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Date : 20180119


Dossier : T-63-17

Référence : 2018 CF 53

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MATTHEW BOADI PROFESSIONAL CORPORATION

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision (la « décision ») d’une déléguée du ministre du Revenu national (la « déléguée du ministre ») qui a rejeté la demande de Matthew Boadi Professional Corporation (la « demanderesse ») de lui accorder un allègement des pénalités et des intérêts en vertu du Programme de divulgation volontaire (« PDV ») de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). La déléguée du ministre a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), lui permettant d’annuler la totalité ou une partie des pénalités ou des intérêts payables en vertu de la Loi, ou d’y renoncer. La déléguée du ministre a conclu que la divulgation ne rendait pas la demanderesse admissible au PDV, puisque cette divulgation n’avait pas été faite sur une base volontaire.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse est une société canadienne qui possède des biens au Ghana, d’une valeur de plus de 100 000 dollars canadiens. La Loi exige que les entités canadiennes déterminées (appelées les « déclarants ») qui possèdent des biens à l’étranger d’une valeur supérieure à 100 000 $ produisent une déclaration de revenus sur le formulaire prescrit. En l’espèce, le formulaire prescrit est le T1135 « Bilan de vérification du revenu étranger » (« déclaration T1135 »). La demanderesse est un déclarant, et elle a été tenue de produire les déclarations T1135 relatives aux années d’imposition 2005 à 2013, ce qu’elle n’a pas fait. Elle est assujettie à une pénalité de 2 500 $ par déclaration, plus l’intérêt au taux prescrit (le taux actuel est de 5 %) pour la production tardive de ces déclarations.

[3]  Le paragraphe 220(3.1) de la Loi confère à la déléguée du ministre un large pouvoir discrétionnaire lui permettant d’annuler les pénalités payables en vertu de la Loi, ou d’y renoncer. Le PDV s’inscrit dans le pouvoir discrétionnaire conféré au délégué du ministre. Ce programme a été élaboré afin d’inciter les contribuables à corriger les renseignements inexacts ou incomplets et à divulguer les renseignements non déclarés antérieurement à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Le PDV, tel qu’il existait au moment où la décision a été rendue, est décrit dans la circulaire d’information no IC00-1R4, et énonce quatre conditions que doit respecter le contribuable pour que le délégué du ministre puisse annuler les pénalités ou y renoncer en vertu du programme. La divulgation doit répondre aux critères suivants :

  1. être volontaire;

  1. être complète;
  2. comprendre une pénalité;
  3. comprendre des renseignements qui sont en retard d’au moins un an.

[4]  La demanderesse déclare qu’en janvier 2015, elle a été mise au courant de l’obligation de produire les déclarations T1135 pour les années 2005 à 2013. Le 17 mars 2015, la demanderesse a produit ses déclarations T1135 pour les années 2005 à 2013 pour examen dans le cadre du PDV. Dans une lettre datée du 2 juin 2015, la déléguée du ministre a refusé la divulgation de la demanderesse au motif que cette divulgation n’était pas volontaire, parce que la demanderesse faisait l’objet d’une mesure d’exécution en cours susceptible d’avoir révélé les obligations de divulgation de la déclaration T1135.

[5]  Cette mesure d’exécution découlait des antécédents de retard de la demanderesse en matière de production de ses déclarations annuelles T2 - Déclaration de revenus des sociétés (« déclarations T2 »). Par conséquent, l’ARC a envoyé un certain nombre de lettres exigeant que la demanderesse produise ses déclarations T2, et les agents de l’ARC ont appelé la demanderesse à deux reprises pour lui demander de produire ses déclarations T2 pour les années 2011 à 2013. Au moment de la divulgation dans le cadre du PDV, les déclarations T2 de la demanderesse pour les années 2005 à 2010 avaient été produites, et les cotisations établies, tandis que ses déclarations T2 pour les années 2011 à 2013 avaient été produites, mais les cotisations y afférentes n’avaient pas encore été établies.

[6]  Le 17 juillet 2015, la demanderesse a demandé un réexamen de sa demande au titre du PDV. Le deuxième examen a fait l’objet d’un refus le 18 mars 2016, encore une fois au motif que la divulgation n’était pas volontaire. Le 24 mars 2016, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale à l’encontre de la décision du ministre.

[7]  Le 20 mai 2016, la demanderesse a proposé à l’avocat du ministère de la Justice, Me Whittaker, de régler le contrôle judiciaire compte tenu du fait que les déclarations T1135 pour les années 2005 à 2010 étaient volontaires et rendraient la demanderesse admissible au programme, tandis que les déclarations T1135 pour les années 2011 à 2013 donneraient lieu aux pénalités prévues par la loi. Me Whittaker a proposé de régler l’affaire en recommandant de retirer la demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire à un nouveau décideur pour nouvel examen. Il a ajouté que le ministère de la Justice informerait le nouveau décideur qu’à son avis, il était peu probable que les déclarations de renseignements pour les années 2005 à 2010 aient été révélées dans la mesure d’exécution prise par l’ARC. En se fondant sur cette proposition, la demanderesse a retiré sa demande de contrôle judiciaire, et l’affaire a été renvoyée pour nouvel examen. Lors du réexamen, la déléguée du ministre a conclu une fois encore que la divulgation de la demanderesse n’était pas volontaire. Cette dernière décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

[8]  La présente affaire soulève la question suivante : la décision rendue par la déléguée du ministre était-elle raisonnable?

[9]  Les dispositions applicables de la Loi sont les suivantes :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

220(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

Déclaration de renseignements

Information Return

233(1) Toute personne est tenue de fournir au ministre, sur demande écrite de celui-ci signifiée à personne ou autrement et dans le délai raisonnable qui y est fixé, qu’elle ait produit ou non, ou présenté ou non, une déclaration de renseignements en application de la présente loi ou du Règlement de l’impôt sur le revenu, les renseignements exigés dans la demande ou la déclaration de renseignements si elle n’a pas été produite ou présentée.

233(1) Every person shall, on written demand from the Minister served personally or otherwise, whether or not the person has filed an information return as required by this Act or the regulations, file with the Minister, within such reasonable time as is stipulated in the demand, the information return if it has not been filed or such information as is designated in the demand.

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[10]  La norme de contrôle à appliquer aux questions de fait de même qu’à l’examen de la décision de la déléguée du ministre est celle de la décision raisonnable. Dans la décision Easton v Canada (Revenue Agency), 2017 FC 113, au paragraphe 41, 275 ACWS (3d) 664, la Cour a énoncé la norme de contrôle dans les termes suivants :

[traduction]
[41]  Une décision rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est de nature discrétionnaire, et la Cour doit donc faire preuve de retenue à l’égard de la décision du délégué du ministre (Tomaszewski c. Canada (Finances), 2010 CF 145, au paragraphe 17). C’est pourquoi les décisions rendues par le délégué du ministre en vertu des dispositions d’allègement à l’intention des contribuables doivent s’apprécier selon la norme de la décision raisonnable (Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153 ; Amoroso c. Canada (Procureur général), 2013 CF 157, au paragraphe 50; Christie (Succession) c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1014, au paragraphe 11).

B.  Observations des parties

(1)  Demanderesse

[11]  La demanderesse soutient que la déléguée du ministre s’est appuyée sur trois faits pour conclure que l’ARC aurait vraisemblablement découvert les obligations de la demanderesse de produire les déclarations T1135 : 1) le ministre avait demandé à la demanderesse de produire ses déclarations T2 en retard à divers moments entre 2002 et 2014; 2) au moment où la demanderesse a produit ses déclarations T1135 pour les années 2005 à 2013, les cotisations relatives à ses déclarations T2 en retard n’avaient pas encore été établies; 3) les déclarations T2 de la demanderesse pour les années 2011 à 2013 indiquaient qu’elle possédait des biens à l’étranger d’une valeur supérieure à 100 000 $.

[12]  La demanderesse fait valoir que les premier et deuxième faits sont inexacts, puisque les cotisations relatives aux déclarations T2 pour les années 2005 à 2010 avaient déjà été établies au moment de la divulgation, et qu’il n’y avait donc aucune mesure d’exécution en cours pour les années d’imposition 2005 à 2010.

[13]  La demanderesse soutient que le troisième fait est exact, mais qu’il ne suffit pas à lui seul à étayer la conclusion tirée par la déléguée du ministre selon laquelle il était probable que l’ARC découvre les obligations de la demanderesse de produire les déclarations T1135 pour les années 2005 à 2010 et 2011 à 2013. La demanderesse a déposé une demande d’accès à l’information auprès de l’ARC, lui demandant si elle était en possession de documents sur ses pratiques d’enquête ou de suivi auprès de contribuables ayant produit une déclaration T2 pour les années 2011, 2012 ou 2013, et ayant coché « Oui » à la case 259, indiquant ainsi que la société possédait des biens à l’étranger d’une valeur supérieure à 100 000 $, mais ayant omis de joindre une déclaration T1135. L’ARC a répondu qu’elle n’avait trouvé aucun dossier de cette nature.

[14]  La demanderesse soutient que l’obligation de produire les déclarations T1135 est prévue au paragraphe 233.3(3) de la Loi et que par conséquent, cette obligation est distincte de celle de produire une déclaration T2 prévue au paragraphe 150(1) de la Loi. Elle fait valoir également que, puisqu’à la ligne 259 de la déclaration T2, on demande si une déclaration T1135 doit être produite, la Loi n’exige pas que la déclaration T1135 soit produite en même temps que la déclaration T2. La demanderesse souligne également qu’aucun élément de la déclaration T1135 produite ne révèle une obligation de produire une déclaration T1135 pour les années antérieures.

[15]  Compte tenu de ce qui précède, la demanderesse soutient que la conclusion tirée par la déléguée du ministre selon laquelle la mesure d’exécution prise contre elle aurait été susceptible de révéler ses obligations de produire les déclarations T1135 était purement hypothétique, et qu’il s’agit d’un type d’hypothèses rejetées par la Cour dans les décisions suivantes : Amour International Mines d’Or Ltée c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1070, et Worsfold c. Canada (Revenu national), 2012 CF 644.

[16]  La demanderesse ajoute également qu’aucun élément du dossier soumis à la ministre n’aurait rendu sa conclusion raisonnable. La demanderesse fait valoir que l’examen de ses documents par le bureau des services fiscaux (auquel font référence les notes de journal du ministre en date du 9 février 2015), n’est pas susceptible d’avoir révélé son obligation de produite les déclarations T1135. Elle ajoute que les agents de l’ARC qui lui ont téléphoné ont axé la conversation sur les déclarations T2 pour les années 2011 à 2013, et non sur les déclarations de renseignements T1135.

(2)  Défendeur

[17]  Le défendeur fait valoir que le ministre a raisonnablement conclu que la mesure d’exécution de l’ARC était susceptible d’avoir révélé les obligations de la demanderesse de produire ses déclarations T1135. Il commence en indiquant qu’en réponse à une demande du ministre, le paragraphe 150(2) de la Loi exige qu’une personne produise ses déclarations de revenus sur le formulaire prescrit et contenant les renseignements prescrits. Il indique également que le formulaire prescrit est la déclaration T2 – Déclaration de revenus des sociétés, et qu’à la page 2 du formulaire, on peut lire : « Pour chaque réponse affirmative, joignez l’annexe indiquée » (Souligné dans l’original). À la ligne 259 de la déclaration T2, la question suivante est posée : « La société a-t-elle possédé ou détenu des biens étrangers déterminés dont le coût indiqué total, à un moment quelconque de l’année, a dépassé 100 000 $CAN? ». Le défendeur soutient que si le contribuable a répondu « Oui » à cette question, la déclaration T1135 correspondante doit être produite avec la déclaration T2.

[18]  Le défendeur fait également valoir que le fait que l’ARC ait exigé que la demanderesse produise ses déclarations T2 pour les années 2011 à 2013 était non seulement susceptible de révéler les renseignements que la demanderesse cherchait à divulguer, mais que ces renseignements ont en fait été révélés, puisque la ligne 259 des déclarations de la demanderesse indiquait que cette dernière était un déclarant tenu de produire des déclarations de renseignements T1135.

[19]  Le défendeur prétend que, parce que l’ARC avait appris l’existence de biens étrangers au moyen des déclarations T2 exigées pour les années 2011 à 2013, avait signalé que la demanderesse se conformait aux exigences d’un nouvel examen (en partie en raison du fait qu’elle possédait des biens d’une valeur de plus de 500 000 $) et était en possession de renseignements indiquant que le bien le plus important déclaré par la demanderesse dans ses déclarations pour les années 2011 à 2013 était un terrain évalué à 1 552 500 $, elle était susceptible de découvrir que la demanderesse était propriétaire du terrain à l’étranger avant 2011. Le défendeur fait remarquer que conclure le contraire reviendrait à dire que personne au sein de l’ARC ne demanderait à la demanderesse de quelle façon et à quel moment elle avait acquis le terrain à l’étranger d’une valeur de 1 552 500 $, tout en déclarant de faibles revenus nets.

[20]  Le défendeur indique que le but du PDV est d’inciter les contribuables à corriger volontairement leurs manquements aux obligations fiscales, et qu’il était raisonnable que la déléguée du ministre rejette la tentative de la demanderesse d’omettre volontairement les déclarations de renseignements T1135 requises pour les années 2011 à 2013 pour plus tard prétendre les produire volontairement dans le cadre du PDV. De plus, le défendeur soutient que le but du PDV n’est pas d’être un moyen pour les contribuables de se soustraire délibérément à leurs obligations en vertu de la Loi.

C.  Caractère volontaire de la divulgation

[21]  Les parties conviennent que la seule question en litige est de savoir si la divulgation de la demanderesse était volontaire. Elles conviennent également que les deux principales questions à se poser pour déterminer le caractère volontaire sont de savoir si l’ARC avait convenu de prendre une mesure d’exécution contre la demanderesse, et, dans l’affirmative, si cette mesure d’exécution était susceptible de révéler les déclarations T1135 divulguées.

(1)  La mesure d’exécution était-elle en cours?

[22]  Comme la demanderesse l’a déclaré, l’affirmation de la déléguée du ministre selon laquelle [TRADUCTION] « à la date où nous avons reçu votre demande de divulgation, les cotisations relatives à vos déclarations T2 n’avaient pas été établies, » est en partie inexacte. En fait, les cotisations relatives aux déclarations T2 pour les années 2005 à 2010 avaient été établies. Comme la circulaire d’information n’indique pas le moment où la mesure d’exécution est considérée comme terminée, je suis d’avis que, dans les circonstances actuelles (après avoir accepté et examiné les déclarations T2 de la demanderesse pour les années 2005 à 2010), la seule interprétation raisonnable est que la mesure d’exécution de l’ARC relative à ces déclarations était terminée. Cependant, tel que le défendeur le souligne et que la décision en fait état, le paragraphe 33 de la circulaire d’information indique que les mesures d’exécution se rapportant à une année ou à une période de déclaration particulière sont considérées comme une mesure d’exécution pour toutes les années d’imposition. Bien que la demanderesse ait produit ses déclarations T2 pour les années 2011à 2013 un jour avant de présenter sa demande au titre du PDV, les cotisations relatives à ces déclarations n’avaient pas encore été établies. Je partage l’avis du défendeur selon lequel la mesure d’exécution était en cours relativement aux déclarations T2 pour les années 2011 à 2013, et qu’elle était donc en cours pour toutes les années d’imposition.

[23]  Il aurait certes été préférable que la déléguée du ministre fasse une distinction entre les mesures d’exécution terminées et celles en cours, mais j’estime que rien d’important ne découle de cette erreur.

(2)  La mesure d’exécution était-elle susceptible de révéler le défaut de la demanderesse de produire ses déclarations T1135?

[24]  La mesure d’exécution était-elle susceptible de révéler le défaut de la demanderesse de produire ses déclarations T1135? Je suis d’accord avec la demanderesse qui affirme que les déclarations devraient être examinées selon deux groupes distincts, soit celles couvrant les années 2011 à 2013 et celles couvrant les années 2005 à 2010. Nous les examinerons donc de cette manière.

(a)  Déclarations relatives aux années 2011 à 2013

[25]  Je crois que la déléguée du ministre a tiré une conclusion raisonnable concernant les déclarations T1135 de la demanderesse relativement aux années 2011 à 2013. Je conviens avec le défendeur que les paragraphes 150(1) et 150(2) de la Loi exigent que les renseignements soient transmis sur le formulaire prescrit, et que la page 2 de la déclaration T2 demande au contribuable de joindre les annexes requises à la déclaration T2. Par conséquent, la demanderesse a tort d’affirmer que la Loi lui permet de produire ses déclarations T1135 séparément de ses déclarations T2.

[26]  La déléguée du ministre a conclu que, comme les déclarations T2 de la demanderesse pour les années 2011 à 2013 indiquaient qu’elles étaient requises pour pouvoir produire les déclarations T1135, la mesure d’exécution prise par l’ARC aurait été susceptible de révéler l’obligation de produire ses déclarations T1135. Cette conclusion est manifestement raisonnable. En ce qui a trait à sa demande d’accès à l’information, les observations de la demanderesse ne me convainquent pas. Le fait qu’aucun document pertinent n’ait été reçu par suite de cette demande n’établit nullement que l’ARC n’aurait pas découvert l’omission de la demanderesse de produire ses déclarations T1135. Les déclarations T1135 figurent parmi plus de 50 annexes différentes que les sociétés peuvent être tenues de joindre à leurs déclarations T2. J’estime qu’il était raisonnable que la déléguée du ministre conclue qu’un agent de l’ARC tenterait de faire un suivi auprès de la demanderesse relativement à sa déclaration T1135 manifestement manquante.

(b)  Déclarations relatives aux années 2005 à 2010

[27]  Je partage l’avis de la demanderesse selon lequel la déléguée du ministre a tiré une conclusion déraisonnable concernant ses déclarations de revenus pour les années 2005 à 2010. Les motifs de la déléguée du ministre ne mentionnent pas qu’elle a envisagé la possibilité que la divulgation relative aux années 2005 à 2010 ait pu être volontaire, même si la divulgation relative aux années 2011 à 2013 ne l’était pas. Même si le PDV considère clairement que la mesure d’exécution relative aux déclarations T2 de la demanderesse pour les années 2011 à 2013 concerne les années 2005 à 2010, je ne crois pas que la déléguée du ministre ait fourni de motifs adéquats pour étayer sa conclusion voulant que cette mesure d’exécution ait pu révéler les obligations de la demanderesse de produire les déclarations T1135 pour les années 2005 à 2010.

[28]  Le défendeur offre une explication plausible selon laquelle l’agent de l’ARC, ayant découvert que la déclaration T1135 était requise pour une année donnée, vérifierait sûrement si une telle déclaration avait été requise et produite pour les années antérieures. Cependant, cette hypothèse ne trouve aucun appui dans le dossier, et le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve établissant qu’une telle manière de procéder est courante au sein de l’ARC. Rien dans les motifs de la déléguée du ministre ou encore dans les documents dont elle a été saisie n’indique qu’une telle hypothèse était la raison pour laquelle elle a conclu que la divulgation de la demanderesse relative aux années 2005 à 2010 n’était pas volontaire. La déléguée du ministre a plutôt basé sa décision sur le fait que la production des déclarations T1135 fait partie intégrante de la préparation des déclarations T2, et que les cotisations relatives à ces dernières déclarations n’avaient pas encore été établies. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, les cotisations relatives aux déclarations T2 de la demanderesse pour les années 2005 à 2010 avaient été établies. Dans ce contexte, aucun élément de la décision n’étaye la conclusion tirée par la déléguée du ministre voulant que l’ARC ait vraisemblablement découvert les obligations de la demanderesse de produire les déclarations T1135 pour les années 2005 à 2010.

[29]  Je conviens également avec la demanderesse que l’omission de la déléguée du ministre d’examiner séparément les déclarations T1135 pour les années 2005 à 2010 et celles relatives aux années 2011 à 2013 était particulièrement préoccupante, puisque c’est sur ce fondement que la première demande de contrôle judiciaire avait été résolue. La déléguée du ministre n’était certainement pas liée par la lettre du ministère de la Justice. Il était toutefois raisonnable pour la demanderesse de s’attendre à ce que la déléguée du ministre explique au moins pourquoi elle s’écartait de l’avis de son propre conseiller juridique.

[30]  Le dossier dont disposait la déléguée du ministre indique que l’agent de l’ARC qui a examiné les deux décisions prises au titre du PDV et qui a formulé une recommandation à la déléguée du ministre était au courant de la lettre du ministère de la Justice. L’agent de l’ARC a écrit que la [TRADUCTION] « recommandation du ministère de la Justice indique que l’agent affecté au second examen n’a pas abordé la question de savoir si la mesure d’exécution était susceptible de révéler les renseignements faisant l’objet de la divulgation. » Ce fait par lui-même démontre une mauvaise compréhension de la lettre de recommandation du ministère de la Justice, et les notes de l’agent de l’ARC n’indiquent pas qu’il a tenu compte de la possibilité qu’une partie, mais non l’ensemble de la divulgation, ait pu être volontaire. Tout particulièrement, les notes renferment l’erreur suivante, répétée dans la décision de la déléguée du ministre : [TRADUCTION« au moment de la divulgation volontaire, les cotisations relatives aux déclarations T2 n’avaient pas été établies ». Aucun élément de la décision n’indique que la déléguée du ministre ait même tenu compte de la lettre du ministère de la Justice, ou n’explique pourquoi la déléguée du ministre croyait que la mesure d’exécution de l’ARC était susceptible de révéler les déclarations T1135 de la demanderesse pour les années 2005 à 2010. À cet égard, pour ces motifs et en raison des faits de l’espèce, la décision est déraisonnable.

V.  Conclusions

[31]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La déléguée du ministre a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[32]  En outre, la décision n’explique pas pourquoi la mesure d’exécution de l’ARC était susceptible de révéler les obligations de production des déclarations T1135 de la demanderesse pour les années 2005 à 2010, et n’a pas tenu compte de la lettre du ministère de la Justice donnant la même information.


JUGEMENT dans le dossier T-63-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est fondée sur une conclusion de fait déraisonnable.

  3. L’affaire est renvoyée à un autre délégué du ministre pour nouvel examen.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-63-17

INTITULÉ :

MATTHEW BOADI PROFESSIONAL CORPORATION c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2018

COMPARUTIONS :

Me Lauchlin MacEachern

POUR LA DEMANDERESSE

Me Valerie Meier

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Moodys Gartner Tax Law LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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