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Date : 20171012


Dossier : IMM-74-17

Référence : 2017 CF 907

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ABIDULLAH MARDUMY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un résident permanent du Canada contre qui une mesure de renvoi a été prononcée en raison d’un comportement criminel. En 2012, il a réussi à obtenir un sursis au renvoi de trois ans (ordonnance de sursis) en promettant de ne plus se compromettre dans des activités criminelles et de respecter certaines conditions. Le 7 décembre 2016, après avoir appris que le demandeur avait participé à une activité criminelle et n’avait pas respecté les conditions de l’ordonnance de sursis, la Section d’appel de l’immigration a annulé l’ordonnance de sursis et le demandeur est maintenant susceptible de renvoi du Canada. Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas convenablement tenu compte du diagnostic de schizophrénie établi à son égard lorsqu’elle a rendu sa décision sur l’annulation de l’ordonnance de sursis.

[2]  Pour les motifs ci-dessous, la présente demande est rejetée, car le demandeur n’a pas réussi à relever une erreur susceptible de révision.

I.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur est un citoyen d’Afghanistan qui est entré au Canada avec sa famille en qualité de réfugié au sens de la Convention. Il a obtenu le statut de résident permanent en 2003. Le 6 mai 2011, il a fait l’objet d’une mesure de renvoi après avoir été déclaré coupable de vol qualifié et de possession d’arme en 2009.

[4]  Le 4 décembre 2012, la Section d’appel de l’immigration a octroyé un sursis par ordonnance, assujetti à diverses conditions, entre autres une consultation psychologique, une évaluation de gestion de la colère, de la psychothérapie et une interdiction de possession d’armes.

[5]  En 2013, le demandeur a été reconnu coupable de voie de fait et a omis de déclarer ce verdict, contrairement aux conditions de l’ordonnance de sursis. En octobre 2013, la Section d’appel de l’immigration, qui examinait de nouveau l’ordonnance de sursis, a indiqué au demandeur qu’il devrait demander de l’aide à la John Howard Society. Le demandeur a été averti que l’inobservation des conditions de l’ordonnance pouvait entraîner l’annulation du sursis.

[6]  Le 3 décembre 2013, le demandeur ne s’est pas présenté à la détermination de sa peine pour voie de fait et un mandat d’arrestation a été délivré contre lui. Le 15 décembre 2013, un autre mandat d’arrestation a été délivré pour inobservation d’engagement. Le 29 avril 2014, le demandeur a plaidé coupable aux accusations des mandats lancés contre lui et a été condamné à 30 jours de prison et à 12 mois de probation.

[7]  Le ministre a demandé un nouvel examen de l’ordonnance de sursis en invoquant diverses inobservations de l’ordonnance.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Lors du nouvel examen de l’ordonnance de sursis, la Section d’appel de l’immigration a d’abord souligné les facteurs à prendre en considération selon la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (Comm. d’appel de l’immigration) [Ribic] et modifiés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 [Chieu].

[9]  Dans le cadre de ce nouvel examen, la Section d’appel de l’immigration a accordé une importance considérable au fait que certains des comportements du demandeur étaient de nature violente et que le demandeur n’avait exprimé aucun remords. La Section d’appel de l’immigration a fait remarquer que le fardeau de la preuve concernant les regrets et la réhabilitation incombe au demandeur. Néanmoins, elle a tenu compte de la santé mentale du demandeur et a constaté que le demandeur avait demandé une consultation psychologique. Elle a cependant conclu que cette action ne suffisait pas à démontrer que le demandeur était sur la voie de la réhabilitation.

[10]  De plus, la Section d’appel de l’immigration a tenu compte du fait de l’enracinement du demandeur au Canada et de celui de sa famille, de son expérience de travail en tant que peintre et de l’impact émotionnel sur sa famille advenant le renvoi.

[11]  La Section d’appel de l’immigration a souligné expressément que, même si certains motifs d’ordre humanitaire peuvent militer en faveur du demandeur, les inobservations des conditions de l’ordonnance l’emportaient sur ceux-ci. Elle a conclu que le demandeur présentait un [traduction] « risque inacceptable pour la société canadienne ».

III.  Questions en litige

[12]  Le demandeur soulève deux questions.

  1. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle appliqué de manière raisonnable les facteurs de la décision Ribic?
  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle raisonnablement tenu compte des raisons d’ordre humanitaire?

[13]  La norme de contrôle applicable aux deux questions est celle de la décision raisonnable. Une décision raisonnable est celle qui tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

IV.  Discussion

I.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle appliqué de manière raisonnable les facteurs de la décision Ribic?

[14]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte du diagnostic de schizophrénie établi en 2015 lorsqu’elle a appliqué les facteurs de la décision Ribic à sa situation.

[15]  La décision Ribic présente une liste non exhaustive de facteurs que le décideur doit prendre en considération pour exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de prendre une mesure spéciale d’ordre humanitaire contre le renvoi en application de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (El Houkmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1306, au paragraphe 12). Le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas, à la discrétion du décideur (Chieu, au paragraphe 40).

[16]  En l’espèce, le diagnostic de schizophrénie établi à l’égard du demandeur est un facteur clé. La Section d’appel de l’immigration a tenu compte des observations orales et écrites du demandeur au sujet du diagnostic. Cependant, lorsqu’elle a évalué la « gravité de l’infraction en cause », un facteur cité dans la décision Ribic, la Section d’appel de l’immigration a accordé un poids important à la nature des condamnations et aux inobservations des conditions. Il s’agit là d’une décision raisonnable fondée sur le fait que le demandeur n’a pas déclaré aux autorités les accusations portées contre lui en lien avec une infraction avec violence et n’a pas respecté les ordonnances. De plus, il était juste et approprié que la Section d’appel de l’immigration prenne en considération les actes perpétrés qui sont à l’origine de la mesure de renvoi (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Stephenson, 2008 CF 82, au paragraphe 30).

[17]  La Section d’appel de l’immigration n’a pas rejeté la partie de la preuve concernant le diagnostic de schizophrénie, elle lui a simplement accordé peu de poids dans la balance. Ce n’est pas lors d’un contrôle judiciaire qu’un tribunal peut soupeser à nouveau les éléments de preuve (Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1312, aux paragraphes 15 à 17).

[18]  Cela étant dit, le demandeur soutient que l’analyse de la Section d’appel de l’immigration ne correspond pas à des motifs clairs et que cette décision demeure déraisonnable parce que le demandeur ne peut pas savoir avec certitude que le diagnostic a été pris en compte relativement aux inobservations des conditions dans le passé.

[19]  Qui qu’il en soit, la Section d’appel de l’immigration n’était pas tenue de relever chacun des éléments de preuve. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, la Cour suprême a conclu qu’il n’est pas nécessaire que les motifs fournissent tous les détails qu’un juge siégeant en révision ou un justiciable aimerait avoir. Il suffit que ce juge comprenne le fondement de la décision rendue par le décideur administratif.

[20]  En l’espèce, la Section d’appel de l’immigration  a soupesé les facteurs de la réhabilitation par rapport aux autres facteurs. C’est tout ce qu’il faut pour établir que la Section d’appel de l’immigration a rendu une décision raisonnable en l’espèce.

II.  La Section d’appel de l’immigration a-t-elle raisonnablement tenu compte des raisons d’ordre humanitaire?

[21]  Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration n’a pas raisonnablement pris en compte la santé mentale du demandeur pour évaluer les facteurs d’ordre humanitaire.

[22]  La Section d’appel de l’immigration a tenu compte des antécédents de travail du demandeur, de ses liens au Canada, du fait que sa famille soit au Canada, d’éléments attestant de déclarations de revenus et de l’effet que son renvoi aura sur sa famille. De plus, la Section d’appel de l’immigration a pris en compte les efforts en matière de réhabilitation du demandeur.

[23]  Après avoir soupesé tous ces facteurs, la Section d’appel de l’immigration a conclu que, même si certains motifs d’ordre humanitaire militaient en faveur du demandeur, l’équilibre penchait en fin de compte du côté des facteurs négatifs et de l’annulation de l’ordonnance de sursis.

[24]  Par la présente demande, ce que le demandeur sollicite de notre Cour, c’est une nouvelle appréciation des éléments de preuve pouvant mener à une issue différente. Or, il n’est pas du ressort de notre Cour de le faire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61).

[25]  Je conclus que la Section d’appel de l’immigration a évalué les facteurs d’ordre humanitaire de façon équilibrée et que, par conséquent, sa conclusion était raisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-74-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande visant un contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’a été certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-74-17

INTITULÉ :

ABIDULLAH MARDUMY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 septembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 12 OCTOBRE 2017

COMPARUTIONS :

Deanna Karbasion

POUR LE DEMANDEUR

Gregory George

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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