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Date : 20180119


Dossier : IMM-2996-17

Référence : 2018 CF 50

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

EMMANUEL MUSABYIMANA

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire par Emmanuel Musabyimana (le demandeur) de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI), datée du 15 juin 2017, par laquelle la SAI a accueilli l’appel logé par le défendeur, le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le Ministre), à l’encontre d’une décision de la Section de l’immigration (la SI). La SI a conclu que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] en raison qu’il existe des motifs raisonnables de croire en sa complicité dans des crimes contre l’humanité qui se sont déroulés au Rwanda. Une mesure d’expulsion a été émise contre le demandeur en vertu de l’alinéa 229(1)b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[2]  Pour les raisons qui suivent, je suis de l’avis que la présente demande doit être rejetée.

II.  Les faits

[3]  Le demandeur a intégré l’École supérieure militaire rwandaise en 1985 et a complété une formation militaire et scientifique. Il a ensuite joint les Forces Armées Rwandaises (les FAR) en septembre 1989, dont l’effectif était de 5 000 soldats à cette époque. Tout au long de cette période et jusqu’à son exil en juillet 1994 vers la République démocratique du Congo, le demandeur a occupé plusieurs différents postes, incluant officier-formateur, chef de peloton (responsable d’un groupe de 36 soldats), et commandant de compagnie. Le demandeur a eu le grade de sous-lieutenant et le grade de lieutenant et a même été commandant de bataillon par intérim de décembre 1993 à la mi-mars 1994, date à laquelle les FAR comptaient plus de 40 000 soldats. Autre que sa carrière militaire au sein des FAR, le demandeur n’a jamais occupé d’emploi au Rwanda.

[4]  Le demandeur faisait aussi partie de la réserve de l’État-Major et a donc été déployé pour combattre le Front Patriotique Rwandais (le FPR) sur différents fronts. En raison de son profil, le FPR a tenté de le recruter à maintes reprises.

[5]  La mère du demandeur était Hutu, et son père était Tutsi. En raison de ce profil mixte, le demandeur devait se prouver encore plus que les autres soldats dans l’armée.

[6]  Le père du demandeur a été tué en avril 1994 vers le début du génocide durant lequel plus de 500 000 personnes (incluant 75 % de la population tutsie au Rwanda et des milliers de Hutus modérés) ont été assassinées durant les 13 semaines suivant le 6 avril 1994 (la période du génocide).

[7]  Sa mère a été battue à mort par le FPR en 1999 suite à une rumeur selon laquelle le demandeur était présent dans son village natal pour entreprendre des réunions. Dans le même incident, tous les résidents du village ont été arrêtés.

[8]  Avant le génocide, le demandeur avait investi dans la Radio-télévision libre de Mille Collines (RTLM). La RTLM diffusait des propos incendiaires à l’endroit des Tutsis sur les ondes.

[9]  Dans un article daté du 22 janvier 2009 par la Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs (l’article de presse), on révèle qu’un ancien membre des FAR accusé de génocide, le Général de Brigade Séraphin Bizimungu, a indiqué lors de son procès que les victimes tutsis avaient été tuées suite à une opération militaire qui recherchait les personnes soupçonnées soutenir la rébellion du FPR, et que le demandeur était parmi ceux qui étaient responsables de la mort de ces personnes en tant que commandant adjoint du Major Rusigarira, dirigeant du 81e Bataillon.

[10]  Le demandeur a obtenu son droit d’établissement au Canada le 9 décembre 2004 après avoir rempli des formulaires prévus pour les ressortissants rwandais ayant œuvré au sein des FAR, dans lesquels il a divulgué les informations pertinentes relatives à son parcours au sein des FAR.

[11]  Le 5 janvier 2010, le demandeur dépose une demande de citoyenneté auprès des autorités canadiennes. Le 2 avril 2012, il est convoqué pour une entrevue par un représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada (agent de l’ASFC) durant laquelle il a élu de ne pas répondre aux questions. Le 13 juin 2012, il reçoit une lettre lui indiquant que l’agent de l’ASFC est d’avis qu’il est une personne interdite de territoire en vertu des alinéas 35(1)a) et b) de la LIPR, et lui donnant la chance de soumettre des renseignements supplémentaires qui serviraient à mettre fin à la mesure de renvoi en question. Un rapport officiel lui a finalement été émis le 22 mars 2013, confirmant qu’il est une personne interdite de territoire en raison de son appartenance aux FAR.

[12]  Le 26 mars 2013, le dossier est transféré pour enquête devant la SI. L’audience devant la SI se tient les 4 et 5 février 2014, sans témoins du Ministre. Le 24 avril 2014, la SI rejette les prétentions du Ministre et affirme que le demandeur n’est pas visé à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, et que le Ministre n’a pas réussi son allégation sous l’alinéa 35(1)b) de la LIPR.

[13]  Le 23 mai 2014, le Ministre dépose son avis d’appel devant la SAI indiquant les motifs suivants :

  1. L’intimé a été décrit à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR pour avoir commis, hors Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;
  2. Le commissaire a commis une erreur de faits en ne reconnaissant pas que les Forces armées rwandaises (FAR) à l’époque du génocide, soit d’avril à juillet 1994, étaient une organisation ayant des fins limitées et brutales; et
  3. Le commissaire a commis une erreur de droit en ce qui concerne l’application de l’arrêt Ryan.

[14]  L’audience de cet appel se tient les 7 et 8 novembre 2016 à Montréal. Le 15 juin 2017, la SAI accueille l’appel du Ministre et émet une mesure d’expulsion en vertu de l’alinéa 229(1)b) du RIPR.

III.  Décision

[15]  La SAI a déterminé que la SI avait effectué une analyse étoffée pour déterminer si les FAR avaient commis des crimes contre l’humanité. La SAI a déclaré qu’il n’était pas contesté que les membres des FAR ont contribué au génocide rwandais, mais était en accord avec la conclusion de la SI selon laquelle certains membres des FAR n’avaient pas participé aux atrocités en question. La SAI a néanmoins conclu qu’un nombre important des membres des FAR ont joué un rôle dans le génocide rwandais.

[16]  La SAI a procédé d’abord par analyser le profil du demandeur et son rôle au sein des FAR pour déterminer s’il était un simple soldat anonyme comme illustré durant son témoignage. Parmi les faits discutés par la SAI à cet égard, je souligne les suivants :

  1. Le demandeur s’est joint aux FAR avant la croissance de leur effectif de 5 000 à 40 000 soldats;
  2. Il a occupé plusieurs postes d’importance aux FAR;
  3. Il devait se prouver plus que les autres soldats en raison de son ethnicité mixte;
  4. Une rumeur de sa présence dans son village natal pour entreprendre des réunions a causé une réaction majeure par le FPR engendrant la mort de sa mère;
  5. Des membres importants du FPR ont tenté à plusieurs reprises de le recruter;
  6. Son investissement dans la station RTLM; et
  7. La mention de son nom dans l’article de presse faisant le récit du procès contre le Général Bizimungu.

[17]  La SAI a conclu que ce profil ne correspondait pas à celui d’un militaire régulier.

[18]  Ensuite, la SAI s’est penchée sur la question de savoir si le profil du demandeur étayait une conclusion de complicité. La SAI a abordé le sujet en appliquant les critères énoncés par la Cour suprême dans Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola]. La SAI a reproduit les arguments soulevés dans son analyse du profil du demandeur, notant quelques lacunes dans la crédibilité du demandeur, pour parvenir à une conclusion de complicité justifiant que le demandeur était une personne interdite de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

[19]  La SAI a donc accueilli l’appel du Ministre et a émis une mesure d’expulsion, concluant qu’il existait des motifs sérieux de croire que le demandeur a eu une contribution significative, volontaire et consciente au dessein criminel des FAR durant la période du génocide.

IV.  Questions en litige

[20]  Les cinq questions à aborder en l’espèce sont les suivantes :

  1. Est-ce que la SAI a excédé sa compétence en statuant sur des questions débordant le cadre des motifs d’appel soulevés par le Ministre?
  2. Est-ce que la SAI a erré en appliquant le mauvais fardeau de preuve ou un critère non pertinent à son analyse?
  3. Est-ce que la SAI a appliqué les critères juridiques élaborés dans Ezokola de façon adéquate?
  4. Est-ce que les conclusions factuelles tirées par la SAI sont erronées et déraisonnables?
  5. Est-ce que la SAI a erré en omettant d’évaluer la crédibilité du demandeur?

V.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[21]  Les parties s’entendent sur le fait que la révision d’une décision de la SAI en ce qui concerne la question de l’interdiction de territoire doit être faite suivant la norme de la décision raisonnable. Je suis en accord : Al Khayyat v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 175 aux paras 17-18; Parra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 364 aux paras 17-18.

[22]  En ce qui concerne l’argument selon lequel la SAI aurait appliqué le mauvais critère juridique dans son analyse, le demandeur soumet que l’application de la norme de contrôle de la décision correcte s’impose : Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 au para 17. En réponse, le Ministre soumet que la SAI n’a pas erré sur le critère juridique applicable, mais ne conteste pas le fait que la norme de la décision correcte soit applicable.

B.  Est-ce que la SAI a excédé sa compétence en statuant sur des questions débordant le cadre des motifs d’appel soulevés par le Ministre?

[23]  Le demandeur note que l’avis d’appel qui a été déposé par le Ministre devant la SAI n’allègue que deux erreurs par la SI. La première des erreurs alléguées était le défaut d’avoir reconnu que les FAR, à l’époque du génocide, étaient une organisation ayant des fins limitées et brutales. La deuxième erreur alléguée concerne l’application de l’arrêt Ryan (R c Ryan, 2013 CSC 3) sur le principe de la défense de contrainte. Cette deuxième erreur n’a pas été discutée davantage devant moi, parce que selon le demandeur il s’agit d’un argument subsidiaire.

[24]  Le demandeur accepte que la SAI fût chargée de faire une analyse de novo, et donc n’était pas liée par les conclusions de la SI : Castello Viera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1086 aux paras 10-12 [Castello Viera]. Toutefois, le demandeur argumente que la SAI était liée par la portée de l’appel interjeté par le Ministre, et que la SAI a excédé sa compétence en statuant sur des questions débordant de ce cadre.

[25]  Le Ministre répond que ni les lois pertinentes (LIPR et Règles de la SAI) ni la jurisprudence n’exigent qu’un avis d’appel de la SI soit exhaustif ou que la SAI doive se limiter à la portée de l’appel.

[26]  À mon avis, le fait que l’appel devant la SAI soit de novo suggère que la SAI est libre d’examiner toute question pertinente, et ne doit pas se limiter à la portée de l’avis d’appel pour déterminer si une personne est interdite de territoire. Dans Castello Viera au para 11, le juge en chef Paul Crampton indique que :

[…] aucune disposition de la LIPR non plus qu’aucune décision rendue ne restreignent l’exercice de la compétence de novo de la SAI aux situations où de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à l’attention de la Section de l’immigration sont présentés.

[27]  De plus, dans l’arrêt Mendoza c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934 au para 18, le juge Yves de Montigny confirme « le pouvoir de la SAI de reprendre l’instance depuis le début, sans égard aux motifs pour lesquels il est fait droit à l’appel ».

[28]  Je suis satisfait que rien ne limite la compétence de la SAI de statuer sur des questions qui débordent le cadre des motifs d’appel. Je conclus que la SAI n’a pas erré sur ce sujet.

C.  Est-ce que la SAI a erré en appliquant le mauvais fardeau de preuve ou un critère non pertinent à son analyse?

[29]  Les parties s’entendent sur le fardeau de preuve applicable, soit l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur a contribué de façon significative, volontaire et consciente à la commission d’une infraction visée à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Cependant, le demandeur s’objecte à ce que la SAI considère son « profil » dans son analyse de la complicité dans l’infraction en question, en particulier durant des intervalles antérieurs et postérieurs à la période du génocide. Le demandeur soumet que la SAI aurait dû plutôt considérer la preuve d’actes coupables commis par le demandeur personnellement durant la période du génocide. Le demandeur ajoute qu’il n’existe aucune telle preuve. Le demandeur argumente qu’en se basant sur le profil du demandeur, en dehors de la période du génocide, la SAI s’est engagée déraisonnablement en spéculation.

[30]  Le Ministre note que la SAI a fait référence au profil du demandeur pour conclure au caractère invraisemblable et non crédible de certains aspects de son témoignage. Le Ministre soumet que cette analyse fût basée sur la preuve qui établit un lien entre la contribution du demandeur et le dessein criminel des FAR et est donc raisonnable.

[31]  Je suis en accord avec le Ministre. La SAI ne s’est pas engagée en spéculation. Son analyse du profil du demandeur était permissible et raisonnable.

D.  Est-ce que la SAI a appliqué les critères juridiques élaborés dans Ezokola de façon adéquate?

[32]  Les parties conviennent que l’arrêt Ezokola établit les critères qui sont pertinents à la complicité d’une personne à une infraction à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Au paragraphe 91 de sa décision, la Cour suprême a indiqué ce qui suit :

[91]  L’existence de raisons sérieuses de penser qu’une personne a commis des crimes internationaux dépend des faits de chaque affaire. Dès lors, pour déterminer si les actes d’un individu correspondent à l’actus reus et à la mens rea exigés pour qu’il y ait complicité, plusieurs considérations peuvent se révéler utiles. L’énumération qui suit rassemble celles retenues par les tribunaux canadiens et britanniques, de même que par la CPI. Elle permet de baliser l’analyse visant à déterminer si une personne a ou non volontairement apporté une contribution significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel :

(i) la taille et la nature de l’organisation;

(ii) la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

(iii) les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(iv) le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(v) la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel);

(vi) le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eu ou non de quitter l’organisation.

[33]  La SAI a considéré la pertinence de l’arrêt Ezokola, et a analysé les critères pertinents. Il faut rappeler que cette analyse était basée sur la conclusion préliminaire de la SAI selon laquelle un nombre important des membres des FAR ont joué un rôle dans le génocide rwandais. Il faut aussi rappeler que le seuil pour l’interdiction de territoire prévu à l’article 33 de la LIPR n’est pas très élevé et consiste à se demander s’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur a commis l’infraction prévue à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Donc, l’analyse de la SAI devait déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur se trouvait parmi le nombre important des membres des FAR qui ont joué un rôle dans le génocide rwandais.

[34]  Le demandeur attaque plusieurs des conclusions de la SAI dans son analyse des critères Ezokola, mais il est clair que la SAI n’a pas fait défaut d’avoir considéré ces critères. Par exemple, le demandeur soumet que puisque les FAR comprenaient 40 000 membres au moment du génocide, et qu’il s’agissait d’une organisation multiforme et hétérogène, il est impossible de conclure à sa complicité par le simple fait d’être membre des FAR.

[35]  À mon avis, l’analyse du profil du demandeur pour arriver à la conclusion qu’il ne correspondait pas à celui d’un militaire régulier était raisonnable. Je suis aussi de l’avis que cette analyse fût pertinente à la question de sa complicité. Je suis du même avis concernant les autres arguments du demandeur au sujet de l’analyse des critères Ezokola. La SAI a précisé pourquoi elle trouvait que le profil du demandeur était pertinent, et a raisonnablement considéré la preuve à cet égard.

[36]  Même pour les conclusions qui ne sont pas liées au profil du demandeur, je ne suis pas convaincu que la SAI a erré dans son analyse des critères Ezokola. Je ne vois aucune faute de logique, ni confusion ou ignorance de la preuve dans le raisonnement adopté par la SAI.

[37]  Le demandeur argumente aussi que la SAI a erré en arrivant à la conclusion que, durant la période du génocide, les FAR étaient une organisation ayant des fins limitées et brutales. Le demandeur note qu’il s’agit d’une conclusion de fait qui est basée sur la jurisprudence (au lieu de la preuve déposée en première instance et devant la SAI). Le demandeur soumet aussi qu’il est contradictoire et donc déraisonnable de conclure qu’une organisation multiforme et hétérogène, telle les FAR, puisse être légitime à un moment et criminelle à un autre.

[38]  Je ne trouve aucune erreur ici non plus. Il est difficile de nier l’existence du génocide au Rwanda en 1994. Il est également difficile de nier l’implication des membres des FAR dans ce génocide. La jurisprudence citée par la SAI (Seyoboka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 104 au para 17; Rutayisire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1168 au para 34; Seyoboka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1143 au para 34) se base sur de nombreux éléments de preuve objective qui sont publiques. Rien ne m’indique que cette preuve objective ou ces conclusions sont incorrectes. J’accepte que la conclusion de la SAI que les FAR étaient une organisation ayant des fins limitées et brutales durant la période du génocide fût raisonnable. J’arrive à cette conclusion même si les FAR étaient légitimes à un moment donné avant le génocide.

E.  Est-ce que les conclusions factuelles tirées par la SAI sont erronées et déraisonnables?

[39]  Le demandeur soulève plusieurs erreurs par la SAI en ce qui concerne ses conclusions factuelles. Je ne fais pas référence à toutes les erreurs alléguées. Il suffit d’indiquer que je ne suis pas convaincu que l’une des conclusions factuelles de la SAI soit déraisonnable.

[40]  J’accepte que deux de ces conclusions factuelles soient discutables, mais elles ne sont pas assez significatives pour avoir pu changer le résultat. Premièrement, la SAI a déclaré que le demandeur a formé « des milliers de nouveaux soldats ». Même si le nombre de nouveaux soldats ne peut être quantifié en milliers, je suis satisfait que l’analyse de la SAI à cet égard soit raisonnable. L’autre conclusion factuelle discutable concerne l’indication que Major Habyarimana Emmanuel, qui a participé à des efforts pour recruter le demandeur au FPR, était un ex-ministre de la Défense du Rwanda. En fait, il est maintenant un ex-ministre de la Défense, mais à l’époque il était un futur ministre de la Défense. Je ne trouve aucune erreur dans les conclusions de la SAI concernant l’importance des personnes qui essayaient de persuader le demandeur de se joindre au FPR.

[41]  Le demandeur note aussi la discussion par la SAI concernant son admission selon laquelle, en raison de son ethnicité mixte, il devait se prouver encore plus que les autres soldats dans l’armée. Il soumet que la SAI ne pouvait pas raisonnablement conclure à sa complicité du seul fait de sa détermination à être un membre assidu d’une unité combattante. Je suis satisfait que les conclusions de la SAI doivent être considérées ensemble, et que la SAI ne soit arrivée à aucune de ces conclusions pour cette seule raison.

[42]  Le demandeur se plaint de la discussion de la SAI au sujet de l’investissement dans la station RTLM, affirmant qu’il était déraisonnable de conclure que le demandeur ait pu connaître l’identité et les intentions futures de ses fondateurs (des gens influents du gouvernement et des FAR). Je suis satisfait que la SAI n’ait pas erré en concluant que cet investissement était une considération pertinente. De plus, la SAI a considéré la preuve à cet égard (incluant le contexte au moment de l’investissement initial du demandeur et ses actions subséquentes, notamment son omission de retirer ses investissements) et avait droit de tirer sa conclusion principale selon laquelle il était invraisemblable que le demandeur ne connût pas les actionnaires majoritaires et ignorait le but de la station.

[43]  Le demandeur se plaint aussi de la référence par la SAI dans l’article de presse au sujet du procès contre un ancien membre des FAR accusé de génocide, et qui nomme le demandeur comme étant responsable des morts. Il est clair que la SAI n’a pas mis beaucoup de poids sur cette preuve, reconnaissant qu’elle soit « très circonstancielle ». Elle a conclu simplement qu’en tenant compte d’autres aspects, antérieurs et postérieurs à la période du génocide concernant le profil de l’intimé, le fait que le demandeur soit mentionné dans l’article de presse est un aspect additionnel à considérer sur la question de savoir si le demandeur était un simple soldat parmi 40 000 autres qui n’avait aucune connaissance ou participation aux actes génocidaires durant la période du génocide. À mon avis, cette conclusion est raisonnable.

F.  Est-ce que la SAI a erré en omettant d’évaluer la crédibilité du demandeur?

[44]  Le demandeur se plaint que la SAI ne s’est pas prononcée explicitement sur la crédibilité du demandeur, et qu’elle cite quelques passages du témoignage du demandeur qui seraient hors contexte.

[45]  À mon avis, dans son parcours des critères Ezokola, la SAI a indiqué raisonnablement quand elle basait ses conclusions sur le manque de crédibilité du demandeur et pourquoi. Je ne suis pas convaincu que la SAI a erré à cet égard. Je ne suis pareillement pas convaincu que la SAI a cité le témoignage du demandeur hors contexte.

VI.  Conclusions

[46]  Je conclus que cette demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[47]  La SAI a établi de façon adéquate l’existence de motifs raisonnables de croire que le demandeur a eu une contribution significative, volontaire et consciente aux desseins criminels des FAR, selon les critères Ezokola.

[48]  Le demandeur demande que je certifie une question grave de portée générale au sujet de la compétence de la SAI de statuer sur des questions débordant le cadre des motifs d’appel soulevés dans l’avis d’appel de la décision de la SI.

[49]  Considérant les arguments des parties, ainsi que les autorités citées dans l’analyse de cette question ci-dessus, je suis de l’avis que rien ne supporte la position du demandeur. Il ne cite aucun article de la LIPR ni aucune jurisprudence qui contredit les autorités citées ci-dessus. Dans l’absence d’une raison de croire que la position du demandeur pourrait avoir du mérite, je conclus que la question proposée par le demandeur n’est pas grave.


JUGEMENT au dossier IMM-2996-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question sérieuse de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2996-17

 

INTITULÉ :

EMMANUEL MUSABYIMANA c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Sébastien Chartrand

 

Pour le demandeur

 

Me Daniel Latulippe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roy Larochelle Avocats Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur(e) général(e) du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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