avec ses mains, refusant de quitter les lieux. Elle a réussi à le faire quitter les lieux et à contacter le 911;

                                iii.                   En juillet 2013, la victime était penchée pour boire de l’eau à l’abreuvoir. M. Mworosha a pris les hanches de la victime par-derrière. Elle a eu peur et a couru pour s’éloigner;

                               iv.                   En juillet 2013, la victime se retrouvait seule dans un ascenseur avec M. Mworosha. Ce dernier a dit à la victime qu’il l’aimait et voulait des relations sexuelles avec elle. Il a mis ses mains de chaque côté d’elle de façon à l’emprisonner contre la paroi intérieure de l’ascenseur. Elle a dit à M. Mworosha qu’elle n’était pas intéressée par lui. Il l’a ensuite suivie et attendue à la fin des cours;

                                 v.                   En juillet 2013, la victime a été suivie par M. Mworosha, qui l’attendait à la fin de ses cours et pendant ses pauses. M. Mworosha disait à la victime qu’il l’aimait et qu’ils pourraient se retrouver ailleurs pour coucher ensemble. La victime a clairement indiqué qu’elle n’était pas intéressée et s’est même réfugiée longuement dans les toilettes, mais M. Mworosha l’attendait toujours lorsqu’elle est sortie;

                               vi.                   En juillet 2013, la victime a été abordée par M. Mworosha, qui voulait son numéro de téléphone pour pouvoir la voir à l’extérieur du Cégep. La victime a refusé, lui indiquant qu’elle était mariée. M. Mworosha a suivi la victime et l’a attendue à la fin des cours. La victime s’est réfugiée dans les toilettes, mais M. Mworosha l’attendait toujours lorsqu’elle est sortie;

                              vii.                   Le 15 octobre 2013, M. Mworosha a suivi la victime à travers les casiers à l’école Louis-Joliette. Il a alors violé (agression sexuelle) la victime en lui disant qu’il voulait lui faire des enfants. La victime, qui souffrait d’une déficience intellectuelle, affirme ne pas s’être défendue, car elle n’était pas capable de lui parler. Il y a eu une pénétration vaginale.

[5]               Ayant plaidé coupable aux actes décrits aux paragraphes ci-dessus, M. Mworosha a été déclaré coupable le 27 juin 2014 et une peine totale d’emprisonnement de dix-huit mois, moins le temps de détention provisoire (douze mois), assorti d’une probation de trois ans, sans surveillance, a été infligée contre lui.

[6]               Le 30 juin 2014, M. Mworosha a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire en vertu de l’article 44 de la LIPR. Il a été jugé interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[7]                Le 21 mai 2015, une mesure d’expulsion a été émise contre M. Mworosha.

[8]               Le 28 février 2017, le délégué a rendu la Décision concluant que M. Mworosha constitue un danger pour le public au Canada au sens du paragraphe 115(2) de la LIPR et peut être expulsé du pays. Cette Décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.               Dispositions législatives

[9]               Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les paragraphes 36(1), 115(1) et 115(2), et ceux-ci sont reproduits sous l’Annexe A à la présente.

[10]           Les dispositions pertinentes du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 [CC], sont les paragraphes 264(1) à 264(3), ainsi que l’article 271, et ceux-ci sont reproduits sous l’Annexe B à la présente.

IV.              Décision contestée

[11]           Au début de ses motifs, le délégué reconnait l’importance de la Décision, précisant qu’elle établira si M. Mworosha peut ou non se faire renvoyer du Canada, en autant que le renvoi respecte l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte], tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada [CSC] dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3. À cette dernière fin, le délégué explique qu’il est nécessaire de considérer le danger à la population Canadienne, le risque de persécution posé par le renvoi ainsi que les considérations d’ordre humanitaire.

[12]           Ensuite, le délégué énumère et considère de près les dispositions pertinentes de la LIPR, notamment les paragraphes 36(1), 115(1) et 115(2). Il souligne que l’alinéa 115(2)a) est en accord avec le paragraphe 33(2) de la Convention.

[13]           Le délégué conclu correctement que M. Mworosha est inadmissible au Canada pour grande criminalité sous l’alinéa 36(1)a) de la LIPR en raison des condamnations pour harcèlement criminel et agression sexuelle, deux infractions criminelles passibles d’un emprisonnement maximal de 10 ans et pour laquelle M. Mworosha a reçu une peine totale de 18 mois d’emprisonnement. Le délégué résume les observations de M. Mworosha et de son conseil, et énumère les documents soumis à l’appui de ces observations. Le délégué fait référence à l’expression « danger pour le public », tel qu’énuméré dans Williams c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 au para 29, [1997] A.C.F. no 393 [Williams].

[14]           Le délégué procède ensuite à une analyse de la documentation pour s’informer du risque de récidive de M. Mworosha. Il note les démarches louables que M. Mworosha a entreprises à ce jour pour diminuer son risque de récidive, ainsi que le fait que M. Mworosha profite de bon support. Le délégué considère les rapports d’évaluation qui indiquent que M. Mworosha pose un risque de récidive d’amplitude modérée à faible, et que ses besoins en matière d’intervention et de traitement sont d’amplitude modérée. Il note également que ce classement le place dans le 66e percentile, voulant dire qu’environ 57,1% des personnes classées ont eu un score inférieur au sien, et que la documentation témoigne d’un manque de prise de conscience ou de sentiments de culpabilité chez M. Mworosha, même après sa sortie de prison. Il considère également la sévérité, nature et fréquence des crimes. Basé sur cette information, le délégué conclut, selon la balance des probabilités, que M. Mworosha représente actuellement et présentera ultérieurement un risque pour le public au Canada.

[15]           Après avoir conclu que M. Mworosha présente un risque pour le public au Canada, le délégué considère les observations de M. Mworosha et de son conseil en ce qui concerne les conditions en RDC et l’intérêt des enfants.

[16]           Par rapport aux conditions en RDC, le délégué a considéré, entre autres, un extrait du World Factbook de l’Agence Centrale du Renseignement; le rapport 2015 Country Reports on Human Rights Practices – Democratic Republic of Congo; et un extrait du rapport Home Office Country Information and Guidance – Democratic Republic of the Congo : treatment on return. Basé sur ces documents, le délégué se dit conscient du fait que la situation politique en RDC demeure précaire et que les droits de la personne ne sont pas toujours respectés. Il note que les conditions de vie ne sont pas comparables à celles du Canada. Par contre, il conclut que la documentation confirme que le retour d’un demandeur d’asile n’est pas générateur d’un risque notable, à moins que le demandeur d’asile soit déjà recherché sur le territoire. D’ailleurs, il conclut que le fait d’être un criminel condamné au Canada ne présente pas de risque notable non plus. Le délégué conclut que ce sont les opposants politiques qui sont persécutés à leur retour en RDC, et que M. Mworosha n’a pas présenté suffisamment de preuve pour lui permettre de conclure que ce dernier a un engagement politique en particulier. Il conclut également que M. Mworosha n’a pas présenté suffisamment de preuve pour lui permettre de conclure que les miliciens qui avaient tué sa famille et l’avaient pourchassé en RDC seraient toujours intéressés en lui. Compte tenu de ces informations, le délégué conclut que la preuve au dossier ne démontre pas que M. Mworosha serait à risque de persécution à son retour en RDC.

[17]           Ensuite, le délégué se tourne vers la situation familiale de M. Mworosha, particulièrement son rôle financier et moral au sein de sa famille, ainsi que son travail comme préposé aux chambres avec Unick entretien ménager depuis le 25 avril 2015. Le délégué note que Mme Emeline fréquente le Centre Louis-Jolliet dans le but de terminer ses études secondaires, et que deux de leurs quatre enfants fréquentent l’école, alors que les deux plus jeunes sont inscrits au Centre de la petite enfance. Il considère une lettre écrite par Mme Emeline expliquant la difficulté qu’éprouverait la famille si M. Mworosha était renvoyé du Canada. Toutefois, le délégué constate que M. Mworosha était absent pendant une certaine période alors qu’il était incarcéré et que la famille semblait avoir pu survivre, malgré son absence. Il reconnait qu’un renvoi entrainerait sans doute une période importante et difficile d’adaptation pour toute la famille, et qu’une telle séparation causerait de la détresse. Par contre, il conclut que M. Mworosha n’a pas démontré de façon concrète comment une telle rupture serait irréparable pour sa famille. Pour cette raison, le délégué considère que la séparation de M. Mworosha de ses enfants n’est pas un facteur suffisant pour empêcher le renvoi compte tenu de la gravité des crimes. Il en va de même pour les autres considérations humanitaires, notamment le niveau d’établissement social et économique au Canada.

[18]           Finalement, le délégué considère les objectifs énoncés aux paragraphes 3(1) et 3(3) de la LIPR. Il conclut qu’après avoir attentivement examiné tous les faits en l’espèce, le besoin de protéger la société canadienne est plus important que les risques auxquels M. Mworosha pourrait possiblement faire face s’il était renvoyé en RDC. Par conséquent, il conclut que M. Mworosha peut être expulsé en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Le renvoi ne choquerait pas la conscience des Canadiens.

V.                 Questions en litige

[19]           M. Mworosha soulève quatre questions en litige, notamment, est-ce-que le délégué a commis une erreur révisable :

1.             dans son évaluation du danger présent et futur que pose M. Mworosha pour le public au Canada?

2.             dans son évaluation du risque auquel M. Mworosha ferait face s’il est renvoyé en RDC?

3.             dans son évaluation des considérations d’ordre humanitaire applicable?

4.             dans son appréciation des facteurs pertinents, notamment, le danger pour le public, le risque de persécution, et les considérations d’ordre humanitaire? Dans ses plaidoiries devant cette Cour, M. Mworosha met l’accent sur les meilleurs intérêts des enfants.

VI.              Analyse

A.                 Norme de contrôle

[20]           Tel que convenu par les parties, la norme de contrôle pour une décision d’un délégué du ministre en l’espèce est la norme de la décision raisonnable (Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 231 au para. 33, [2013] A.C.F. no. 227; Reynosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1058 au para. 11, [2016] A.C.F. no. 1015 [Reynosa]). Par conséquent, il faut faire preuve d’une très grande retenue par rapport aux conclusions du délégué (Reynosa au para. 11; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras. 51, 53, 164, [2008] A.C.S. no. 9 [Dunsmuir]). Aux termes du critère de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision appartient à « l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (Dunsmuir au para. 47) repris dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au para. 67, [2009] 1 R.C.S. 339.

B.                 Est-ce que le délégué a commis une erreur révisable dans son évaluation du danger présent et futur que pose M. Mworosha pour le public au Canada?

[21]           Effectivement, M. Mworosha prétend que le délégué a déraisonnablement négligé ou mal considéré de la preuve démontrant qu’il ne poserait pas un risque de récidive assez élevé pour le qualifier de danger public. Par exemple, il prétend que le délégué a intentionnellement ignoré une lettre par Mme Jennifer Cantin, intervenante aux programmes à la Maison Painchaud, un centre résidentiel communautaire à Québec qui a comme but de favoriser la réinsertion sociale. M. Mworosha prétend également que le délégué n’a pas pris en compte le fait que le demandeur ait plaidé coupable ou le fait que des rapports d’évaluation constataient que M. Mworosha pose un risque de récidive d’amplitude modérée à faible, et que ses besoins en matière d’intervention et de traitement sont d’amplitude modérée. En outre, M. Mworosha allègue que le délégué a outrepassé sa compétence en analysant les conséquences des actes criminels du demandeur sur les victimes.

[22]           Contrairement aux prétentions de M. Mworosha, la lettre de Mme Cantin est clairement considérée dans les motifs du délégué. Alors que ce document démontre effectivement le besoin d’ordre psychologique du demandeur, ses efforts et sa collaboration, il fait aussi état du manque de conscientisation continu de M. Mworosha. Le délégué considère également les rapports d’évaluation indiquant que M. Mworosha pose un risque de récidive d’amplitude modérée à faible, et que ses besoins en matière d’intervention et de traitement sont d’amplitude modérée. De plus, les rapports témoignent d’un manque de prise de conscience ou de sentiments de culpabilité chez M. Mworosha. Ils ne prouvent pas nécessairement que M. Mworosha pose un risque de récidivisme acceptable. Il en va de même pour les autres assertions de M. Mworosha que le délégué a déraisonnablement négligé ou mal considéré de la preuve.

[23]           Pour ce qui en est de  la prétention que le délégué a outrepassé sa compétence en analysant les conséquences des actes criminels du demandeur sur les victimes, j’accepte la position du défendeur. Pour déterminer si le risque est inacceptable, il est nécessaire de considérer la gravité du crime, qui est liée aux conséquences à longs et courts termes sur les victimes. Le sens de l’expression « danger pour le public » est établi dans la jurisprudence comme se rapportant « à la possibilité qu’une personne ayant commis un crime grave dans le passé puisse sérieusement être considérée comme un récidiviste potentiel », représentant donc le « danger présent ou futur » que pose une personne et qui « crée un risque inacceptable pour le public » (Williams au para. 29; Thompson c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no. 1097 au para. 20, 118 F.T.R. 269). Les conséquences d’un crime antérieur peuvent être utilisées pour évaluer les conséquences potentielles en cas de récidivisme. [Je souligne.]

[24]           Par ailleurs, M. Mworosha demande à la Cour de reconsidérer l’approche du délégué aux plaidoyers de culpabilité, l’interprétation du délégué d’une période de probation sans surveillance, et le niveau de remords de M. Mworosha. Rien ne suggère que le délégué a commis une erreur révisable dans son appréciation de la preuve concernant ces questions. Ce n’est pas le rôle de la Cour de reconsidérer la preuve et de substituer sa version des faits pour celle du délégué; il faut faire preuve d’une très grande retenue par rapport aux conclusions du délégué, pourvu qu’elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Reynosa au para. 11; Dunsmuir aux paras. 47, 51, 53, 164). Basée sur tous les faits, la décision que M. Mworosha constitue un danger pour le public au Canada au sens du paragraphe 115(2) de la LIPR est parmi les décisions raisonnables.

C.                 Est-ce que le délégué a commis une erreur révisable dans son évaluation du risque auquel M. Mworosha ferait face s’il est renvoyé en RDC?

[25]           Un revendicateur du statut de réfugié a le fardeau de démontrer l’existence d’une crainte fondée de persécution (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, 128 D.L.R. (4e) 213; voir aussi paragraphes 100(1.1) et 100(4) de la LIPR). Bien qu’il ait déjà le statut de résident permanent, il existe un parallèle entre le fardeau imposé aux demandeurs de statut de réfugié et le cas en l’espèce, où un résident permanent tente de revendiquer son droit de rester au Canada en vertu du paragraphe 115 (1) de la LIPR en affirmant une crainte fondée de persécution. Le fardeau de prouver que M. Mworosha serait exposé à un risque de persécution ou de torture s’il était renvoyé en RDC incombait donc sur ce dernier.

[26]           De plus, je rejette la prétention du demandeur que la reconnaissance du statut de réfugié de M. Mworosha dans le passé fait en sorte que la décision du délégué est déraisonnable. Si c’était le cas, l’exclusion au paragraphe 115(2) serait sans objectif. Toute personne protégée ou tout réfugié aurait, théoriquement, déjà eu à prouver une crainte fondée de persécution.  Pour donner effet au paragraphe 115(2), il est nécessaire de démontrer qu’une crainte fondée de persécution existe toujours. Le fardeau de démontrer ceci incombe donc au demandeur.

[27]           Le délégué conclut que la preuve au dossier ne démontre pas que M. Mworosha serait à risque de persécution à son retour en RDC. Cette conclusion était raisonnable eu égard à la preuve. Encore une fois, la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue par rapport aux conclusions du délégué, pourvu qu’elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Reynosa au para 11; Dunsmuir aux paras paras 47, 51, 53, 164).

D.                 Est-ce que le délégué a commis une erreur révisable dans son évaluation des considérations d’ordre humanitaire applicable?

[28]           Dans son dossier, M. Mworosha fait valoir qu’il est le seul soutien financier pour son épouse, Mme Emeline, et leurs quatre enfants. Il fait aussi valoir qu’il joue un rôle important dans la vie de ses enfants et que son renvoi serait extrêmement difficile, voire même un malheur irrémédiable, pour sa famille. Enfin, il fait mention de ses liens avec sa collectivité, notamment son église, sa travailleuse sociale, son emploi et le centre communautaire multiethnique de Québec.

[29]           Dans sa décision, le délégué considère ces faits. Il admet qu’un renvoi entrainerait sans doute une période importante et difficile d’adaptation pour toute la famille, et qu’une telle séparation causerait de la détresse. Par contre, ceci n’est pas suffisant. La séparation familiale et les difficultés financières sont des conséquences ordinaires d’un renvoi du Canada et ne sont pas des circonstances extraordinaires pouvant justifier de reporter un renvoi (Tran c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 1240 au para. 25, [2006] A.C.F. no 1565; Ovcak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1178 au para. 13, [2012] A.C.F. no. 1261). Il était raisonnable pour le délégué de conclure qu’il n’y avait pas de considérations d’ordre humanitaire pouvant empêcher le renvoi.

E.                  Est-ce que le délégué a commis une erreur révisable dans son appréciation des facteurs pertinents?

[30]           Ayant raisonnablement considéré tous les faits et représentations pertinents, et ayant décidé que M. Mworosha : (1) constitue un danger pour le public au Canada; (2) n’est pas exposé à un risque de persécution ou de torture s’il est renvoyé en RDC; et (3) n’a pas démontré qu’il existe des considérations d’ordre humanitaire suffisantes, il était raisonnable de conclure que le besoin de protéger la société canadienne contre M. Mworosha l’emporterait sur les autres facteurs, et que le renvoi de M. Mworosha ne choquerait donc pas la conscience des Canadiens. Basé sur mon analyse des facteurs pertinents ci-dessus, il n’y a rien qui suggère que le délégué a commis une erreur révisable en ce qui concerne cette conclusion. Je partage l’opinion exprimée par l’avocat du défendeur selon laquelle, vu les circonstances des crimes, particulièrement le viol (agression sexuelle) contre une femme de déficience intellectuelle et les efforts de M. Mworosha de s’excuser en invoquant sa culture congolaise, la conscience des Canadiens serait choquée s’il n’était pas renvoyé. De plus, M. Mworosha a prétendu que ses gestes et actions criminels au Canada sont acceptés dans la culture congolaise. Je tiens à ajouter qu’attribuer ses actes criminels à la culture congolaise est non seulement offensant à cette culture, mais également à la population congolaise.

VII.            Conclusion

[31]           Pour toutes ces raisons, la Décision du délégué du ministre que M. Mworosha constitue un danger pour le public au Canada au sens du paragraphe 115(2) de la LIPR et peut être expulsé du pays est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[32]           M. Mworosha demande que la question suivante soit certifiée pour appel devant la Cour d’appel fédérale [CAF] aux termes de l’article 82.3 de la LIPR :

« Le tribunal administratif, en tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants, devrait-t-il procéder à une analyse approfondie afin d’identifier et définir l’intérêt des enfants touchés par la décision et ensuite évaluer leur meilleur intérêt, ou bien qu’il n’a qu’un pouvoir discrétionnaire limité en ce sens et semblable au pouvoir discrétionnaire d’un agent de renvoi? » 

[33]           À la lumière des décisions Lewis v. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2017 FCA 130, [2017] F.C.J. No. 629 [Lewis], Rrotaj v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2016 FCA 292, [2016] F.C.J. No. 1296 [Rrotaj], et Crawford v. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2017 FC 743, [2017] F.C.J. No. 774, je rejette la demande. Cette question a déjà été répondue dans Lewis; une analyse approfondie de l’intérêt de l’enfant est seulement obligatoire pour les demandes de considérations d’ordre humanitaire présentées en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Ainsi, la question n’est pas grave et est d’une portée générale (Rrotaj au para. 6).


JUGEMENT au dossier IMM-1243-17

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

2.                  Il n’y a pas de question certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge


ANNEXE A

 

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

     a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

     b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

     c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

Serious criminality

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

      (a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

      (b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

      (c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

Principe du non-refoulement

Principe

115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

       a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

       b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Principle of Non-refoulement

Protection

115 (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

      (a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

      (b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 


ANNEXE B

Harcèlement criminel

264 (1) Il est interdit, sauf autorisation légitime, d’agir à l’égard d’une personne sachant qu’elle se sent harcelée ou sans se soucier de ce qu’elle se sente harcelée si l’acte en question a pour effet de lui faire raisonnablement craindre — compte tenu du contexte — pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances.

 

Actes interdits

(2) Constitue un acte interdit aux termes du paragraphe (1), le fait, selon le cas, de :

       a) suivre cette personne ou une de ses connaissances de façon répétée;

       b) communiquer de façon répétée, même indirectement, avec cette personne ou une de ses connaissances;

       c) cerner ou surveiller sa maison d’habitation ou le lieu où cette personne ou une de ses connaissances réside, travaille, exerce son activité professionnelle ou se trouve;

       d) se comporter d’une manière menaçante à l’égard de cette personne ou d’un membre de sa famille.

Peine

(3) Quiconque commet une infraction au présent article est coupable :

       a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

       b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Criminal harassment

264 (1) No person shall, without lawful authority and knowing that another person is harassed or recklessly as to whether the other person is harassed, engage in conduct referred to in subsection (2) that causes that other person reasonably, in all the circumstances, to fear for their safety or the safety of anyone known to them.

Prohibited conduct

(2) The conduct mentioned in subsection (1) consists of

     (a) repeatedly following from place to place the other person or anyone known to them;

     (b) repeatedly communicating with, either directly or indirectly, the other person or anyone known to them;

     (c) besetting or watching the dwelling-house, or place where the other person, or anyone known to them, resides, works, carries on business or happens to be; or

     (d) engaging in threatening conduct directed at the other person or any member of their family.

Punishment

(3) Every person who contravenes this section is guilty of

     (a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding ten years; or

     (b) an offence punishable on summary conviction.

Agression sexuelle

271 Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

       a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an;

       b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de six mois.

Sexual assault

271 Everyone who commits a sexual assault is guilty of

     (a) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term of not more than 10 years or, if the complainant is under the age of 16 years, to imprisonment for a term of not more than 14 years and to a minimum punishment of imprisonment for a term of one year; or

(b) an offence punishable on summary conviction and is liable to imprisonment for a term of not more than 18 months or, if the complainant is under the age of 16 years, to imprisonment for a term of not more than two years less a day and to a minimum punishment of imprisonment for a term of six months.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1243-17

 

INTITULÉ :

NOWEL MWOROSHA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 septembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Labib Issa

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Daniel Latulippe

pour lE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labib Issa

Avocate

Montréal (Québec)

pour lE DEMANDEUR

 

 

Daniel Latulippe

Avocat

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

 

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