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Date : 20171204


Dossier : IMM-2010-17

Référence : 2017 CF 1095

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ZAMAN ALI NOORI

TOORPAKAI NOORI

MAHMOODA NOOR

ZUBAIDULLAH NOORI

FARHANAZ NOORI

HABIBULLAH NOORI

FRISHTA NOORI

SAMEERA NOORI

NOORULLAH NOORI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 1er mars 2017 d’une agente d’immigration (l’agente) au Haut-commissariat du Canada à Islamabad, rejetant la demande de résidence permanente des demandeurs à titre de réfugiés au sens de la Convention, en raison de préoccupations relatives à la crédibilité qui ont émergé pendant l’entrevue des demandeurs qu’a menée l’agente (la décision).

[2]  Comme cela est expliqué plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée parce que les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions de l’agente concernant la crédibilité et son incapacité d’évaluer l’admissibilité au Canada étaient déraisonnables ou que des services d’interprétation inadéquats ont été fournis aux demandeurs pendant l’entrevue.

II.  Résumé des faits

[3]  Les demandeurs sont Zaman Ali Noori (le demandeur principal), son épouse et leurs sept enfants, qui sont des citoyens afghans. Bien que les demandeurs résident au Pakistan depuis 1997, leur statut dans ce pays n’est valide que jusqu’à la fin de 2017. Ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugiés au sens de la Convention depuis le Pakistan. Ils soutiennent que, pendant que le demandeur principal et son épouse, ainsi que leur fille aînée vivaient en Afghanistan, le frère du demandeur principal a été enlevé et n’a été relâché qu’une fois la rançon payée. Ils font valoir qu’ils ont fui l’Afghanistan parce que les talibans cherchaient le demandeur principal, parce que des membres de sa famille ont été battus lorsque les talibans n’ont pas pu le trouver et parce qu’ils craignent, d’une manière générale que leur vie soit en danger s’ils retournaient en Afghanistan, en raison de l’insécurité dans la région et de la persécution de leur ethnie et de leurs coreligionnaires dans ce pays. Le 27 février 2017, les demandeurs se sont présentés à une entrevue avec l’agente et ils ont bénéficié des services d’un interprète qui a traduit en anglais et en dari.

[4]  L’agente a conclu qu’il y avait des incohérences dans les déclarations du demandeur principal en ce qui a trait à son service militaire, et que sa description de l’enlèvement de son frère était incompatible avec le récit de l’événement fait par son frère aux autorités canadiennes lorsque ce dernier a lui-même présenté une demande d’asile au Canada. L’agente a fait part de ses préoccupations relatives à ces questions pendant l’entrevue, et le demandeur principal a eu l’occasion d’y répondre, mais les réponses n’ont pas dissipé les préoccupations de l’agente. L’agente n’était pas convaincue que le demandeur principal était admissible au statut de réfugié au sens de la Convention et qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada. Par conséquent, elle a rejeté sa demande.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[5]  Les demandeurs soumettent les questions suivantes à la Cour :

  1. L’agente a-t-elle tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité et à l’admissibilité en omettant de tenir compte des éléments de preuve et du fait qu’elle a mal compris la preuve?

  2. L’agente a-t-elle omis d’examiner les incohérences dans le témoignage du demandeur principal à la lumière de l’ensemble de la preuve et de la preuve objective?

  3. L’agente a-t-elle omis de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en n’offrant pas au demandeur principal une audience équitable et des services d’interprétation adéquats?

[6]  Il n’est pas controversé entre les parties que la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’équité procédurale est celle de la décision correcte, et que la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’appréciation de la preuve par l’agente et à la crédibilité du demandeur principal est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord.

IV.  Analyse

A.  L’agente a-t-elle tiré des conclusions erronées quant à la crédibilité et à l’admissibilité en omettant de tenir compte des éléments de preuve et du fait qu’elle a mal compris la preuve?

[7]  La décision indique que l’agente n’était pas convaincue que le demandeur principal était admissible au statut de réfugié au sens de la Convention et qu’il n’était pas interdit de territoire en raison de préoccupations découlant du fait qu’il n’avait pas dit la vérité pendant son entrevue. Les demandeurs attaquent principalement le sujet de cette entrevue; l’agente a posé des questions sur la formation sur les armes et sur leur utilisation pendant le service militaire du demandeur principal. Le Système mondial de gestion des cas (SMGC) indique que le demandeur principal a expliqué qu’il avait servi dans l’armée afghane deux fois, soit de 1983 à 1986 à Kandahar et de 1988 à 1991 à Baghlan. Il a déclaré qu’il n’avait suivi ou donné aucune formation sur les armes et lorsqu’on lui a demandé s’il avait déjà tiré des coups de feu, il a répondu par la négative et a affirmé qu’il n’avait touché à aucune arme pendant son entraînement. Le SMGC indique que l’agente a remis en question ce témoignage puisqu’elle estimait qu’il était difficile de croire que le gouvernement afghan recrute des soldats en temps de guerre sans leur offrir une formation sur les armes. Après qu’on lui eut rappelé de l’obligation de dire la vérité, le demandeur principal a déclaré que la deuxième fois qu’il a servi dans l’armée, il a appris comment utiliser un fusil d’assaut AK 47, mais uniquement pour l’ouvrir et que la première fois qu’il a servi dans l’armée, il a suivi une formation pour utiliser une « carabine » (l’agente a appris qu’il s’agissait d’une arme d’épaule par des recherches dans des sources ouvertes). Lorsqu’on lui a demandé s’il avait appris à tirer, il a répondu par l’affirmative; il avait suivi une formation de tir.

[8]  Plus tard pendant l’entrevue, l’agente a abordé de nouveau ce sujet, en expliquant ses préoccupations quant aux renseignements fournis par le demandeur principal et en donnant aux demandeurs l’occasion d’y répondre. Cette partie de l’entrevue a été consignée dans les notes du SMGC comme suit :

[traduction] [...] MOBILISATION MILITAIRE/FORMATION SUR LES ARMES Je vous ai demandé si vous aviez suivi ou donné une formation sur les armes pendant votre service militaire et vous avez répondu par la négative. Je vous ai demandé si vous aviez tiré des coups de feu et vous avez répondu que vous n’avez pas touché à une arme pendant l’entraînement. Vous n’avez admis que vous avez en fait suivi une formation sur les fusils d’assaut AK 47 et les carabines uniquement après avoir été interrogé à maintes reprises à ce sujet. Réponse du DP : À Kandahar, ils m’ont forcé. Vous avez déclaré plus tôt que votre premier service militaire était obligatoire et que le deuxième avait été forcé. Vous avez indiqué que la deuxième fois, ils vous ont forcé, est-ce exact? La situation de guerre existait lors de la première fois. J’ai servi pendant trois ans et mon entraînement était alors terminé. Après le service militaire, je devais passer trois ans à la maison et ensuite le deuxième entraînement était obligatoire. J’ai retardé pendant 18 mois et ils sont venus me chercher de force. Comment vous ont-ils pris de force? Le gouvernement venait chercher les gens dans leur maison et, lorsqu’il les trouvait, il les emmenait de force. Vous avez affirmé à maintes reprises que vous n’aviez jamais suivi une formation sur les armes et que vous n’aviez jamais tiré de coups de feu. En fait, après une série de questions, vous avez confirmé que vous aviez tiré des coups de feu. DP : Pendant mon entraînement, j’ai dû guider les nouvelles recrues : comment marcher, comment choisir des armes. Répète qu’il n’avait été ni honnête ni ouvert quant à sa mobilisation et sa formation sur les armes. DP : En ce qui concerne la première fois, nous n’avons suivi aucune formation sur les armes; nous n’avons appris que des outils de formation. Plus tôt, vous avez indiqué que vous aviez suivi une formation sur les fusils d’assaut AK 47, quand avez-vous suivi cette formation? La deuxième fois. Le formateur nous l’a enseigné. Ce qui me préoccupe, c’est que quand je répète les questions, vos réponses continuent de changer et que vous ne dites pas la vérité et n’êtes pas ouvert au sujet de la formation que vous avez suivie sur les armes.

[9]  Les demandeurs soutiennent qu’il y avait une certaine confusion à ce sujet et soulèvent la possibilité d’une mauvaise compréhension qui n’a jamais été clarifiée par l’agente. Ils soutiennent que l’agente faisait référence à la [traduction] « mobilisation militaire » alors que le demandeur principal faisait référence à [traduction] « la formation ou à l’entraînement » et a utilisé les expressions [traduction] « service militaire » et [traduction] « entraînement militaire » de manière interchangeable. Cet argument n’a guère de fondement. L’utilisation de l’expression [traduction] « mobilisation militaire » dans les notes du SMGC doit être interprétée comme une référence large au service du demandeur principal dans l’armée afghane. Le demandeur principal utilise parfois les termes [traduction] « entraînement » ou « formation » dans le même sens, c.-à-d. pour désigner son service militaire et parfois dans le sens d’une formation qu’il a suivie. Toutefois, les notes du SMGC n’indiquent aucune confusion découlant d’une telle utilisation des termes et elles n’appuient pas non plus une conclusion selon laquelle les incohérences dans le témoignage du demandeur principal découleraient d’une telle confusion.

[10]  Les demandeurs font également valoir que l’agente a abordé l’entrevue comme un contre‑interrogatoire plutôt qu’en donnant une possibilité concrète aux demandeurs de comprendre les préoccupations de l’agente et d’y répondre. Ils évoquent plus précisément le fait que l’agente a dit au demandeur principal qu’il avait déclaré à maintes reprises qu’il n’avait jamais suivi de formation sur l’utilisation d’une arme ou qu’il n’avait jamais tiré un coup de feu. Ils soutiennent que cela constitue une mauvaise interprétation de la preuve, en faisant valoir que l’agente avait répété à maintes reprises ses questions à ce sujet et que le demandeur principal n’a donné cette réponse qu’une seule fois.

[11]  Les notes du SMGC indiquent que le demandeur principal a d’abord déclaré qu’il n’avait donné ou suivi aucune formation sur les armes et, ensuite, qu’il n’avait jamais tiré de coup de feu ni touché à une arme pendant son entraînement. Cette preuve serait peut-être mieux décrite comme des déclarations successives au même effet, plutôt qu’une répétition de la même déclaration. Toutefois, les notes du SMGC ne démontrent pas que la qualification de l’agente de cette preuve a causé une confusion chez le demandeur principal.

[12]  Je n’interprète pas non plus ces notes comme une démonstration que l’agente a traité le demandeur principal de manière inappropriée par sa façon de l’interroger. Au contraire, elles indiquent que l’agente avait initialement conclu que le témoignage du demandeur principal quant à son manque d’implication avec les armes à feu était invraisemblable. L’agente a donc poursuivi son interrogatoire, ce qui a donné lieu à ce que l’agente considère comme un témoignage incohérent, à la suite duquel le demandeur a eu la possibilité d’expliquer les incohérences. L’évaluation de l’agente de cette composante de l’entrevue est consignée dans les notes du SMGC comme suit :

[traduction] MOBILISATION MILITAIRE/FORMATION SUR LES ARMES Le demandeur a déclaré qu’il a servi dans l’armée afghane deux fois, soit de 1983 à 1986 (Kandahar) et de 1988 à 1991 (Baghlan). Le demandeur affirme que pendant sa deuxième période de service, il a travaillé au centre d’entraînement pour former les recrues. Il déclare que, pendant son service militaire, il n’a suivi ou donné aucune formation sur les armes. Il affirme qu’il n’a jamais tiré de coup de feu et qu’il n’a jamais touché à une arme pendant son entraînement. Le demandeur a admis, uniquement après avoir été interrogé à maintes reprises à ce sujet, avoir suivi une formation sur l’utilisation d’un fusil d’assaut AK 47 et d’une carabine (arme d’épaule) et qu’il avait appris à tirer.

[13]  Je ne constate aucune inexactitude dans ce résumé de la preuve ni aucun élément déraisonnable dans la conclusion subséquente de l’agente, selon laquelle les incohérences dans le témoignage du demandeur principal et le manque de franchise à des questions posées à maintes reprises soulèvent des préoccupations quant à la véracité de son témoignage.

[14]  Les demandeurs soutiennent également que l’agente a omis de tenir compte des éléments de preuve documentaire que représentent sa carte ou certificat militaire et sa carte d’identité nationale que le demandeur principal a présentées à l’ambassade du Canada le jour de son entrevue. Je souligne qu’à l’audience devant la Cour, les parties ont formulé différentes thèses quant à savoir si l’agente était ou aurait dû être saisie de ces éléments de preuve documentaire. Le défendeur indique que ces documents ne font pas partie du dossier certifié du tribunal. Toutefois, le demandeur principal déclare dans l’affidavit qu’il a déposé ces documents à un agent à l’ambassade du Canada le jour de l’entrevue à l’appui de sa demande.

[15]  Indépendamment de la question de savoir si l’agente a bien reçu ces documents, je conclus qu’ils sont peu pertinents en ce qui concerne les préoccupations de l’agente relatives à la crédibilité du demandeur principal. La traduction anglaise de la carte d’identité nationale ne comprend aucun renseignement sur l’utilisation d’armes. Les demandeurs indiquent que la carte ou le certificat militaire comporte des colonnes intitulées [traduction] « Réception » et [traduction] « Retour » des armes, qui étaient toutes deux laissées en blanc. Cependant, il est difficile de voir comment ce document pourrait être pertinent pour répondre à la question de savoir si le demandeur principal a suivi une formation sur l’utilisation d’armes ou, plus important encore, s’il a témoigné de manière incohérente à ce sujet.

[16]  Je prends également acte de l’observation des demandeurs, affirmant qu’ils n’ont pas essayé de cacher le service militaire du demandeur principal. Ils soutiennent que, dans son évaluation de la crédibilité du demandeur principal, l’agente aurait dû tenir compte de cette franchise, ainsi que du faible niveau de sophistication du demandeur principal, de ses antécédents scolaires équivalant à la sixième année, et du fait que presque 30 ans s’étaient écoulés depuis son service militaire. Même s’il s’agit d’arguments valables à prendre en considération, le fait que l’agente n’y fait pas référence expressément dans les notes du SMGC ou dans sa décision ne constitue pas un fondement pour conclure que la décision ne fait pas partie des issues raisonnables et acceptables et qu’elle est donc déraisonnable.

[17]  Enfin, les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’a posé aucune question au demandeur principal quant à son admissibilité au Canada et n’a effectué aucune analyse de son admissibilité. En ce qui concerne cette thèse, le défendeur soutient que les incohérences dans le témoignage du demandeur principal ont suscité suffisamment de préoccupations chez l’agente quant à la véracité de son témoignage au point qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre l’examen et que l’agente n’était pas en mesure de mener une évaluation de l’admissibilité.

[18]  Je souscris à la description du défendeur de cet aspect de la décision. Les notes du SMGC indiquent explicitement que les incohérences cernées par l’agente dans le témoignage du demandeur principal et son manque de franchise en répondant aux mêmes questions posées à plusieurs reprises ont suscité des préoccupations quant à la véracité du reste de son témoignage pendant l’entrevue. Les notes indiquent que, en conséquence, l’agente n’a pas été convaincue que le demandeur principal avait la qualité de réfugié et qu’il n’était pas interdit de territoire. Un agent d’immigration peut rejeter une demande sans avoir à porter une conclusion d’interdiction de territoire au motif qu’il n’est pas en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire (voir Ramalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 278, au paragraphe 37). Si un demandeur ne dit pas la vérité, cela peut miner la fiabilité de l’ensemble de son témoignage et un agent pourrait ne pas être en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire (Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, au paragraphe 33).

[19]  Il convient de noter que les conclusions de l’agente quant aux incohérences découlant de l’entrevue du demandeur principal s’étendaient au-delà de son témoignage portant sur l’utilisation d’armes. L’agente était également préoccupée par la description de l’enlèvement de son frère qui était incompatible avec celle du frère. Contrairement à ce qu’il avait indiqué à l’agente pendant l’entrevue, le demandeur principal déclare, dans son affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il n’était pas présent lorsque son frère a été capturé par les talibans. Il indique que, lorsque l’agente lui a posé une question concernant l’endroit où l’incident est survenu, il ne savait pas, il ne pouvait pas répondre et a dit à l’agente qu’il avait oublié. Cependant, lorsque l’agente a insisté sur ce point, il a indiqué que son frère avait été enlevé à l’extérieur de leur magasin.

[20]  Le défendeur soutient, à bon droit, que cette explication ne fait pas partie de la preuve dont était saisie l’agente et ne peut donc pas être prise en considération dans l’évaluation du caractère raisonnable de la décision de l’agente. L’agente a donné au demandeur principal l’occasion de corriger cette incohérence particulière, mais il n’a pas donné d’explication. En outre, même s’il était approprié de tenir compte de cette explication figurant dans l’affidavit du demandeur principal, je ne peux conclure que cet aveu, selon lequel il a donné à l’agente des renseignements inexacts, peut lui être utile pour attaquer le caractère raisonnable des conclusions de l’agente quant à sa crédibilité, et son incapacité subséquente à déterminer s’il était interdit de territoire.

B.  L’agente a-t-elle omis d’examiner les incohérences dans le témoignage du demandeur principal à la lumière de l’ensemble de la preuve et de la preuve objective?

[21]  Les demandeurs soutiennent que, indépendamment de la crédibilité du demandeur principal, l’agente devait évaluer leur admissibilité au statut de réfugié au sens de la Convention en raison de leur ethnicité hazara et de leur religion chiite, qui, selon les affirmations dans leur demande, les exposait à de la persécution en Afghanistan. Les demandeurs font également référence à la préoccupation concernant la sécurité de leurs enfants et indiquent que l’agente n’a pas remis en question le témoignage du demandeur principal portant sur la perquisition effectuée par les talibans dans sa maison, et le fait que des membres de sa famille ont été battus avant leur départ à destination du Pakistan.

[22]  Les demandeurs ont raison de soutenir que l’agente n’a pas effectué une analyse de ces affirmations ni une évaluation quant à savoir si elles étaient étayées par la preuve sur la situation dans le pays. Toutefois, tel que cela a été analysé ci-dessus, l’agente n’était pas en mesure de conclure que le demandeur n’était pas interdit de territoire au Canada, en raison de ses préoccupations quant à la véracité de son témoignage. Vu que les demandeurs n’ont pas obtenu gain de cause en ce qui concerne le caractère raisonnable de cette conclusion, ils ne peuvent pas être admissibles au statut de réfugié au sens de la Convention et je ne peux pas conclure que la décision était déraisonnable puisque l’agente n’a pas analysé le risque de persécution invoqué en raison de l’ethnicité et des croyances religieuses des demandeurs.

C.  L’agente a-t-elle omis de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en n’offrant pas au demandeur principal une audience équitable et des services d’interprétation adéquats?

[23]  Les demandeurs n’ont pas invoqué ce motif particulier d’examen à l’audience de la présente demande. Toutefois, dans leurs observations écrites, ils soutiennent qu’il ressort clairement des notes du SMGC que le demandeur principal ne comprenait pas la langue anglaise dans laquelle l’agente a mené l’entrevue et que l’interprétation entre l’anglais et le dari était inadéquate. Le demandeur principal déclare, dans son affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il avait des doutes sur la qualité de l’interprétation et que l’interprète communiquait avec lui en dari, mais parfois également en pachtou et en urdu lorsqu’il cherchait les mots pour traduire les questions posées par l’agente. Il déclare également que, lorsqu’il a dit à l’interprète que les talibans, qui sont des sunnites et des pashtounes, persécutaient les demandeurs parce qu’ils sont des Hazaras et des chiites, son expression faciale a changé et le demandeur principal a pensé que l’interprète était insulté par son affirmation. Même si l’agente n’a pas été saisie de cet élément de preuve, il porte sur une question liée à l’équité procédurale et j’estime donc qu’il est approprié que la Cour en tienne compte dans son évaluation des observations des demandeurs ayant trait à cette question.

[24]  Dans l’affaire Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161, au paragraphe 3, le juge Lemieux a résumé les principes qui régissent la qualité requise de l’interprétation énoncés dans l’arrêt Mohammadian c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CAF 191 [Mohammadian] :

  1. L’interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante.

  2. Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice réel pour obtenir une réparation.

  3. L’interprétation doit être adéquate, mais n’a pas à être parfaite. Le principe le plus important est la compréhension linguistique.

  4. Il y a renonciation au droit lorsque la qualité de l’interprétation n’est pas contestée par le demandeur à la première occasion, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre.

  5. La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée à l’égard de la mauvaise qualité de l’interprétation est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas.

  6. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion.

[25]  Même si les demandeurs soutiennent maintenant que de nombreuses erreurs sont évidentes dans les notes du SMGC, ils n’indiquent aucun élément particulier des notes pour signaler de telles erreurs. Les notes indiquent elles-mêmes certains cas où il y avait un problème de compréhension ou de traduction d’une question. Toutefois, les notes démontrent que l’agente était au courant du problème dans ces cas isolés, et j’estime qu’ils ne représentent pas un motif pour conclure que les demandeurs ont obtenu des services de traduction qui ne répondaient pas aux exigences énoncées dans l’arrêt Mohammadian.

[26]  De plus, le demandeur principal a expressément confirmé à l’agente au début de l’entrevue qu’il comprenait l’interprète. Après que l’agente eut donné des directives quant à la façon dont l’entrevue allait être menée, il a encore confirmé qu’il comprenait ces directives et comprenait entièrement l’interprète. Le demandeur principal soutient maintenant qu’il y avait des problèmes quant à la qualité de l’interprétation et soulève une préoccupation supplémentaire qui met en doute l’objectivité de l’interprète. Toutefois, le demandeur principal n’a soulevé aucune de ces préoccupations pendant l’audience. Dans ses observations écrites, il soutient qu’il ne pouvait pas les soulever en raison des obstacles linguistiques et du fait qu’il se sentait dépassé par le changement de langage corporel de l’interprète lorsqu’il a fait référence au traitement qu’ont subi les Hazaras et les chiites par les talibans. Je suis d’avis que si le demandeur principal avait de telles préoccupations pendant l’entrevue, il était raisonnable qu’il les soulève à ce moment-là. Tel que cela est expliqué dans l’arrêt Mohammadian, l’intéressé est toujours celui qui est le mieux placé pour savoir si l’interprétation est exacte et pour faire savoir, au cours de l’audience, que la question de l’exactitude le préoccupe, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l’empêchent de le faire. Les arguments des demandeurs n’étayent pas la conclusion selon laquelle il existait des circonstances exceptionnelles liées à l’entrevue qui justifieraient une dérogation à ce principe.

[27]  Je conclus donc qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale qui justifierait que notre Cour intervienne à l’égard de la décision en raison de services inadéquats d’interprétation.

V.  Conclusion

[28]  Puisque les arguments des demandeurs n’ont établi aucune erreur susceptible de contrôle qu’aurait commise l’agente, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune n’est formulée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2010-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2010-17

INTITULÉ :

ZAMAN ALI NOORI, TOORPAKAI NOORI, MAHMOODA NOOR, ZUBAIDULLAH NOORI,

FARHANAZ NOORI, HABIBULLAH NOORI,

FRISHTA NOORI, SAMEERA NOORI,

NOORULLAH NOORI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 4 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

POUR LES DEMANDEURS

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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