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Date : 20170512


Dossier : T-348-16

Référence : 2017 CF 496

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

OCEANEX INC.

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

défendeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

intervenant

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête déposée par la demanderesse, Oceanex Inc. (Oceanex), sollicitant une ordonnance, conformément à l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), l’autorisant à signifier et à produire l’affidavit supplémentaire du capitaine Sidney J. Hynes, souscrit le 28 février 2017 (affidavit supplémentaire), avec les pièces jointes, dont la plus importante est un rapport rédigé par CPCS pour Transports Canada, daté du 1er mai 2015, et intitulé [traduction] « Évaluation des liaisons intérieures à Terre-Neuve et de la concurrence » (rapport de CPCS ou rapport).

[2]  À titre de renseignement, le 26 février 2016, Oceanex a déposé une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le ministre des Transports (ministre) visant l’approbation des tarifs proposés pour 2016-2017 relativement à la prestation des services de transport commercial des marchandises par Marine Atlantique S.C.C. (MAI). Oceanex a fait valoir que la décision du ministre était incompatible avec la pratique visant à permettre à la concurrence et aux forces du marché d’être les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces, et a eu comme effet direct de favoriser indûment des moyens de transport concurrents, comme le transport par camion, à destination et en provenance de l’île de Terre-Neuve, et de réduire les avantages inhérents des fournisseurs de transport par voie navigable, comme Oceanex. Oceanex a affirmé qu’il n’y avait aucun fondement juridique pour l’approbation par le ministre des taux de frets de MAI étant donné que les Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada (Loi ayant pour objet d’approuver les Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada, SC 1949 (v I) c 1, p 1) n’exigent pas des niveaux de taux de fret indûment dommageables. En outre, au moment de rendre sa décision, le ministre a omis de prendre en considération la politique nationale des transports, telle qu’elle est énoncée dans la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10 et a omis de prendre en considération la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), c F-11 et les lignes directrices et les directives en matière de politique émises par le Conseil du Trésor fédéral, ou a agi contrairement à celles-ci. Le ministre a par conséquent commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’une manière déraisonnable, contrairement à l’ordre public, et en ne prenant pas en considération tous les facteurs pertinents. Dans son avis de demande, Oceanex a demandé, conformément à l’article 317 des Règles, que le ministre fournisse un dossier certifié de tous les documents concernant la demande.

[3]  Le ministre n’a pas déposé de dossier certifié au cours de la période exigée par les Règles, à savoir, au 20 mars 2016. En revanche, par une lettre datée du 3 mai 2016, l’avocat du ministre s’est opposé à la demande, conformément au paragraphe 318(2) des Règles, en raison du fait que le ministre n’est pas [traduction] « un conseil, ni une commission, ni un tribunal » à l’égard des questions soulevées dans la demande. En outre, le ministre n’a pas pris la décision d’approuver les taux de fret de MAI pour 2016-2017, mais c’est plutôt MAI qui avait le pouvoir décisionnel d’approuver ces taux sans nécessiter l’approbation du ministre. Par une lettre datée du 12 mai 2016, l’avocat du ministre a exprimé son avis qu’étant donné que le ministre n’a pas été l’auteur de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, il n’existait pas de dossier à produire par le ministre.

[4]  Par une lettre datée du même jour, MAI a fait part de sa position selon laquelle, alors qu’une entente bilatérale, en date du 31 mars 1987 entre le ministre et MAI, comprend une disposition aux termes de laquelle l’approbation ministérielle est nécessaire concernant tout changement proposé aux tarifs facturés par MAI, en 2010, ces parties ont convenu que les augmentations des tarifs seraient fixées par le conseil d’administration de MAI jusqu’à concurrence de 5 % par année. Toute augmentation de tarifs supérieure doit être présentée au ministre aux fins d’approbation. L’avocat de MAI a affirmé que le conseil d’administration de MAI avait le pouvoir de fixer les tarifs. En outre, en ce qui concerne la demande d’Oceanex voulant que le protonotaire, en tant que juge chargé de la gestion de l’instance, exerce son pouvoir discrétionnaire pour ordonner aux défendeurs de donner suite à la demande fondée sur l’article 317 des Règles, l’avocat de MAI a affirmé que, tant que Oceanex n’aurait pas modifié son avis de demande et déterminé quelle décision du conseil d’administration de MAI elle cherchait à faire réviser, il n’existait aucune autorité permettant d’ordonner à MAI d’effectuer cette divulgation.

[5]  Le 20 juillet 2016, Oceanex a modifié son avis de demande en vue de contester, de façon subsidiaire, ce qui suit : le fait que le ministre a omis d’approuver les tarifs de 2016-2017 proposés par MAI; la décision du ministre d’autoriser au préalable l’augmentation des tarifs de 2016-2017 proposés par MAI, afin de permettre à MAI d’approuver ces tarifs; et, la décision de MAI d’approuver les tarifs proprement dits.

[6]  Le 19 juillet 2016, le procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador a reçu l’autorisation d’intervenir dans la demande.

[7]  Le 19 mai 2016, à la suite d’une conférence de gestion de l’instance, une version caviardée d’un document intitulé [traduction] « Mise en œuvre de la décision annoncée dans le budget de 2010 – Orientation pour le plan d’entreprise de 2010-2011 à 2014-2015 » (décision annoncée dans le budget de 2010), la prétendue entente de 2010, a été fournie à Oceanex par l’avocat de MAI. En réponse, par une lettre datée du 26 mai 2016, Oceanex a souligné que le document ne semblait pas être une entente à première vue, étant donné qu’il n’avait pas été signé et qu’il ne s’appliquait qu’à la période de 2014-2015. Par un courriel daté du 1er juin 2016, l’avocat de MAI a avisé que MAI n’avait pas eu connaissance d’autres documents échangés entre MAI et le ministre qui constituent la prétendue entente de 2010. Le 9 août 2016, la Cour a ordonné au ministre de signifier et de produire un affidavit contenant comme pièce jointe la décision annoncée dans le budget de 2010, ce qui a été fait le 29 septembre 2016.

[8]  Par une lettre du 8 août 2016, le ministre a continué de s’opposer à la demande d’Oceanex en application de l’article 317 des Règles en raison du fait que le ministre n’a pas rendu de décision en ce qui concerne l’approbation des tarifs de transport commercial de MAI pour 2016-2017. Et bien qu’Oceanex ait modifié son avis de demande, par une lettre datée du 9 août 2016, MAI s’est opposée à la demande en raison du fait que ce n’était pas un « tribunal » tel qu’il est défini dans les Règles, et donc, que l’article 317 des Règles ne s’appliquait pas à son égard. Par une correspondance en date du 19 août 2016, Oceanex a indiqué qu’elle se réservait le droit de contester la position de MAI et a demandé des précisions à l’avocat pour le ministre au sujet de sa réponse. Par une lettre datée du 24 août 2016, l’avocat du ministre a refusé de donner des précisions en raison du fait que le ministre s’était conformé à ses obligations aux termes des Règles. Par une correspondance du 2 septembre 2016, Oceanex a indiqué qu’elle se réservait le droit de s’opposer à la position du ministre.

[9]  Le 22 mars 2017, le ministre a déposé une requête sollicitant une ordonnance, en application du paragraphe 94(2) des Règles, qui prévoit une dispense de l’obligation de produire pour examen de certains des documents ou éléments matériels demandés tels que compris dans l’assignation de comparaître de Mme Michèle Bergevin, directrice, Gestion du portefeuille au sein de la Direction générale de la gouvernance du portefeuille et des sociétés d’État chez Transports Canada, assermentée le 7 décembre 2016 (affidavit de décembre de Mme Bergevin). Entre autres, dans son ordonnance du 5 mai 2017, rendue en réponse à cette requête, le protonotaire a exigé que Mme Bergevin apporte avec elle au contre-interrogatoire les documents qu’elle a examinés et sur lesquels elle s’était fondée dans le dossier de Transports Canada pour faire les déclarations dans son affidavit. En ce qui concerne les autres documents, y compris les études, on n’y fait allusion que de façon générique dans l’affidavit de décembre de Mme Bergevin. Le protonotaire a mentionné que cela pouvait simplement être une fonction des connaissances générales de Mme Bergevin et de sa compréhension du fonctionnement de Transports Canada. Ce qui ne signifiait pas que les documents n’étaient pas pertinents étant donné que lors du contre-interrogatoire, la question serait probablement examinée et il se peut qu’elle indique certaines études précises qu’elle a consultées lorsqu’elle a fait ses déclarations. Le cas échéant, il faudra qu’elle les fournisse. En ce qui concerne l’étude précise recherchée par Oceanex (le rapport de CPCS), le protonotaire a mentionné que, afin de déterminer si l’étude est pertinente ou admissible, elle devait faire l’objet d’une requête devant le juge saisi de la demande.

[10]  À cet égard, l’affidavit supplémentaire décrit le contexte du rapport de CPCS, qui avait été commandé par Transports Canada. Oceanex avait participé à l’étude, à la demande de Transports Canada, mais n’avait pas reçu de copie du rapport. Par suite d’une demande en juillet 2016 par Oceanex en application de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1, (LAI) et deux plaintes de suivi au commissaire à l’information, Transports Canada a été tenu de fournir, et a fourni, une copie caviardée du rapport de CPCS à Oceanex le 22 février 2017. Par sa requête en date du 28 février 2017, Oceanex a cherché à présenter le rapport en produisant l’affidavit supplémentaire.

Thèse d’Oceanex

[11]  Oceanex soutient que l’affidavit supplémentaire satisfait aux exigences de présentation d’un affidavit supplémentaire aux termes de l’article 312 des Règles. En ce qui concerne l’admissibilité, le rapport de CPCS était entre les mains du ministre avant l’approbation des taux de fret de 2016-2017, et donc, il aurait dû être pris en considération par lui s’il avait pris la décision, ou quoi qu’il en soit, s’il était tenu par la loi de la prendre, au sujet des taux de frets. Autrement, le rapport de CPCS aurait dû être examiné par MAI si le ministre était habilité par la loi à déléguer la prise de décision à MAI.

[12]  Oceanex soutient également que le rapport de CPCS est pertinent à une question que la Cour doit trancher. Premièrement, la présence du rapport de CPCS dans le dossier du ministre au moment où il prétend qu’il n’était pas le décideur fédéral sera importante pour déterminer qui, de fait ou de droit, était, ou aurait dû être, le décideur. Le fait que le ministre a commandé le rapport suggère que le ministre avait participé ou aurait dû participer, directement ou indirectement, à la détermination des tarifs de MAI. Deuxièmement, le rapport de CPCS est pertinent à la question de savoir si le décideur considérait que les tarifs de transport commercial des marchandises de MAI provoquent des distorsions sur le marché et ont un effet indûment dommageable sur Oceanex, en violation de la politique nationale des transports et à la Loi sur les transports au Canada. Troisièmement, le rapport est suffisamment probant pour avoir une incidence sur le résultat, au sens que le ministre, l’ayant expressément commandé, était tenu de l’examiner avant d’approuver les tarifs ou de permettre à MAI d’approuver les tarifs en son nom. Le rapport avait également été commandé par Transports Canada en réponse aux préoccupations soulevées par Oceanex au fil des ans. Elle s’assurera donc que la Cour a un dossier complet avec tous les éléments de preuve nécessaires pour examiner les questions soulevées.

[13]  Ayant établi ces deux motifs préliminaires, Oceanex soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder son autorisation. À cet égard, malgré ses demandes, le rapport n’était pas à la disposition d’Oceanex avant le 22 février 2017 au moyen de la demande présentée aux termes de la LAI. Le ministre a également retenu les renseignements au motif qu’il n’est pas le décideur; toutefois, cette thèse n’a pas encore été jugée par la Cour. En outre, même si MAI était habilitée à prendre la décision et l’a prise effectivement, le rapport est essentiel pour déterminer quels renseignements elle aurait dû examiner. Oceanex soutient également que le rapport aidera la Cour dans la mesure où il répond dans une large mesure aux questions mêmes qui doivent être tranchées dans la demande modifiée. En outre, la présentation du rapport de CPCS ne causera pas de préjudice aux autres parties. Le seul préjudice qui existe est celui qu’Oceanex a subi, n’ayant obtenu une copie du rapport qu’en février 2017 après avoir présenté sa preuve en interrogatoire principal et sa contre-preuve.

Thèse du ministre

[14]  Le ministre soutient que le rapport de CPCS ne constitue pas une preuve pertinente ni admissible aux fins du contrôle judiciaire étant donné qu’il n’y a pas de preuve qui suggère que le décideur, MAI, en fût saisi et les éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire sont limités au dossier dont le décideur est saisi. En outre, même si la pertinence du rapport est envisagée du point de vue de la contestation de la demanderesse du pouvoir de MAI de fixer des tarifs sans l’approbation du ministre, le rapport de CPCS est daté du 1er mai 2015, une date postérieure aux événements de 2007 et de 2010 qui ont entraîné la prise en charge par MAI de cette responsabilité.

[15]  Le ministre soutient en outre que le rapport n’est pas admissible en application des exceptions limitées à la règle générale voulant que les éléments de preuve dont le décideur n’est pas saisi soient inadmissibles, y compris l’exception dite du « contexte général ». La raison est que le rapport ne se contente pas de fournir des renseignements contextuels sur les questions soulevées par la demande. L’affirmation de la demanderesse elle-même dans son argument écrit selon laquelle le rapport répond à la raison même pour laquelle Oceanex prétend dans la présente instance être lésée par la mesure gouvernementale viole le principe selon lequel les éléments de preuve extrinsèques qui contribuent au bien-fondé de la décision ne peuvent pas être admis lors d’un contrôle judiciaire.

[16]  Le ministre soutient également que l’admission d’éléments de preuve dont le décideur n’était pas saisi porterait gravement préjudice aux défendeurs puisqu’elle inviterait la Cour à examiner des questions qui vont bien au-delà de celles soulevées dans la demande. En demandant de déposer le rapport en preuve, la demanderesse invite la Cour à l’utiliser dans un but totalement différent que celui pour lequel il avait été commandé.

[17]  Finalement, le ministre soutient qu’il est incorrect que la demanderesse suggère que le ministre a retenu le rapport de manière injustifiée lorsqu’il répondait aux demandes en application de l’article 317 des Règles, ou qu’il a omis de manière injustifiée d’inclure le rapport comme pièce jointe dans l’un des affidavits de Mme Bergevin. Le ministre n’a pas pris la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire et a contesté à juste titre les demandes aux termes de l’article 317 des Règles pour ce motif. En outre, il est inapproprié que la demanderesse tente au moyen de cette requête de contester de manière indirecte les objections du ministre à l’article 317 des Règles, étant donné qu’elle n’a pas déposé de requête officielle à cet égard. En dehors de l’article 317 des Règles, le ministre n’est nullement tenu de produire un document dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire.

Thèse de MAI

[18]  MAI soutient que le rapport de CPCS constitue du ouï-dire et contient des éléments de preuve sous forme d’avis qui le rend inadmissible en le joignant à l’affidavit supplémentaire. MAI soutient qu’Oceanex cherche à déposer le rapport en tant que rapport d’expert sans avoir à se conformer aux règles concernant les témoins experts. En outre, le fait qu’Oceanex tente d’invoquer le contenu du rapport de CPCS pour établir la véracité de son contenu et les avis exprimés par ses auteurs fait qu’il s’agit de ouï-dire et qu’il est donc inadmissible. En outre, les défendeurs subiraient un préjudice important et grave en consignant dans ce rapport ce qui est censé être une preuve sous forme de prétendu témoignage d’opinion d’un expert qui sera à l’abri d’un contre-interrogatoire efficace.

Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador

[19]  Le procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador, l’intervenant, n’adopte pas de position, mais soutient que, si le rapport de CPCS avait été disponible en septembre lorsque le capitaine Hynes avait déposé son affidavit initial, ou s’il avait fait autrement partie du dossier, il aurait demandé à son expert, Dennis Bruce, de l’examiner et de le traiter. En outre, alors qu’Oceanex soutient que le rapport est admissible étant donné qu’il présente des renseignements contextuels, l’intervenant a des réserves sérieuses au sujet du contenu du rapport. L’intervenant demande également que, si le rapport est admis, qu’on lui donne la possibilité d’y répondre.

Motifs

[20]  L’article 312 des Règles indique qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux articles 306 et 307 des Règles, b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à l’article 308 des Règles ou c) déposer un dossier complémentaire.

[21]  Les exigences qu’il faut respecter pour obtenir une ordonnance aux termes de l’article 312 des Règles ont été formulées par le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale dans Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 :

4  D’entrée en jeu, afin d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 312 des Règles, les demanderesses doivent satisfaire à deux exigences préliminaires :

(1)  La preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Comme il est bien établi en droit, le dossier dont est saisie la cour de révision est habituellement composé des documents dont était saisi le décideur. Il y a cependant des exceptions à ce principe. Voir les décisions Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, aux pages 144-145 (C.A.); Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright).

(2)  L’élément de preuve doit être pertinent à une question que la cour de révision est appelée à trancher. Par exemple, certaines questions ne peuvent pas être soulevées pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association (CanLII).

5  En supposant que les demanderesses satisfont à ces deux exigences préliminaires, elles doivent aussi convaincre la Cour qu’elle doit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire rendre l’ordonnance visée à l’article 312 des Règles. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire sur le fondement des éléments de preuve dont elle dispose et en appliquant les principes pertinents.

6  Dans l’arrêt Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 101, au paragraphe 2, la Cour énonce les principes censés la guider dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 312 des Règles. Elle pose certaines questions qui permettent d’établir si une ordonnance fondée sur l’article 312 des Règles servirait l’intérêt de la justice :

a)  Est-ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en application de l’article 306 ou 308 des Règles, selon le cas, ou aurait-elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b)  Est-ce que la preuve sera utile à la Cour, en ce sens qu’elle est pertinente quant à la question à trancher et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire?

c)  Est-ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

(voir également Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, au paragraphe 6 (Connolly))

[22]  Dans Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (Access Copyright), le juge Stratas souligne qu’en déterminant l’admissibilité d’un affidavit dans le cadre de l’appui d’une demande de contrôle judiciaire, les différents rôles que jouent, d’une part la Cour et d’autre part, le décideur administratif, doivent être pris en compte. Le législateur a conféré au décideur administratif, et non à la Cour, la compétence de trancher certaines questions sur le fond. En raison de cette distinction des rôles, la Cour ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond. Par conséquent, en règle générale, le dossier de la preuve qui est soumis à une cour de révision lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de la preuve dont disposait le décideur. Les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance du décideur et qui ont trait au fond de l’affaire ne sont pas recevables, sauf quelques exceptions. Le juge Stratas a énuméré trois de ces exceptions et souligné que la liste n’était sans doute pas exhaustive. Ces exceptions sont les suivantes : un affidavit contenant des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; un affidavit qui porte à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du décideur administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; un affidavit faisant ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (aux paragraphes 19 et 20).

[23]  Le juge Stratas a revisité la règle générale dans Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 (autorisation d’appeler à la Cour suprême du Canada refusée en 2016 CarswellNat 2153 (WL)), faisant allusion aux décisions précédentes de la Cour d’appel fédérale dans Access Copyright, Connolly et Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 (aux paragraphes 41 à 46) et a discuté en détail des trois exceptions reconnues (aux paragraphes 23 à 28).

[24]  À mon avis, dans l’affaire qui nous intéresse, le problème qui survient en ce qui concerne l’évaluation de l’admissibilité et la pertinence de l’affidavit supplémentaire dans le contexte de l’article 312 des Règles est que la question de savoir qui était le décideur, en ce qui concerne l’établissement des taux de fret de MAI pour 2016-2017, est très contestée.

[25]  À cet égard, l’avocat du ministre affirme qu’étant donné qu’il n’y a pas eu de contestation de la part d’Oceanex à l’objection du ministre à la demande fondée sur l’article 317 des Règles, et étant donné les éléments de preuve dans l’affidavit de Mme Bergevin que le ministre ne participait pas directement à la décision d’établir les tarifs de 2016-2017, la Cour est tenue d’accepter le fait non contredit que le ministre n’était pas le décideur. Par conséquent, il n’y avait pas de dossier à produire et, donc, le ministre n’était pas saisi du rapport de CPCS, qui n’est pas admissible. Le ministre suggère qu’Oceanex procède à des dispersions sur l’article 317 des Règles en ne le contestant pas. Pour sa part, Oceanex soutient que le fait que le ministre n’était pas le décideur n’est pas un fait accepté ni non contesté. En outre, si l’omission de contester le refus par le ministre de la demande fondée sur l’article 317 des Règles a obligé la Cour à une certaine conclusion, il est difficile de voir pourquoi le ministre a jugé nécessaire de déposer par la suite l’affidavit de décembre de Mme Bergevin, qui remet en question le rôle du ministre et elle subira un contre-interrogatoire à ce sujet. En outre, il n’était pas possible de définir clairement la question de l’article 317 des Règles sans que la Cour doive également rendre sa décision sur les questions sur le fond dans le contrôle judiciaire, ce qui serait prématuré. Par conséquent, Oceanex a cherché à présenter le rapport en produisant l’affidavit supplémentaire, tout en se réservant le droit de contester la position du ministre qu’il n’était pas le décideur.

[26]  Il y a un certain paradoxe dans cette situation dans la mesure où, d’une part, le ministre affirme que, puisqu’Oceanex n’a pas contesté l’article 317 des Règles, elle est obligée d’accepter le fait que le ministre n’est pas le décideur (et donc, ne doit pas produire de dossier certifié), tandis que, d’autre part, MAI affirme qu’elle n’est ni une commission fédérale, ni un conseil fédéral, ni un tribunal fédéral et qu’elle n’est donc pas assujettie à la juridiction de la Cour (et donc, ne doit pas produire de dossier certifié); pourtant, MAI n’a pas présenté d’opposition à la juridiction de la Cour, mais affirme que la Cour doit exercer sa compétence pour rejeter la requête d’Oceanex.

[27]  Quoi qu’il en soit, la seule question dont je suis saisi dans la présente requête est celle de savoir si Oceanex doit maintenant être autorisée à signifier et à produire l’affidavit supplémentaire. Cette question est compliquée par le fait qu’elle doit être déterminée dans une circonstance où il n’y a pas d’entente à l’égard de qui était, ou aurait dû être, le décideur en ce qui concerne l’établissement des taux de fret de MAI de 2016-2017 et où il semble que cette question ne sera pas réglée jusqu’à l’audition de la demande de contrôle judiciaire, et c’est à ce moment-là que le dossier sera clos et que le contre-interrogatoire des déposants sur leurs affidavits sera achevé.

[28]  Je ne suis pas de l’avis du ministre selon lequel la Cour est obligée d’accepter, à ce stade, le fait que le ministre n’était pas le décideur. La question de l’identité et de l’autorité du décideur a été soulevée par le ministre et par MAI. Oceanex a répondu en modifiant son avis de demande pour aborder cette question à titre subsidiaire. Tandis que l’affidavit de décembre de Mme Bergevin n’affirme pas que le ministre n’avait pas approuvé la modification des tarifs et n’avait joué aucun rôle dans la décision de MAI concernant l’établissement des tarifs de 2016-2017, cela doit être remis dans le contexte de ses autres éléments de preuve, y compris le fait que la décision annoncée dans le budget de 2010, envoyée à MAI par courriel, communiquait l’intention du Canada et de MAI de modifier les conditions de l’entente bilatérale relative à l’approbation de l’augmentation des tarifs, mais que l’entente bilatérale n’a pas encore été annulée. Mme Bergevin doit encore se soumettre à un contre-interrogatoire au sujet de son affidavit, et il ne fait pas de doute que la question du rôle du ministre, de MAI et du pouvoir de déléguer les modifications des tarifs sera examinée par Oceanex à ce moment-là, y compris la question de savoir pourquoi le ministre a commandé le rapport de CPCS si le ministre ne participait ni directement ni indirectement à la prise de décision.

[29]  Si le ministre était le décideur, il n’y a aucune preuve que le ministre n’avait pas eu connaissance du rapport de CPCS. L’affidavit de Karen Snook, analyste financier en chef d’Oceanex, souscrit le 8 mars 2017 et déposé par Oceanex à l’appui de la présente requête, affirme qu’au cours des années, Oceanex s’est continuellement efforcée d’attirer l’attention du ministre sur ses préoccupations au sujet des répercussions défavorables de l’augmentation des subventions fédérales pour MAI. Une présentation effectuée par Patrick Gosselin de Transports Canada à Oceanex en mai 2015 est jointe à son affidavit en tant que pièce B. Cela indique que depuis 2011, Oceanex soulève des préoccupations concernant le fait que MAI possède un avantage injuste en raison des subventions fédérales et a appelé le gouvernement fédéral à [traduction] « équilibrer les règles du jeu ». En outre, depuis que la plainte d’Oceanex a été soulevée, l’approche de Transports Canada avait été limitée en examinant les tendances et les tarifs de la circulation commerciale, et qu’une analyse plus exhaustive sur le sujet était nécessaire. Par conséquent, un consultant devait entamer une étude plus exhaustive pour comprendre toute l’étendue de la concurrence sur le marché des services de transport de marchandises. Les objectifs de l’étude ont été énoncés ainsi que le fait que les résultats serviraient à améliorer davantage la compréhension de la concurrence sur le marché de Terre-Neuve et contribueraient à l’analyse interne continue et à l’évolution des politiques à l’avenir.

[30]  La pièce F de l’affidavit de Mme Snook est un courriel en date du 2 mai 2016 du ministre en réponse à une lettre d’Oceanex concernant l’incidence des subventions que reçoit MAI. Le courriel indique que [traduction] « j’ai pris note de votre préoccupation relativement au niveau des subventions que reçoit MAI. Comme vous vous en souviendrez, Transports Canada a commandé une étude auprès d’un consultant externe en 2015 qui évaluait, entre autres éléments, le marché de transport de marchandises à Terre-Neuve. Le ministère est reconnaissant de la contribution d’Oceanex Inc. à cette étude, et l’analyse interne est en train d’être finalisée ».

[31]  Le rapport de CPCS indique dans la section du contexte que Transports Canada avait retenu CPCS pour évaluer le niveau de distorsion sur le marché du transport des marchandises entre Terre-Neuve et le continent attribuable à l’appui que le gouvernement du Canada a offert à MAI, ainsi que pour déterminer les solutions possibles en matière de structures de frais modifiées. De plus, il y est indiqué que la recherche et l’analyse découlant de l’étude contribueraient à l’analyse interne et à l’évolution future des politiques. Le rapport fait également allusion explicitement à Oceanex.

[32]  Ainsi, si le ministre était le décideur, il est raisonnable de déduire qu’il connaissait le contexte du rapport de CPCS, qui avait été commandé par Transports Canada, et qu’il y avait eu accès. Par conséquent, le rapport serait admissible et potentiellement pertinent dans la mesure où il établirait l’existence d’un facteur pertinent dans la détermination des taux de fret de 2016-2017. D’un autre point de vue, si le ministre était, ou aurait dû être, le décideur, le rapport de CPCS faisait vraisemblablement partie du dossier dont il était saisi lorsqu’il a pris cette décision et il aurait fallu le produire en réponse à la demande fondée sur l’article 317 des Règles. En outre, comme l’a fait remarquer le protonotaire dans son ordonnance du 5 mai 2017, si, lors de son contre-interrogatoire, Mme Bergevin certifie que son allusion générique aux études qu’elle a consultées lors de son examen du dossier de Transports Canada comprenait le rapport de CPCS, il serait alors obligatoire en tant que document pertinent pour ce motif.

[33]  En ce qui concerne MAI, elle n’a produit aucune preuve assermentée ou autre pour confirmer qu’elle n’avait pas été saisie du rapport de CPCS lorsqu’elle prétend avoir pris la décision d’établir les tarifs de 2016-2017. On peut donc se demander si MAI était le décideur, comme elle le soutient, et, dans l’affirmative, si le rapport de CPCS lui a été ou aurait dû lui être soumis lorsqu’elle a pris la décision en question. Bien entendu, si MAI était le décideur autorisé, et si la présente Cour n’a pas la compétence, comme le prétend MAI, l’admissibilité du rapport de CPCS aura un caractère théorique. Si MAI était le décideur autorisé et si la Cour a bien la compétence et que le rapport de CPCS a été soumis ou aurait dû être soumis à MAI, le rapport ne ferait pas partie du dossier et ne serait vraisemblablement ni admissible ni pertinent.

[34]  À mon avis, dans ces circonstances, il est important de souligner que les parties à la présente affaire ont présenté de nombreux éléments de preuve par affidavit pour appuyer la demande de contrôle judiciaire par Oceanex et y répondre. Comme l’indique le ministre dans ses arguments, ces éléments de preuve sont les suivants :

Oceanex

  • i) Affidavit du capitaine Sidney J. Hynes, directeur général d’Oceanex, souscrit le 8 septembre 2016, offrant des renseignements contextuels sur le marché du transport commercial de marchandises et le transport maritime à courte distance; un historique et une description des activités actuelles d’Oceanex; son témoignage concernant MAI et ses rapports avec le gouvernement fédéral, y compris les activités de MAI, ses subventions et la prétendue entente de 2010; des communications entre Oceanex et le ministre concernant ses préoccupations relativement au traitement de MAI par le gouvernement fédéral, ainsi que son témoignage sur les répercussions négatives sur Oceanex;

  • ii) Le témoignage d’expert de David Gillen, économiste, souscrit le 8 septembre 2016, offrant un témoignage d’opinion sur le rôle de la concurrence dans l’atteinte des objectifs de politique énoncés dans la Loi sur les transports au Canada; la manière dont des tarifs efficaces sur le plan économique sont fixés sur les marchés du transport et les marchés couverts par MAI ainsi que les conséquences du subventionnement de MAI sur Oceanex;

  • iii) Le témoignage d’expert de Peter Neary, historien, souscrit le 18 août 2016, offrant un témoignage d’opinion sur l’origine et la signification de l’article 32 des Conditions de l’union;

  • v) Un deuxième affidavit de Michèle Bergevin, souscrit le 7 décembre 2016, fournissant des renseignements concernant l’établissement des tarifs de MAI, y compris un aperçu de l’obligation du Canada aux termes des Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada de créer un itinéraire de traversier entre North Sydney et Port aux Basques (l’« itinéraire de traversier constitutionnel »); un bref historique de l’itinéraire de traversier constitutionnel; un aperçu de MAI, sa gouvernance et sa structure d’entreprise; une explication de la façon dont MAI fixe ses tarifs et comment cela a changé avec le temps; et des renseignements sur la relation de Transports Canada avec l’industrie navale et le rôle de Transports Canada en tant qu’organisme de réglementation.

  • vi) L’affidavit de Shawn Leamon, vice-président chez MAI, souscrit le 7 décembre 2016, fournissant des renseignements contextuels sur MAI; son témoignage sur l’importance des services de traversier pour Terre-Neuve-et-Labrador; un aperçu des activités de MAI; et des renseignements concernant la gouvernance de MAI et sa capacité de fixer ses tarifs;

  • viii) Affidavit de Raymond Blake, historien, souscrit le 30 novembre 2016, offrant un témoignage d’opinion sur l’intention des parties aux Conditions de l’union relativement à l’article 32, quant à savoir s’il s’agissait d’un engagement à simplement exploiter des bateaux à vapeur entre deux points ou parfois plus, et quant à savoir s’il devait s’agir d’un service subventionné au bénéfice de Terre-Neuve;

  • ix) Affidavit de Dennis Bruce, économiste, souscrit le 5 décembre 2016, répondant au témoignage d’opinion du capitaine Hynes et de David Gillen, et offrant son opinion quant à savoir si les éléments de preuve d’Oceanex ont établi que l’établissement des prix de MAI avait eu des répercussions négatives sur les offres de service d’Oceanex, et sur l’incidence sur l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador si MAI n’était plus subventionnée;

  • x) Affidavit en réponse du capitaine Sidney J. Hynes, souscrit le 19 janvier 2017;

  • xii) Affidavit en réponse de Dennis Bruce, souscrit le 1er mars 2017.

Ministre

iv)  L’affidavit de Michèle Bergevin, directrice, Gestion du portefeuille au sein de la Direction générale de la gouvernance du portefeuille et des sociétés d’État chez Transports Canada, souscrit le 8 septembre 2016, avec une copie jointe de la décision annoncée dans le budget de 2010;

MAI

vii)  L’affidavit d’expert de Geoffrey Church, économiste, souscrit le 7 décembre 2016 en réponse aux éléments de preuve économiques de David Gillen;

Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador

Affidavits en réponse et en réplique

Oceanex

xi)  Affidavit en réponse de David Gillen, souscrit le 19 janvier 2017;

Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador

[35]  Les parties s’appuient sur les affidavits pour exposer le contexte et l’incidence de la décision contestée. Il est également vraisemblable que d’autres détails découleront des contre-interrogatoires prévus pour les déposants, notamment au titre de l’identité et de l’autorité du décideur en ce qui concerne les taux de fret de 2016-2017. Je note que, dans ses observations écrites concernant la requête, le ministre affirme qu’il se réserve le droit de contester la pertinence et l’admissibilité de certaines parties des éléments de preuve à l’audition de la demande de contrôle judiciaire, si nécessaire.

[36]  Dans ces circonstances quelque peu inhabituelles, j’ai conclu qu’il est équitable et expéditif d’exercer mon pouvoir discrétionnaire afin de permettre à l’affidavit supplémentaire d’être produit et signifié en ce moment. Bien que l’identité du décideur soit remise en question, l’affidavit supplémentaire est admissible en raison du fait que, si le décideur était le ministre, le rapport de CPCS aurait probablement fait partie du dossier dont il était saisi et, si MAI était un décideur autorisé et que la Cour a la compétence, on peut alors soutenir que le rapport aurait dû lui être soumis lorsqu’elle a pris sa décision. La question de l’identité du décideur sera très vraisemblablement examinée au cours des contre-interrogatoires. Et, à moins que le juge chargé de la gestion de l’instance ne décide qu’il faille que l’affaire soit traitée à titre préliminaire, c’est moi qui la trancherai en dernier ressort à l’audition du contrôle judiciaire.

[37]   Il est d’intérêt également de relever qu’Oceanex a présenté sa demande aux termes de la LAI en réclamant le rapport de CPCS le 22 juillet 2016; toutefois, elle n’a reçu le rapport que sept mois plus tard, soit le 22 février 2017. Par conséquent, Oceanex n’a pas pu y avoir accès lorsqu’elle a dû déposer sa preuve par affidavit, au plus tard le 9 septembre 2016, à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Si elle l’avait reçu, il aurait très vraisemblablement été joint en tant que pièce à l’un des affidavits d’Oceanex, évitant la nécessité de l’affidavit supplémentaire. Et même si l’admissibilité du rapport avait été contestée alors, on peut se demander si la Cour aurait été réceptive à l’idée de rendre une décision anticipée sur l’admissibilité (Access Copyright, au paragraphe 11)

[38]  En ce qui concerne la pertinence, je trouve que le rapport de CPCS est pertinent quant à la question de l’identité du décideur, et à la question de savoir si le décideur, quel qu’il ait été, a pris en compte tous les facteurs pertinents lors de sa prise de décision, les deux questions étant soulevées par l’avis de demande modifié. Je ne suis pas d’accord avec l’argument de MAI selon lequel le rapport de CPCS est un rapport d’expert. Toutefois, cela dit, et comme en convient Oceanex, on ne peut pas non plus s’appuyer sur ce rapport pour établir la véracité de son contenu.

[39]  Il est également important de reconnaître que la question de la pertinence et de l’importance, le cas échéant, du rapport de CPCS sera entièrement tranchée dans le cadre du contrôle judiciaire. Il se peut que le ministre, s’il était le décideur, ait examiné et rejeté le rapport. Ou que MAI, si elle était le décideur, n’ait jamais été informée de l’existence du rapport. Ces questions, ainsi que d’autres, seront abordées dans le contexte du contrôle judiciaire.

[40]  Dans ces circonstances et malgré sa diligence, Oceanex n’a pas eu accès au rapport de CPCS lorsqu’elle a présenté ses affidavits à l’appui; l’affidavit supplémentaire peut aider la Cour étant donné qu’il peut être pertinent à la question de savoir si la distorsion des taux de fret attribuables à la subvention de MAI était ou aurait dû être un facteur pertinent pour le décideur, ou, simplement, pour donner une appréciation plus complète de la question en cours relative aux taux de fret; et, à mon avis, les défendeurs ne subissent pas de préjudice grave ou important découlant de l’admission de l’affidavit supplémentaire.

[41]  Considéré dans son ensemble, dans ces circonstances particulières, le fait de produire l’affidavit supplémentaire en ce moment facilite la solution au litige la plus équitable et la plus expéditive possible. Dans l’ensemble, il est préférable et dans l’intérêt de la justice d’autoriser la production de l’affidavit supplémentaire en ce moment, et de restreindre son utilisation, en cas de besoin, en raison de sa pertinence et de son importance lors du contrôle judiciaire, plutôt que de l’exclure.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. Conformément à l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 l’autorisation est accordée à Oceanex Inc. de signifier et de produire l’affidavit supplémentaire du capitaine Sidney J. Hynes, souscrit le 28 février 2017.

  2. Les dépens suivront l’issue de la cause.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-348-16

 

INTITULÉ :

OCEANEX INC. c CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET MARINE ATLANTIQUE S.C.C. ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mai 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE :

Le 12 mai 2017

COMPARUTIONS :

Guy Pratte

Nadia Effendi

Peter O’Flaherty

 

Pour la demanderesse

 

Joseph Cheng (Ministre des Transports)

Jeff Galway (Marine Atlantique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Justin Mellor

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

[EN BLANC]

O’Flaherty Wells Law

Avocats

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

POUR LA DEMANDERESSE







William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

[EN BLANC]

Black Cassels and Graydon

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

Pour l’intervenant

 

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