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Date : 20171215

Dossier : IMM-5073-17

Référence : 2017 CF 1154

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2017

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

AHMAD HAROON ASHRAFI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, un citoyen de l’Afghanistan âgé de 39 ans, demande un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue pour le dimanche 15 décembre 2017. Depuis son arrivée au Canada en 1997 en tant qu’immigrant parrainé par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, il a été reconnu coupable d’un certain nombre d’infractions pénales, y compris de vol, d’agression armée, de voies de fait causant des lésions corporelles, de harcèlement criminel, d’omission de se conformer à des ordonnances de probation, de résistance à l’arrestation, et de possession de substances contrôlées.

[2]  Le 1er février 2013, un rapport établi en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) a été délivré et le demandeur a été convoqué à une enquête. Il ne s’est pas présenté à l’audience en 2013 et a finalement été arrêté le 26 février 2014. Le 3 avril 2014, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. Un appel de cette décision a par la suite été abandonné.

[3]  Le demandeur ne s’est pas présenté aux entrevues de renvoi avec l’Agence des services frontaliers du Canada et un mandat d’arrestation a été lancé contre lui le 21 juin 2017. Le mandat a été exécuté le 25 août 2017, alors que le demandeur était détenu au centre de détention d’Ottawa Carleton (OCDC) en raison d’accusations de voies de fait. Il est demeuré en détention depuis son arrestation. Pendant sa détention, le demandeur a été l’objet à plusieurs reprises d’accusations d’inconduite et a été placé en isolement pour éviter tout contact avec les autres détenus.

[4]  Le 16 août 2017, le demandeur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Son avocat a présenté des observations écrites en son nom le 28 septembre 2017, faisant valoir que le demandeur est une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR. L’avocat a cité un certain nombre de risques auxquels le demandeur pourrait être exposé s’il était renvoyé en Afghanistan :

  • Le chômage généralisé en tant que déporté afghan et en raison de problèmes de santé mentale perçus;

  • L’itinérance et la probabilité de se retrouver dans un camp de déplacés, et de faire l’objet d’extorsion et de voies de fait;

  • Le recrutement forcé par des groupes extrémistes et le fait d’être ciblé par les forces antigouvernementales en tant qu’Afghan qui a vécu de nombreuses années dans un pays de l’Ouest;

  • Être exposé à des punitions cruelles et inusitées par les tribus le percevant comme une personne « possédée » en raison de son apparence de personne souffrant de maladie mentale;

  • L’absence de protection de l’État ou de possibilité de refuge intérieur en Afghanistan.

[5]  Dans ses observations écrites, l’avocat a fait référence à une brève évaluation d’entrée effectuée par un psychiatre au centre de détention d’Ottawa Carleton le 18 août 2017 et a demandé que l’agent attende jusqu’au 1er janvier 2018 pour prendre une décision définitive, date à laquelle les résultats d’une évaluation plus approfondie de l’état mental du demandeur devaient être disponibles. Les services d’un psychiatre n’avaient pas encore été retenus. Un arrangement avec un psychiatre n’a été conclu qu’au milieu, ou à la fin, de novembre, après l’achèvement de l’ERAR.

[6]  L’agent d’ERAR a terminé son évaluation le 10 novembre 2017. Le rapport de 15 pages passe en revue les antécédents du demandeur, les risques cités dans les observations écrites de l’avocat et la documentation pertinente sur la situation dans le pays. L’agent d’ERAR n’a pas minimisé les risques potentiels rencontrés par toute personne en Afghanistan en raison de la violence omniprésente dans ce pays, mais a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour démontrer qu’il ferait face à risque personnalisé et qu’il était une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[7]   La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR présentée par le demandeur a été déposée le 28 novembre 2017. Dans cette requête de sursis, le demandeur fait valoir qu’il y a trois questions sérieuses à examiner dans la demande sous-jacente : 1) l’agent d’ERAR a violé son droit à l’équité procédurale en ne tenant pas compte de sa demande d’attendre après le 1er janvier 2018 pour prendre une décision; 2) l’agent n’a pas conduit d’analyse au titre de l’article 96; et 3) l’agent a tiré des conclusions inintelligibles concernant la preuve démontrant les risques auxquels font face les personnes ayant une maladie mentale en Afghanistan.

[8]  Le demandeur fait en outre valoir qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé en Afghanistan. Il s’appuie sur les mêmes risques que dans ses observations présentées pour l’ERAR.

[9]  En ce qui concerne le troisième volet du critère énoncé dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur en raison des questions sérieuses à examiner et du risque de préjudice irréparable auquel il est exposé : Figurado c. Canada (Solliciteur général, 2005 CF 347, au paragraphe 45.

[10]  Le seuil à franchir pour conclure qu’il y a une question sérieuse à trancher est peu élevé. La Cour doit être convaincue que la demande n’est ni frivole ni vexatoire. Bien qu’une enquête minimale sur le fond soit requise, elle ne devrait pas se prolonger : Telecommunications Workers Union c. Conseil canadien des relations industrielles et de Telus Communications Inc. 2005 (C.A.F.) 83.

[11]  Si l’autorisation est accordée dans cette affaire, la décision de l’agent d’ERAR sur le bien-fondé de la demande sera évaluée selon la norme de la décision raisonnable : Benko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, au paragraphe 15. Il n’est pas clair pour moi que lors d’un contrôle judiciaire selon cette norme, on estimerait que l’agent a commis une erreur en évaluant s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer une crainte fondée de persécution ou un risque personnalisé pour le demandeur en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR.

[12]  Le demandeur, par l’entremise de son avocat, a concentré ses observations à l’agent d’ERAR sur le risque personnalisé en vertu de l’article 97. Il ressort toutefois clairement des motifs que l’agent a considéré tant l’article 96 que l’article 97. L’agent a été attentif aux observations concernant la possibilité que le demandeur fasse l’objet de discrimination équivalant à de la persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention. Je ne suis pas convaincu qu’une question sérieuse découle de l’analyse de l’agent à cet égard.

[13]  La question de l’équité de la procédure m’a causé une plus grande préoccupation. Il aurait été préférable que l’agent et la Cour disposent d’un rapport médical plus complet dans ce cas, y compris les dossiers de l’hôpital relatifs à la chirurgie que le demandeur allègue avoir subie il y a environ deux ans. Mais ces antécédents médicaux ne faisaient pas partie du dossier soumis à l’agent et ne sont pas devant la Cour en ce moment.

[14]  La demande de reporter la décision jusqu’au 1er janvier 2018 a été présentée d’une manière si hésitante ([TRADUCTION] « si jamais vous aviez besoin d’une évaluation psychiatrique plus concluante de Haroon afin de rendre votre évaluation ») que l’agent pourrait difficilement être blâmé pour y avoir accordé peu de considération. En particulier lorsque le dossier dont disposait l’agent ne contenait aucun élément de preuve solide démontrant que le demandeur souffre effectivement d’une maladie mentale. Au mieux, il a suggéré que la poursuite de l’enquête serait appropriée et a parlé de la gestion de la colère et des problèmes de toxicomanie.

[15]  En tout état de cause, le fait de soulever une question sérieuse selon le critère énoncé dans Toth n’aurait pas résolu cette requête puisque le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé en Afghanistan. L’allégation d’un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités : Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1182. Dans la présente affaire, le demandeur, dans son argumentation, échafaude une foule d’hypothèses sur les éventuels préjudices qu’il pourrait subir s’il est vu comme quelqu’un revenant de l’Ouest ou comme une personne souffrant de problèmes de santé mentale. Ce n’est pas un cas où le demandeur n’a jamais vécu dans le pays de sa naissance. Il en est parti alors qu’il était adolescent, parle l’une des deux langues officielles et il y a plusieurs membres de sa famille qui y vivent encore. En outre, la preuve documentaire consultée par l’agent indique qu’il y a des services gouvernementaux et non gouvernementaux à la disposition des rapatriés.

[16]  L’argument selon lequel le demandeur se démarquera en tant que personne ayant des problèmes de santé mentale n’est pas corroboré par l’examen de son état mental du 18 août 2017 qui n’a cerné aucun problème visible dans son apparence ou son affect. Les troubles de la personnalité dont il pourrait souffrir semblent se manifester par une incapacité à contrôler son tempérament et à éviter de consommer des drogues.

[17]  La prépondérance des inconvénients pèse en l’espèce clairement contre le demandeur et en faveur du devoir du ministre d’exécuter l’ordonnance de renvoi. Les activités criminelles du demandeur ont commencé moins de deux ans après son arrivée au Canada; il a été reconnu coupable de plusieurs infractions graves au cours des vingt dernières années; il n’a pas réussi à démontrer une capacité de contrôler son comportement; et il vient devant la Cour à la recherche de l’octroi d’un recours extraordinaire sans avoir les mains propres dans ses rapports avec les autorités.

[18]  Le seul facteur en faveur du demandeur, c’est qu’il semble avoir des frères et sœurs qui le soutiennent. Malheureusement, dans les circonstances, ce n’est pas suffisant pour convaincre la Cour qu’elle doit intervenir en sa faveur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5073-17

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution du renvoi soit rejetée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5073-17

INTITULÉ :

AHMAD HAROON ASHRAFI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 15 décembre 2017

COMPARUTIONS :

Nicholas Hersh

Pour le demandeur

THOMAS FINLAY

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aboriginal Legal Services of Toronto

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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