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Date : 20171120


Dossier : IMM-2293-17

Référence : 2017 CF 1052

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MOKHTAR DJABALI

Z'HOR MAHDADI

OUSSAMA DJABALI

LOUAY DJABALI

NAWEL DJABALI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Après avoir obtenu sa résidence permanente au Canada, l’immigrant doit y passer un minimum de 730 jours au cours des cycles de 5 années qui suivent. C’est à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001 ch. 27) [LIPR] que cette obligation est créée :

Obligation de résidence

Residency obligation

28 (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

28 (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

(i) il est effectivement présent au Canada, [...]

(i) physically present in Canada, [...]

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

(c) a determination by an officer that humanitarian and compassionate considerations relating to a permanent resident, taking into account the best interests of a child directly affected by the determination, justify the retention of permanent resident status overcomes any breach of the residency obligation prior to the determination.

En notre espèce, c’est la disposition qui s’applique.

[2]               En effet, ces résidents permanents ont manqué à l’obligation de résidence depuis leur réception du statut de résidents permanents.

[3]               La question qui se pose à la Cour est la détermination d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI] qui a maintenu la mesure d’interdiction de séjour qui a été prise originellement contre les demandeurs le 2 juillet 2013. Cette demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 72 de la LIPR. Ce qui fait l’objet du débat n’est pas tant la légalité des mesures de renvoi prises, puisqu’il est convenu que l’obligation faite à l’article 28 n’a pas été remplie par les demandeurs, mais plutôt la décision de refuser l’appel interjeté en vertu de l’article 63 de la LIPR, qui présente des motifs d’ordre humanitaire. C’est l’alinéa 67(1)(c) qui est invoqué et il se lit de la façon suivante :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[...]

[...]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Autrement dit, les demandeurs veulent être relevés de leur défaut de résidence pour des motifs d’ordre humanitaire. Le refus de le faire par la SAI fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

I.                    Les faits

[4]               C’est le 8 juillet 2008 que le demandeur principal, le père, a obtenu le droit d’établissement au Canada à titre de travailleur qualifié. Moins d’un mois plus tard, le père et sa famille quittent le Canada, soit le 2 août 2008. Ils n’auront passé que 25 jours au pays après l’obtention de leur droit d’établissement. Ce n’est que près de cinq ans plus tard qu’ils sont revenus au Canada, le 2 juillet 2013. Dès ce jour, des mesures d’interdiction de séjour ont été prises et l’agent d’immigration n’a pas vu de motifs d’ordre humanitaire qui auraient pu justifier l’absence qui empêchait de satisfaire à la condition statutaire de présence au Canada, comme il aurait pu le faire grâce à la juridiction qui lui est conférée à l’alinéa 28(2)c) de la LIPR.

[5]               La décision révèle que les cartes de résidents permanents étaient valides du 30 juillet 2008 au 30 juillet 2013.

[6]               Au temps de l’audition de cet appel, en novembre 2016 et en février et mars 2017, les membres de la famille étaient en Algérie, sauf le père. Les aînés de la famille sont maintenant âgés de 18 et 20 ans alors que le benjamin n’a encore que 10 ans.

A.                 La décision de la SAI

[7]               En fin de compte, toute cette affaire tourne autour des explications qui ont été données pour passer outre à l’obligation de séjour qui est faite aux résidents permanents. De toute évidence, le Parlement aura voulu que quiconque obtient la résidence permanente doive l’utiliser au minimum sur une période de 2 ans pendant chaque période quinquennale. Lorsque des résidents permanents cherchent à revenir au Canada, ils doivent établir une présence au Canada de l’équivalent de 2 ans sur les cinq années précédentes. Ici, il semble que les demandeurs n’aient passé que 25 jours, ou à peu près si on considère le retour en date du 2 juillet 2013, au Canada avant de retourner en Algérie. Les retours au Canada par la suite semblent sporadiques.

[8]               La SAI a repris un certain nombre de critères qui émanent de la jurisprudence à appliquer à des situations de ce genre. Ainsi, elle note un manquement très important à l’obligation statutaire. Ce facteur, dit la SAI, est de grand poids dans l’évaluation qui doit être faite de l’opportunité de prendre des mesures spéciales en l’instance.

[9]               Un deuxième facteur est la présence de la famille au Canada, ce qui pourrait avoir un effet sur la dislocation de la famille. Or, en l’espèce, il n’y a aucune telle crainte puisque la famille se trouvait toujours au temps du litige en Algérie. De même, étant donné l’âge des enfants, il faut donner une importance particulière à la situation du plus jeune d’entre eux qui était âgé de 10 ans. Encore ici, cet enfant est en Algérie depuis novembre 2015 et il avait passé très peu de temps, au cours des premières années de sa vie, au Canada. L’intérêt supérieur de cet enfant est évidemment de poursuivre sa vie avec ses deux parents et, de l’avis de la SAI, cet enfant peut continuer de vivre avec ses parents et sa famille dans la maison familiale en Algérie où il fréquente toujours l’école.

[10]           Un autre critère retenu par la jurisprudence est la situation des appelants en cas de rejet de leur appel au titre des difficultés qu’ils rencontreront, et devraient vaincre, s’ils ne peuvent rester au Canada. La SAI a noté que les enfants et leur mère ont passé environ une année au Canada après leur retour en juillet 2013 alors que le père en aura passé un peu plus de deux. Tout le reste de leur vie s’est déroulé en Algérie et ils n’y ont rencontré aucune difficulté particulière. La SAI note, à bon droit, à mon avis, que le principal demandeur a même dit avoir préféré être traité pour les problèmes oculaires dont il souffre en Algérie. Elle rejette donc l’argument selon lequel celui qui souffre d’un handicap visuel est désavantagé s’il doit retourner dans son pays d’origine, l’Algérie.

[11]           Il découle de l’absence des appelants au cours d’une longue période qu’il était particulièrement difficile d’établir l’importance et la durée de leur établissement au Canada et, ainsi, de prouver leur intégration au sein de la communauté canadienne. En effet, même après le retour en juillet 2013, il y a eu de nombreux départs pour l’Algérie pour des périodes qui n’étaient jamais de quelques jours. D’ailleurs, au temps des audiences devant la SAI, comme indiqué plus tôt, la mère et les 3 enfants résidaient en Algérie. C’est ainsi que, sans difficulté, la SAI aura conclu que la mère et les 3 enfants n’ont que très peu d’intégration dans la communauté canadienne, et que l’importance et la durée de leur établissement au Canada sont minimes. Quant au mari, il est demeuré davantage au Canada de 2014 à 2017 où il a occupé ici des emplois de plus ou moins longues durées. Quoique l’on puisse dire que son établissement au Canada est supérieur et qu’il s’agisse là d’un point positif en sa faveur, la SAI constate qu’il a aussi un établissement en Algérie.

[12]           En fin de compte, l’appel des demandeurs en l’espèce reposait sur des raisons impérieuses qu’ils avaient de quitter le Canada et de rester à l’étranger plutôt que de revenir à la meilleure occasion raisonnable au pays qui leur a accordé la résidence permanente. Les demandeurs ont allégué que le demandeur principal aurait souffert d’un décollement de la rétine et qu’il aurait dû subir deux interventions chirurgicales. Le demandeur principal aurait été avisé par son médecin traitant qu’il lui était interdit de se déplacer. Là se trouve dans une bonne mesure le nœud de l’affaire.

[13]           Le demandeur principal a invoqué dans un premier temps qu’après avoir reçu son statut de résident permanent, il n’avait pas reçu sa carte d’assurance-maladie du Québec et que, dans les circonstances, il disait ne pas pouvoir attendre. Préférant être suivi par son médecin en Algérie, il y est retourné quelques jours après la réception de son statut de résident permanent et y est pour ainsi dire demeuré durant les 5 années suivantes. À l’appui de leurs prétentions, les demandeurs ont produit un certificat médical qui, contre toute attente, est daté du 28 avril 2013. Le certificat fait état du suivi du demandeur principal et d’opérations pour le décollement de la rétine à l’œil droit. De nombreux rendez-vous pour des traitements dits « localisés au niveau de chaque œil s’étalent sur près de 5 ans, du 29 août 2008 au 27 mars 2013 ». On peut lire au certificat que « (s)ont [sic] état de santé ne lui permet pas de faire des efforts et de ce [sic] déplacer et nécessite un control [sic] ». L’auteur du certificat ajoute : « certificat médical fait à la demande du patient et remis en mains propres ».

[14]           L’authenticité de ce certificat qui est la seule preuve de contre-indication de voyager sur une période de cinq ans a été mise en doute. En effet, quoi que son origine n’ait pu être clairement établie, le certificat semble avoir été présenté à nouveau lors de l’entrée au Canada en octobre 2014 à la suite d’un autre séjour en Algérie après ce qui avait été le retour de juillet 2013. Les notes de l’agent méritent d’être reproduites dans une bonne partie telles que rédigées. Il écrivait :

Requérant et ses enfants ont passé 284 jours au Canada au cours de la période quiquennale immédiatement précédant cette demande. Cette présence au Canada a été accumulé au coiurs de la dernière année. Détermination négative a été faite à leur arrivée au Canada en 2013 et requérant a fait appel de la décision. Aucune décision d’appel émise à ce jour. Requérant indique être retourné en Algérie avec ses enfants en avril 2014 afin de subir une nouvelle intervention chirurgical à ses yeux – Lettre du médecin traitant au dossier. Autre lettre indique les multiples interventions qu’il a eu aux yeux entre 2009 et 2012. Monsieur demande H&C en raison de sa maladie aux yeux qui l’ont obligé à retourner en Algérie afin d’y être traité. [...] Requête envoyée à Alger pour confirmer authenticité de la lettre fourbni par le médecin et qui confirme chirurgies de 2009 à 2012. [...] vérifications effectuées par l’agent de CBSA à Alger au près du médecin traitant de monsieur. Médecin confirme que le requérant est son patient et qu’il souffre d’une maladie des yeux. Il confirme lui avoir fait une chirurgie mineure aux yeux au printemps dernier tel qu’indiqué sur une des lettre présentée avec la demande. Par contre, médecin confirme que ni lui ni aucune de ses employés n’a produit ou signé la lettre datée du 28/04/2013 dans laquelle une série de date de rendez-vous est décrite. Il explique aussi que quelques-uns de ces rendez-vous n’ont pas eu lieus. Le médecin semble fâché que l’on est utilisé son nom pour produire un faux. J’ai communiqué avec le requérant par téléphone. Après lui avoir fait part de notre découverte en rapport à la lettre, le requérant maintient que cette lettre a été écrite et signée par le médecin traitant. [...]

Après vérification de la lettre du 28/04/2013 qu’il a présentée et en la comparant avec celle du 5/06/2014, il est clair que les lettres n’ont probablement pas été produites par le même bureau. La police utilisée diffère, la signature du médecin est très différente, fautes de syntaxe évidentes, etc. Cela m’amène à penser que la lettre est probablement un faux, tel qu’indiqué par le médecin traitant. [sic]

[J’ai souligné]

[15]           La SAI a conclu que la validité du certificat médical du 28 avril 2013 était sérieusement mise en doute. De fait, la SAI écrit au paragraphe 24 de sa décision :

[24]      Le tribunal ne doute pas que l’appelant principal ait eu des problèmes de santé oculaire importants selon les autres documents au dossier dont la validité n’a pas été remise en cause, mais ces documents ne font pas état de l’incapacité de MD à prendre l’avion en raison de ses problèmes de santé oculaire. Le tribunal considère que l’appelant principal n’a pas fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que ses problèmes de santé oculaire l’ont empêché de revenir au Canada de 2008 à 2013, en l’absence d’une preuve crédible et digne de foi au sujet de cette incapacité.

[16]           De plus, il appert que les demandeurs ont donné à l’audience devant la SAI une explication de leur départ en août 2008 qui était soudainement différente. En effet, ils ont dit avoir quitté le 2 août 2008 en raison de l’état de santé critique du père de l’appelant principal; le père serait décédé le 3 août 2008. Pourtant, cet événement n’a pas été évoqué en 2013 comme étant à l’origine de leur départ du Canada en 2008, la raison étant la santé du demandeur principal qui ne pouvait attendre l’émission de sa carte d’assurance-maladie.

[17]           Cela aura amené la SAI à tirer la conclusion suivante :

[33]      Compte tenu des différentes versions des raisons données au sujet du départ du Canada en août 2008 et des contradictions sur le contexte du départ de l’Algérie, concernant notamment le bris de son lien d’emploi par MD, le tribunal estime que la preuve ne démontre pas selon la prépondérance des probabilités que les appelants avaient des raisons impérieuses de quitter le Canada à ce moment et de demeurer en Algérie jusqu’en 2013; qu’il s’agissait plutôt du choix de l’appelant principal et de son épouse de poursuivre leur vie en Algérie où le couple bénéficiait de deux salaires et MD, des soins appropriés à son état, qu’il souhaitait d’ailleurs continuer à recevoir en Algérie. Les appelants n’ont pas réussi à démontrer qu’ils sont revenus au Canada à la première occasion raisonnable; leur vie en Algérie, après une absence d’un mois et l’obtention de la résidence permanente au Canada, s’est poursuivie, inchangée; ce sont des éléments négatifs de poids dans l’évaluation des MOH au dossier.

[18]           La SAI a aussi retenu contre les demandeurs leur absence de franchise relativement aux raisons données pour expliquer leur absence prolongée du Canada. C’est l’intégrité du système d’immigration qui est entachée dans ces circonstances.

[19]           Au final, la SAI conclut que le témoignage global du demandeur principal aura été laborieux. L’impression qui est restée est qu’il était difficile pour lui de répondre directement aux questions posées. Examinant l’ensemble des facteurs, la SAI conclut que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisent pas à justifier la prise de mesures spéciales.

B.                 Analyse

[20]           En ces matières, il est établi de la plus haute autorité que la décision relative à la présence de considérations humanitaires est régie par la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; 2009 1 RCS 339). Comme le dit la Cour au paragraphe 57, « (i)l revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consiste les « motifs d’ordre humanitaires », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle-même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique ». Par ailleurs, lorsque l’on invoque une atteinte à l’équité procédurale, ce sera la norme de la décision correcte qui trouvera application (Établissement de mission c Khela, 2014 CSC 24; 2014 1 RCS 502 [Khela]).

(1)               Équité procédurale

[21]           L’avocat des demandeurs a insisté lors de sa plaidoirie sur l’absence au dossier de la lettre du 5 juin 2014 qui est évoquée dans les notes que j’ai reproduites au paragraphe 14 de la présente décision. Selon l’avocat, il s’agirait là d’une atteinte à l’équité procédurale. Malheureusement, il n’a référé la Cour à aucune autorité au soutien d’une telle proposition. Du fait que référence est faite à un document qui n’est pas produit ne rend pas de ce seul fait cette absence comme étant une atteinte à l’équité procédurale. Les règles de preuve en matière administrative sont très relaxées. Par exemple, la preuve par ouï-dire est admise sans pourtant que le contre-interrogatoire soit nécessaire. C’est plutôt au décideur des faits de déterminer le poids qui doit être accordé à une telle preuve. Or, le décideur s’est davantage intéressé aux propos du médecin traitant qui a rapporté ne pas avoir créé le document d’avril 2013 qui cherchait à établir la nécessité de demeurer en Algérie pendant que des traitements étaient faits au demandeur principal.

[22]           La notion moderne d’équité procédurale trouve sa source dans les vieux principes de justice naturelle. Il ne fait pas de doute que l’obligation d’équité procédurale s’applique aux décisions d’ordre humanitaire (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]). Mais le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie et il faut bien comprendre qu’il s’agit de procédure. La panoplie de garanties procédurales, qui participent du droit d’être entendu par un décideur impartial, varie. Les facteurs à considérer ont été utilement résumés dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48; [2004] 2 RCS 650 au paragraphe 5 :

[5]        Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Je suis d’avis, après avoir examiné les faits et les dispositions législatives en jeu dans le présent pourvoi, que ces facteurs imposent à la municipalité l’obligation d’exprimer les motifs de son refus d’acquiescer à la deuxième et à la troisième demande de modification de zonage présentées par la Congrégation.

Il n’en reste pas moins que ces facteurs sont relatifs au droit d’un justiciable de participer. La Cour dans Baker disait d’ailleurs que « l’idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur » (para 22).

[23]           Ce que nous avons en l’espèce est une preuve reçue dont la valeur probante est douteuse. Il s’agit de la comparaison faite entre deux documents par un non-expert, alors même que le décideur ne peut même pas se satisfaire de la qualité de la comparaison parce que l’un des documents demeure introuvable. Les demandeurs ont pu argumenter sur le sujet; il n’est pas mis en doute que la SAI était un décideur impartial. Les demandeurs se contentent de prétendre qu’une lettre à laquelle on réfère dans la procédure fait en sorte qu’il y a atteinte innommée à l’équité procédurale. Sans offrir un raisonnement ou des autorités, je ne puis que constater l’absence de violation. Par ailleurs, si un poids considérable était donné à cette comparaison pour se satisfaire que le certificat d’avril 2013 est un faux, il aurait pu y avoir un argument sur le caractère raisonnable d’une telle conclusion vu la valeur probante qui aurait été donnée. Je me permets de rappeler le paragraphe 74 de Khela:

[74]      À l’heure actuelle, une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d’un détenu sont sacrifiés en l’absence de toute preuve, sur la foi d’une preuve non fiable, d’une preuve non pertinente ou d’une preuve qui n’étaye pas la conclusion, même si je n’exclus pas la possibilité qu’elle puisse également être déraisonnable pour d’autres motifs. La décision sur la fiabilité de la preuve exige de la déférence à l’égard du décideur, mais les autorités doivent tout de même expliquer en quoi la preuve offerte est digne de foi.

(2)               Poids de la preuve

[24]           Ce dont il est question ici, ce n’est pas tant d’une atteinte à l’équité procédurale qu’au poids relatif qui peut être donné à une prétention faite dans les notes mises en preuve qu’une comparaison entre le certificat médical du 24 avril 2013 et celui du 5 juin 2014 indiquait que les deux documents n’émanaient probablement pas du même bureau. Dans la décision de la SAI, cette constatation dans les notes n’a reçu qu’une mention. C’est plutôt le témoignage rapporté par ouï-dire du médecin traitant qui a fait la différence et qui a fait en sorte que la SAI a entretenu des doutes sérieux quant à l’authenticité du certificat du 28 avril 2013. À vrai dire, tout compte fait je ne vois que peu d’importance à l’absence de la lettre de juin 2014 étant donné l’utilisation qui en faite. Comme il a été dit, le contrôle judiciaire n’est pas une course aux trésors dans l’espoir de trouver une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes et Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34; [2013] 2 RCS 458, au para 54).

[25]           En notre espèce, le poids mis sur un certificat médical de juin 2014 pour conclure au faux probable d’avril 2013 ne me paraît aucunement décisif. Comme l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 le spécifie, le juge en contrôle judiciaire peut, si jugé nécessaire, « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (para 15). Il ne s’agit pas de réécrire les motifs de la SAI (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654), mais plutôt de constater qu’un autre certificat médical (daté du 24 juillet 2012) avait une facture sensiblement différente du certificat du 28 avril 2013. Il est particulièrement frappant que le certificat d’avril 2013, outre les différentes fautes d’orthographe, utilise une typographie bien différente, mais surtout réfère à l’adresse du cabinet comme étant « 97rues » alors que celui de juillet 2012 parle de « 97 rue ». Dit autrement, on peut comprendre une conclusion que le certificat du 28 avril 2013 ait des allures artisanales que n’a pas le certificat de juillet 2012 à la seule comparaison de ces deux écrits.

[26]           À  mon sens, la déclaration du médecin traitant suffisait à mettre en doute le certificat médical d’avril 2013 qui seul appuie la prétention du demandeur principal selon laquelle il ne pouvait revenir au Canada durant cinq ans. Cette information du médecin traitant est corroborée par la comparaison avec un autre certificat médical qui, lui, est au dossier.

[27]           Les parties se sont mutuellement pointées du doigt quant au certificat du 28 avril 2013 en ce que ni l’une, ni l’autre n’ont tenté d’y voir plus clair pour présenter une preuve de meilleure qualité à la SAI. J’avoue ne pas comprendre comment il se peut qu’à l’ère de l’information, le demandeur principal n’ait pu (ou ait choisi) communiquer avec son médecin traitant en Algérie pour infirmer les renseignements qui lui avaient été transmis par le gouvernement selon lesquels le médecin aurait dit que le certificat est faux et qu’il niait. Qui plus est, sa femme résidait alors en Algérie. C’eut été très facile. Comment ne pas tirer une inférence négative que le demandeur principal préférait ne pas tenter d’obtenir cette information. D’un autre côté, le gouvernement qui produisait les notes sur lesquelles il se reposait aurait dû, à défaut de produire des notes plus intelligibles, produire des bonifications devant la SAI sous forme d’affidavits ou autrement.

[28]           À la place d’un dossier solidement monté, nous n’avons que des bribes d’information à chercher à assembler en un tout cohérent. Quoiqu’il en soit, les demandeurs ont choisi de faire flèche de tout bois de l’absence d’un écrit dans des notes gouvernementales produites à l’appui d’un appel devant la SAI. De fait, cela est vite devenu le seul argument. Comme il ne s’agissait pas d’une violation de l’équité procédurale, il ne restait plus qu’à prétendre que la décision dans son ensemble n’est pas raisonnable. Aucune telle présentation n’a été faite à l’audience et on aurait pu penser que l’argument avait été abandonné. C’est de fait ce que j’ai compris de la position adoptée à l’audience.

[29]           De toute façon, le reste de l’argumentaire des demandeurs dans leur mémoire des faits et du droit n’est en fin de compte qu’un désaccord face au poids donné par la SAI à la preuve qui était présentée. Comme chacun le sait, la décision ne sera déraisonnable que si elle n’est pas l’une des issues possibles, acceptables, au regard du droit et des faits et si la décision souffre de par sa justification ou parce qu’on en est arrivé à une telle décision sans suivre un processus qui soit intelligible et transparent (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 RCS 190, para 47). Aucune telle démonstration n’a été faite en l’espèce. Au contraire, la preuve présentée pour justifier une absence de 5 ans était extrêmement faible.

II.                 Conclusion

[30]           J’accepte d’emblée l’argument du défendeur selon lequel le fardeau est sur les épaules des demandeurs et c’était à eux de contrecarrer la preuve par ailleurs accablante du médecin traitant en Algérie qui déclarait ne pas avoir produit le certificat médical sur lequel se reposait le demandeur principal, certificat aux allures artisanales. Il était possible de contre-interroger l’auteur des notes ou encore de produire un affidavit du médecin traitant. Aucune de ces avenues n’a été suivie, les demandeurs se contentant de faire un argument au sujet d’un élément périphérique de la preuve par notes. La première difficulté était de s’attaquer aux propos du médecin traitant. C’est d’ailleurs là qu’a reposé une bonne partie de la décision de la SAI au sujet des traitements médicaux qu’on prétendait qui imposaient de demeurer en Algérie pour 5 ans. La comparaison avec un autre écrit produit l’année suivante était sans incidence sur le résultat ultime.

[31]           Je n’ai pu voir aucune matière à conclure que l’évaluation des facteurs retenus par la SAI était déraisonnable. De fait, les demandeurs n’ont fourni aucun argument ayant quelque précision que ce soit. Il faut donc convenir que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties ont été consultées et elles sont d’accord qu’il n’y a aucune question grave de portée générale qui puisse faire en sorte qu’une question doive être certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-2293-17

LA COUR STATUE que :

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2293-17

 

INTITULÉ :

MOKHTAR DJABALI, Z'HOR MAHDADI, OUSSAMA DJABALI, LOUAY DJABALI, NAWEL DJABALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Claude Whalen

 

Pour la partie demanderesse

 

Lynne Lazaroff

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claude Whalen

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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