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Date : 20171204


Dossier : IMM-2359-17

Référence : 2017 CF 1101

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 4 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

AMINA HAJI ABBAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 4 décembre 2017)

I.  Aperçu

[1]  La Cour statue que la Section d’appel des réfugiés [SAR] a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas une personne crédible au motif qu’elle était incapable de donner des détails importants sur sa vie quotidienne à Kismayo sous le régime d’Al‑Shabaab de 2009 à 2012. Même si la SAR a l’expertise pour trancher des questions de fait, particulièrement lorsqu’elle évalue la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur, la Cour est d’accord avec les observations présentées par la demanderesse et conclut ainsi :

Il ne conviendrait pas que la [Commission de l’immigration et du statut de réfugié] tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication. En outre, la Commission devrait évaluer la crédibilité d’un demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans son pays et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance de son récit.

(Mohacsi c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20.)

La Cour conclut que la SAR disposait de suffisamment de preuves des troubles médicaux de la demanderesse pour considérer cette dernière comme une personne vulnérable tentant de prouver pourquoi elle craignait d’être persécutée si elle retournait en Somalie. La SAR a omis de donner du poids à la preuve objective sur les conditions du pays qui lui avait été soumise vu la situation personnelle de la demanderesse, qui l’empêchait de livrer un témoignage clair et crédible. Dans les cas où le demandeur est perturbé mentalement « il faudra peut‑être donner plus d’importance à la situation objective » (le Guide). Pour ce motif, la SAR a commis une erreur en omettant de déterminer pourquoi la preuve objective rend la preuve produite par la demanderesse plausible.

[2]  Qui plus est, la preuve objective expose clairement la difficulté avec laquelle les Somaliens sont aux prises lorsqu’ils doivent présenter des documents d’identité. La SAR et la Section de la protection des réfugiés [SPR] ont reconnu ces renseignements sur les conditions du pays dans leur décision :

[traduction]

La SPR a reconnu que, selon les documents sur le pays, il serait difficile pour un Somalien de présenter des documents sur son identité civile. Il incombe tout de même à la demanderesse de recourir à d’autres moyens crédibles et fiables pour prouver son identité.

(Motifs de la SAR, au paragraphe 40)

[3]  La Cour conclut aussi que la SAR a commis une erreur en confirmant la décision rendue par la SPR dans son examen de la preuve qui lui était présentée. La SAR, en confirmant les conclusions tirées par la SPR, a ignoré des preuves documentaires fiables qui corroboraient le récit de la demanderesse.

II.  Nature de la question

[4]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR] à l’encontre d’une décision de la SAR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en date du 8 mai 2017, dans laquelle la SAR confirmait la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

III.  Faits

[5]  La demanderesse, âgée de 80 ans, affirme être une citoyenne somalienne originaire de la ville de Kismayo.

[6]  La demanderesse a indiqué être membres du sous‑clan des Hussein du clan des Ashraf.

[7]  La demanderesse craint d’être persécutée en Somalie parce qu’elle est membre d’un clan minoritaire, en plus d’être une femme âgée non accompagnée souffrant de déficiences (y compris un trouble de stress post‑traumatique [TSPT]).

[8]  En janvier 2015, le mari de la demanderesse, un enseignant du secteur privé, était propriétaire d’une école avec son fils. Al‑Shabaab les a supposément assassinés après que le mari de la demanderesse a refusé de le laisser recruter ses étudiants du Coran.

[9]  Le même jour, la demanderesse se trouvait avec sa fille dans le district de Fanole. Lorsque la demanderesse est rentrée chez elle, à Kismayo, elle a constaté que la porte avait été défoncée et que les fenêtres étaient criblées de balles.

[10]  Le 2 février 2015, la demanderesse a quitté Kismayo et s’est enfuie à Nairobi (Kenya) avec sa fille et deux de ses petits‑enfants.

[11]  Le 21 avril 2015, la demanderesse est arrivée au Canada sans documents d’identité avec l’aide de sa fille (toujours au Kenya) et d’un passeur. La demanderesse a ensuite présenté une demande d’asile au Canada, le 10 juin 2015.

[12]  Dans une décision en date du 10 novembre 2016, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse pour manque de crédibilité. La SPR a conclu que la demanderesse était en mesure de comprendre les questions et de fournir des réponses appropriées, tout en reconnaissant qu’il était possible que des détails soient manquants et que la séquence des événements soit inexacte. Vu les lettres fournies par le psychothérapeute et le médecin de famille de la demanderesse, la SPR a aussi indiqué que la demanderesse s’était vu attribuer un représentant désigné [RD] conformément au paragraphe 167(2) de la LIPR afin d’agir en son nom.

[13]  Étant donné la preuve objective, la SPR a néanmoins conclu qu’il était peu probable que la demanderesse ait habité à Kismayo (de 2009 à 2012) pendant les trois années de règne d’Al‑Shabaab et qu’elle ignore des faits de base qui se seraient fait sentir sur sa vie quotidienne, comme le fait que les femmes devaient porter le voile à l’extérieur de leur maison et qu’elles ne pouvaient sortir de leur maison sans escorte masculine. La SPR a donc conclu qu’il était peu probable que la demanderesse habitait à Kismayo en janvier 2015, comme elle le prétendait, et qu’elle y habitait depuis 2009.

[14]  La SPR a aussi rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse parce qu’elle ne disposait pas de preuves crédibles et dignes de confiance suffisantes pour établir le moment où la demanderesse avait quitté la Somalie, où elle habitait, pendant combien de temps elle y avait habité ou le moment de son arrivée au Canada. La SPR a conclu que les allégations de la demanderesse selon lesquelles elle s’exposait à un risque d’Al‑Shabaab étaient probablement fausses, vu qu’elle n’avait produit aucune preuve corroborant sa présence au Kenya ou son déplacement au Canada avec l’aide d’un passeur.

[15]  La SPR, même après avoir indiqué qu’il était généralement difficile d’obtenir des documents d’identité en Somalie, n’a tout de même pas accepté les efforts déployés par la demanderesse pour prouver sa nationalité ou son identité en tant que personne qui résidait en Somalie en raison de l’absence de documents sur l’identité ou à l’appui; elle n’a pas accepté non plus le témoignage de la demanderesse à cet égard. La SPR a toutefois retenu l’idée selon laquelle la demanderesse était probablement membre du clan des Ashraf.

[16]  La SPR a aussi reconnu que le fait de retourner dans des régions contrôlées par Al‑Shabaab comportait des facteurs de risque, mais pas à Kismayo. La SPR a aussi précisé que [traduction] « le simple fait que la demanderesse appartient au clan des Ashraf ne l’expose pas à un risque d’attaque ciblée par Al‑Shabaab à Kismayo si elle y retourne » (Motifs de la SPR, paragraphe 29). Enfin, la SPR a conclu que l’âge, le genre et la santé de la demanderesse pourraient poser un problème si aucun soutien familial et communautaire ne lui était offert. La SPR a toutefois conclu qu’elle ne disposait pas de preuves crédibles et dignes de confiance suffisantes pour évaluer des risques précis.

IV.  Décision

[17]  Le 25 novembre 2016, la demanderesse a interjeté appel de la décision rendue par la SPR devant la SAR. Dans cet appel, la demanderesse n’a présenté aucun nouvel élément de preuve et n’a pas demandé à la SAR de tenir une audience orale.

[18]  Dans une décision en date du 8 mai 2017, conformément au paragraphe 111(1) de la LIPR, la SAR a confirmé la décision rendue par la SPR selon laquelle la demanderesse n’est ni une refugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. L’appel a donc été rejeté.

[19]  Le 26 mai 2017, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le 7 septembre 2017, la Cour a accueilli la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

V.  Questions

[20]  La présente cause soulève la question suivante : La SAR a‑t‑elle commis une erreur en maintenant la décision rendue par la SPR en ce qui concerne ses conclusions relatives à la crédibilité et son examen de la preuve qui lui a été présentée?

[21]  Les conclusions de fait tirées par la SAR et son évaluation de la preuve sont des questions mixtes de fait et de droit et la Cour conclut que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Akuffo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063, au paragraphe 27; Siliya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 120, au paragraphe 20). La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la SAR lorsque la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, vu la spécialisation de la SAR et l’expertise de ses membres (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 [Dunsmuir]; Djossou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1080, au paragraphe 33).

VI.  Dispositions pertinentes

[22]  L’article 96 de la LIPR précise ce qui suit :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[23]  Le paragraphe 97(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[24]  Le paragraphe 111(1) de la LIPR précise ce qui suit :

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

[BLANK]

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

[BLANK]

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

[BLANK]

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

VII.  Observations des parties

A.  Observations de la demanderesse

[25]  Selon la demanderesse, la SAR a commis une erreur en maintenant la décision rendue par la SPR. Il est soutenu que la SAR n’a pas mené sa propre analyse indépendante de la preuve afin de déterminer si les motifs de la SPR étaient corrects en ce qui concerne la crédibilité et le profil de la demanderesse (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 78).

[26]  Premièrement, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en décidant que la demanderesse n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour présenter des documents liés à son identité parce qu’elle a tiré des conclusions contradictoires. En fait, la SAR a reconnu les capacités cognitives affaiblies de la demanderesse et la difficulté à obtenir des documents de la Somalie, comme le soutient la preuve objective sur les conditions du pays; la SAR a toutefois conclu que la demanderesse n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour établir son identité. La demanderesse fait valoir qu’elle est une personne vulnérable, qu’un RD a été nommé afin d’agir en son nom et que sa capacité à déployer de tels efforts était limitée. La preuve présentée à la SAR et à la SPR montre que la demanderesse souffre d’un trouble des fonctions cognitives et de TSPT :

[traduction]

Je suis aussi d’avis que certains aspects des fonctions cognitives et émotives actuelles de Mme Abbar pourraient limiter considérablement sa capacité à faire un récit complet et détaillé ou à livrer un témoignage clair au cours de son audience prochaine.

(Dossier de la demanderesse, lettre de la psychothérapeute de la demanderesse en date du 29 juillet 2015, à la page 60).

[27]  Deuxièmement, la SAR a commis une erreur susceptible de révision en tirant sa conclusion défavorable sur une hypothèse erronée. En fait, quand elle a conclu que la demanderesse était incapable de présenter des documents sur son identité, la SAR n’a pas expliqué pourquoi il incombait à la fille de la demanderesse, qui avait pris des dispositions pour qu’un passeur fasse entrer sa mère au pays, de fournir à la demanderesse des documents d’identité de la Somalie. La fille de la demanderesse n’avait pas accès aux documents d’identité de sa mère parce qu’elle s’est elle aussi enfuie vers le Kenya en toute hâte. Qui plus est, la demanderesse a témoigné qu’elle avait perdu contact avec sa fille et qu’elle ignorait où se trouvait sa fille afin de lui demander de produire un affidavit. Vu la situation particulière de la demanderesse en l’espèce, il était raisonnable qu’elle soit incapable de présenter des documents d’identité de la Somalie.

[28]  Troisièmement, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’elle ne serait pas exposée à un risque en Somalie en raison de son appartenance au clan minoritaire des Ashraf. [traduction] « La SAR est d’accord avec la SPR sur le fait que la preuve ne suffisait pas à convaincre qu’une femme Ashraf courrait un risque à Kismayo » (Motifs de la SAR, paragraphe 35). Selon la demanderesse, la SAR n’a pas évalué la preuve objective qui lui avait été présentée. Par exemple, les recherches sur les conditions du pays indiquaient clairement que les membres du clan des Ashraf sont vulnérables à la persécution partout en Somalie :

[traduction]

2.2.2  Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) en Somalie a indiqué à la délégation d’une mission d’enquête du service d’immigration danois menée du 30 janvier au 19 février 2012 que [...] « Il n’existe en ce moment aucune garantie de protection des clans en Somalie; les membres de clans minoritaires et les groupes ethniques minoritaires sont particulièrement vulnérables [...] »

2.5.4  […] Les groupes minoritaires, qui ne possèdent souvent pas de milices armées, sont demeurés visés de façon disproportionnée par des assassinats, de la torture, des viols, des enlèvements pour rançon et des pillages de terres et de biens en toute impunité par des milices de la faction et des membres de clans majoritaires. Bon nombre de communautés minoritaires continuaient de vivre dans la pauvreté extrême et de souffrir de nombreuses formes de discrimination et d’exclusion.

2.5.5  Le rapport de 2014 de l’Organisation norvégienne pour les demandeurs d’asile indiquait ce qui suit :

« Selon certaines sources, de nombreux groupes minoritaires en Somalie sont marginalisés et se trouvent dans une situation humanitaire difficile. Les groupes minoritaires ne font pas partie du système de clans et la structure des clans leur pose des difficultés particulières. Ils n’ont aucun pouvoir politique et ont été particulièrement exposés dans le cadre de fortes poussées ou de conflits. »

« Selon plusieurs sources, les minorités particulièrement vulnérables en Somalie comprennent les Midgan/Gaboye, les Bantu, les Tumal, les Reer Hama, les Ashraf et les Yibir. »

[Non souligné dans l’original]

(Dossier certifié du tribunal [DCT] dans le cartable national de documentation [CND] pour la Somalie (17 juillet 2015), rapport du Home Office du Royaume-Uni en date de mars 2015, point 1.18, Country Information and Guidance : South and central Somalia: Majority clans and minority groups (en anglais), aux pages 332 et 342.)

[29]  Qui plus est, il est soutenu que la SAR a commis une erreur en décidant que la preuve ne suffisait pas à prouver que la demanderesse avait le soutien de sa communauté ou de ses proches en Somalie. En fait, la demanderesse et la nièce ont toutes deux indiqué dans leur témoignage que la demanderesse n’aurait aucun soutien en Somalie. « Quand un [demandeur] jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (QL), au paragraphe 5 [Maldonado]).

[30]  Enfin, la demanderesse fait valoir que la SAR avait mené une analyse à la loupe. En fait, elle a tiré une conclusion défavorable à l’égard d’une déclaration du témoin de la demanderesse, qui a témoigné, dans son affidavit, que la demanderesse l’avait appelée de la Somalie afin de l’informer des meurtres de son mari et de son fils. Le témoin a par la suite indiqué dans son témoignage à l’audience que ce sont les voisins de la demanderesse qui l’avaient appelée afin de l’informer de ce qui s’était passé et que la demanderesse elle‑même avait informé sa nièce des meurtres uniquement après son arrivée au Canada. « Il est bien établi que la Commission a une tâche difficile, mais elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive dans la recherche d’incohérences et ne devrait pas examiner la preuve à la loupe, particulièrement lorsque les personnes témoignent par l’intermédiaire d’un interprète. […] » (Elmi c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 24.)

B.  Prétentions du défendeur

[31]  Le défendeur soutient quant à lui que la SAR n’a commis aucune erreur en confirmant les conclusions tirées par la SPR sur l’identité et la crédibilité. Le défendeur soutient que la SAR a évalué l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée. Le fait qu’un RD ait été nommé pour agir au nom de la demanderesse n’a pas à mener automatiquement la SPR à accepter tous les faits allégués dans la revendication de la demanderesse.

[32]  Le défendeur soutient premièrement qu’il était raisonnable pour la SAR d’être d’accord avec la SPR et de conclure qu’il était peu probable que la demanderesse ait habité à Kismayo pendant les trois années où Al‑Shabaab régnait sur la ville.

[33]  Deuxièmement, il était raisonnable pour la SAR, ainsi que pour la SPR, de tenir compte de l’absence de preuves corroborantes afin de prouver le départ de la demanderesse de la Somalie, sa présence au Kenya et son voyage au Canada avec l’aide d’un passeur. Le défendeur fait valoir qu’il incombe au demandeur d’asile de prouver sa revendication.

[34]  Troisièmement, il était raisonnable pour la SAR de maintenir la conclusion de la SPR relative au profil de la demanderesse, soit celui d’une Somalienne musulmane âgée de 80 ans aux prises avec des problèmes de santé. Selon le défendeur, la demanderesse n’a pas réussi à prouver qu’elle s’exposerait à un risque en Somalie en tant que femme âgée handicapée vulnérable, vu l’insuffisance de la preuve sur ses allées et venues.

[35]  Enfin, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour produire des éléments de preuves prouvant son identité personnelle et nationale. Le défendeur soutient qu’il incombe à la demanderesse de produire des documents d’identité (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 831, au paragraphe 18).

VIII.  Discussion

[36]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en maintenant la décision rendue par la SPR en ce qui concerne ses conclusions relatives à la crédibilité et son examen de la preuve qui lui a été présentée?

38. L’élément de crainte – qui est un état d’esprit et une condition subjective est précisé par les mots « avec raison ». Ces mots impliquent que ce n’est pas seulement l’état d’esprit de l’intéressé qui détermine sa qualité de réfugié mais que cet état d’esprit doit être fondé sur une situation objective. Les mots « craignant avec raison » recouvrent donc à la fois un élément subjectif et un élément objectif et, pour déterminer l’existence d’une crainte raisonnable, les deux éléments doivent être pris en considération.

42. Il est nécessaire d’évaluer les déclarations du demandeur également en ce qui concerne l’élément objectif. Les autorités qui sont appelées à déterminer la qualité de réfugié ne sont pas tenues d’émettre un jugement sur les conditions existant dans le pays d’origine du demandeur. Cependant, les déclarations du demandeur ne peuvent pas être prises dans l’abstrait et elles doivent être considérées dans le contexte général d’une situation concrète. Si la connaissance des conditions existant dans le pays d’origine du demandeur n’est pas un but en soi, elle est importante parce qu’elle permet d’apprécier la crédibilité des déclarations de l’intéressé. En général, la crainte exprimée doit être considérée comme fondée si le demandeur peut établir, dans une mesure raisonnable, que la vie est devenue intolérable pour lui dans son pays d’origine pour les raisons indiquées dans la définition ou qu’elle le serait, pour les mêmes raisons, s’il y retournait.

45. Mis à part les cas envisagés au paragraphe précédent, il appartient normalement à la personne qui réclame le statut de réfugié d’établir, elle-même, qu’elle craint avec raison d’être persécutée. On peut supposer qu’une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu’elle en a déjà été la victime pour l’une des causes énumérées dans la Convention de 1951. Cependant, la crainte d’être persécuté n’est pas censée être réservée aux personnes qui ont déjà été persécutées; elle peut être également le fait de celles qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient l’être.

[Non souligné dans l’original]

(Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, UNHCR, 1979 [le Guide]).

[37]  La Cour déclare que la SAR n’a pas rendu une décision raisonnable, parce qu’elle n’a pas tenu compte de la situation particulière de la demanderesse en fonction de la preuve objective qui lui avait été présentée et qu’elle n’a pas évalué la revendication de la demanderesse en recourant à des techniques d’examen différentes pour trancher si elle est une réfugiée ou pas. La SAR a donc commis une erreur en maintenant la décision de la SPR sur ses conclusions relatives à la crédibilité.

[38]  En premier lieu, il est important d’indiquer que la SAR était bien au fait de l’état de santé de la demanderesse. En fait, la SAR a confirmé les conclusions tirées par la SPR à cet égard, en décidant que l’état de santé mentale de la demanderesse [traduction] « pourrait limiter considérablement sa capacité à faire un récit complet et détaillé ou à livrer un témoignage clair au cours de son audience prochaine », selon une lettre en date du 29 juillet 2015 de la psychothérapeute de la demanderesse. La SAR a aussi précisé, comme la SPR, que la demanderesse avait une mauvaise concentration et un déficit de la mémoire, selon une lettre en date du 29 septembre 2016 de son médecin de famille. Vu les problèmes de santé de la demanderesse, la SAR a indiqué dans sa décision qu’un RD avait été nommé pour agir au nom de la demanderesse pendant l’audience tenue devant la SPR. Selon la demanderesse, un demandeur est présumé dire la vérité à moins qu’il y ait des raisons de douter de la véracité de certaines allégations (Maldonado, au paragraphe 5). La demanderesse a témoigné et raconté son récit au meilleur de sa capacité, avec l’aide du RD.

206. On a vu que, pour déterminer la qualité de réfugié, il faut établir la réalité de cet élément subjectif qu’est la crainte et de l’élément objectif du bien-fondé de cette crainte.

207. Il arrive fréquemment que l’examinateur se trouve en présence d’un demandeur atteint de troubles mentaux ou affectifs qui font obstacle à un examen normal de son cas. Comme une personne atteinte de troubles mentaux peut néanmoins être un réfugié, sa demande ne saurait donc être écartée, mais elle appellera des techniques d’examen différentes.

208. Dans les cas de ce genre, l’examinateur doit obtenir, dans la mesure du possible, l’avis spécialisé d’un médecin. Le rapport médical doit renseigner sur la nature et le degré de la maladie mentale et porter une appréciation sur le point de savoir si l’intéressé est normalement apte à présenter son cas [voir, ci-dessus, le paragraphe 205 a)]. La méthode qui sera appliquée par l’examinateur pour la suite de l’examen dépendra des conclusions du rapport médical.

209. […] S’il apparaît que la crainte manifestée par le demandeur n’est vraisemblablement pas fondée sur l’expérience vécue ou que cette crainte serait exagérée, il faudra peut-être, pour parvenir à une décision, attacher plus d’importance aux circonstances objectives qu’aux déclarations du demandeur.

211. C’est dire qu’en examinant sa demande l’élément subjectif de « crainte » risque d’être un élément d’appréciation moins sûr et l’on ne pourra sans doute pas y attacher l’importance qui lui est normalement attribuée; il faudra peut-être donner plus d’importance à la situation objective.

212. Il ressort des considérations qui précèdent que la détermination de la qualité de réfugié d’une personne atteinte de troubles mentaux exige, en règle générale, des recherches plus approfondies que dans un cas « normal » et, en particulier, un examen minutieux de son passé et de ses antécédents, pour lequel on aura recours à toutes les sources extérieures de renseignements disponibles.

(Le Guide)

[39]  La Cour déclare que la SAR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas une personne crédible au motif qu’elle était incapable de donner des détails importants sur sa vie quotidienne à Kismayo sous le régime d’Al‑Shabaab de 2009 à 2012. Même si la SAR a l’expertise pour trancher des questions de fait, particulièrement lorsqu’elle évalue la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur, la Cour est d’accord avec les observations présentées par la demanderesse et conclut ainsi :

Il ne conviendrait pas que la [Commission de l’immigration et du statut de réfugié] tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication. En outre, la Commission devrait évaluer la crédibilité d’un demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans son pays et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance de son récit.

(Mohacsi c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20.)

La Cour conclut que la SAR disposait de suffisamment de preuves des troubles médicaux de la demanderesse pour considérer cette dernière comme une personne vulnérable tentant de prouver pourquoi elle craignait d’être persécutée si elle retournait en Somalie. La SAR a omis de donner du poids à la preuve objective sur les conditions du pays qui lui avait été soumise vu la situation personnelle de la demanderesse, qui l’empêchait de livrer un témoignage clair et crédible. Dans les cas où le demandeur est perturbé mentalement, « il faudra peut‑être donner plus d’importance à la situation objective » (le Guide). Pour ce motif, la SAR a commis une erreur en omettant de déterminer pourquoi la preuve objective rend la preuve produite par la demanderesse plausible.

[40]  Deuxièmement, la SAR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour présenter des éléments de preuve sur son identité personnelle et nationale, étant donné que [traduction] « il incombe à la demanderesse de produire des documents acceptables » (Motifs de la SAR, paragraphes 38 et 40). En fait, même en dépit de sa situation médicale, la demanderesse était tout de même en mesure d’amener sa nièce en tant que témoin afin de confirmer son appartenance au clan des Ashraf et sa nationalité. La demanderesse a aussi présenté une lettre de Dixon Community Services, dans laquelle on concluait que la demanderesse était une citoyenne somalienne et qu’elle n’avait aucune autre citoyenneté (dossier de la demanderesse, lettre de Dixon Community services, à la page 63). Dans cette lettre, ont mentionné aussi que la demanderesse sait parler le somali. La SAR n’a accordé aucun poids à cette lettre. La Cour conclut qu’il est contradictoire pour la SAR de conclure que la demanderesse ne peut être une citoyenne somalienne vu l’absence de preuve. Le témoin (qui est citoyenne canadienne et somalienne) confirme son identité et sa relation avec la demanderesse dans son affidavit, ainsi que son permis de conduire, que la demanderesse a présentés à la SAR et à la SPR. L’identité du témoin en tant que ressortissante somalienne n’a pas été remise en question, tout comme sa relation avec la demanderesse.

[traduction]

Il est soutenu que la SPR a conclu que les témoignages livrés par l’appelante et le témoin étaient cohérents, en majeure partie, et qu’elle a accepté leur relation et l’identité personnelle, nationale et de clan de l’appelante.

(Motifs de la SAR, aux paragraphes 26 et 27)

[41]  Qui plus est, la preuve objective expose clairement la difficulté avec laquelle les Somaliens sont aux prises lorsqu’ils doivent présenter des documents d’identité civile. La SAR, ainsi que la SPR ont reconnu ces renseignements sur les conditions du pays dans leur décision :

[traduction]

La SPR a reconnu que, selon les documents sur le pays, il serait difficile pour un Somalien de présenter des documents sur son identité civile. Il incombe tout de même à la demanderesse de recourir à d’autres moyens crédibles et fiables pour prouver son identité.

(Motifs de la SAR, au paragraphe 40)

[42]  La Cour conclut aussi que la SAR a commis une erreur en confirmant la décision rendue par la SPR dans son examen de la preuve qui lui était présentée. La SAR, en confirmant les conclusions tirées par la SPR, a ignoré des preuves documentaires fiables qui corroboraient le récit de la demanderesse.

[43]  La SAR a d’abord indiqué qu’elle était d’accord avec la SPR, qui affirmait que [traduction] « le simple fait que [la demanderesse] appartient au clan des Ashraf ne l’expose pas à un risque d’attaque ciblée par Al‑Shabaab à Kismayo » (Motifs de la SAR, au paragraphe 31). Toutefois, la preuve objective fiable présentée à la SAR indique clairement le contraire.

[traduction]

2.3.12 Al‑Shabaab constitue la principale menace à la paix et à la sécurité en Somalie.

2.3.14 […] Dans le cadre d’attaques menées régulièrement à Mogadiscio, à Kismayo et dans d’autres villes de Somalie, ainsi qu’au Kenya et en Ouganda, il a prouvé qu’il demeure une menace à la sécurité régionale.

2.4.1  Même si la situation relative à la sécurité (attribuable par exemple, à des conflits internes entre les clans à Kismayo et à Jubaland) continue de susciter de graves inquiétudes, on constate des signes évidents d’espoir.

2.2.5  Le UNHCR en Somalie a indiqué à la délégation d’une mission d’enquête du service d’immigration danois [...] « qu’il n’existe en ce moment aucune garantie de protection des clans en Somalie; les membres de clans minoritaires et les groupes ethniques minoritaires sont particulièrement vulnérables ».

6.2.11 En juillet 2012, Al‑Shabaab harcelait des Somaliens qui rentraient du Kenya en lançant une campagne d’intimidation […] où il battait les hommes et brûlait les biens des familles.

[Non souligné dans l’original]

(DCT, dans le CND pour la Somalie (17 juillet 2015), rapport du Home Office du Royaume-Uni de décembre 2014, point 1.12, Country Information and Guidance. Somalia : Security and humanitarian situation in South and Central Somalia (en anglais).

[44]  La SAR ne doutait pas de l’appartenance de la demanderesse au clan des Ashraf et a donc omis d’évaluer la preuve objective, dans laquelle on mentionnait que des groupes minoritaires comme le clan des Ashraf sont désavantagés s’ils retournent en Somalie. L’identité de clan demeure très importante en Somalie.

[traduction]

2.2.6  Dans son document publié en janvier 2014, le UNHCR a désigné « les membres de groupes minoritaires comme les membres de la minorité religieuse chrétienne et les membres de clans minoritaires » étaient exposés à un risque en Somalie. [Non souligné dans l’original]

(DCT, dans le CND pour la Somalie (17 juillet 2015), rapport du Home Office du Royaume-Uni de mars 2015, point 1.18, Country Information and Guidance : South and central Somalia: Majority clans and minority groups (en anglais)).

[45]  Deuxièmement, puisque la SAR avait aussi décidé que la demanderesse n’est pas une personne d’intérêt pour Al‑Shabaab, elle a conclu à l’insuffisance de la preuve sur les allées et venues de la demanderesse de 2009 à 2012. Par conséquent, ni la SAR ni la SPR n’ont évalué les risques propres à la demanderesse, comme son âge, son sexe, sa santé et son soutien familial en Somalie.

[traduction]

Comme il est indiqué ci‑dessus, la SPR a conclu qu’elle ne disposait pas d’élément de preuve crédibles suffisants en fonction desquels évaluer le risque pour la demanderesse en raison de sa vulnérabilité et la SAR est d’accord. Vu l’absence de preuve sur les détails entourant le soutien familial ou communautaire, la SPR n'était pas bien placée pour fonder cette évaluation sur des faits adéquats. Qui plus est, la SAR est d’accord avec la SPR sur le fait que la preuve ne suffisait pas à convaincre qu’une femme Ashraf courrait un risque à Kismayo.

(Motifs de la SAR, au paragraphe 35)

[46]  Selon le Guide, la Cour conclut qu’il est important de tenir compte des circonstances propres à chaque cas, puisque chaque personne a une histoire; chaque personne a des antécédents et un bagage uniques. Qui plus est, la demanderesse elle‑même ignore peut‑être pourquoi elle craint d’être persécutée si elle retourne en Somalie. Vu les circonstances particulières en l’espèce, la SAR avait l’obligation d’évaluer le profil résiduel de la demanderesse. Le fait que la SAR ne croyait pas le récit de la demanderesse ne peut pas justifier ses raisons pour ne pas mener une évaluation complète du profil de la demanderesse, en ce qui concerne les conditions du pays actuelles disponibles dans la preuve documentaire objective :

[traduction]

Soins de santé mentale

14.15  Dans son rapport biennal sur la Somalie 2010‑2011, pu8blié en septembre 2012, l’Organisation mondiale de la Santé a précisé ce qui suit :

« Les conflits et l’instabilité qui perdurent ont eu de graves répercussions sur le bien‑être mental et psychologique des Somaliens. […] Bon nombre de Somaliens ont été battus, torturés, violés ou blessés de façon permanente. D’autres ont vu des proches ou des amis être victimes d’une violence horrible. »

(DCT, dans le CND pour la Somalie (17 juillet 2015), rapport du Home Office du Royaume-Uni en date du 5 août 2013, point 2.3, Somalia : Country of Origin Information Report (en anglais)).

Femmes

3.1.5  Les femmes rapatriées, en plus de faire l’objet de menaces particulières à leur personne dans les camps de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (surtout celles appartenant à des clans minoritaires), sont généralement plus susceptibles de courir un risque réel de violence sexuelle lorsqu’elles voyagent sans ami ou proche de sexe masculin. […] Pour les femmes seules et celles qui sont chef de famille et qui ne profitent pas de la protection d’un homme, surtout celles issues de clans minoritaires, aucune réinstallation à l’intérieur du pays ne serait offerte en l’absence de soutien familial nucléaire ou élargi important et une protection de clan qui fonctionne.

3.1.6  Les femmes ayant une crainte bien fondée de persécution en raison de leur sexe sont membres d’un groupe social particulier. Cela s’explique parce qu’elles font l’objet d’une discrimination dans des cas de droits fondamentaux de la personne et que l’état n’arrive pas à les protéger efficacement. [Non souligné dans l’original]

(DCT, dans le CND pour la Somalie (17 juillet 2015), rapport du Home Office du Royaume-Uni, point 1.13, Country Information and Guidance : Somalia (en anglais)).

[47]  La vie d’une personne est précieuse et la Cour conclut que la SAR n’a pas examiné entièrement la crainte de persécution en Somalie exprimée par la demanderesse, y compris son profil de femme âgée handicapée et de femme non accompagnée sans soutien familial en Somalie, en tenant compte des conditions du pays et des facteurs de risque liés à un retour possible dans des régions contrôlées par Al‑Shabaab.

52. La question de savoir si d’autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas, compte tenu de l’élément subjectif dont il a été fait mention dans les paragraphes précédents. Le caractère subjectif de la crainte d’être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l’intéressé. C’est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu’il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l’objet ou dont il redoute d’être l’objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l’interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.

53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l’objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s’ajouter dans certains cas d’autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d’insécurité dans le pays d’origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d’esprit qui permet raisonnablement de dire qu’il craint d’être persécuté pour des « motifs cumulés ». Il va sans dire qu’il n’est pas possible d’énoncer une règle générale quant aux « motifs cumulés » pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique.

66. Pour être considérée comme réfugié, une personne doit démontrer qu’elle craint avec raison d’être persécutée pour l’un des motifs énumérés ci-dessus [du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques]. Peu importe que ce soit pour un seul ou pour plusieurs de ces motifs. Souvent, la personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié peut n’avoir pas, elle-même, véritablement conscience des motifs pour lesquels elle craint d’être persécutée. Elle n’est cependant pas tenue d’analyser son cas au point de pouvoir identifier ces motifs de façon très précise.

67. C’est à l’examinateur qu’il appartient, lorsqu’il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l’intéressé craint d’être victime de persécutions et de décider s’il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s’agira d’un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu’il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l’évaluation du bien-fondé de ses craintes.

(Le Guide)

[48]  Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SAR n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

IX.  Conclusion

[49]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans IMM‑2359‑17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que le dossier est renvoyé à la SAR aux fins d’examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question grave de portée générale n’est à certifier. L’intitulé est par la présente modifié afin d’indiquer le demandeur approprié, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2359‑17

 

INTITULÉ :

AMINA HAJI ABBAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 DÉCEMBRE 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Lani Gozlan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Tessa Cheer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lani Gozlan

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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