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Date : 20171117


Dossier : IMM-2328-17

Référence : 2017 CF 1050

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

DJENABOU MATHOS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Cette demanderesse a reçu l’autorisation de présenter un contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui a refusé de prendre juridiction pour entendre l’appel de Mme Mathos de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR].

[2]               Dans ce qui pourrait apparaître comme une comédie d’erreurs entourant l’entrée en vigueur des dispositions créant la SAR qui complexifie grandement ce qui aurait pu être simple, ce contrôle judiciaire voudrait que la SAR ait juridiction pour entendre un appel d’une décision de la SPR. Ce n’est pas le cas lorsque l’on procède systématiquement à l’examen des dispositions de mise en vigueur de textes législatifs, en évitant l’enchevêtrement.

I.                    Dispositions de mise en vigueur

[3]               Originellement, le Parlement avait choisi de fixer dans le temps les décisions de la SPR qui seraient susceptibles d’appel à la SAR lorsque celle-ci serait finalement créée. Ainsi, seules les décisions de la SPR rendues après la date d’entrée en vigueur de l’article 36 de la Loi sur les mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8 [LMRER] auraient pu faire l’objet d’un appel. Le texte du paragraphe 36(1) se lisait de la façon suivante :

Aucun appel en cas de rejet de la demande

No appeal to Refugee Appeal Division

36. (1) N’est pas susceptible d’appel devant la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue avant la date d’entrée en vigueur du présent article.

36. (1) A decision made by the Refugee Protection Division before the day on which this section comes into force is not subject to appeal to the Refugee Appeal Division.

Cela impliquait bien sûr que l’affaire déposée devant la SPR mais qui n’avait pas encore fait l’objet d’une décision de la SPR au jour de l’entrée en vigueur de l’article 36 était sujette à appel devant la SAR.

[4]               Il fallait évidemment fixer le moment de l’entrée en vigueur de cette disposition si la date d’entrée en vigueur ne doit pas être la date de la sanction royale (Loi d’interprétation, L.RC. (1985), ch. I-21, para 3(2)). L’article 42 de cette même LMRER joue ce rôle en disposant que l’article entre en vigueur deux ans après la sanction royale donnée à la LMRER. Si le gouvernement choisit de mettre en vigueur la LMRER plus tôt que l’écoulement des deux années, il est autorisé par la LMRER à le faire par décret :

Décret

Order in council

42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les dispositions de la présente loi, à l’exception des articles 3 à 6, 9, 13, 14, 28, 31, 32, 39 et 40, entrent en vigueur deux ans après la date de sanction de la présente loi ou, dans cet intervalle, à la date ou aux dates fixées par décret.

42. (1) Subject to subsection (2), the provisions of this Act, except sections 3 to 6, 9, 13, 14, 28, 31, 32, 39 and 40, come into force two years after the day on which this Act receives royal assent or on any earlier day or days that may be fixed by order of the Governor in Council.

Or, la sanction royale a été conférée à la LMRER le 29 juin 2010. Selon le paragraphe 42(1), l’article 36 entrait en vigueur au plus tard le 29 juin 2012.

[5]               Mais les choses ne devaient pas être si simples. Ces articles 36 et 42 de la LMRER devaient être modifiés par la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17 [LVPSIC] entrée en vigueur le 29 juin 2012. Par amendement aux articles 36 et 42 se retrouvant à l’article 68 de la LVPSIC, ne seraient pas sujets à appel devant la SAR non seulement les décisions rendues par la SPR avant l’entrée en vigueur de l’article 36, mais aussi les demandes d’asile déférées à la SPR avant l’entrée en vigueur du paragraphe 36 (1) :

68. Les articles 36 à 37.1 de la même loi sont remplacés par ce qui suit :

68. Sections 36 to 37.1 of the Act are replaced by the following:

Aucun appel

No appeal

36. (1) N’est pas susceptible d’appel devant la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés à l’égard de toute demande d’asile qui lui a été déférée avant la date d’entrée en vigueur du présent article.

36. (1) A decision made by the Refugee Protection Division in respect of a claim for refugee protection that was referred to that Division before the day on which this section comes into force is not subject to appeal to the Refugee Appeal Division.

Plutôt que d’avoir une date fixe dans le temps pour l’entrée en vigueur du paragraphe 36(1), comme c’était le cas en 2010, cette fois la souplesse est maximisée et le paragraphe 36(1) ne devait entrer en vigueur que sur décret du gouvernement une fois le paragraphe 42(1) amendé par l’article 69 de la LVPSIC :

69. L’article 42 de la même loi est remplacé par ce qui suit :

69. Section 42 of the Act is replaced by the following:

Décret

Order in council

42. (1) Les dispositions de la présente loi, à l’exception des articles 3 à 6, 9, 13 et 14, du paragraphe 15(3) et des articles 28, 31, 32, 39 et 40, entrent en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret.

42. (1) The provisions of this Act, except sections 3 to 6, 9, 13 and 14, subsection 15(3) and sections 28, 31, 32, 39 and 40, come into force on a day or days to be fixed by order of the Governor in Council.

[6]               Les choses étaient maintenant claires. Sur décret, la catégorie des affaires ne pouvant faire l’objet d’un appel était élargie car les affaires déférées à la SPR avant la date fixée au décret ne seraient pas sujettes à appel. Autrement dit, les seules affaires déférées à la SPR après l’entrée en vigueur du 2e article 36 étaient maintenant envoyées dans un processus menant à appel devant la SAR. Ainsi, la SAR ne serait pas créée avec déjà un arriéré (ce que l’on appelle en milieu gouvernemental un « backlog »). Les dates découlant de la LMRER pour l’entrée en vigueur de l’article 36 n’avaient plus de pertinence. Seule la date fixée par décret comptait. La date butoir du 29 juin 2012 ne comptait plus, pas plus d’ailleurs que la règle de la LMRER qui créait un « backlog ».

[7]               Ainsi, un décret du 15 août 2012 (TR/2012-65) fixait la date d’entrée en vigueur du nouvel article 36 au 15 août 2012. Il en découlait que les demandes d’asile déférées à la SPR en vertu de la LVPSIC à partir de cette date devenaient susceptibles d’appel à la SAR. Mais c’était une erreur. Il appert que la SAR ne serait prête que plus tard au cours de l’année 2012.

[8]               Il a donc fallu corriger l’erreur. Le Parlement l’a fait par sa loi d’exécution du budget qui a été nommée Loi nº1 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 33 en repoussant la date à laquelle des appels seraient entendus par la SAR. La période au cours de laquelle il n’aurait pas dû y avoir d’appels possibles à la SAR était la période du 15 août 2012 au 15 décembre 2012. La loi de 2012 (LVPSIC), aurait permis un appel éventuel à la SAR pour les demandes d’asile déférées à la SPR après la date fixée par décret, soit le 15 août 2012. La loi de 2013 sur l’exécution du budget corrigeait cette date rétrospectivement en la fixant au 15 décembre 2012 (voir Interprétation des lois, P.A. Côté, Éditions Thémis, 4e éd, #508 et ss) par le biais de l’article 167 de la Loi nº1 sur le plan d’action économique de 2013 :

Aucun appel devant la Section d’appel des réfugiés

No Appeal to the Refugee Appeal Division

167. N’est pas susceptible d’appel devant la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés, prise en application du paragraphe 107(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, à l’égard de toute demande d’asile qui lui a été déférée après le 14 août 2012, mais avant le 15 décembre 2012, lorsque cette décision ne prend effet conformément aux Règles de la Section de la protection des réfugiés qu’après la date d’entrée en vigueur du présent article.

167. A decision made by the Refugee Protection Division under subsection 107(1) of the Immigration and Refugee Protection Act in respect of a claim for refugee protection that was referred to that Division after August 14, 2012, but before December 15, 2012 is not subject to appeal to the Refugee Appeal Division if the decision takes effect in accordance with the Refugee Protection Division Rules after the day on which this section comes into force.

[9]               Quoique l’article 167 ne soit entré en vigueur qu’à la sanction royale de la Loi nº1 sur le plan d’action économique de 2013, le 26 juin 2013, son effet rétrospectif se limite à la période du 15 août au 15 décembre 2012. Il ne s’applique qu’à ces seules demandes déférées à la SPR durant cette période. Les demandes d’asile déférées à la SPR après le 15 décembre 2012 sont sujettes à appel devant la SAR. Mais qu’en était-il des demandes déférées entre le 15 août 2012 et le 15 décembre 2012. Si la décision de la SPR est rendue après le 26 juin 2013 pour une demande déférée entre les 15 août et 15 décembre 2012, elle n’est pas sujette à appel devant la SAR. Le Parlement aura voulu éviter la création d’un « backlog » durant la période de quatre mois entre le 15 août et le 15 décembre 2012. Par ailleurs, pour ceux qui auront reçu une décision avant juin 2013 pour des affaires déférées depuis le 15 août 2012, l’article 167 n’aura aucun effet, rétroactif ou rétrospectif. On peut penser que le législateur a voulu donner le bénéfice de l’effet complet de la loi à qui aura complété le processus devant la SPR avant le 26 juin 2013.

[10]           La partie rétrospective de la loi doit être décrétée expressément ou le texte de loi exige implicitement une telle interprétation (Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, au para 43). Ici, le seul objet de l’article 167 est d’avoir un effet rétrospectif pour une catégorie d’affaires en particulier, soit les affaires déférées entre les 15 août et 15 décembre 2012 qui n’ont pas fait l’objet d’une décision avant le 26 juin 2013. Il ne fait aucun doute que le Parlement a agi de façon expresse. De plus, on n’a pas plaidé un quelconque droit constitutionnel à un appel devant la SAR ce qui, de toute façon, n’aurait pas été une mince tâche vu l’état du droit.

[11]           Il reste alors une dernière question. Quand une décision prend-elle effet? C’est la règle 68 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256) qui apporte la réponse :

Prise d’effet des décisions rendues par un seul Commissaire

When decision of single member takes effect

68 (1) Une décision rendue par un seul commissaire de la Section accueillant ou rejetant une demande d’asile, portant sur une demande d’annulation ou de constat de perte de l’asile, prononçant le désistement d’une demande d’asile, d’annulation ou de constat de perte de l’asile ou accueillant une demande de retrait d’une demande d’asile, d’annulation ou de constat de perte de l’asile prend effet :

68 (1) A decision made by a single Division member allowing or rejecting a claim for refugee protection, on an application to vacate or to cease refugee protection, on the abandonment of a claim or of an application to vacate or to cease refugee protection, or allowing an application to withdraw a claim or to withdraw an application to vacate or to cease refugee protection takes effect

a) si elle est rendue de vive voix à l’audience, au moment où le commissaire la rend et en donne les motifs;

(a) if given orally at a hearing, when the member states the decision and gives the reasons; and

b) si elle est rendue par écrit, au moment où le commissaire en signe et date les motifs.

(b) if made in writing, when the member signs and dates the reasons for the decision.

II.                 Faits

[12]           Personne ne dispute que Mme Mathos a fait sa demande d’asile le 13 décembre 2012, en plein durant la période en question, soit entre le 15 août 2012 et le 15 décembre 2012. Cette demande d’asile n’a été entendue que le 7 mars 2017 et a été rejetée par la SPR le 23 mars 2017, soit bien après le 26 juin 2013. Aucun argument à l’effet contraire n’a été présenté par la demanderesse.

III.               Conclusion

[13]           Ainsi, par la seule opération de la Loi, soit de l’article 167 de la Loi nº1 sur le plan d’action économique de 2013, aucun appel n’est permis. En effet, la demande d’asile a été « déférée » (en anglais, « referred ») avant le 15 décembre 2012. La première condition de l’article 167 est remplie. La deuxième l’est tout autant. Selon l’article 167, la condition est que la décision de la SPR doit être rendue après le 26 juin 2013. Ici, elle a été rendue le 23 mars 2017.

[14]           Les deux conditions étant présentes, il n’y avait pas d’appel permis à la SAR de la décision rendue par la SPR. Il en découle par le fait même que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée puisque la SAR n’avait pas compétence.

[15]           Les parties sont d’accord qu’il s’agit d’une question d’application de mesures transitoires aux faits particuliers de l’espèce. Il n’y a pas de question grave d’importance générale.


JUGEMENT au dossier IMM-2328-17

LA COUR STATUE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.          Il n’y a pas de question grave d’importance générale qui doive être certifiée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2328-17

 

INTITULÉ :

DJENABOU MATHOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 novembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 novembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Paul Emmanuel Eyouck Tang

 

Pour lA demandeRESSE

 

Patricia Nobl

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Paul Emmanuel Eyouck Tang

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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