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Date : 20171205


Dossier : IMM-1801-17

Référence : 2017 CF 1089

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

WANLING HE

WEIXUAN LIU

HONGLI LIU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, un couple originaire de la Chine et leur fils mineur, demandent l’asile au Canada en tant qu’adeptes du Falun Gong, parce qu’ils ont une crainte subjective et objective d’être exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution, au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, s’ils devaient être forcés de retourner en Chine. Le présent contrôle vise la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), datée du 28 mars 2017, par laquelle la demande d’asile des demandeurs a été rejetée pour le motif qu’ils ne sont pas crédibles.

[2]  Les demandeurs ont déclaré devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) qu’ils craignaient d’être persécutés en Chine parce que le Bureau de la sécurité publique (le PSB) a appris qu’ils étaient des adeptes du Falun Gong. En raison de cette crainte, les demandeurs ont engagé un passeur et ont quitté la Chine avec leurs propres passeports.

[3]  La Section d’appel des réfugiés a souligné que la Section de la protection des réfugiés a tiré la conclusion suivante au sujet de la sortie des demandeurs de Chine :

[TRADUCTION]

La Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de la capacité des appelants à sortir de la Chine au moyen de passeports authentiques à leurs noms, étant donné qu’ils ont allégué que le PSB les pourchassait activement afin de les arrêter parce qu’ils sont des adeptes du Falun Gong. La Section de la protection des réfugiés a conclu que, malgré les allégations des appelants selon lesquelles ils avaient eu recours à un passeur, il n’était pas vraisemblable qu’ils aient réussi à éviter toutes les mesures de sécurité en place.

[Décision, au paragraphe 11, p. 10]

[4]  La Section d’appel des réfugiés a souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs ne pouvaient avoir quitté la Chine avec leurs propres passeports, étant donné les allégations que le PSB voulait les arrêter. La Section d’appel des réfugiés a tiré les conclusions suivantes :

 [TRADUCTION]

Des éléments de preuve documentaire révèlent que le gouvernement de la Chine possède un réseau informatique national connu sous le nom de projet Bouclier d’or et que le PSB a accès à une base de données de surveillance policière nationale qui contient des renseignements sur les fugitifs criminels ainsi que sur les passeports, les entrées et les sorties. Le Bouclier d’or comporte des mécanismes approfondis de suivi et de contrôle, y compris une technologie de surveillance de la reconnaissance faciale.

De plus, la Section d’appel des réfugiés fait observer, après avoir examiné et apprécié les éléments de preuve, que, selon la loi sur la gestion des sorties et des entrées de la Chine, entrée en vigueur le 1er juillet 2013, les citoyens chinois qui sortent de la Chine ou qui y entrent doivent présenter leur titre de sortie/d’entrée, comme leur passeport ou tout autre titre de voyage, aux agents des services d’inspection à la frontière à des fins d’examen, puis suivre les formalités réglementaires; une fois la vérification passée et l’approbation obtenue, ils peuvent sortir ou entrer. Selon les éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation au dossier, un représentant de l’ambassade du Canada a déclaré que, au moment de son départ à l’aéroport, une personne pouvait se voir demander son passeport quatre fois.

[Décision, aux paragraphes 15 et 16, p. 11]

[5]  La Section d’appel des réfugiés a souligné qu’un élément de preuve documentaire précisait que les citoyens chinois n’ont pas le droit de sortir de la Chine s’ils sont suspects ou défendeurs dans une affaire criminelle, s’ils ont été déclarés coupables de crime ou s’ils sont recherchés par les autorités. La Section d’appel des réfugiés a précisé que le Bouclier d’or a également servi à localiser des adeptes du Falun Gong. La Section d’appel des réfugiés a admis que les demandeurs avaient payé un passeur pour les aider à sortir de la Chine, mais a conclu qu’il était néanmoins « fortement improbable » qu’ils aient pu éviter tous les contrôles de sécurité en place. La Section d’appel des réfugiés a ensuite rendu la conclusion suivante fondée sur une hypothèse :

[TRADUCTION]

La Section d’appel des réfugiés estime, à la lumière de l’allégation des appelants selon laquelle ils étaient recherchés par les autorités chinoises et à la lumière des éléments de preuve montrant la poursuite énergique du PSB, qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités locales aient saisi les renseignements relatifs aux appelants dans la base de données pour persévérer dans leurs efforts visant l’arrestation des appelants.

[Non souligné dans l’original.]

[Décision, au paragraphe 36, p. 18]

[6]  La Section d’appel des réfugiés a également conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Après avoir examiné et apprécié les éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés souscrit aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés et ne trouve ni crédible ni plausible le fait que les appelants aient pu quitter la Chine au moyen de leurs véritables passeports. La Section d’appel des réfugiés considère que la capacité des appelants à sortir de la Chine mine leur allégation selon laquelle ils étaient recherchés par le PSB.

[Non souligné dans l’original.]

[Décision, au paragraphe 38, p. 18 et 19]

[7]  Le juge Muldoon expose le droit relatif à la conclusion d’invraisemblance dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 6 et 7 :

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

[voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Une inférence est une conclusion tirée en fonction des éléments de preuve et de la logique. Une conclusion que l’on pourrait raisonnablement considérer comme telle dans une situation donnée n’est pas établie de manière hypothétique; elle est établie selon la prépondérance des probabilités en fonction d’éléments de preuve solides et vérifiables.

[9]  Pour une personne qui pratique le Falun Gong et qui a été persécutée par le PSB ou la police, deux inférences sont possibles concernant le fait que cette personne n’ait pas été arrêtée au moment de passer les mesures de sécurité dans un aéroport en Chine avec son véritable passeport : soit cette personne ment au sujet du fait qu’elle pratique le Falun Gong, soit aucun dossier n’existe sur elle dans le système du Bouclier d’or. Par conséquent, il n’est pas possible de supposer que seule la première des deux conclusions possibles est vraie.

[10]  En l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve permettant de conclure qu’un dossier a été établi à la suite d’un contact du PSB avec les demandeurs, ni aucun élément de preuve permettant de conclure qu’un tel dossier a été inscrit au système du Bouclier d’or, ou qu’il existe un dossier dans le système du Bouclier d’or portant sur les demandeurs.

[11]  Comme la Section d’appel des réfugiés ne disposait d’aucun fondement probatoire fiable et vérifiable pour tirer la très importante conclusion d’invraisemblance exposée au paragraphe 6 ci-dessus, j’estime que la décision visée par le présent contrôle est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la décision visée par le contrôle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour réexamen.

Aucune question n’est certifiée.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1801-17

 

INTITULÉ :

WANLING HE, WEIXUAN LIU, HONGLI LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 5 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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