Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20171214


Dossier : IMM-1637-17

Référence : 2017 CF 1150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

JASKARAN SINGH

JASKIRAN KAUR BAINS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision datée du 28 mars 2017 (la décision) rendue par un agent du Centre de traitement des demandes de Mississauga d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent) par laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur.

II. RÉSUMÉ DES FAITS

[2] Les demandeurs, mari et femme, résident au Canada. Ils se sont mariés en juillet 2015. La demanderesse, Jaskiran Kaur Bains, est citoyenne canadienne, tandis que le demandeur, Jaskaran Singh, est arrivé au Canada en provenance de l’Inde en tant qu’étudiant en 2011. Après leur mariage, la demanderesse a parrainé le demandeur pour qu’il obtienne la résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

[3] En 2014, le demandeur a été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies en application de l’alinéa 253(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c C- 46 (le Code criminel). Les demandeurs ont été informés que le demandeur pourrait être interdit de territoire au Canada pour motif de criminalité lors du rejet de sa demande de permis de travail, en juin 2016. Les demandeurs ont donc présenté une demande d’examen au ministre aux fins de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[4] La décision présente d’abord les dispositions de la Loi applicables à la demande présentée par les demandeurs et conclut ensuite que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour motif de criminalité. La condamnation du demandeur en application de l’alinéa 253(1)a) du Code criminel est une infraction punissable par mise en accusation. Il est donc interdit de territoire en application de l’alinéa 36(2)a) de la Loi.

[5] Par la décision, la demande de contrôle judiciaire pour motifs d’ordre humanitaires présentée par les demandeurs en application du paragraphe 25(1) de la Loi est également rejetée parce que l’agent n’était pas convaincu que des circonstances exceptionnelles justifiaient d’accorder le statut de résident permanent.

[6] Même si la participation du demandeur à deux programmes de réhabilitation est considérée comme favorable et que l’agent retient l’idée qu’elle représente [traduction] « un poids considérable » dans une demande de réhabilitation, il n’a pas jugé qu’elle permettait à elle seule de justifier une exemption à la Loi. L’agent était convaincu que le demandeur ne posait pas de risque et qu’il était improbable qu’il récidive; il a toutefois conclu que les demandeurs n’avaient pas expliqué en quoi il s’agissait d’une situation exceptionnelle exigeant une exemption.

[7] L’agent conclut que les demandeurs pourraient réintégrer la société indienne. L’agent ne doute aucunement de l’authenticité de la relation des demandeurs, mais il précise qu’ils sont tous deux nés en Inde et que les parents du demandeur y habitent toujours. L’agent est convaincu que le demandeur, qui connaît la langue et la culture indiennes, [traduction] « ne retournerait pas dans un endroit, dont il ne connaît ni la culture ni la langue ».

[8] Selon les renseignements indiqués dans la demande présentée par les demandeurs, l’agent soupçonne que le demandeur travaillait au Canada sans autorisation appropriée et il conclut qu’il a [traduction] « peu de respect pour les lois et les règlements en matière d’immigration ». L’agent fonde cette conclusion sur le feuillet T4 pour l’année d’imposition 2015 présenté par les demandeurs. Le demandeur ne possédait plus de permis de travail valide après le 6 juin 2016, lorsqu’on a refusé de lui en délivrer un en raison de son interdiction de territoire au Canada. L’agent conclut que la capacité alléguée du demandeur à se trouver un emploi au Canada même s’il ne possède plus de permis de travail valide prouve qu’il peut s’adapter dans des pays étrangers.

[9] L’agent précise que le demandeur a reçu un permis de résident temporaire le 4 mars 2017. Puisque ce permis est valide jusqu’au 28 février 2020, l’agent indique que le demandeur n’aura pas à quitter le Canada immédiatement et qu’il peut présenter une demande de réhabilitation ou de suspension de son casier judiciaire.

[10] Étant donné que le demandeur est interdit de territoire en application de l’alinéa 36(2)a) de la Loi et que l’agent conclut à l’absence de motifs d’ordre humanitaire suffisant à surmonter cette interdiction, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente.

IV. QUESTIONS

[11] Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

  1. L’agent a-t-il fait fi des éléments de preuve ou a-t-il hasardé des conjectures dans sa décision?

  2. Le défaut de l’agent de donner aux demandeurs une occasion de dissiper ses préoccupations constitue-t-il un manquement au principe d’équité procédurale?

  3. La décision omet-elle de tenir compte de l’objet de la Loi en concluant que les demandeurs pourraient vivre en Inde?

V. NORME DE CONTRÔLE

[12] Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie par la jurisprudence, la cour réformatrice peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour réformatrice doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[13] La norme de contrôle applicable à l’étude des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 164, au paragraphe 17).

[14] La deuxième question soulevée par les demandeurs en est toutefois une qui porte sur l’équité procédurale. Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

[15] Lorsqu’une décision est examinée en regard de la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16] Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Objet en matière d’immigration

Objectives — immigration

3 (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

3 (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

...

...

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

(d) to see that families are reunited in Canada;

...

...

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

...

...

Criminalité

Criminality

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

36 (2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;

...

...

VII. THÈSES DES PARTIES

A. Demandeurs

[17] Les demandeurs soutiennent que la décision ne tient pas compte des éléments de preuve et qu’elle hasarde des conjectures sans fondement. Les demandeurs contestent quatre conclusions tirées par l’agent, qui, selon eux, ne tiennent pas compte de leurs observations et se fondent sur des hypothèses erronées. La conclusion selon laquelle les demandeurs pourraient retourner en Inde ensemble parce qu’ils y sont nés et qu’ils parlent la langue ne tient pas compte du fait que la demanderesse habite au Canada depuis sa petite enfance, qu’elle ne connaît aucunement la vie en Inde et qu’elle n’en parle pas la langue. La conclusion selon laquelle les demandeurs ne subiraient pas de difficultés s’ils étaient séparés ne tient pas compte du fait qu’ils ont récemment acheté une maison ensemble, qu’ils sont interdépendants financièrement et qu’ils essaient d’avoir un enfant. La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur a travaillé illégalement au Canada était erronée, puisqu’il possédait un permis d’études l’autorisant à travailler. Et la conclusion selon laquelle le demandeur pourrait se trouver un emploi en Inde ne tient pas compte du fait que sa position dans le système de caste et sa religion minoritaire lui permettent difficilement d’obtenir un bon emploi.

[18] Dans l’affaire Dhudwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1124, le juge Harrington a conclu qu’une décision qui repose sur des « insinuations et des spéculations » était déraisonnable parce que rien au dossier ne justifiait les inférences du décideur. Les demandeurs affirment que l’agent a hasardé une conjecture semblable lorsqu’il a exprimé des spéculations erronées au lieu d’apprécier les éléments de preuve présentés par les demandeurs au pied de la lettre (Guzman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 899, au paragraphe 31; Paulino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 542).

[19] Les demandeurs font valoir que l’agent les a privés de leur droit à l’équité procédurale en refusant leur demande en raison de préoccupations quant à la véracité des éléments de preuve qu’ils ont présentés, sans leur donner la possibilité de dissiper ces préoccupations. Ils affirment que l’agent remet en question les éléments de preuve présentés par le demandeur, selon lesquels une séparation constituerait une difficulté considérable pour les demandeurs si le demandeur devait retourner en Inde. Les demandeurs de résidence permanente doivent avoir une occasion réelle de répondre lorsque « l’agent des visas a des doutes quant à la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande » (Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24; Salman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 877, au paragraphe 12; Olorunshola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1056, aux paragraphes 33 et 34; John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 257).

[20] Les demandeurs indiquent également que la décision ne tient pas compte d’un objet principal de la Loi puisque l’agent conclut que les demandeurs pourraient retourner en Inde et y vivre ensemble. Le paragraphe 3(d) de la Loi indique que l’un de ses objets est de « veiller à la réunification des familles au Canada ». Les demandeurs affirment que l’affaire Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 206, au paragraphe 25, enseigne que le défaut de tenir compte de cet objet peut rendre une décision déraisonnable. Les demandeurs ont souligné qu’ils habitent au Canada, que la demanderesse est citoyenne canadienne et que l’agent devait évaluer la demande d’immigration au Canada et non en Inde.

[21] En réplique à l’observation du défendeur selon laquelle le demandeur n’a pas à solliciter l’octroi d’une mesure spéciale exceptionnelle en application du paragraphe 25(1) de la Loi, les demandeurs affirment que le demandeur n’est pas admissible à une suspension de son casier judiciaire, à un pardon ou à une réhabilitation parce que cinq années ne se sont pas encore écoulées depuis sa condamnation en mai 2014. C’est l’impossibilité pour le demandeur de se prévaloir de ces solutions subsidiaires qui a mené les demandeurs à solliciter un contrôle judiciaire pour motifs d’ordre humanitaire.

[22] Les demandeurs demandent donc à la Cour d’ordonner le renvoi de la décision aux fins de nouvel examen par un agent d’immigration différent.

B. Défendeur

[23] Le défendeur soutient que la conclusion déterminante de l’agent réside dans le fait que le demandeur dispose d’autres options pour obtenir sa résidence permanente en application de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et qu’il n’a pas à invoquer une dispense exceptionnelle pour des motifs d’ordre humanitaire. Le fait d’invoquer le paragraphe 25(1) de la Loi est une mesure exceptionnelle, qui ne doit pas être utilisée comme une autre façon de demander la résidence permanente au Canada (Marteli Medina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 504, au paragraphe 54; Mikhno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 386, au paragraphe 25; Barrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 962, au paragraphe 27.) Le défendeur réplique que les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi le demandeur est incapable de présenter une demande de réhabilitation ou de suspension de son casier judiciaire pendant qu’il se trouve au Canada en application de son permis de résident temporaire. Par conséquent, la cause présentée par les demandeurs ne requiert pas une exception en application du paragraphe 25(1) de la Loi.

[24] Le défendeur demande donc à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

VIII. ANALYSE

[25] Les demandeurs soulignent, à juste titre, que l’agent commet une erreur de fait lorsqu’il affirme que le demandeur [traduction] « travaillait sans autorisation ». Les éléments de preuve au dossier indiquent clairement que le demandeur travaillait légalement au Canada puisque son permis d’études le lui permettait.

[26] Dans leur demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs ont mis l’accent sur leur situation au Canada; ils n’ont présenté que très peu d’éléments de preuve démontrant qu’ils subiraient d’autres difficultés en Inde, outre le fait de quitter le Canada. À titre d’exemple, le demandeur explique maintenant dans l’affidavit qui m’est présenté, que sa femme habite au Canada depuis l’âge de six ans, qu’elle ne connaît aucunement la vie en Inde et qu’elle ne maîtrise pas la langue du pays. Ces renseignements n’ont toutefois pas été mentionnés dans les observations présentées dans la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire, où les demandeurs indiquent simplement que [traduction] « Mme Bains travaille également et a une famille au Canada, famille qu’elle ne pourrait plus voir si elle devait vivre à l’étranger avec M. Singh ». Il n’a jamais été avancé qu’elle ne connaissait ni la langue ni la culture indiennes et qu’elle subirait des difficultés là-bas outre le fait de devoir quitter le Canada, où elle a grandi et où sa famille habite toujours. Toutefois, en lisant la décision attentivement, il est évident que l’agent ne mentionne pas que la demanderesse connaît la langue et la culture indiennes. Il indique que c’est le cas du demandeur : [traduction] « Je note également que vous connaissez la culture et la langue, ce qui vous aidera à retourner dans votre pays d’origine ». Le terme « votre » fait référence au demandeur, tout comme lorsque l’agent indique [traduction] « vos parents y habitent actuellement ». C’est évident, parce que la décision vise Jaskaran Singh, le demandeur, et non les deux demandeurs.

[27] Les commentaires de l’agent sur les difficultés que les demandeurs pourraient subir en Inde sont, pour la plupart, fonction du manque d’éléments de preuve et d’observations présentés par les demandeurs. Leurs observations sont axées sur leur établissement au Canada et sur les difficultés liées au fait de quitter le pays; toutefois, dans le cas d’une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit aussi tenir compte des difficultés auxquelles seront exposés les demandeurs dans le pays où ils retourneront.

[28] Je retiens, cependant, l’idée que la conclusion de l’agent, fondée sur l’hypothèse erronée selon laquelle le demandeur n’a pas le droit de travailler au Canada, semble avoir un poids important dans la décision parce que l’agent indique que [traduction] « [c]ela me porte à croire que vous travailliez sans autorisation. Vu cette information, il semble que vous n’avez que peu de respect pour les lois et les règlements en matière d’immigration » [non souligné dans l’original]. Le dossier dont je suis saisi me porte à croire que le demandeur a respecté minutieusement les « lois et règlements en matière d’immigration ». Toutefois, cette erreur et les allégations de spéculation exprimées par les demandeurs suffisent-elles à rendre cette décision déraisonnable?

[29] Je ne le crois pas, parce que la décision se fonde véritablement sur le fait que le demandeur n’a pas besoin d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire et n’y a pas droit au point où il en est pour faire avancer sa demande de résidence permanente, même si l’agent a fait une certaine évaluation des facteurs habituels dans une demande de résidence permanente, comme l’établissement et les difficultés.

[30] Lorsqu’il a abordé les facteurs liés aux difficultés, l’agent indique que [traduction] « selon ces facteurs, je ne crois pas qu’il serait difficile pour vous ou votre épouse de vous établir en Inde si vous décidiez de partir » [non souligné dans l’original].

[31] La conséquence évidente ici est que ni le demandeur ni la demanderesse n’ont à quitter le Canada; l’agent reprend d’ailleurs ce facteur plus loin dans sa décision, lorsqu’il présente les points suivants : [traduction]

Vous avez récemment reçu un permis de séjour temporaire le 4 mars 2017, qui est valide jusqu’au 28 février 2020. Vu cette information, si votre demande était rejetée, vous ne seriez pas tenu de quitter le Canada immédiatement. Votre statut de résident temporaire au Canada vous permet de présenter une demande de réhabilitation conformément aux règlements d’immigration, ou une demande de suspension de votre casier judiciaire.

Je précise que l’octroi d’une exception pour motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à contourner le processus de sélection pour entrer au Canada en tant que résident permanent; il survient plutôt dans des cas exceptionnels où la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et son règlement actuels ne prévoient pas d’autre option. Je ne conclus pas à l’existence de circonstances exceptionnelles dans cette affaire. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire pour motifs d’ordre humanitaire présentée afin de surmonter votre interdiction de territoire au Canada pour motif de criminalité.

[32] Autrement dit, les facteurs des difficultés liés au fait de quitter le Canada et leur incidence sur la demanderesse et l’intention des demandeurs de fonder une famille n’entrent pas en jeu dans la présente affaire parce que l’on n’a pas demandé au demandeur de quitter le Canada et qu’il est possible qu’il n’ait jamais à le faire. En fait, nonobstant sa condamnation criminelle et son incapacité temporaire à présenter une demande de résidence permanente, le demandeur a reçu un permis de séjour de trois ans lui permettant de demeurer au Canada. Donc, nonobstant sa condamnation criminelle qui empêchait son parrainage à des fins de résidence permanente, le système avait déjà offert au demandeur une façon de surmonter ce problème sous la forme d’un permis de résident temporaire d’une durée maximale, qui lui permettra de poursuivre sa vie au Canada et de [traduction] « présenter une demande de réhabilitation conformément aux règlements d’immigration ou de solliciter une suspension de son casier judiciaire ». Autrement dit, rien ne porte à croire que le demandeur sera incapable, s’il suit le processus à sa disposition, d’atteindre ses objectifs de résidence permanente à un moment donné à l’avenir. Il est évident que l’incertitude inhérente à ce processus inquiète le demandeur et qu’il aimerait maintenant apaiser son anxiété en obtenant une exception pour motifs d’ordre humanitaire. C’est toutefois sa propre conduite criminelle qui a donné lieu à cette période d’incertitude alors que le système suit son cours.

[33] L’agent a d’ailleurs affiché une grande assurance : [traduction] « Je suis convaincu que vous ne posez pas un risque et qu’il est peu probable que vous récidiviez ». Notons aussi l’assurance que procure au demandeur le fait d’avoir reçu un permis de résident temporaire de trois ans, qui le mènera au 28 février 2020. Il ne peut solliciter une réhabilitation avant mai 2020, mais des options s’offriront à lui en février 2020 afin de demeurer au Canada pour poursuivre son processus de réhabilitation et de demande de résidence permanente. Dans le pire des cas, il peut présenter une nouvelle demande pour motifs d’ordre humanitaire, le cas échéant, et, s’il continue à se comporter comme il a affirmé avoir l’intention de le faire dans la présente demande, sa cause sera beaucoup plus solide. S’il n’est toujours pas satisfait, il pourra s’adresser à notre Cour.

[34] Je ne crois pas que l’on puisse affirmer que l’agent a agi de manière déraisonnable en rejetant la demande de contrôle judiciaire pour motifs d’ordre humanitaire à ce stade des démarches entreprises par le demandeur puisque cette mesure spéciale est exceptionnelle et qu’elle ne doit pas servir à [traduction] « contourner le processus de sélection pour entrer au Canada en tant que résident permanent », même si ce processus est plus complexe qu’il aurait dû l’être en raison des activités criminelles du demandeur. Rien pour l’instant ne permet de croire que le but du demandeur d’obtenir la résidence permanente [traduction] « ne peut pas s’inscrire dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et son règlement actuels ».

[35] Les demandeurs soutiennent également que l’agent aurait dû les convoquer à une entrevue afin d’aborder les préoccupations liées à la crédibilité. Rien dans la décision de l’agent ne porte à croire qu’il avait des préoccupations relatives à la crédibilité. Même si je retenais l’idée que l’agent s’est fondé sur des conjectures, cela ne soulève aucune préoccupation liée à la crédibilité. Et, quoi qu’il en soit, les préoccupations relatives à la crédibilité n’avaient rien à voir avec le fondement de la décision décrite ci-dessus.

[36] Enfin, les demandeurs soutiennent que [traduction] « l’agent, en concluant que les demandeurs pouvaient retourner en Inde ensemble et y habiter [...] a fait fi de l’un des objets principaux de la Loi, soit la réunification des familles au Canada ».

[37] Je crois qu’il ressort clairement de la décision que l’agent a conclu qu’un rejet de la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire ne signifiait pas que les demandeurs étaient obligés de retourner en Inde. Toute préoccupation à cet égard pourrait être soulevée à l’avenir, si le demandeur devait retourner en Inde.

[38] Il n’est pas contesté par les avocats des parties qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1637-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est proposée aux fins de certification.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1637-17

 

INTITULÉ :

JASKARAN SINGH, JASKIRAN KAUR BAINS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 octobre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

pour les demandeurs

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

TORONTO (ONTARIO)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.