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Date : 20180123


Dossier : IMM­2192­17

Référence : 2018 CF 61

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ABDULKARIM AHMED

(AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE ABDULKARIM MOHAMED AHMED)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

APRÈS avoir entendu la présente demande de contrôle judiciaire à Toronto (Ontario), le 5 décembre 2017;

ET APRÈS avoir examiné les documents déposés et entendu les avocats des parties;

ET APRÈS avoir pris l’affaire en délibéré;

ET APRÈS avoir conclu que la demande doit être rejetée pour les motifs suivants :

[1]  Le demandeur, Abdulkarim Ahmed, est un citoyen de la Somalie qui demande l’annulation d’une décision de la Section d’appel des réfugiés, dans laquelle elle a déterminé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]  M. Ahmed soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve de risque personnalisé et de risque généralisé en Somalie.  En ce qui concerne le risque personnel allégué, il conteste la conclusion de la Section d’appel des réfugiés quant à son manque de crédibilité.  En ce qui a trait au risque général auquel il s’expose en Somalie, il soutient que la Section d’appel des réfugiés a été déraisonnablement sélective quant aux éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée.

[3]  La critique formulée dans son évaluation de la crédibilité n’est pas fondée.  En concluant que M. Ahmed n’était pas un témoin crédible, la Section d’appel des réfugiés s’est appuyée sur plusieurs incohérences notables dans son témoignage, dont les suivantes :

  • a) Une divergence importante quant à la date à laquelle il aurait été enlevé.Bien qu’il attribue le problème à une erreur d’interprétation, la Section d’appel des réfugiés n’a pas accepté cette explication, en partie parce que M. Ahmed n’a pas tenté de corriger le formulaire Fondement de la demande d’asile.

  • b) Au cours de l’interrogatoire, ses explications changeaient quant à l’endroit où il se trouvait lorsque son frère aurait été assassiné.Il a d’abord répondu qu’il était présent, puis à proximité et, par la suite, dans le pays. La Section d’appel des réfugiés était sceptique à l’égard des conjectures sur les motifs de cet homicide allégué.

  • c) Des réponses contradictoires sur la question de savoir s’il était marié et à quel moment il s’était marié.

  • d) Le fait qu’il n’ait pas enregistré sa présence au Kenya et déposé les documents corroborant ce lieu de résidence.La Section d’appel des réfugiés était également préoccupée par l’excuse de M. Ahmed selon laquelle agir ainsi aurait été, pour lui, une perte de temps.

[4]  Toutes les conclusions tirées par la Section d’appel des réfugiés sur la crédibilité du demandeur étaient étayées par des éléments de preuve.  En fait, l’impression laissée par le témoignage de M. Ahmed était qu’il était, au mieux, un témoin insouciant.  L’exemple le plus éloquent ressort au cours d’un long échange pendant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés concernant la date à laquelle il avait quitté la Somalie, et au cours duquel il a livré la série de réponses contradictoire suivante :

[traductionM. Ahmed : À mon avis, l’interprète a commis l’erreur, parce que j’ai dit que j’avais quitté le pays à la fin de 2010 et non de 2011. 

[...]

M. Ahmed : J’ai quitté le pays en 2010. Je suis arrivé au Kenya en 2011. Je ne crois pas avoir commis l’erreur. Je crois que c’est la personne qui a inscrit la date qui a commis l’erreur.

[...]

M. Ahmed : Je n’ai jamais dit que j’avais quitté le pays en 2011. J’ai simplement dit qu’Al Shabaab m’a hébergé à la fin de 2010. Je ne crois pas que mon explication était difficile à comprendre et on peut le constater à divers endroits – le moment et les événements qui sont survenus.

[...]

M. Ahmed : J’ai expliqué la fois où j’ai quitté le pays et la fois où je suis allé dans l’autre pays. J’ai donné cette explication et je ne crois pas avoir commis l’erreur en vous disant autre chose. Si vous avez le document devant vous, vous constaterez que j’ai quitté le pays en 2011.

[...]

M. Ahmed : Ce que je dis, c’est que j’ai quitté le pays à la fin de 2010 et ils nous ont retenus pendant 15 jours […]

Tribunal : Monsieur, arrêtez (en réponse au fait que M. Ahmed interrompt l’interprète pour lui fournir d’autres renseignements).

M. Ahmed : Tout ce que je dis, c’est que j’ai quitté le pays en juin 2011.

[...]

Tribunal : Monsieur, vous ne pouvez pas interrompre l’interprète. Je ne sais pas ce que vous avez dit avant d’interrompre l’interprète, parce que je n’ai pas le privilège de comprendre le somali. Nous avons déjà discuté de ce point. Vous parlez pendant quelques secondes, puis vous laissez parler l’interprète. L’interprétation pose­t­elle des problèmes?

M. Ahmed : Peut­être, parfois, lorsque je dis 2010, elle dit autre chose ou peut­être qu’elle ne m’entend pas.

Tribunal : Si vous avez un exemple précis, je vous inviterais à me le signaler.

M. Ahmed : À ce moment­là, j’ai dit qu’Al Shabaab m’a hébergé à la fin de 2010. Je n’ai jamais dit que j’avais quitté le pays en 2010,  mais elle (interprète) continue de dire que j’ai quitté le pays en 2010.

Tribunal : Je ne comprends pas. Êtes­vous en train de dire que l’interprète dit quelque chose de différent de ce que vous dites?

M. Ahmed : Oui. Cela s’est produit à deux occasions. Lorsque je n’ai pas dit que j’avais quitté le pays en 2010, elle a dit que c’était le cas.

Tribunal : Monsieur, dites­moi quand vous avez quitté le pays.

M. Ahmed : Je suis parti le 6 juin 2011.

[5]  L’incapacité de M. Ahmed de fournir une réponse concordante sur l’année de son départ de la Somalie a soulevé, auprès de la Section d’appel des réfugiés, des préoccupations importantes et bien fondées sur sa crédibilité.  Cette préoccupation, et les autres préoccupations relevées liées à la crédibilité fournissent un fondement raisonnable pour que la Section d’appel des réfugiés conclue qu’il n’a pas réussi à établir un risque personnalisé en Somalie. 

[6]  La contestation de M. Ahmed de l’évaluation qu’a effectuée la Section d’appel des réfugiés du risque généralisé auquel il était exposé en Somalie est également dénuée de fondement.  Cet argument n’est qu’une invitation lancée à la Cour de soupeser de nouveau les éléments de preuve pertinents, de façon plus favorable.  Bien entendu, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, où elle doit faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation raisonnable des éléments de preuve présentés au décideur.

[7]  La Section d’appel des réfugiés a reconnu l’identité déclarée de M. Ahmed comme membre du sous­clan du clan Sheikal connu sous le nom de Rer Aw Hassan.  La Section d’appel des réfugiés a ensuite pris en considération de façon appropriée le risque généralisé auquel sont exposés les membres de ce groupe.

[8]  La principale critique de M. Ahmed à l’endroit de l’évaluation, par la Section d’appel des réfugiés, du risque généralisé concerne le lien de son sous­clan avec le clan Hawiye.  Le clan Hawiye était connu pour avoir une présence plus importante et plus marquée en Somalie, et de ce fait, il était en mesure de protéger les membres des sous­clans au sein de leur champ d’activités protégées.  M. Ahmed attribue à la Section d’appel des réfugiés une conclusion erronée selon laquelle le clan Sheikal [traduction] « appartient au clan Hawiye ».  Il soutient que, sur ce point, les éléments de preuve étaient loin d’être clairs et ne suffisaient pas à étayer la conclusion de la Section d’appel des réfugiés.

[9]  Le problème fondamental avec cet argument est que la Section d’appel des réfugiés n’est pas arrivée à une conclusion sans équivoque selon laquelle le clan Sheikal était placé sous la protection du clan Hawiye.  La Section d’appel des réfugiés a simplement fait remarquer que la [traduction] « majorité des sources considèrent que le clan Sheikal est associé au clan Hawiye, en tant que sous­clan du clan Hawiye, ou même de famille clanique distincte ».  Contrairement à l’argument de M. Ahmed, la Section d’appel des réfugiés ne s’est pas étendue sur le sujet et n’a pas conclu que M. Ahmed serait en mesure de tirer parti de ces relations s’il retournait en Somalie.  Après avoir passé en revue les groupes généralement ciblés par Al Shabaab dans sa zone d’influence, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’en tant que membre du clan Sheikal, le sous­clan Rer Aw Hassan, M. Ahmed n’avait pas réussi à établir un risque lié à Al Shabaab.

[10]  Cette conclusion voulant que M. Ahmed n’ait pas réussi à établir que son clan était une cible non protégée d’Al Shabaab se trouve dans le passage suivant : [traduction]

[58]   Compte tenu de la totalité des éléments de preuve en l’espèce, la Section d’appel des réfugiés conclut que l’appelant n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve probants, fiables et satisfaisants, pour étayer sa demande d’asile. La Section d’appel des réfugiés conclut également qu’il n’existe aucun élément de preuve important dans les documents du pays indiquant que les membres du clan Sheikal, le sous­clan Rer Aw Hassan, sont victimes de discrimination de la part d’Al­Shabaab ou sont ciblés par ce dernier, de telle sorte que l’appelant serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution ou qu’il serait, selon la prépondérance des probabilités, exposé personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore au risque d’être soumis à la torture à son retour en Somalie.

[59]   Pour les motifs qui précèdent, la Section d’appel des réfugiés conclut que, dans les circonstances particulières en l’espèce, l’appelant n’a pas établi une possibilité sérieuse de persécution ou qu’il serait, selon la prépondérance des probabilités, exposé personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore au risque d’être soumis à la torture à son retour en Somalie.

[11]  La conclusion ci­dessus a été formulée de manière raisonnable, fondée sur des éléments de preuve très faible de risque généralisé présentée par M. Ahmed.  Si le statut du clan de M. Ahmed l’a exposé à un risque accru en Somalie, c’est lui qui était le mieux placé pour en faire la preuve.  Il s’est plutôt fondé sur un dossier confus et non concluant quant à la place qu’il occupait dans la hiérarchie des clans somaliens et à la relation qu’il entretenait avec Al Shabaab.  En l’absence d’éléments de preuve clairs selon lesquels le statut du clan de M. Ahmed faisait de lui une cible potentielle, la conclusion de la Section d’appel des réfugiés ne peut être attaquée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[12]  M. Ahmed soutient également que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve établissant que les mécanismes traditionnels de protection offerts par les clans somaliens plus forts aux groupes minoritaires au sein de leur population n’ont plus autant de poids qu’avant.  C’est peut­être vrai, mais là n’est pas la question.  M. Ahmed ne s’est simplement pas acquitté du fardeau d’établir un risque généralisé fondé sur le statut de son clan.

[13]  Je note également que cet élément de preuve dont la Section d’appel des réfugiés aurait fait abstraction n’était pas mentionné dans le mémoire des arguments que M. Ahmed a présenté à la Section d’appel des réfugiés, et il ne devrait pas trop se surprendre que la décision n’en ait pas fait mention.

[14]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. 

[15]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce. 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM­2192­17

LA COUR rejette la présente demande. 

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­2192­17

INTITULÉ :

AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Eve Sehatzadeh

 

Pour le demandeur

 

Prathima Prashad

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eve Sehatzadeh

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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