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Date : 20170202


Dossier : T-662-16

Référence : 2017 CF 130

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

VOLTAGE PICTURES, LLC,

COBBLER NEVADA, LLC,

PTG NEVADA, LLC,

CLEAR SKIES NEVADA, LLC,

GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L.

OF LUXEMBOURG,

GLACIER FILMS 1, LLC, ET

FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

demanderesses

et

ROBERT SALNA, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Les demanderesses ont déposé une déclaration en vue d’un éventuel recours collectif, demandant entre autres un jugement déclaratoire et une injonction contre le représentant défendeur proposé, Robert Salna, au nom des défendeurs d’un recours collectif. Il est allégué que M. Salna (et d’autres comme lui) a partagé illégalement des fichiers sur Internet et a ainsi enfreint les droits d’auteur que les demanderesses détenaient à l’égard de plusieurs films.

[2]  Les demanderesses proposent de faire autoriser cette action comme ce qu’il est convenu d’appeler un recours collectif « inversé », conformément à la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). À cette fin, une requête en vue de faire autoriser la présente instance comme un recours collectif devrait être entendue au mois de juin. À la date de la présente ordonnance, cependant, les demanderesses n’avaient pas signifié et déposé leur requête en autorisation. Entretemps, M. Salna a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance contraignant les demanderesses à fournir un cautionnement pour dépens à l’égard de leur requête en autorisation envisagée, sans porter atteinte à son droit de demander un cautionnement additionnel advenant l’autorisation du recours collectif.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que les demanderesses doivent fournir un cautionnement de 75 000 $ pour les dépens de M. Salna. J’ai également conclu que M. Salna a droit à une somme forfaitaire de 750 $ à titre de dépens à l’égard de la présente requête (taxes et débours compris).

I.  Questions en litige

[4]  Deux questions distinctes sont soulevées dans la présente requête :

  1. Les demanderesses devraient-elles fournir un cautionnement pour dépens à l’égard de leur requête en autorisation envisagée?

  2. Dans l’affirmative, quelle somme convient-il de fixer comme cautionnement pour dépens?

II.  Discussion

A.  Les demanderesses devraient-elles fournir un cautionnement pour dépens à l’égard de leur requête en autorisation envisagée?

[5]  Dans le contexte d’un recours collectif, la règle générale veut qu’aucuns dépens ne soient adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser une instance comme recours collectif. À cet égard, l’article 334.39 des Règles est rédigé ainsi :

Sans dépens

No costs

334.39 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les dépens ne sont adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, à un recours collectif ou à un appel découlant d’un recours collectif, que dans les cas suivants :

334.39 (1) Subject to subsection (2), no costs may be awarded against any party to a motion for certification of a proceeding as a class proceeding, to a class proceeding or to an appeal arising from a class proceeding, unless

a) sa conduite a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance;

(a) the conduct of the party unnecessarily lengthened the duration of the proceeding;

b) une mesure prise par elle au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été effectuée de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

(b) any step in the proceeding by the party was improper, vexatious or unnecessary or was taken through negligence, mistake or excessive caution; or

c) des circonstances exceptionnelles font en sorte qu’il serait injuste d’en priver la partie qui a eu gain de cause.

(c) exceptional circumstances make it unjust to deprive the successful party of costs.

Réclamations individuelles

Individual claims

(2) La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens qui sont liés aux décisions portant sur les réclamations individuelles de membres du groupe.

(2) The Court has full discretion to award costs with respect to the determination of the individual claims of a class member.

[6]  Toutefois, cet article n’entre pas en jeu à cette étape de la procédure, parce qu’aucun avis de requête en autorisation n’a été signifié et déposé en application de l’article 334.15 des Règles. Dans la décision Pearson c Canada, 2008 CF 1367, au paragraphe 52, [2008] ACF no 1797, où une requête en radiation d’une déclaration avait été introduite avant l’autorisation de l’action comme recours collectif, la Cour a estimé que : « [l]es règles et les concepts propres aux recours collectifs, comme l’adjudication des dépens en faveur d’une seule partie, même s’ils s’appliquent à une étape ultérieure, n’entrent pas encore en jeu ». La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Campbell c Canada (Procureur général), 2012 CAF 45, [2013] 4 RCF 234 [Campbell], va dans le même sens, alors que le juge Pelletier a fait les observations suivantes :

[34]  Il est possible de supposer qu’une ordonnance relative aux dépens prononcée contre une partie à un recours collectif envisagé avant que cette personne devienne partie à une requête en autorisation ne soit pas touchée par le paragraphe 334.39(1) des Règles, mais ce n’est pas là une question soulevée par les faits de l’espèce. Nous n’avons donc pas à y répondre.

[…]

[45]  J’estime que l’interprétation du paragraphe 334.39(1) des Règles permettant de donner pleinement effet à l’intention du Comité des règles consiste à faire en sorte que la règle « sans dépens » s’applique dès que les parties à l’action deviennent des parties à la requête en autorisation. Bien qu’il reste quand même possible que des dépens soient adjugés relativement à une mesure prise après la production de la déclaration, mais avant la signification et le dépôt de la requête en autorisation, on réduit ainsi au maximum la possibilité que des ordonnances relatives aux dépens soient rendues, compte tenu du libellé du paragraphe 334.39(1) des Règles lui-même. En supposant que la présentation de la requête en autorisation suivra sans délai la production de la déclaration, le risque pour les représentants des demandeurs semble minime.

[7]  Il faudrait souligner que les observations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Campbell ont été faites dans le contexte d’une action, alors que la requête en autorisation avait été signifiée et déposée, mais jamais entendue, parce que les demandeurs s’étaient désistés du recours collectif envisagé. En l’espèce, aucune requête en autorisation n’a encore été signifiée et déposée et, contrairement aux faits de l’arrêt Campbell, où le recours collectif envisagé visait un groupe de demandeurs, le recours collectif envisagé dans la présente instance vise un groupe de défendeurs.

[8]  Il faudrait aussi souligner qu’aucune disposition des Règles des Cours fédérales ne dicte l’ordre dans lequel les requêtes en autorisation et autres requêtes, comme la requête en cautionnement pour dépens, doivent être entendues et tranchées. De plus, comme je l’ai expliqué ci-dessus, tant que la requête en autorisation n’est pas servie et déposée, M. Salna n’est encore partie à aucune requête en autorisation et n’est donc pas touché par le paragraphe 334.39(1) des Règles. Je suis donc d’avis que le paragraphe 334.39(1) des Règles n’empêche pas M. Salna d’introduire la présente requête. Pour plus de précision, si M. Salna devait avoir gain de cause dans la présente requête, la seule obligation des demanderesses serait de fournir un cautionnement pour dépens; la décision rendue n’est et ne sera pas déterminante quant à la question de savoir si, à une étape ultérieure de la présente instance, M. Sana pourrait être touché par l’application du paragraphe 334.39(1) des Règles. À mon avis, M. Salna serait assujetti aux dispositions de ce paragraphe advenant le dépôt et la signification par les demanderesses de leur requête en autorisation et au moment où cette requête serait entendue et tranchée. Toute décision quant à savoir si M. Salna a droit à des dépens, eu égard au paragraphe 334.39(1) des Règles, devrait être prise à ce moment.

[9]  Quant à la question de savoir si les demanderesses devraient payer un cautionnement pour dépens à l’égard de leur requête en autorisation envisagée, il faut examiner le paragraphe 416(1) des Règles, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

Cautionnement

Where security available

416 (1) Lorsque, par suite d’une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l’une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

416 (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

a) le demandeur réside habituellement hors du Canada;

(a) the plaintiff is ordinarily resident outside Canada,

b) le demandeur est une personne morale ou une association sans personnalité morale ou n’est demandeur que de nom et il y a lieu de croire qu’il ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens advenant qu’il lui soit ordonné de le faire;

(b) the plaintiff is a corporation, an unincorporated association or a nominal plaintiff and there is reason to believe that the plaintiff would have insufficient assets in Canada available to pay the costs of the defendant if ordered to do so,

the Court may order the plaintiff to give security for the defendant’s costs.

[10]  Les demanderesses ont reconnu qu’elles ne résident pas habituellement au Canada et qu’elles ne disposent pas non plus d’éléments d’actif importants au Canada. Ainsi, M. Salna, à première vue, a droit à l’ordonnance réclamée. Cependant, il faut souligner qu’une ordonnance en cautionnement pour dépens n’est pas toujours accordée automatiquement et que la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter une requête visant à obtenir une telle ordonnance (voir, par exemple, Pembina County Water Resource District c Manitoba, 2005 CF 1226, au paragraphe 14, 142 ACWS (3d) 394).

[11]  Dans le contexte de la présente instance, il y a lieu d’accueillir la requête de M. Salna compte tenu des faits reconnus par les demanderesses dont j’ai fait mention plus haut, et de l’absence d’élément de preuve quant à la capacité ou à l’incapacité des demanderesses de régler les dépens ou de faire avancer leur recours collectif envisagé jusqu’à l’étape de l’autorisation. La requête devrait également être accueillie en raison du caractère inédit du recours collectif envisagé et parce qu’en l’absence de l’ordonnance réclamée, il est possible que M. Salna renonce à agir comme représentant défendeur proposé.

B.  Quelle somme convient-il de fixer comme cautionnement pour dépens?

[12]  M. Salna a proposé à l’audition de la présente requête de fixer le montant du cautionnement à une somme égale aux frais qui seraient engagés, sur la base d’une indemnisation complète, jusqu’à la requête en autorisation envisagée, et incluant celle-ci; il a affirmé que malgré l’article 334.39 des Règles, il aurait droit aux dépens s’il avait gain de cause dans sa requête. Cette somme est évaluée à 141 930,75 $.

[13]  Même si les demanderesses se sont opposées à la requête de M. Salna, elles ont fait valoir qu’il conviendrait, si une ordonnance de cautionnement était prononcée, de fixer le montant du cautionnement à 32 191,55 $, eu égard à la colonne III du Tarif B des Règles. Elles ont aussi fait valoir que la somme proposée par M. Salna était excessive et injustifiée, surtout si la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada (CIPPIC) demande et obtient le statut d’intervenante lors de la requête en autorisation envisagée.

[14]  L’établissement du montant du cautionnement pour dépens est une décision discrétionnaire, eu égard au montant raisonnable des dépens qui pourraient être adjugés. Comme notre Cour l’a affirmé dans la décision Bodum USA, Inc v Trudeau Corporation (1889) Inc., 2012 FC 240, [2012] ACF no 268 :

[traduction]
[19]  [...] Il est bien établi que le montant du cautionnement pour dépens doit correspondre aux dépens probables auxquels le défendeur aurait droit, s’il avait gain de cause dans l’action intentée contre lui. Bien qu’un cautionnement pour dépens constitue une indemnité et qu’il ne doit pas être illusoire, il ne doit pas non plus être abusif au point d’empêcher un demandeur d’entamer une poursuite. Le montant du cautionnement est à la discrétion de la Cour, qui doit tenir compte de l’ébauche du mémoire de frais, et de toute réduction en regard des taxes. [...]

[15]  À mon avis, à cette étape de l’instance, il serait raisonnable de fixer un cautionnement pour dépens de 75 000 $, en supposant que la requête en autorisation envisagée sera signifiée et déposée et que la requête sera entendue plus tard cette année. Cette somme peut être payée à la Cour en espèces ou au moyen d’une traite bancaire d’une banque canadienne figurant à l’annexe I de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46; elle peut aussi être payée au moyen d’une lettre de crédit irrévocable, délivrée par une telle banque, que M. Salna juge acceptable quant à la forme et au fond.

[16]  Pour établir cette somme, j’ai tenu compte du fait qu’il est au moins possible, mais pas nécessairement probable, que des dépens soient adjugés aux termes de l’article 334.19 des Règles, que la présente instance soit autorisée ou non comme recours collectif. J’ai aussi pris en compte le fait que cette somme n’est en aucune façon déterminante quant aux dépens, le cas échéant, qu’il conviendrait d’adjuger si la présente instance est autorisée ou non. Finalement, je souligne que les demanderesses ou M. Salna sont libres d’introduire une requête en modification du montant du cautionnement pour dépens à une étape ultérieure de la présente instance, si des motifs suffisants le justifient.

III.  Conclusion

[17]  La requête de M. Salna est accueillie pour les motifs et aux conditions exposés ci-dessus. Concernant la présente requête, M. Salna a droit à une somme forfaitaire de 750 $ à titre de dépens (taxes et débours compris), peu importe l’issue.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE, pour les motifs énoncés, ce qui suit :

  1. Les demanderesses paieront immédiatement à la Cour, en guise de cautionnement pour dépens, jusqu’à leur requête en autorisation envisagée, y compris celle-ci, la somme de 75 000 $, payable (i) en espèces ou (ii) au moyen d’une traite bancaire d’une banque canadienne figurant à l’annexe I de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46, ou (iii) au moyen d’une lettre de crédit irrévocable, délivrée par une telle banque, que M. Salna juge acceptable quant à la forme et au fond.

  2. Les demanderesses paieront immédiatement au représentant défendeur proposé des dépens fixés à 750 $ (taxes et débours compris) à l’égard de la présente requête, peu importe l’issue.

  3. Il est interdit aux demanderesses de prendre quelque mesure que ce soit dans le cadre de la présente instance, y compris l’introduction de toute requête en autorisation ou autre, avant le paiement des sommes visées aux paragraphes 1 et 2. Cette interdiction ne s’applique pas au dépôt d’un appel visant la présente ordonnance.

  4. Toute modification ou tout ajout ultérieur à cette ordonnance relève du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la gestion de l’instance.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-662-16

INTITULÉ :

VOLTAGE PICTURES, LLC, COBBLER NEVADA, LLC, PTG NEVADA, LLC, CLEAR SKIES NEVADA, LLC, GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. OF LUXEMBOURG, GLACIER FILMS 1, LLC, ET FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC c ROBERT SALNA, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF

REQUÊTE ENTENDUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 31 JANVIER 2017 À TORONTO (ONTARIO) ET À OTTAWA (ONTARIO).

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

DATE DES MOTIFS :

Le 2 février 2017

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Kenneth R. Clark

Patrick Copeland

Pour les demanderesses

Sean Zeitz
Ian Klaiman

POUR LE REPRÉSENTANT
DÉFENDEUR PROPOSÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Lipman, Zener & Waxman LLP
Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE REPRÉSENTANT
DÉFENDEUR PROPOSÉ

 

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