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Date : 20171123


Dossier : IMM-1632-17

Référence : 2017 CF 1062

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

SKENDER HALILAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  En 2005, le demandeur, M. Skender Halilaj, a été déclaré coupable de tentative d’homicide volontaire par un tribunal du Kosovo. Il est arrivé au Canada en 2015 où, en raison de sa condamnation à l’étranger, la Section de l’immigration a conclu qu’il était interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Le demandeur fait une demande de contrôle judiciaire devant la Cour à l’encontre de cette décision, ce qui signifie qu’il doit démontrer que la décision est déraisonnable ou qu’il y a eu atteinte à son droit à l’équité procédurale. Comme les motifs de la décision de la Section de l’immigration étaient intelligibles, justifiables et transparents, que la décision a appliqué le droit applicable et que son analyse d’équivalence ne comportait aucune erreur, je rejette la présente demande pour les raisons qui suivent.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur est un citoyen du Kosovo qui est arrivé au Canada le 11 juillet 2015. Le 21 août 2015, il a présenté une demande d’asile, mais il a été déclaré interdit de territoire le 27 août 2016, après la conclusion selon laquelle il était visé par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR pour grande criminalité.

[4]  L’audience s’est déroulée devant un commissaire de la Section de l’immigration. Au cours de cette audience, le demandeur a reconnu qu’il est un ressortissant étranger et qu’il a été déclaré coupable au Kosovo de tentative d’homicide volontaire le 7 avril 2005. La condamnation était liée à un incident qui s’est produit en 1998 au moment où le demandeur était membre de l’Armée de libération du Kosovo. En l’occurrence, alors que le demandeur était affecté à un point de contrôle, des coups de feu ont été tirés sur un soldat serbe du nom de Hamez Hajra. Lors de cette tentative d’assassinat, M. Hajra n’était pas armé, et le demandeur n’a pas été accusé à l’époque.

[5]  Un deuxième incident s’est produit le 20 août 2001. M. Hajra a été assassiné avec presque toute sa famille, à l’exception d’une fille. Le demandeur a alors été accusé de la tentative de meurtre de 1998, de la tentative de meurtre de 2001 sur la fille de M. Hajra et du meurtre de 2001 de M. Hajra et des membres de sa famille (son épouse et trois enfants).

[6]  En 2006, un tribunal de première instance du Kosovo a reconnu le demandeur coupable de tentative de meurtre pour l’incident de 1998 et des meurtres de M. Hajra et des membres de sa famille et de tentative de meurtre contre Pranvera Hajra, la fille qui a survécu à l’incident de 2001. Il a également été reconnu coupable d’avoir fait partie d’un groupe qui commet des meurtres et qui accepte d’en commettre. Une peine de 30 ans d’emprisonnement lui a été imposée pour ces déclarations de culpabilité. Le demandeur a interjeté appel de ces déclarations de culpabilité.

[7]  L’appel a été entendu le 20 mai 2008 par la Cour suprême du Kosovo. Étant donné que le Kosovo se trouvait sous administration provisoire après la dissolution de la Yougoslavie, la Cour suprême du Kosovo était composée de cinq juges : trois juges internationaux et deux juges du Kosovo. La décision d’appel, rendue le 12 octobre 2009, a confirmé la déclaration de culpabilité de 1998, mais a annulé celles liées à l’incident de 2001. Le demandeur a été condamné à cinq ans d’emprisonnement, peine qu’il avait déjà purgée.

[8]  Le demandeur n’a pas été en mesure d’obtenir la décision de première instance du Kosovo de 2008 pour l’audience sur l’interdiction de territoire et a indiqué qu’il manquait une page à la décision d’appel de 2009. Il a également présenté une opinion d’expert rédigée par l’avocat criminaliste Hersh Wolch quant aux différences entre le droit du Kosovo et le droit canadien. M. Wolch a fondé son opinion sur des renseignements fournis par l’avocat du demandeur. De plus, avec l’aide d’un interprète, le demandeur a témoigné à l’audience.

[9]  Selon le commissaire de la Section de l’immigration, la question dont il était saisi était la suivante : « M. Halilaj a-t-il été déclaré coupable au Kosovo d’une infraction qui correspond à une infraction au Canada visée à l’alinéa 36(1)b)? » La Section de l’immigration a rendu sa décision sur cette question le 20 mars 2017. Il a été conclu que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

III.  Questions en litige

[10]  Les questions présentées par le demandeur sont :

  1. Le décideur a-t-il formulé des conclusions de fait déraisonnables lorsqu’il a décidé que les éléments de l’infraction sous-jacente avaient été établis?
  2. Dans sa conclusion selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada, le décideur a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a décidé que la déclaration de culpabilité prononcée au Kosovo correspond à une déclaration de culpabilité prononcée au Canada?

IV.  Norme de contrôle

[11]  La norme de contrôle pour les décisions rendues en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR est celle de la décision raisonnable. Un niveau très élevé de retenue s’impose à l’égard de la Section de l’immigration (Moscicki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 740, aux paragraphes 13 et 14 [Moscicki]; Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 164, au paragraphe 11).

[12]  Les erreurs de droit commises par la Section de l’immigration font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50 [Dunsmuir]).

V.  Discussion

[13]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Interdictions de territoire

Interprétation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Inadmissibility

Rules of interpretation

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Grande criminalité

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

Serious criminality

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

Application

36 (3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

(...)

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

Application

36 (3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

(...)

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

A.  Le décideur a-t-il formulé des conclusions de fait déraisonnables lorsqu’il a décidé que les éléments de l’infraction sous-jacente avaient été établis?

[14]  Le demandeur a fait valoir que la décision de la Section de l’immigration est déraisonnable pour trois raisons. Premièrement, la Section de l’immigration a conclu à tort qu’il avait commis les éléments essentiels de l’infraction canadienne équivalente. Le demandeur a soutenu qu’il s’agissait d’une conclusion déraisonnable parce qu’au lieu des éléments de preuve, la Section de l’immigration a utilisé la décision d’appel du Kosovo pour effectuer une analyse d’équivalence. Comme la décision de première instance n’était pas disponible, la Section de l’immigration devait examiner les éléments de preuve et non la décision d’appel. Selon lui, les éléments de preuve à la disposition de la Section de l’immigration n’attestent pas qu’il y a eu tentative de meurtre hors de tout doute raisonnable parce qu’il n’y avait pas de preuve d’une intention spécifique, un élément requis pour toute tentative de meurtre.

[15]  Ensuite, le demandeur soutient qu’il s’agit d’une décision déraisonnable puisque la Section de l’immigration n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents. Plus précisément, le demandeur fait valoir que la Section de l’immigration n’a pas tenu compte du fait que le système judiciaire du Kosovo ne respectait pas les normes internationales relatives à l’application régulière de la loi, en particulier dans les cas interethniques.

[16]  Troisièmement, le dernier argument de l’appelant en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision est que le crime au Kosovo permet le meurtre imputé, qui est inconstitutionnel au Canada. Selon le demandeur, la décision est donc déraisonnable parce qu’il ne pouvait être déclaré coupable d’une infraction inconstitutionnelle au Canada.

[17]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Pour les raisons qui suivent, je conclus que l’analyse d’équivalence et la décision du décideur sont raisonnables.

1)  La décision de la Cour d’appel n’est pas un élément de preuve

[18]  Le demandeur a fait valoir que la décision de la Cour d’appel n’est pas un « élément de preuve », ce que la loi exige. Il a soutenu que le critère d’équivalence n’est pas respecté parce que la Section de l’immigration n’avait pas les éléments de preuve réels ou la transcription du procès au Kosovo.

[19]  À mon avis, cet argument fait intervenir une interprétation trop littérale de la disposition. La décision d’une cour d’appel internationale qui a entendu l’appel d’une décision de première instance peut utiliser une analyse d’équivalence en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.

[20]  Le critère ne consiste pas pour la Section de l’immigration à tenir un procès fictif comme s’il s’était déroulé au Canada afin de déterminer si le demandeur aurait été condamné par un tribunal canadien en utilisant la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. J’ai examiné une décision que j’ai rendue, Moscicki, qui explique ce qui suit au paragraphe 28 : « [c]e qu’il faut retenir, c’est qu’il n’est pas nécessaire que la Commission détermine si la preuve était suffisante pour justifier une déclaration de culpabilité au Canada. Elle doit se demander si elle a des motifs raisonnables de croire que le demandeur serait déclaré coupable s’il avait commis les mêmes actes au Canada » [caractères italiques dans l’original].

[21]  Nul n’a contesté le fait que le demandeur a été déclaré coupable de ce crime et que ce crime respectait l’exigence prévue à l’alinéa 36(1)b) relativement à une infraction punissable d’un emprisonnement d’au moins dix ans. Il n’est pas déraisonnable d’affirmer, après un examen de la décision d’appel ainsi que du propre témoignage du demandeur, que la Section de l’immigration a trouvé des motifs raisonnables qui indiquent que le demandeur aurait été déclaré coupable de l’infraction canadienne équivalente.

B.  Dans sa conclusion selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada, le décideur a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a décidé que la déclaration de culpabilité prononcée au Kosovo correspond à une déclaration de culpabilité prononcée au Canada?

[22]  À l’audience, le demandeur a soutenu que la Section de l’immigration n’aurait pas dû reconnaître la déclaration de culpabilité puisque la procédure au Kosovo n’aurait pas pu se dérouler selon le droit canadien. Par exemple, la réunion d’instances ne serait pas survenue au Canada. Selon le demandeur, un examen du processus judiciaire au Kosovo est une partie nécessaire d’une analyse d’équivalence.

[23]  Même si la Cour d’appel fédérale dans Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1060 (CAF), au paragraphe 25, [Li] indiquait clairement que « [l]a Loi ne prévoit pas un nouveau jugement de la cause avec application des règles de preuve canadiennes. Elle ne prévoit pas non plus l’examen de la validité du verdict de culpabilité prononcé dans le pays étranger », le demandeur m’a pressée (comme il l’a fait valoir devant la Section de l’immigration) d’écarter l’arrêt Li qui est la décision de principe sur cette question.

[24]  Le demandeur soutient que la Cour ne devrait pas appliquer l’arrêt Li en raison des normes procédurales peu rigoureuses au Kosovo. Le demandeur a plutôt fait valoir (tant devant la Section de l’immigration que devant moi) que notre Cour devrait appliquer Biro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1428 [Biro], qui porte sur les questions liées à l’équité procédurale.

[25]  Le juge Gascon a résumé le droit applicable dans Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211 :

[27] La seule question à trancher est de savoir si les conclusions de l’agente concernant les infractions équivalentes et celles ayant entraîné l’interdiction de territoire sont raisonnables. Dans la décision Lu, la Cour a expliqué les méthodes de l’analyse de l’équivalence à laquelle doit procéder un agent d’immigration (au paragraphe 14). Citant l’arrêt Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47 (CAF), à la page 320, le juge Pinard a déclaré que l’équivalence entre les infractions peut être déterminée de trois façons : i) « tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives »; ii) « en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales »; iii) au moyen d’une combinaison de ces deux démarches.

[28] La Cour doit de plus déterminer si les définitions des deux infractions comparées sont similaires et examiner les critères applicables pour établir les infractions (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1060 (FCA) [Li], au paragraphe 18). Comme l’a expliqué le juge Strayer, « [l]a comparaison des “éléments essentiels” de l’une et l’autre infractions requiert la comparaison de leurs définitions respectives, y compris les moyens de défense propres à ces infractions ou aux catégories dont elles relèvent » (Li, au paragraphe 19). Dans l’arrêt Brannson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1981] 2 CF 141 (CAF), au paragraphe 38, la Cour d’appel fédérale a de plus déclaré que les éléments essentiels des infractions en question doivent être comparés, peu importe les termes employés pour désigner ces infractions ou pour les définir.

[26]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la Section de l’immigration a commis une erreur lorsqu’elle a suivi l’arrêt Li de la Cour d’appel fédérale, puisqu’il s’agit de la règle de droit.

[27]  Selon les faits, l’analyse d’équivalence de la Section de l’immigration a commencé par le critère dans la décision Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] ACF no 47 (CAF) [Hill]. Au moyen de la deuxième méthode de la décision Hill, la Section de l’immigration a conclu que la disposition canadienne relative à la tentative de meurtre exige les éléments suivants : 1) l’intention précise de tuer la victime; et 2) des mesures qui dépassent la simple préparation en vue d’accomplir cet objectif.

[28]  Renvoyant aux décisions du Kosovo, la Section de l’immigration a trouvé les éléments essentiels de l’infraction canadienne dans la déclaration de culpabilité au Kosovo. En l’occurrence, le demandeur a tendu une embuscade à la victime, il a tiré sur sa voiture et il avait l’intention de la tuer.

[29]  Malgré cette conclusion, par [traduction] « excès de prudence », la Section de l’immigration a effectué une analyse fondée sur la décision Biro pour vérifier si les questions liées à l’équité procédurale ont eu une incidence sur la déclaration de culpabilité. La Section de l’immigration a conclu que les questions concernant le demandeur avaient déjà été présentées et qu’elles ont été suffisamment abordées par les tribunaux du Kosovo, dont les décisions étaient « exhaustives, réfléchies et raisonnables ». Par conséquent, même selon l’analyse fondée sur la décision Biro, la Section de l’immigration a conclu qu’il n’y avait aucune question liée à l’équité.

[30]  Je conclus que la Section de l’immigration a utilisé le critère approprié et que son évaluation des éléments de preuve dont elle était saisie était raisonnable. Pour appuyer ma conclusion selon laquelle Biro n’est pas le critère approprié en ce qui concerne l’équité d’autres systèmes judiciaires, je m’en remets à l’arrêt Li où la Cour d’appel fédérale a respecté la conclusion que la Cour suprême du Canada avait déjà formulée et elle a cité le juge La Forest qui a dit : « [l]e processus judiciaire d’un pays étranger ne doit pas être soumis à des évaluations minutieuses en fonction des règles applicables aux voies judiciaires canadiennes ». Cette décision confirme que la Section de l’immigration n’a pas à examiner le système judiciaire d’un autre pays et qu’elle doit appliquer notre Charte ou nos règles d’équité procédurale.

[31]  Comme je l’ai mentionné, la Section de l’immigration a fait preuve de clarté et de transparence pendant son analyse d’équivalence. Elle est même allée plus loin et a examiné le processus comme l’indique Biro et elle a quand même conclu que le système du Kosovo était équitable. Même le propre expert du demandeur a déclaré que le crime équivalent est l’infraction canadienne de tentative de meurtre. Dans l’arrêt Li, la Cour d’appel fédérale a clairement précisé cet élément et elle conclut que la Section de l’immigration n’a pas à tenir un nouveau jugement de la cause comme s’il s’agissait d’une procédure au Canada, comportant tous les droits prévus par la Charte, puisqu’il ne s’agit pas du droit adopté par le législateur. Par conséquent, cet argument doit également être rejeté.

[32]  Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). Je conclus que cette décision est raisonnable et je rejette la demande.

VI.  Question certifiée

[33]  Le demandeur a présenté les questions suivantes à certifier :

« Quel est le seuil en vertu duquel une déclaration de culpabilité étrangère sera reconnue par les autorités canadiennes de l’immigration en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés? »;

« Quel est le critère juridique permettant de déterminer si une déclaration de culpabilité étrangère devrait être reconnue par les autorités canadiennes de l’immigration en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés? »

[34]  Une question certifiée doit être une question de portée générale. Cela signifie que la question « transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Liyanagamage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 176 NR 4, au paragraphe 4 (CAF)). La question doit aussi permettre de régler l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11).

[35]  Le demandeur a fait valoir que comme l’alinéa 36(1)b) de la LIPR a été adopté selon les valeurs canadiennes, toute analyse de cet alinéa devrait tenir compte de l’équité procédurale si la déclaration de culpabilité pertinente survient dans un pays qui n’a pas dans son système judiciaire les mêmes protections des droits de la personne et de l’équité procédurale que le Canada.

[36]  Le défendeur n’a pas présenté de question et il a fait valoir que la question du demandeur ne devrait pas être certifiée puisqu’il a déjà été conclu que cette question n’était pas de portée générale.

[37]  Je ne certifierai pas ces questions parce que la Cour d’appel fédérale a déjà répondu à la question du seuil et a conclu qu’il ne faisait pas partie du critère juridique. Selon la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, « la validité ou le bien-fondé de la sentence ne sont pas en cause » (Brannson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1980), [1981] 2 CF 141 (CA), à la page 145 [Brannson].

[38]  Malgré les décisions Li et Brannson, le demandeur a soutenu que l’alinéa 36(1)b) de la LIPR a été adopté selon les valeurs canadiennes et que, lorsque le niveau d’équité procédurale est particulièrement élevé, il devrait y avoir un seuil en ce qui concerne les déclarations de culpabilité étrangères. Pourtant, la création de différents seuils laisserait sous-entendre que l’absence d’équité procédurale dans d’autres tribunaux, y compris les tribunaux américains (comme les questions auxquelles faisait face M. Brannson), est en quelque sorte moins importante (voir également la question de l’absence d’équité procédurale dans Park c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 146 FTR 42 (CF)). Dans Li et Brannson, la Cour d’appel fédérale a déjà formulé une conclusion à cet égard; le bien-fondé de la déclaration de culpabilité à l’étranger ne fait pas partie du critère d’équivalence.

[39]  En l’espèce, la question ne permettrait pas de trancher l’affaire. Par excès de prudence, la Section de l’immigration a effectué une analyse fondée sur la décision Biro et s’est penchée sur la question de savoir s’il avait été porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Elle a conclu que ce n’était pas le cas. Par conséquent, même si la question était certifiée et obtenait une réponse positive, elle n’aurait pas d’incidence sur l’appel du demandeur.

[40]  Les questions certifiées ne respectent pas le critère. Il ne s’agit pas de questions de portée générale puisqu’elles ne transcendent pas les intérêts des parties, qu’il ne s’agit pas d’éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et qu’elles ne permettent pas de trancher la présente affaire.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1632-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1632-17

 

INTITULÉ :

SKENDER HALILAJ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

Pour le demandeur

 

Galina Bining

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour le défendeur

 

 

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