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Date : 20171025


Dossier: IMM-552-17

Référence : 2017 CF 949

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MOBOLAJI JOSHUA CHIDIRIM ALAJE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur conteste le caractère raisonnable ou la légalité d’une décision rendue par la section des visas du Haut-commissariat du Canada au Ghana, par laquelle a été rejetée sa demande de permis d’études déposée au titre du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) et de l’article 213 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR).

[2]  Les faits essentiels ne sont pas contestés.

[3]  Le demandeur est un citoyen nigérian âgé de 12 ans. Il vit avec ses parents, tous deux citoyens nigérians, à Lagos, au Nigéria. Sa famille élargie habite également au Nigéria. Il a soumis une demande de permis d’études afin de fréquenter une école primaire au Canada en tant qu’étudiant à temps plein pour l’année scolaire 2016-2017. Le demandeur prévoit résider chez sa tante Joy Ochiabuto. Il a présenté une lettre d’admission d’une école privée de Toronto, la Catheral Christian Academy. Le demandeur soutient n’avoir aucun lien de famille au Canada, à l’exclusion de sa tante.

[4]  Une première demande de permis d’études a été rejetée en 2016, l’agent des visas a apparemment remis en question le but de sa visite au Canada. Le 1er décembre 2016, le demandeur a présenté une deuxième demande de permis d’études. Cette fois, le demandeur a présenté des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande, notamment les suivants :

  • a) Une déclaration officielle de Joy Ochiabuto décrivant sa relation avec le demandeur, son intention d’assurer sa garde au cours de son séjour au Canada, ainsi que son intention d’assurer son retour au Canada;

  • b) Le certificat de citoyenneté et la carte d’identité canadienne de Joy Ochiabuto;

  • c) Divers documents relatifs à l’emploi de Mme Ochiabuto et à ses moyens financiers, y compris un sommaire de son compte bancaire de la Banque Scotia où figure le nom du demandeur parmi les bénéficiaires désignés;

  • d) La déclaration de garde des parents du demandeur;

  • e) La lettre d’admission du demandeur à la Cathedral Christian Academy de Toronto, datée du 25 mai 2016, accompagnée d’une preuve d’admission toujours valide, malgré le rejet de la première demande de visa, datée du 13 octobre 2016;

  • f) Un affidavit de la mère du demandeur, Nkechi Patience Alaje, expliquant sa décision d’envoyer le demandeur étudier au Canada sous la garde de sa sœur. Elle mentionne la piètre qualité des écoles au Nigéria et les liens forts qui l’unissent à sa sœur. Elle affirme qu’elle assurera que son fils quittera le Canada une fois le programme terminé;

  • g) Un affidavit de Mobolaji Alaje, le père du demandeur dont le contenu est semblable à celui de la mère;

  • h) Le certificat de mariage des parents du demandeur;

  • i) Le certificat de naissance de la mère indiquant son nom de jeune fille, Ochiabuto, le même nom que la gardienne au Canada.

[5]  Le 31 janvier 2017, la section des visas du Haut-commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a délivré une lettre de forme standard confirmant le rejet de la demande. En résumé, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour. Il indique avoir tenu compte de plusieurs facteurs, notamment [traduction] « les antécédents de voyages » et le [traduction] « but du séjour ». Le 27 février 2017, le demandeur a reçu des motifs plus exhaustifs par télécopieur.

[6]  La présente demande soulève deux questions distinctes :

  • a) La décision de l’agent de rejeter la demande de permis d’études était-elle raisonnable?

  • b) L’agent a-t-il commis un manquement au principe d’équité procédurale en ne convoquant pas les parents du demandeur à une entrevue de vive voix?

[7]  À l’audience, la Cour a ordonné que l’intitulé de la cause soit modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en qualité de défendeur.

La décision de l’agent de rejeter la demande de permis d’études était-elle raisonnable?

[8]  Tout étranger cherchant à entrer au Canada est présumé être un immigrant. Un étranger doit obtenir un visa préalablement à son entrée au Canada, conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR. Au surplus, l’étranger doit démontrer qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, conformément aux dispositions de l’alinéa 20(1)b) et du paragraphe 22(1) de la LIPR. Il incombe au demandeur de faire une telle démonstration et de réfuter cette présomption en présentant des éléments de preuve convaincants. Afin d’étudier au Canada, un étranger doit faire une demande de permis d’études (au titre du paragraphe 30(1) de la LIPR et de l’article 213 du RIPR).

[9]  La norme de contrôle applicable au fond de la décision attaquée est celle de la décision raisonnable, car elle nécessite un examen des conclusions de fait de l’agent des visas touchant les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande de permis de travail (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 [Dunsmuir]). En outre, la décision d’un agent relative à l’attribution du statut de résident temporaire est un exercice discrétionnaire qui commande un haut niveau de déférence (Dunsmuir, au paragraphe 51).

[10]  La décision attaquée est manifestement transparente et intelligible. Les motifs de l’agent justifiant le rejet de la demande faisant l’objet de contrôle sont les suivants : [traduction]

La lettre d’admission du demandeur à une école au Canada. Il indique qu’il résidera chez sa tante, laquelle en sera la gardienne et assumera tous les frais. Il affirme que sa tante est JOY CHINYERE OCHIABOUCI (ICU : 3819 7128), mais il n’a présenté aucun élément de preuve quant à sa relation avec elle autre que les affidavits signés par elle et par ses parents. La mère soutient que la tante a participé à son éducation, mais aucun élément de preuve n’est fourni à cet effet. La famille affirme que les écoles sont coûteuses et de mauvaise qualité au Nigéria et que la tante est prête à assumer les frais nécessaires afin qu’il fréquente une école au Canada. Cependant, il y a également des écoles à Lagos, ce qui est moins coûteux que d’envoyer le demandeur au Canada. Le jeune âge du demandeur est préoccupant. Il n’est pas clair qu’il soit dans l’intérêt supérieur du demandeur de le séparer de ses parents pour le faire vivre dans un pays qu’il n’a jamais visité chez une personne avec qui la relation et le lien familial ne semblent aucunement démontrés (à l’exception des affidavits). Après avoir examiné la demande, je ne suis pas convaincu que les études au Canada n’aient pas été envisagées principalement afin de permettre au demandeur d’entrer au Canada. Demande rejetée.

[11]  Premièrement, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en concluant que sa relation avec la gardienne au Canada n’était pas dûment établie. Le demandeur affirme avoir soumis des éléments de preuve forts à cet égard. Ils démontraient la relation entre le demandeur et la gardienne, les importants liens financiers ainsi que les antécédents de soutien de celle-ci. Le demandeur renchérit en disant que Mme Ochiabuto satisfait à toutes les exigences d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada concernant la garde d’enfants mineurs étudiant au Canada. Par conséquent, il était déraisonnable que l’agent remette en question leur relation. En effet, la loi n’exige pas de prouver la relation entre le mineur et le gardien. Le demandeur affirme qu’il a respecté toutes les exigences la LIPR : il a présenté une lettre d’admission et des éléments de preuve démontrant qu’il avait accès à des ressources et à des moyens financiers et démontrant ses liens familiaux au Nigéria. Il soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la force de ses liens familiaux et des affidavits qu’il a présentés.

[12]  Deuxièmement, le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte des facteurs pertinents présentés dans les éléments de preuve en mettant en doute le véritable motif sous‑tendant sa demande de visa afin d’étudier au Canada. Le demandeur reconnaît que l’agent pouvait tenir compte de l’accès à des programmes moins coûteux, mais il soutient avoir présenté des éléments de preuve objectifs quant au mauvais état des écoles nigérianes et de l’avantage comparatif du système scolaire canadien. Au surplus, le demandeur avance que l’agent n’était pas habilité à évaluer la valeur d’un programme scolaire. Le demandeur a des liens forts au Nigéria. Il est l’enfant mineur et unique de deux parents vivant au Nigéria. Par conséquent, le demandeur estime que l’agent a agi de façon déraisonnable en concluant qu’il n’était pas un étudiant de bonne foi et qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[13]  Le défendeur rappelle à la Cour que la décision d’un agent relative à l’attribution du statut de résident temporaire est un exercice discrétionnaire qui commande un haut niveau de déférence. La décision attaquée, de rejeter la demande de permis, se situe parmi les issues raisonnables au regard des faits et du droit. Le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisant à démontrer l’existence de liens avec la tante : il n’y avait ni certificat de naissance ni preuve sur la nature de leur relation. La demande ne comprenait que des éléments de preuve financiers et concernant la désignation du demandeur en tant que bénéficiaire, des arrangements qui auraient pu être faits tout juste avant le dépôt de la demande. Les motifs indiquent que tous les éléments de preuve pertinents ont été examinés, y compris les liens du demandeur avec le Nigéria et son jeune âge. Il incombait au demandeur de produire un meilleur dossier. La Cour ne peut intervenir uniquement parce que le demandeur est en désaccord avec la façon dont l’agent a soupesé les différents facteurs ou éléments de preuve qu’il a présentés. Finalement, il était raisonnable que l’agent tienne compte de l’absence d’antécédents de voyage et du fait que le demandeur n’avait jamais été séparé de ses parents.

[14]  Dans l’ensemble, je suis d’avis que la décision de l’agent est raisonnable. Je souscris entièrement aux arguments du défendeur. En effet, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de l’agent qui a évalué les éléments de preuve. Bien que brefs, ses motifs suffisent à démontrer qu’il a dûment évalué la preuve présentée. Ils permettent également à la Cour de comprendre comment sa décision s’inscrit dans la gamme des issues possibles. Le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les conclusions de fait de l’agent, mais plutôt de déterminer si ses motifs soutiennent généralement ses conclusions. Il incombait au demandeur de convaincre l’agent qu’il quitterait le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Les conclusions de l’agent ne devraient pas être scrutées à la lettre. Il n’est pas nécessaire que l’agent fasse référence à chaque élément précis de la demande dans sa décision.

[15]  Premièrement, l’agent devait pouvoir établir que l’enfant mineur qui séjournerait au Canada pour ses études serait encadré par un gardien. Une fois la tante désignée par les parents du demandeur à titre de gardienne de celui-ci durant son séjour au Canada, il était raisonnable que l’agent s’interroge sur la nature et la portée de leur relation. L’appréciation de cet élément par l’agent n’est pas déraisonnable. Il mentionne clairement avoir tenu compte des affidavits, mais a conclu qu’ils étaient insuffisants. Les éléments de preuve font uniquement état des moyens financiers de Mme Ochiabuto ainsi que du statut du demandeur en tant que bénéficiaire. Cet élément de preuve aurait bien pu être constitué la veille du dépôt de la demande. Hormis les affidavits, rien ne fait état de la nature ou de la force du lien qui unit la gardienne et le demandeur.

[16]  Deuxièmement, la conclusion de l’agent quant à la probabilité que le demandeur quitte le Canada est également fondée sur les éléments de preuve présentés. Cette appréciation est, encore une fois, très discrétionnaire. L’agent est autorisé à tenir compte de différents facteurs et à les pondérer. La décision sera raisonnable tant qu’elle est fondée sur son appréciation de la preuve et non sur des généralisations et des stéréotypes. En l’espèce, le demandeur est simplement en désaccord avec l’appréciation des faits par l’agent. Bien qu’il puisse sembler étrange que des parents envoient leur enfant seul au Canada, et que le retour dans sa famille semble le plus probable, les éléments de preuve peuvent également mener l’agent à conclure que les parents cherchaient tellement à améliorer ses conditions de vie qu’ils seraient prêts à l’envoyer au Canada indéfiniment. L’agent pouvait douter de la sincérité du projet d’envoyer un enfant de douze ans seul au Canada pour y vivre avec un parent plus ou moins éloigné afin qu’il puisse suivre une seule année de secondaire. Il était également raisonnable que l’agent tienne compte de l’accessibilité à des écoles au Nigéria parmi les facteurs à considérer dans le dossier de visa du demandeur. Le rejet de la demande n’est pas dénué de fondement, eu égard aux éléments de preuve présentés, et n’est ni irrationnel ni clairement arbitraire dans les circonstances, bien que je ne sois pas nécessairement en accord avec l’ensemble des conclusions de l’agent.

L’agent a-t-il commis un manquement au principe d’équité procédurale en ne convoquant pas les parents du demandeur à une entrevue de vive voix?

[17]  Le demandeur admet d’emblée que la loi ne prévoit aucun droit à une entrevue. Néanmoins, le demandeur avance que l’agent aurait dû permettre aux parents du demandeur de prendre part à une entrevue. En omettant de le faire, l’agent a violé le droit à l’équité procédurale du demandeur. En l’espèce, l’agent s’est forgé une solide opinion quant à la probabilité que le demandeur demeure au Canada, tout en doutant de la nature de sa relation avec la gardienne. L’agent ne pouvait pas écarter la déclaration solennelle du demandeur selon laquelle il ne prolongera pas son séjour, ou les énoncés non contredits des affidavits sous serment des parents et de la tante, sans d’abord convier les parents à une entrevue. Le demandeur estime qu’une entrevue avec ses parents aurait été utile pour apaiser les préoccupations de l’agent.

[18]  Le défendeur soutient qu’il n’est nullement obligé d’accorder une entrevue. Certains facteurs limitent effectivement la portée du principe d’équité procédurale dans le contexte des demandes de visas; notamment l’absence d’un droit prévu par la loi d’obtenir un visa, le fardeau de la preuve pesant sur le demandeur et la faiblesse des répercussions qu’entraîne le rejet de la demande sur l’intéressé. Au surplus, un tel droit de réponse est habituellement seulement offert lorsque l’agent détient des renseignements dont le demandeur n’est pas informé. L’agent des visas n’est nullement tenu d’offrir une entrevue aux demandeurs lorsque les préoccupations émanent directement des exigences réglementaires. Par conséquent, le défendeur conclut que l’agent n’avait aucunement l’obligation de faire part de ses préoccupations au demandeur et de lui permettre d’y répondre. Il a simplement évalué les renseignements qui lui avaient été fournis, conformément au processus décisionnel prescrit. La jurisprudence n’abonde pas dans le sens de l’affirmation du demandeur selon laquelle une entrevue était nécessaire dans ces circonstances (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 145, au paragraphe 7).

[19]  Je conclus que la décision a été rendue conformément au principe d’équité procédurale. Je souscris aux arguments du défendeur. L’agent des visas n’était nullement obligé d’accorder une entrevue au demandeur et, malgré les représentations de l’avocat du demandeur, je ne vois pas en quoi l’espèce soulève une exception reconnue. Toutes les décisions citées par le demandeur se distinguent clairement de l’espèce et ne sauraient s’y appliquer. En effet, plusieurs décisions sont venues confirmer que l’agent n’avait aucune obligation d’offrir une entrevue lorsqu’il tire simplement ses conclusions des éléments de preuve présentés par le demandeur. En outre, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre.

Conclusion

[20]  Par les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-552-17

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-552-17

 

INTITULÉ :

MOBOLAJI JOSHUA CHIDIRIM ALAJE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 octobre 2017

 

COMPARUTIONS :

Temitope Ayodele

 

Pour le demandeur

Alex C. Kam

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Temitope Ayodele

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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