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Date : 20180102


Dossier : T-284-17

Référence : 2018 CF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

CRAIG NORRIS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision (décision) de l’Agence du revenu du Canada refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) d’annuler les intérêts et pénalités restants ayant fait l’objet d’une cotisation antérieure, ou d’y renoncer.

[2]  Le demandeur se représente seul et soutient que dans la décision, ses problèmes médicaux et financiers ont été reconnus, mais qu’on n’en a pas suffisamment tenu compte en n’accordant qu’un allègement partiel des pénalités et des intérêts.

À cette fin, le demandeur a soumis certains nouveaux documents dont le décideur n’avait pas été saisi.

[3]  La disposition pertinente de la Loi de l’impôt sur le revenu est ainsi rédigée :

220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

II.  Résumé des faits

[4]  Le demandeur était intervenant médical d’urgence et ambulancier pendant 15 ans avant de devenir pêcheur en 2003. Il a connu des difficultés financières jusqu’en 2008, au moment où il a commencé à faire de la pêche à la crevette et il n’a pas produit de déclarations de revenus pour les années 2007 à 2011.

[5]  En février 2012, le demandeur a été impliqué dans une intervention médicale à la suite du décès de son collègue en milieu de travail ainsi que dans les arrangements postérieurs au décès. Par la suite, il a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique par son psychiatre, mais le demandeur estime qu’il souffrait déjà de ce trouble depuis un bon moment avant cet incident.

Il a touché des indemnités pour accident du travail pendant six mois.

[6]  En novembre 2013, son fils de 23 ans a péri dans un accident de voiture pour lequel il n’était pas couvert par une assurance. Les coûts liés au décès de son fils ont entraîné des difficultés financières pour le demandeur.

[7]  En 2014-2015, le demandeur a reçu un diagnostic de diabète de type 2, de cancer du rein et de problèmes cardiaques. En 2016, son travail de pêcheur de poissons de fond a cessé, compromettant davantage sa situation financière.

[8]  Bien que 2015 ait été une bonne année sur le plan financier, il n’a pas travaillé de juillet 2015 à février 2016 en raison de problèmes de santé.

[9]  En juillet 2013, le demandeur a demandé un allègement d’impôt – l’exonération du paiement des intérêts et des pénalités. Cette demande a été accueillie en partie dans une « première décision » concernant les pénalités imposées sur la déclaration de 2011 et les intérêts établis sur les déclarations de 2007 à 2011, qui ont fait l’objet d’une renonciation pour certaines périodes de 2012. L’agent d’allègement a relevé le lien entre les problèmes de santé et la capacité de payer à temps. Cependant, pour les années 2007 à 2010, l’agent n’a relevé aucune circonstance extraordinaire justifiant un allègement pour difficultés financières, indiquant que le demandeur avait suffisamment de fonds et d’actifs pour obtenir un prêt sur valeur domiciliaire qui aurait pu servir à payer ses arriérés sans subir une contrainte excessive.

[10]  Le demandeur a ensuite présenté une deuxième demande d’allègement concernant les pénalités et les intérêts pour les années 2007 à 2011, 2014 et 2015.

[11]  Dans cette « deuxième décision », laquelle fait l’objet du présent contrôle judiciaire, le représentant du ministre a accordé un allègement partiel en annulant les pénalités pour les années d’imposition 2011 et 2015 en raison de la situation médicale du demandeur, et en annulant les intérêts pour les années d’imposition 2007 à 2011, 2014 et 2015, pour la période du 1er janvier 2016 au 23 janvier 2017 en raison de difficultés financières.

[12]  Cependant, pour les années 2007 à 2010 et 2015, le représentant du ministre n’a constaté aucun lien de causalité entre l’état de santé du demandeur et son incapacité à s’acquitter de ses obligations fiscales. Pour la période précédant le 1er janvier 2016, le représentant du ministre a conclu que le demandeur avait gagné un revenu suffisant de 2008 à 2015 pour régler sa dette fiscale dans un délai raisonnable. Il a été noté que le demandeur a pu contracter un prêt sur valeur domiciliaire pour effectuer des rénovations et louer deux véhicules, en permettant, en toute connaissance de cause, que ses arriérés continuent à s’accumuler.

[13]  Le demandeur demande maintenant un allègement supérieur à celui qui lui a été accordé. Il a également présenté de nouveaux documents dont ne disposait ni l’un ni l’autre des décideurs comme motif à l’appui de l’élargissement de cet allègement.

[14]  La question n’est pas de savoir si la Cour tirerait une conclusion différente comme le fait valoir le demandeur, mais plutôt de savoir si cette décision hautement discrétionnaire était raisonnable.

III.  Discussion

[15]  La norme de contrôle a été établie comme étant celle de la « décision raisonnable ». Dans la décision Easton c Canada (Agence du revenu), 2017 CF 113, au paragraphe 41, 275 ACWS (3d) 664, la Cour établit la norme de contrôle dans ce contexte :

[41]  Une décision rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est de nature discrétionnaire, et la Cour doit donc faire preuve de retenue à l’égard de la décision du délégué du ministre (Tomaszewski c Canada (Finances), 2010 CF 145, au paragraphe 17). Par conséquent, la décision rendue par le représentant du ministre conformément aux dispositions d’allègements pour les contribuables doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable (Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153; Amoroso c Canada (Procureur général), 2013 CF 157, au paragraphe 50; Christie (Succession) c Canada (Procureur général), 2007 CF 1014, au paragraphe 11).

A.  Nouveaux documents

[16]  Le demandeur soutient que le représentant du ministre n’a pas tenu compte des cinq éléments suivants :

  1. une lettre du Dr Paul en date du 12 mars 2017;

  2. une lettre du Dr Leung en date du 15 mars 2017;

  3. un feuillet T4 pour l’année d’imposition 2016;

  4. un feuillet T4E pour l’année d’imposition 2016;

  5. une facture du salon funéraire en date du 20 novembre 2013.

[17]  Si cet argument était exact et pertinent, la Cour pourrait accorder le contrôle judiciaire aux termes de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

[...]

[...]

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

[...]

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

[18]  Ces documents n’étaient toutefois pas disponibles au moment où la deuxième décision a été rendue en janvier 2017 ou les faits énoncés étaient déjà connus et ont été pris en compte. La question du trouble de stress post-traumatique abordée dans les lettres des deux médecins, qui sont postérieures à la deuxième décision, était connue et avait été prise en compte. Les lettres ne soulignent aucune question importante qui devrait être ajoutée au dossier. Le décès du fils du demandeur était aussi connu et a été pris en compte, notamment dans la première décision qui a accordé un allègement pour ce motif.

Les feuillets T4 et T4E sont postérieurs à la deuxième décision.

[19]  Comme l’a admis le demandeur dans ses observations en réponse, et comme il en ressort clairement du dossier, ces documents n’ajoutent rien de neuf à toute cette affaire.

[20]  Par conséquent, la Cour ne peut faire droit à la demande de contrôle judiciaire en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve.

B.  Caractère raisonnable

[21]  Quant au « caractère raisonnable » de la décision, cette question est directement liée aux « nouveaux éléments de preuve ». Pour ce seul motif, la décision ne devrait pas être modifiée.

[22]  En outre, la décision n’a rien de déraisonnable. Le représentant du ministre a tenu compte du droit, de la politique et des faits pertinents, et a statué sur le bien-fondé de l’affaire de manière indépendante lorsqu’il a accordé un certain allègement, mais non la totalité de l’allègement demandé. Le représentant du ministre a tenu compte des circonstances difficiles du demandeur à certaines périodes, mais a pondéré ce facteur avec la capacité du demandeur à contracter un autre prêt pour des rénovations et des locations de voitures – ce qui laisse entendre que le trouble de stress post-traumatique n’était pas assez grave pour que le demandeur ne puisse pas rembourser sa dette fiscale.

[23]  La preuve médicale a aussi appuyé une conclusion selon laquelle le demandeur, décrit comme étant stable cliniquement et en mesure d’effectuer des travaux physiques, pouvait accomplir des gestes normaux de la vie quotidienne. Pour les périodes pendant lesquelles le trouble de stress post-traumatique du demandeur était grave, un allègement d’impôt a été accordé.

[24]  Je suis d’avis que la décision contestée était raisonnable, équilibrée et équitable sur le plan procédural.

IV.  Conclusion

[25]  La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée sans dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-284-17

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-284-17

 

INTITULÉ :

CRAIG NORRIS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Craig Norris

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Maeve Baird

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

Pour le défendeur

 

 

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