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Date : 20171213


Dossier : IMM-2286-17

Référence : 2017 CF 1140

Winnipeg (Manitoba), le 13 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JOSE GIOVANNY PENA PENA

SANDRA MILENA RESTREPO PEREZ

JUAN SEBASTIAN PENA PARRA

SARA SOFIA PENA RESTREPO

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’affaire

[1]               Cette décision concerne quatre demandes d’autorisation et de révision judiciaire à l’encontre de quatre décisions d’une agente principale d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente), statuant que les facteurs exposés par les demandeurs à l’appui de leur demande de résidence permanente pour considérations humanitaires (demande CH) ne justifiaient pas une dispense en vertu du paragraphe 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

II.                 Faits

[2]               Il s’agit d’une famille d’origine colombienne de dix personnes : le demandeur principal, sa conjointe, leurs deux enfants, ses parents, son frère, sa sœur et ses deux nièces. Le tableau suivant fournit la liste complète des demandeurs ainsi que leur statut actuel au Canada :

1

Jose Giovanny Pena Pena

Demandeur principal

Mesure de déportation en vigueur

2

Sandra Milena Restrepo Perez

Conjointe

Déportée

3

Juan Sebastian Pena Parra

Fils

Mesure de déportation en vigueur

4

Sara Sofia Pena Restrepo

Fille (mineure)

Déportée

5

Jose de Jesus Pena Leon

Père

Déporté

6

Herlinda Pena de Pena

Mère

Déportée

7

Omar Jesus Pena Pena

Frère

Mesure de déportation en vigueur

8

Fanny Stella Pena Pena

Sœur

Mesure de déportation en vigueur

9

Julieth Stefany Obando Pena

Nièce

Déportée

10

Maria Paula Obando Pena

Nièce

Déportée

N.B. : Le fils (Juan Sebastian) était un mineur jusqu’au 3 avril 2017. Une des nièces (Maria Paula) était une mineure jusqu’au 31 décembre 2016.

[3]               Les demandeurs auraient fui la Colombie par crainte à leurs vies et sont arrivés au Canada les 23 et 24 janvier 2016. Les demandeurs ont présenté deux demandes d’asile. Celles-ci ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés (SPR) en date du 27 juin 2016. Cette Cour a rejeté leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la SPR en date du 20 octobre 2016. Les demandeurs ont par la suite déposé une demande CH qui a aussi été rejetée. Cette dernière demande fait l’objet de cette révision judiciaire – la jonction des quatre dossiers déposés par chaque unité familiale a été ordonnée par le protonotaire Richard Morneau le 18 août 2017.

[4]               En parallèle, une mesure de renvoi a été exécutée et confirmée en date du 30 décembre 2016 pour six membres de la famille (voir le tableau ci-haut), mais pas pour le demandeur principal, son fils, sa sœur et son frère qui ont élu de ne pas se conformer à cette mesure de renvoi et sont actuellement visés par des mandats d’arrêt pour fin de renvoi émis en date du 22 février 2017 et en date du 5 avril 2017 (pour le fils).

III.               Décision

[5]               Les demandeurs ont allégué l’intérêt supérieur des enfants mineurs, l’union des quatre cellules familiales, le degré d’établissement et certaines circonstances médicales. Les demandeurs ont soumis qu’un renvoi en Colombie leur causerait de graves troubles financiers, détruirait leurs efforts pour s’intégrer à la société canadienne, et aggraverait certaines conditions médicales dont certains d’entre eux souffriraient.

[6]               L’agente a considéré la preuve soumise par les demandeurs, notamment la preuve relative à leur établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants, les circonstances familiales, et les conditions défavorables en Colombie.

[7]               L’agente n’était pas satisfaite que les motifs d’ordre humanitaire justifiassent l’octroi d’une dispense.

[8]               À l’égard du facteur d’établissement des demandeurs, l’agente a pris en considération les démarches des demandeurs pour s’intégrer à la société canadienne et l’appui de leur réseau social et familial, mais a conclu que les soumissions des demandeurs n’établissaient pas un degré suffisant d’établissement au Canada. L’agente a refusé d’accorder un poids significatif à la preuve qui indiquait un potentiel d’établissement dans le futur, telle qu’une offre d’emploi que le demandeur principal aurait reçue. L’agente a mentionné que le séjour des demandeurs s’élevait à environ un an, et que les liens développés au Canada étaient relativement récents et ne justifiaient pas une dispense dans le contexte d’une demande CH.

[9]               En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a considéré le fait que la fille et la nièce mineures du demandeur principal avaient quitté le Canada en décembre 2016 et a noté l’absence de preuve et d’explications sur leurs situations depuis leur renvoi du Canada. L’agente a estimé que les enfants avaient la possibilité de jouir de ressources et liens familiaux en Colombie et a conclu que « les informations et la preuve au dossier ne tendent pas à établir avec satisfaction comment le bien-être des enfants serait plus particulièrement compromis. »

[10]           En ce qui concerne les circonstances familiales, l’agente a constaté les liens serrés entre les membres de la famille, mais a noté toutefois que la séparation familiale a résulté de la décision de certains membres de ne pas quitter le Canada en même temps que d’autres, suite à la mesure de renvoi.

[11]           Finalement, en ce qui concerne les conditions défavorables en Colombie et le lien aux conditions médicales des demandeurs, l’agente a noté l’insuffisance de preuve probante quant à la situation médicale actuelle des demandeurs. D’une part, l’agente doutait de l’authenticité des dossiers médicaux des demandeurs – les documents étaient rédigés en espagnol, traduits en français, mais ne portaient aucun sceau officiel. D’autre part, les conditions médicales décrites dans leurs dossiers de santé au Canada n’exigeaient aucune surveillance médicale continue et avancée.

IV.              Questions en litige

[12]           Les demandeurs soulèvent quatre questions :

  1. Est-ce qu’il y’a eu une violation d’équité procédurale, c’est-à-dire, est-ce que l’agente a erré en évaluant la demande CH à la date de ses décisions au lieu de la date de dépôt de la demande CH, et sans avoir exigé d’informations supplémentaires ou avoir fait de recherches indépendantes en utilisant les outils qui lui étaient disponibles?
  2. Est-ce que l’agente a erré dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?
  3. Est-ce que l’agente a erré dans son analyse des risques et conditions défavorables en Colombie?
  4. Est-ce que l’agente a erré dans son analyse de l’établissement des demandeurs au Canada?

V.                 Analyse

A.                 La norme de contrôle

[13]           Il n’y a pas de débat au sujet de la norme de contrôle applicable en l’espèce. L’équité procédurale est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43. Les autres questions concernent l’analyse de la preuve et des questions mixtes de fait et de droit, et sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Rocha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1070 au para 19.

B.                 Équité procédurale

[14]           Les demandeurs argumentent que toute considération des faits qui datent d’après la date de dépôt de la demande CH constitue une analyse ex post facto de la demande, et est erronée. Les demandeurs argumentent aussi que, au cas où il serait permis de considérer des faits qui datent d’après la date de dépôt de la demande CH, l’agente avait l’obligation de demander des informations supplémentaires, soit en s’adressant aux demandeurs soit en faisant des recherches indépendantes en utilisant les outils à sa disposition. Les demandeurs soumettent qu’une telle recherche aurait révélé que le demandeur principal avait obtenu son permis de travail en décembre 2016. Les demandeurs soumettent que ce fait aurait pu modifier la conclusion de l’agente sur la question de l’établissement au Canada.

[15]           De plus, les demandeurs argumentent qu’il est injuste de considérer certains faits qui datent d’après la date de dépôt de la demande CH sans considérer d’autres (ex., l’absence de preuve concernant la situation des enfants après leur renvoi en Colombie versus l’octroi d’un permis de travail au demandeur principal).

[16]           Sur la question de l’obligation de l’agente de demander des informations supplémentaires, la jurisprudence est claire. Les demandeurs ont le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle ils fondent leur demande : Owusu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38 au para 5; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 35 [Kisana]. Il n’existe aucune obligation générale d’une agente de demander des informations supplémentaires : Kisana aux paras 42 à 45 et 61. L’obligation d’une agente de faire une telle demande dépend des faits de chaque cas.

[17]           Je ne suis pas convaincu que, dans le cas des demandeurs, il existait des faits particuliers qui obligeaient l’agente de faire une telle demande. Donc, je conclus que l’agente n’a pas erré en n’ayant pas fait de recherches indépendantes.

[18]           En ce qui concerne la date à laquelle une demande CH doit être analysée, les demandeurs ne citent aucune autorité à l’appui de leur thèse selon laquelle la date applicable serait celle du dépôt de la demande. De plus, les autorités fournies par les demandeurs concernant le concept d’une analyse ex post facto ne s’appliquent pas aux faits dans cette affaire.

[19]           Puisque les demandeurs, dans leur mémoire, n’ont pas pris clairement la position que les demandes CH doivent être analysées dès la date de dépôt, le défendeur n’a pas fourni de la jurisprudence sur ce point.

[20]           Je suis satisfait que, malgré qu’il existe un concept d’une date gelée dans certains contextes dans le domaine de l’immigration (où la date de dépôt peut être pertinente), ceci n’est pas le cas pour une demande CH. Donc, la date à laquelle une demande CH doit être analysée est la date de la décision.

C.                 L’intérêt supérieur des enfants

[21]           Les demandeurs ont deux arguments sous cette rubrique. Premièrement, ils soumettent que l’agente a erré dans sa considération de la lettre de la travailleuse sociale qui s’occupait d’une des nièces du demandeur principal (Maria Paula). Plus particulièrement, les demandeurs soumettent qu’il était déraisonnable de considérer l’absence du rapport du psychologue auquel la travailleuse sociale a fait référence. Le deuxième argument est que l’analyse par l’agente de l’intérêt supérieur des enfants était déraisonnable parce qu’elle n’a pas considéré adéquatement les difficultés pour les enfants en Colombie ainsi que les bénéfices pour eux au Canada.

[22]           Avant de considérer les arguments des demandeurs sous cette rubrique, je veux noter qu’il est de jurisprudence constante que les demandes CH ne doivent être accueillies que dans des circonstances exceptionnelles : Tindale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 236 au para 9; Jurado Tobar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1111 au para 4. De plus, compte tenu de l’aspect hautement discrétionnaire de toute décision CH, notre Cour fait preuve d’un degré élevé de retenue envers ce genre de décision, d’autant plus qu’elles se prêtent à une gamme plus vaste d’issues possibles acceptables.

[23]           Ayant considéré les arguments des demandeurs sur cette question, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’un cas où la Cour doit intervenir. Malgré que l’agente ait noté l’absence du rapport du psychologue dont la travailleuse sociale fait référence dans sa lettre, je constate que l’agente accorde quand même un certain poids à cette lettre, et que sa conclusion sur cette question est basée sur l’insuffisance de précisions concernant les circonstances de Maria Paula en Colombie.

[24]           Il est clair aussi que l’agente a balancé les considérations pertinentes à la question de l’intérêt supérieur des enfants, incluant les difficultés pour les enfants en Colombie et les bénéfices pour eux au Canada.

D.                 Les risques et conditions défavorables en Colombie

[25]           Les demandeurs n’indiquent pas clairement les erreurs commises par l’agente qu’ils allèguent sous cette rubrique. Dans leur mémoire, ils allèguent que l’agente a omis de considérer la preuve dans son ensemble, mais ne fournissent que peu de détails à l’appui de cette position. Aucun détail n’a été ajouté lors de l’audition de cette demande.

[26]           Je ne suis pas convaincu que l’agente a erré dans son analyse des risques et conditions défavorables en Colombie.

E.                  L’établissement au Canada

[27]           Sous cette rubrique, les demandeurs soumettent que :

  1. L’agente n’aurait pas dû mettre l’accent sur le temps passé au Canada, mais bien sur ce que les demandeurs ont bâti pendant leur séjour dans le pays;
  2. L’agente aurait erré en indiquant que le séjour des demandeurs au Canada était d’environ un an (ce qui était le cas au moment du dépôt de la demande CH) au lieu de 15 mois (ce qui était le cas au moment de la décision);
  3. L’agente aurait dû noter que la durée du séjour, soit de 11 mois ou 15 mois, est plus significative pour un enfant que pour un adulte.

[28]           À mon avis, l’agente a clairement indiqué avoir considéré « ce que les demandeurs ont bâti pendant leur séjour. » Essentiellement, les demandeurs se plaignent du poids que l’agente a donné aux différents aspects de la preuve sur ce sujet. Ceci n’est pas une raison pour renverser la décision.

[29]           En ce qui concerne les deuxième et troisième arguments, je suis satisfait que l’agente comprît la preuve. Il n’était pas déraisonnable de ne pas faire mention des faits soulevés dans ces arguments.

VI.              Conclusions

[30]           Pour les motifs ci-haut, les demandes de contrôle judiciaire aux dossiers IMM-2286-17, IMM-2287-17, IMM-2290-17 et IMM-2291-17 doivent être rejetées.

[31]           Les demandeurs présentent deux questions qu’ils demandent que je certifie comme questions sérieuses de portée générale :

  1. Est-ce que l’agent, lors d’une demande CH, peut faire une analyse ex post facto lorsque le demandeur est renvoyé du Canada?
  2. Est-ce que l’agent est dans l’obligation de demander des informations supplémentaires lorsqu’il fait une analyse ex post facto?

[32]           Tel qu’indiqué ci-haut, les demandeurs indiquent que, par « ex post facto », ils veulent dire après la date de dépôt de la demande CH.

[33]           Je refuse de certifier les deux questions proposées par les demandeurs. À mon avis, la jurisprudence est claire sur ces deux points. Il n’y a donc pas de question sérieuse de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM-2286-17, IMM-2287-17, IMM-2290-17 et IMM-2291-17 sont rejetées.

2.      Aucune question sérieuse de portée générale n’est certifiée.

3.      Une copie du présent jugement et des motifs seront également déposés aux dossiers IMM-2287-17, IMM-2290-17 et IMM-2291-17.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2286-17

 

INTITULÉ :

JOSE GIOVANNY PENA PENA, SANDRA MILENA RESTREPO PEREZ, JUAN SEBASTIAN PENA PARRA, SARA SOFIA PENA RESTREPO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 décembre 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Susan Ramirez

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Sherry Rafai Far

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Susan Ramirez

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Procureur(e) général(e) du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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