Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170222


Dossier : IMM-3637-16

Référence : 2017 CF 212

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DHARINIBEN NILE PATEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision rendue le 17 août 2016 par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, par laquelle elle a confirmé la mesure de renvoi prise précédemment à l’égard de la demanderesse par la Section de l’immigration [SI] et a rejeté la demande présentée par la demanderesse visant la prise de mesures spéciales.

[2]  La demanderesse est une citoyenne indienne qui était mariée à M. Nileshbhai Patel [premier mari], dans le cadre d’un mariage arrangé. Le 14 juillet 2006, le couple a célébré un mariage traditionnel, qui n’était pas juridiquement contraignant puisque la demanderesse n’était âgée que de 17 ans. Le couple a toutefois célébré un deuxième mariage lors d’une cérémonie civile, le 20 janvier 2007. Son premier mari a ensuite parrainé sa demande de résidence permanente, qui lui a finalement permis d’entrer au Canada le 14 juillet 2007. Toutefois, le 28 juillet 2007, la demanderesse a quitté le foyer conjugal après seulement deux semaines de vie commune. Le 3 août 2007, le premier mari a informé les autorités de la fin de la relation, en indiquant qu’il croyait que la demanderesse avait fait de fausses déclarations et commis une fraude.

[3]  Le 13 octobre 2007, la demanderesse est retournée à la maison sous escorte policière afin de récupérer ses effets personnels. La demanderesse a par la suite déclaré que son premier mari l’avait agressée à deux reprises et menacée de mort. Toutes ces accusations ont cependant été abandonnées à la suite d’un procès criminel. Le 1er octobre 2009, un responsable de l’immigration a interrogé la demanderesse et son premier mari et a conclu, dans un rapport, que la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Le couple a officiellement divorcé le 16 juin 2010. Le 9 juin 2011, la SI a déclaré que la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi et a pris une mesure d’exclusion. Le 20 août 2011, la demanderesse a épousé son deuxième mari, M. Miteskhumar Patel [deuxième mari] après avoir parrainé sa demande de résidence permanente au Canada. Deux filles sont nées de ce mariage en 2012 et en 2015.

[4]  Le 17 août 2016, la SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse en concluant, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait choisi de tromper des responsables de l’immigration dans le but d’immigrer au Canada et a confirmé que la mesure de renvoi était valide en droit. Après avoir examiné la demande de mesure spéciale présentée par la demanderesse, la SAI a également conclu que les motifs d’ordre humanitaire prévus à l’alinéa 67(1)c) de la Loi ne suffisaient pas pour justifier qu’une telle mesure soit prise.

[5]  La demanderesse ne conteste pas aujourd’hui la conclusion de la SAI concernant l’absence de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une mesure spéciale aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la Loi; elle remet cependant en doute le caractère légal ou raisonnable des conclusions de fait sur l’authenticité de son premier mariage. La demanderesse soutient essentiellement qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou que l’évaluation des éléments de preuve faite par la SAI était viciée. La demanderesse souhaite donc que l’affaire soit réexaminée par un tribunal de la SAI différemment constitué. Le défendeur s’oppose à la présente demande de contrôle judiciaire. Après examen des observations de chacune des parties et de l’argumentation de vive voix présentée par l’avocat à l’audience, la Cour conclut que la décision de la SAI est raisonnable, puisque la mesure de renvoi est légale et valide en droit, et qu’il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle. La Cour adopte essentiellement le raisonnement du défendeur pour rejeter la demande.

[6]  Les arguments avancés par la demanderesse à l’appui de la présente demande ne sont fondés ni en faits ni en droit. La SAI est un tribunal spécialisé, en mesure d’apprécier les faits, et la Cour ne doit pas modifier sa décision à moins qu’elle ne soit déraisonnable. En général, la SAI a conclu que la demanderesse avait compromis l’intégrité et l’équité du système d’immigration. Après lecture des motifs exposés par la SAI à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés et des principes applicables, je ne vois aucun fondement permettant d’annuler la décision contestée et de renvoyer l’affaire à un autre décideur.

[7]  La demanderesse reproche à la SAI, de façon générale, de ne pas avoir pris en considération l’authenticité du premier mariage vu les circonstances et les éléments de preuve antérieurs à son arrivée au Canada; ce reproche n’est pas fondé. Même si le couple semblait compatible d’un point de vue objectif (origines, religion et langue communes), la SAI a également précisé que la demanderesse a d’abord menti aux autorités d’immigration en omettant de mentionner que le couple avait précédemment célébré un mariage religieux en Inde alors qu’elle était encore mineure. La demanderesse a effectivement présenté des photographies du mariage religieux, en y faisant toutefois référence comme des photographies de la célébration civile. Plus important encore, la SAI a souligné que le témoignage de la demanderesse était différent de la première déclaration qu’elle avait faite à la SI. En fait, la demanderesse a affirmé avoir commencé à éprouver des problèmes avec son parrain uniquement après son entrée au pays, tandis qu’elle a indiqué dans son témoignage devant la SI que les bagarres avec son premier mari avaient commencé en Inde et qu’elles étaient liées à la célébration de leur mariage civil. Il est allé jusqu’à dire qu’il regrettait de l’avoir épousée même avant son arrivée au pays. Cette déclaration a poussé la SAI à se demander pourquoi ce mari et parrain aurait ensuite poursuivi le processus de parrainage, en s’exposant au risque d’être financièrement responsable d’elle au Canada pendant trois ans, si la relation était à ce point compliquée. La SAI a aussi remis en question le fait que les parents de la demanderesse n’ont pas communiqué avec son parrain afin de savoir quel était le problème ou, à tout le moins, de le réprimander après qu’il ait prétendument tenté d’étrangler leur fille. Après avoir examiné les éléments de preuve au dossier, la SAI en est venue à la conclusion que les versions contradictoires de la demanderesse ne correspondaient pas aux faits réels.

[8]  La demanderesse reconnaît que la SAI a présenté, dans ses motifs, quelques faits appuyant les préoccupations qu’elle aurait pu avoir à l’égard des intentions véritables de la demanderesse; mais elle fait néanmoins valoir que la SAI n’a pas établi de lien entre ces faits particuliers et sa conclusion générale sur l’authenticité du mariage. À titre d’exemple, la SAI a souligné la courte durée de sa vie commune avec son premier mari, sans présenter d’analyse desdits événements expliquant pourquoi et comment ces événements l’avaient menée à tirer cette conclusion. Qui plus est, en dépit de tous les petits écarts entre ses deux versions sur sa relation avec son premier mari, la SAI n’a tiré aucune inférence claire sur la façon dont ces contradictions soutenaient sa conclusion selon laquelle elle aurait trompé les responsables de l’immigration. En l’absence de telles conclusions claires, la demanderesse aurait dû avoir le droit de profiter de la présomption de véracité quant aux éléments de preuve présentés ou, du moins, de la présomption de bonne foi concernant son témoignage. En fait, son témoignage n’a pas été analysé concrètement et aucune conclusion défavorable quant à sa crédibilité n’a été tirée.

[9]  Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. Il est manifeste que les témoignages des deux ex-époux différaient considérablement sur des éléments centraux de la relation. Même s’il n’incombe pas à la Cour de déterminer quelle version est la plus probable, le raisonnement de la SAI n’est pas vicié et il est étayé par la preuve. Même si la SAI n’indique pas précisément qu’elle a tiré une conclusion défavorable, son raisonnement indique clairement qu’elle avait des raisons de conclure que la demanderesse n’avait pas l’intention d’habiter avec son parrain, en tant que mari et femme, lorsqu’elle est arrivée au Canada. En fait, la SAI a trouvé étrange le silence des proches de la demanderesse après sa séparation et son agression alléguée par son mari. En outre, vu sa conclusion selon laquelle la demanderesse avait sciemment trompé les responsables de l’immigration, il était explicite que la SAI remette considérablement en doute sa crédibilité et l’authenticité de son premier mariage.

[10]  Incidemment, comme la demanderesse conteste essentiellement les motifs de la SAI, il m’est impossible de voir comment elle peut établir que la question en litige en est une de justice naturelle. Étant donné qu’il s’agissait d’une audience de novo, la SAI a été en mesure d’examiner tous les éléments de preuve, y compris les déclarations faites à la SI. Ainsi, la SAI n’avait pas l’obligation de faire part à la demanderesse de l’ensemble de ses préoccupations quant à sa crédibilité, surtout qu’elles étaient directement issues de ses propres déclarations et des éléments de preuve présentés. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que la demanderesse a eu l’occasion de produire des éléments de preuve, de présenter ses arguments et que l’audience devant la SAI était équitable.

[11]  La demanderesse renvoie aussi à d’autres lacunes ou erreurs dans le raisonnement de la SAI. À titre d’exemple, la SAI a remis en question la raison pour laquelle le mari de la demanderesse a poursuivi le processus de parrainage malgré toute la tension dans le couple, comme le prétend la demanderesse dans sa déclaration. La SAI a toutefois écarté la déclaration du premier mari qui abordait directement cette préoccupation :

[traduction] Je suis retourné au Canada le 29 janvier 2007 et j’ai présenté une demande afin de la parrainer en tant que mon épouse. Même si la relation semblait tendue pendant que je me trouvais en Inde, j’ai constaté à mon retour au Canada, qu’elle avait plus d’entrain et semblait plus heureuse. Je croyais que notre relation se renforçait. […]

[12]  En ce qui concerne le comportement étrange de ses proches après sa séparation ou son signalement à la police, la demanderesse soutient que les éléments de preuve montraient que ses parents s’inquiétaient de l’échec du mariage arrangé. Qui plus est, la SAI a commis une erreur en analysant la situation sans tenir compte de la culture particulière entourant les mariages arrangés. En outre, la demanderesse soutient que la SAI a écarté l’élément de preuve indiquant que le premier mari avait effectivement un numéro de téléphone où il pouvait joindre la demanderesse après leur séparation. La SAI a aussi omis de relever les incohérences dans la déclaration du premier mari, notamment concernant le moment exact où il a appris que sa femme ne reviendrait jamais. En ce qui concerne la contradiction alléguée dans sa déclaration sur la cérémonie de mariage faite aux responsables de l’immigration, la demanderesse a expliqué que le mariage religieux était illégal puisqu’elle n’avait pas 18 ans à ce moment. Comme la cérémonie religieuse ne liait pas juridiquement le couple, la demanderesse a uniquement mentionné la cérémonie civile aux autorités de l’immigration. Cette explication plausible aurait dû jouer en sa faveur. Qui plus est, les deux lettres fournies par le premier mari contenaient des incohérences; la demanderesse fait donc valoir que la SAI aurait dû examiner ces contradictions afin de tirer une conclusion défavorable quant à sa déclaration en général.

[13]  J’estime que l’argument de la demanderesse n’est pas convaincant.

[14]  Dans l’ensemble, la demanderesse invite presque la Cour à prendre la place du décideur. Il ne s’agit toutefois pas d’un appel, mais d’un contrôle judiciaire. Les erreurs factuelles ne justifient pas toutes que l’on accueille une demande de contrôle judiciaire et la Cour ne devrait pas mener un examen à la loupe des motifs du tribunal. Comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, [2013] 2 RCS 458, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, « [i]l faudrait considérer la [décision d’un tribunal administratif] comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 14).

[15]  Il suffit d’affirmer qu’en l’espèce, la SAI a évalué la preuve au dossier et qu’elle a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations graves. Qui plus est, les éléments de preuve objective (comme le rapport de police et le relevé bancaire) montraient que les gestes posés par le premier mari ne correspondaient pas à la version déclarée par la demanderesse, sans oublier la contradiction dans les déclarations qu’elle a faites à la SI et à la SAI sur le moment précis où la confrontation avec son mari a commencé. En ce qui concerne la question du téléphone, même si la SAI a commis une erreur factuelle, elle ne change pas à elle seule l’issue de la décision (Sherwani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 37, [2005] ACF no 61, au paragraphe 17). Les erreurs, s’il y a lieu, qu’aurait commises la SAI ne sont pas déterminantes, qu’elles soient prises séparément ou ensemble.

[16]  Comme la Cour l’a indiqué dans la décision Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244, [2016] ACF no 207, au paragraphe 23, et confirmé dans la décision Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1207, [2016] ACF no 1216, au paragraphe 21, « l’évaluation de l’authenticité d’un mariage est une tâche difficile, même dans les meilleures conditions », dans un contexte où les personnes « qui ont l’intention d’avoir recours à une forme de tromperie pour obtenir le très précieux statut de résident permanent canadien se conduiront de façon que la relation semble extérieurement authentique, même si elle ne l’est pas ». Même si j’avais pu évaluer différemment les facteurs et les éléments de preuve pertinents, ce n’est pas une raison aujourd’hui pour infirmer la conclusion de la SAI, étant donné que la décision dans son ensemble est justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables.

[17]  Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’avocat n’a soulevé aucune question d’importance générale.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3637-16

 

INTITULÉ :

DHARINIBEN NILE PATEL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

Pour la demanderesse

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski, Romoff

Cabinet d’avocats

Westmount (Québec)

 

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.