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Date : 20180119


Dossier : T-841-17

Référence : 2018 CF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JEFF EWERT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Jeff Ewert, est un détenu qui purge actuellement une peine d’emprisonnement à l’établissement correctionnel La Macaza [La Macaza], situé à quelque 170 kilomètres au nord de Montréal, au Québec. Il attaque une décision finale du sous-commissaire principal du Service correctionnel du Canada (SCC) qui a rejeté son grief concernant un transfèrement interrégional ayant eu lieu en décembre 2014.

[2]  La demande est contestée par le Procureur général du Canada – défendeur en l’instance – qui défend la légalité et le caractère raisonnable de la décision contestée.

 I  Transfèrement

[3]  Le 23 septembre 2014, le demandeur a fait l’objet d’un transfèrement pour des raisons administratives, de La Macaza à l’Établissement du Pacifique, afin de comparaître à une audience de la Cour fédérale. Son retour à La Macaza a été approuvé le 10 décembre 2014, et s’est déroulé entre le 17 et le 19 décembre 2014, comme je l’expliquerai ci-après.

[4]  Le 17 décembre 2014, le demandeur a quitté Abbotsford en Colombie-Britannique, par avion, avec d’autres détenus, à 8 h 30 (HNP). Puisque l’avion a décollé tôt, le demandeur n’a pas reçu son injection hebdomadaire dans le cadre de son traitement contre l’hépatite. Avant le départ, on lui a toutefois administré son médicament par voie orale. Pendant le vol, le demandeur était menotté et portait une ceinture de force; sa mobilité était donc réduite et il lui était difficile de manger et de boire. Il a été autorisé à utiliser les toilettes toutes les deux heures, sous la surveillance directe d’un agent et à la vue des agentes de bord; un fait qui est toutefois contesté par le SCC. L’avion devait faire des escales à Edmonton, à Saskatoon, à Winnipeg, à Trenton et à Montréal. La destination finale du demandeur, pour cette première journée, était toutefois Trenton, en Ontario, où il est arrivé à 19 h 28 (HNE), environ huit heures plus tard. D’autre part, les délinquants incarcérés à l’unité spéciale de détention [USD], qui prenaient place dans le même avion que le demandeur, se sont envolés vers Montréal ce soir-là. Il appert que M. Ewert a demandé de rester à bord, de façon à poursuivre sa route vers Montréal, mais cette demande a été refusée au motif qu’il ne faisait pas partie de l’USD. À son arrivée à Trenton, le demandeur a été conduit à l’Établissement de Collins Bay, situé à Kingston, en Ontario, où il a passé la nuit à l’unité d’isolement. Il a été fouillé à nu à son arrivée à l’unité. Sa demande de médicaments a été refusée, parce qu’il n’y avait aucune infirmière en fonction à ce moment-là. Il ne pouvait pas faire de l’exercice ou prendre une douche. Au moment de quitter l’établissement, il a été fouillé à nu de nouveau.

[5]  Le 18 décembre 2014, soit le deuxième jour du déplacement, le demandeur a quitté Kingston par avion. L’avion a fait des escales à Québec, à Moncton, à Port-Cartier, puis a finalement atterri à Montréal. Sur ce vol, les conditions de détention étaient semblables à celles décrites ci-dessus. À son arrivée à Montréal à 19 h 45 (HNE), le demandeur a été conduit à Sainte-Anne-des-Plaines pour y passer la nuit.

[6]  Le 19 décembre 2014, troisième jour du déplacement, le demandeur est finalement arrivé à La Macaza. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a reçu son injection pour l’hépatite.

 II  Grief

[7]  Le 1er janvier 2015, le demandeur a déposé directement un grief au troisième palier en vertu de l’article 80 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement], contestant globalement les diverses pratiques du SCC au cours du transfèrement de décembre 2014. Dans la mesure corrective, le demandeur exigeait des excuses écrites, demandait de ne pas plus jamais être traité de la sorte et de ne pas subir de conséquences négatives découlant du dépôt de son grief.

[8]  À l’appui de ces demandes, le demandeur faisait essentiellement valoir ce qui suit :

  • les mesures prises pendant son transfèrement n’étaient pas proportionnées et nécessaires à l’atteinte des objectifs visés par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 [LSCMLC];

  • il a été privé de son droit prévu par la loi de faire de l’exercice pendant une heure;

  • il a été privé de sa liberté en violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [la Charte];

  • il a été soumis à deux fouilles à nu déraisonnables, en violation de l’article 8 de la Charte;

  • il a été détenu arbitrairement pendant une période inutile de douze heures ou plus, en violation de l’article 9 de la Charte.

[9]  Le 31 mars 2017, le grief a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en ce qui a trait à l’ensemble des demandes présentées par le demandeur.

  III  Décision rendue par le sous-commissaire principal

[10]  Le sous-commissaire principal a conclu que l’itinéraire de voyage respectait la politique du SCC. La liste et l’itinéraire relatifs aux transfèrements interrégionaux sont établis jusqu’à un an à l’avance conformément aux Lignes directrices sur les transfèrements interrégionaux par avion (voir Service correctionnel du Canada, « Transfèrements interrégionaux par avion », Lignes directrices no 710-2-2 (Ottawa: SCC, 15 mai 2017) [Lignes directrices]. Il est à noter que le dossier était en fait fondé sur la version 2014 des Lignes directrices qui étaient presque identiques aux lignes directrices actuelles. Le transfèrement avait été autorisé au moyen d’un mandat, et une nuit passée à l’Établissement de Collins Bay avait été prévue avant le départ; ce qui était en fait une procédure requise par le SCC, selon laquelle tous les délinquants faisant l’objet d’un transfèrement au Québec devaient passer une nuit à l’Établissement de Collins Bay. Le SCC devait également maximiser l’utilisation de l’aéronef et en limiter les coûts, ce qui explique l’itinéraire emprunté.

[11]  Le sous-commissaire principal a rejeté la demande du demandeur qui soutenait avoir été détenu arbitrairement, avec menottes et ceinture de force pendant les vols, puisque l’équipement utilisé était le matériel de contrainte obligatoire pour les voyages en avion conformément aux Lignes directrices. Le sous-commissaire principal a également conclu que le personnel du SCC avait respecté les politiques en vigueur pendant les vols. Selon les Lignes directrices, un agent doit accompagner le détenu lorsque ce dernier se rend aux toilettes. En l’espèce, le demandeur a eu la possibilité d’utiliser les toilettes toutes les deux heures, sous escorte. En ce qui a trait à la question des agents de bord se trouvant à proximité des toilettes, le coordonnateur national des transfèrements a confirmé que la porte des toilettes est toujours légèrement ouverte pour permettre à l’agent d’avoir un contact visuel constant avec le détenu, et que le rideau qui sépare la toilette de l’agente de bord était tiré.

[12]  Le sous-commissaire principal a conclu que toutes les exigences relatives aux conditions de vie dans l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay avaient été respectées. Même si le demandeur n’était pas un cas à mettre en isolement, le Guide sur l’isolement préventif pour les détenus autorise que le délinquant soit hébergé dans l’unité d’isolement dans des situations temporaires ou transitoires, comme dans le cadre des transfèrements interrégionaux (voir Service correctionnel du Canada, « Guide sur l’isolement préventif à l’intention du personnel » (Ottawa : SCC, juin 2008) [Guide sur l’isolement préventif pour les détenus]). Le sous-commissaire principal a également conclu que le demandeur n’avait pas le droit de prendre sa douche et de faire de l’exercice, vu qu’il séjournait à l’Établissement de Collins Bay pendant moins de 24 heures. De plus, le sous-commissaire principal a fait remarquer que l’article 48 de la LSCMLC autorisait la fouille à nu d’un détenu, soit lorsqu’il arrive à une aire d’isolement ou la quitte. Le statut du détenu au sein de l’établissement n’a aucune incidence sur cette situation, selon l’annexe A du Plan de fouille de l’Établissement de Collins Bay (voir le dossier certifié du tribunal, OLP 52 ff). Il était donc raisonnable de procéder à une fouille à nu ordinaire à son arrivée à l’aire d’isolement de l’Établissement de Collins Bay et à son départ de l’aire d’isolement. Enfin, le sous-commissaire principal a conclu que le demandeur avait reçu des soins de santé adéquats conformément à l’alinéa 86(1)a) de la LSCMLC. Il n’a pas pu recevoir son injection avant de partir, puisqu’aucune infirmière n’était disponible. Il était raisonnable de lui administrer son injection deux jours plus tard; le fait de recevoir une dose en retard n’aurait que très peu de répercussions sur le traitement. On lui a également administré son médicament par voie orale avant le départ, médicament qu’il avait sur lui pendant le transfèrement.

 IV  Présente demande

[13]  Le demandeur soutient que diverses mesures prises pendant son transfèrement et son hébergement dans l’aire d’isolement de l’Établissement de Collins Bay, situé à Kingston, en Ontario, de même que le choix de l’itinéraire ont contrevenu à la LSCMLC ainsi qu’aux articles 7, 8 et 9 de la Charte, ou encore étaient déraisonnables.

 V  Norme de contrôle

[14]  Le demandeur n’a soulevé aucune question d’équité procédurale qu’il conviendrait d’examiner selon la norme de la décision correcte. En outre, aucun avis de question constitutionnelle n’a été déposé. Le demandeur n’a soulevé aucune question de droit portant sur l’interprétation de la LSCMLC, du Règlement ou sur la portée des droits protégés par la Charte.

[15]  D’autre part, les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par le sous-commissaire principal sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Gallant c. Canada (Procureur général), 2011 CF 537, aux paragraphes 14 et 15, citant la décision Bonamy c. Canada (Procureur général), 2010 CF 153, aux paragraphes 47 à 51). La Cour doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des décisions du SCC vu son expertise en matière de gestion des détenus et des pénitenciers (voir la décision Kim c. Canada (Procureur général), 2012 CF 870, au paragraphe 59).

[16]  Par conséquent, pour les besoins du présent contrôle judiciaire, la question est de savoir si la décision du sous-commissaire principal de rejeter le grief du demandeur au dernier palier de la procédure applicable est une issue acceptable compte tenu des principes applicables et des éléments de preuve au dossier. À cet égard, il ne s’agit pas d’un appel de novo, et la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle du décideur.

 VI  Cadre législatif

[17]  Avant de se plonger dans une analyse poussée des arguments respectifs des parties, il est utile d’énoncer les principales dispositions législatives et réglementaires applicables en l’espèce, de même que les principes généraux applicables aux violations alléguées de la Charte.

A.  Procédure de règlement juste et expéditif

[18]  L’article 90 de la LSCMLC énonce une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants :

Est établie, conformément aux règlements d’application de l’alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders’ grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).

 

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

[19]  La procédure particulière de règlement des griefs est énoncée aux articles 74 à 82 du Règlement. Le paragraphe 74(1) du Règlement précise qu’un grief est déposé lorsqu’un délinquant est insatisfait d’une mesure prise ou d’une décision rendue par un membre du personnel. La procédure comporte généralement quatre étapes, dont la dernière est le « grief au troisième palier » présenté au commissaire conformément à l’article 80 du Règlement. L’alinéa 2c) du « Processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants » de Service correctionnel du Canada, lignes directrices no LD 081-1 (Ottawa : SCC, le 13 janvier 2014) énonce néanmoins que les observations au sujet du transfèrement à un autre établissement seront automatiquement présentées au palier final.

[20]  L’article 12 « Plaintes et griefs des délinquants » de Service correctionnel Canada, no DC-081 (Ottawa : SCC, le 13 janvier 2014) [ligne directrice DC-081] fournit une orientation relativement aux délais de traitement raisonnables.

Les décideurs rendront une décision relativement aux plaintes et griefs dans les délais indiqués ci après.

Decision makers will render a decision with regard to complaints and grievances in the following timeframes:

 

[...]

[...]

 

Grief final

Final Grievance

 

Prioritaire – Dans les 60 jours ouvrables suivant la réception du grief par le coordonnateur national des griefs

High Priority – Within 60 working days of receipt by the National Grievance Coordinator

 

Non prioritaire – Dans les 80 jours ouvrables suivant la réception du grief par le coordonnateur national des griefs

 

Routine Priority – Within 80 working days of receipt by the National Grievance Coordinator

 

B.  Transfèrements

[21]  L’article 29 de la LSCMLC confère au commissaire le pouvoir discrétionnaire d’ordonner un tel transfèrement.

Le commissaire peut autoriser le transfèrement d’une personne condamnée ou transférée au pénitencier, soit à un autre pénitencier, conformément aux règlements pris en vertu de l’alinéa 96d), mais sous réserve de l’article 28,

The Commissioner may authorize the transfer of a person who is sentenced, transferred or committed to a penitentiary to (a) another penitentiary in accordance with the regulations made under paragraph 96(d), subject to section 28; or

 

[...]

[...]

 

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

[22]  Ce processus est effectué conformément au Règlement. Entre autres, l’article 16 du Règlement dispose que le transfèrement s’effectue au moyen d’un mandat :

Tout transfèrement fait en application de l’article 29 de la Loi s’effectue au moyen d’un mandat de transfèrement signé par le commissaire ou par l’agent désigné selon l’alinéa 5(1)b).

Every transfer of an inmate made pursuant to section 29 of the Act shall be effected by a warrant to transfer signed by the Commissioner or by a staff member designated in accordance with paragraph 5(1)(b).

 

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

[23]  Les articles 2, 9, 12, 13, 35, 36 et 42 des Lignes directrices fournissent des directives explicites au SCC au moment d’effectuer ces transfèrements.

2. La Division des opérations de réinsertion sociale en établissement :

 

2. The Institutional Reintegration Operations Division will:

 

a. établira un calendrier provisoire des vols interrégionaux un an à l’avance

a. establish a tentative schedule of inter-regional flights one year in advance

 

b. collaborera avec les coordonnateurs régionaux des transfèrements pour planifier et soutenir l’itinéraire des transfèrements prévus et/ou des transfèrements d’urgence qui se font par vol nolisé ou vol commercial

 

b. work with the Regional Transfer Coordinators to plan and support the transfer by air itinerary for scheduled transfers and/or emergency transfers using chartered or commercial flights

 

c. dressera la liste nationale des transfèrements interrégionaux

c. develop the national inter-regional transfer list

 

[...]

[...]

 

9. Le directeur, Opérations de réinsertion sociale en établissement : a. approuvera l’itinéraire de chaque transfèrement interrégional et toute modification ultérieure

 

9. The Director, Institutional Reintegration Operations, will: a. approve the itinerary for each inter-regional transfer and any subsequent deviation

 

[...]

[...]

 

12. Dix jours ouvrables avant le transfèrement, chaque coordonnateur régional des transfèrements remettra au coordonnateur national une liste de ses transfèrements interrégionaux et indiquera ceux qui présentent un risque élevé, des besoins médicaux spéciaux, des besoins alimentaires ou d’autres besoins particuliers nécessitant une escorte spéciale ou des soins particuliers.

 

12. The Regional Transfer Coordinator will provide the National Transfer Coordinator with their respective inter-regional transfer list and advise of any requirements for a high-risk escort, special medical escort, dietary requirements or other special needs, 10 working days prior to the transfer.

 

13. Le coordonnateur national des transfèrements : [...] d. s’assurera que les dispositions nécessaires sont prises lorsqu’il faut un membre du personnel infirmier à bord de l’avion.

13. The National Transfer Coordinator will: [...] d. ensure arrangements are made when it is determined that a nurse is required onboard.

 

[...]

[...]

 

35. Le matériel de contrainte posé sur un détenu sera partiellement enlevé ou du matériel de contrainte supplémentaire sera ajouté pendant le vol avec l’approbation du ou des gestionnaires correctionnels à bord et uniquement dans des circonstances particulières.

 

35. With the approval of the onboard Correctional Manager(s) and only under special circumstances will an inmate have his/her restraint equipment partially removed or additional restraint equipment added during the flight.

 

36. Lorsqu’un détenu doit se rendre aux toilettes, un agent accompagnateur (agent correctionnel ou intervenant de première ligne) du même sexe que le détenu l’accompagnera aux toilettes et le gardera constamment à vue, conformément à la DC 566-6 - Escortes de sécurité. Le respect et la dignité du détenu seront assurés dans toute la mesure du possible.

 

36. When an inmate must use the washroom, an onboard escorting Correctional Officer/Primary Worker of the same sex as the inmate will remain in constant sight of the inmate, as outlined in CD 566-6 - Security Escorts. The respect and dignity of the inmate will be ensured as much as possible.

 

[...]

[...]

 

42. Quelle que soit la cote de sécurité du détenu, le matériel de contrainte obligatoire comprendra des entraves et une chaîne à la taille avec menottes.

42. Notwithstanding the inmate’s security level, the mandatory restraint equipment will include leg irons and waist chain with handcuffs.

 

C.  Fouilles à nu ordinaires

[24]  L’article 48 de la LSCMLC réglemente les fouilles à nu des détenus, soit lorsqu’ils arrivent à une aire d’isolement ou la quittent :

L’agent peut, sans soupçon précis, procéder à la fouille à nu d’un détenu de même sexe que lui soit dans les cas prévus par règlement où le détenu s’est trouvé dans un endroit où il aurait pu avoir accès à un objet interdit pouvant être dissimulé sur lui ou dans une des cavités de son corps, soit lorsqu’il arrive à une aire d’isolement préventif ou la quitte.

A staff member of the same sex as the inmate may conduct a routine strip search of an inmate, without individualized suspicion [...] (b) when the inmate is entering or leaving a segregation area.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

D.  Respect de la dignité, des besoins médicaux, de la santé et de la propreté du détenu

[25]  L’article 3, les alinéas 4c), d) et f) ainsi que les articles 69, 70, 86 et 87 de la LSCMLC énoncent :

3 Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la ré- adaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

 

3 The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders [...]

4 Le Service est guidé, dans l’exécution du mandat visé à l’article 3, par les principes suivants :

4 The principles that guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are as follows [...]

 

c) il prend les mesures qui, compte tenu de la protection de la société, des agents et des délinquants, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la présente loi;

(c) the Service uses measures that are consistent with the protection of society, staff members and offenders and that are limited to only what is necessary and proportionate to attain the purposes of this Act;

 

d) le délinquant continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

 

(d) offenders retain the rights of all members of society except those that are, as a consequence of the sentence, lawfully and necessarily removed or restricted;

 

[...]

[...]

 

f) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

 

(f) correctional decisions are made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

 

[...]

[...]

 

69 Il est interdit de faire subir un traitement inhumain, cruel ou dégradant à un délinquant, d’y consentir ou d’encourager un tel traitement.

 

69 No person shall administer, instigate, consent to or acquiesce in any cruel, inhumane or degrading treatment or punishment of an offender.

 

70 Le Service prend toutes mesures utiles pour que le milieu de vie et de travail des détenus et les conditions de travail des agents soient sains, sécuritaires et exempts de pratiques portant atteinte à la dignité humaine.

 

70 The Service shall take all reasonable steps to ensure that penitentiaries, the penitentiary environment, the living and working conditions of inmates and the working conditions of staff members are safe, healthful and free of practices that undermine a person’s sense of personal dignity.

 

[...]

[...]

 

86(1) Le Service veille à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels et qu’il ait accès, dans la mesure du possible, aux soins qui peuvent faciliter sa réadaptation et sa réinsertion sociale.

[...]

 

86(1) The Service shall provide every inmate with (a) essential health care [...]

 

87 Les décisions concernant un délinquant, notamment en ce qui touche son placement, son transfèrement, son isolement préventif ou toute question disciplinaire, ainsi que les mesures préparatoires à sa mise en liberté et sa surveillance durant celle-ci, doivent tenir compte de son état de santé et des soins qu’il requiert.

87 The Service shall take into consideration an offender’s state of health and health care needs (a) in all decisions affecting the offender, including decisions relating to placement, transfer, administrative segregation and disciplinary matters; and

 

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

[26]  Le paragraphe 83(2) du Règlement énonce également les conditions de vie requises :

83(2) Le Service doit prendre toutes les mesures utiles pour que la sécurité de chaque détenu soit garantie et que chaque détenu :

83(2) The Service shall take all reasonable steps to ensure the safety of every inmate and that every inmate is

[...]

[...]

 

c) reçoive des articles de toilette et tous autres objets nécessaires à la propreté et à l’hygiène personnelles;

(c) provided with toilet articles and all other articles necessary for personal health and cleanliness; and

 

d) ait la possibilité de faire au moins une heure d’exercice par jour, en plein air si le temps le permet ou, dans le cas contraire, à l’intérieur.

(d) given the opportunity to exercise for at least one hour every day outdoors, weather permitting, or indoors where the weather does not permit exercising outdoors.

 

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

 

E.  Droits garantis par la Charte

[27]  Le demandeur invoque les articles 7, 8 et 9 de la Charte, qui sont ainsi libellés :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

 

8. Everyone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.

 

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

 

9. Everyone has the right not to be arbitrarily detained or imprisoned.

 

[28]  Il est bien établi que la Charte s’applique aux organismes administratifs qui exercent les pouvoirs qui leur sont délégués (voir tout particulièrement l’arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 RCS 573, aux pages 598 et 599, 33 DLR (4th) 174). En fait, tant le SCC en effectuant le transfèrement du détenu que le sous-commissaire principal dans son évaluation du grief devaient agir en conformité avec la Charte, et donc mettre en équilibre les valeurs protégées par la Charte et les objectifs poursuivis par la législation et la réglementation qu’ils appliquent (voir, par exemple, l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 SCR 12 [Doré]). Contrairement à ce que le demandeur prétend, le rôle de notre Cour dans le cadre du contrôle judiciaire n’est pas de rechercher si le SCC a violé ou non la Charte en effectuant le transfèrement, mais plutôt de savoir si le sous-commissaire principal a accordé suffisamment d’attention à la Charte au moment d’évaluer le grief.

[29]  À ce stade, la Cour souligne qu’en ce qui concerne l’article 7, le fait d’être détenu, menotté, de porter une ceinture de force et d’être placé en isolement est susceptible d’avoir une incidence sur les droits à la liberté d’un détenu. La sécurité de la personne vise à la fois l’intégrité physique et l’intégrité psychologique, qui avait probablement également été touchée (voir l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 55). De plus, comme l’a reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, au paragraphe 96, la justice fondamentale renferme des valeurs fondamentales qui s’opposent à l’arbitraire, à la portée excessive et à la disproportion totale. Selon les circonstances particulières de chaque cas, un itinéraire qui compromettrait arbitrairement et de manière disproportionnée la liberté et la sécurité du demandeur peut contrevenir à ses droits garantis par l’article 7 de la Charte.

[30]  La réclamation du demandeur fondée sur ses droits garantis par l’article 7 est une question qui relève du décideur administratif – en l’espèce, le sous-commissaire principal – qui a le pouvoir de trancher un grief déposé par un détenu. Cela est vrai en ce qui concerne les réclamations d’un détenu selon lesquelles une fouille ou une saisie était abusive, en violation de l’article 8 de la Charte, ou qu’il a été détenu ou emprisonné arbitrairement, en violation de l’article 9 de la Charte.

[31]  Encore une fois, comme l’a mentionné la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Golden, 2001 CSC 83, [2001] 3 RCS 679, à la page 728 [Golden cité dans le RCS] : « Les fouilles à nu sont donc fondamentalement humiliantes et avilissantes pour les personnes détenues, peu importe la manière dont elles sont effectuées; voilà pourquoi l’on ne peut tout simplement y recourir systématiquement dans le cadre d’une politique ». Bien sûr, plusieurs facteurs peuvent justifier ces fouilles, bien que contexte du milieu carcéral implique nécessairement davantage de surveillance (voir l’arrêt Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 RCS 872, à la page 877, 105 DLR (4th) 210 [Weatherall cité dans le RCS]).

  VII  Analyse

[32]  L’analyse qui suit évaluera si le sous-commissaire principal a suffisamment examiné les valeurs susmentionnées, consacrées par la Charte, dans le traitement du grief. À l’audience devant la Cour, le demandeur, qui se représente lui-même, a également soulevé d’autres questions qui n’avaient jamais été soulevées devant le décideur ni la Cour. Il s’agit de sa contestation des politiques. Les nouveaux arguments sont soulevés à tort, et la Cour ne les examinera pas.

[33]  J’examinerai maintenant dans un ordre séquentiel les arguments respectifs des parties portant sur chaque question abordée dans les actes de procédure.

A.  Itinéraire emprunté lors du transfèrement

[34]  Le demandeur soutient que le SCC a violé ses droits garantis par l’article 7 de la Charte. Il était arbitraire, inutile et excessif (déraisonnable) de le faire descendre de l’avion à Trenton, de le mettre en isolement à l’Établissement de Collins Bayhouse, puis de le remettre à bord d’un avion pour un autre 12 heures de vol vers Montréal le jour suivant, sans raison valable. Tout cela aurait facilement pu être évité en le laissant dans l’avion qui continuait tout droit vers Montréal, et dont vol n’aurait duré que 20 minutes. Toutes les autres mesures qu’il conteste découlent de la décision initiale déraisonnable. Les mesures prises n’étaient pas nécessaires au bon accomplissement de son transfèrement vers La Macaza : cet objectif aurait facilement pu être atteint autrement, de façon à minimiser les atteintes à la liberté et à la sécurité. Le SCC n’a rien fait pour établir l’équilibre requis entre les valeurs consacrées par la Charte et les objectifs de la loi, comme l’exige l’arrêt Doré. Par conséquent, il y avait une incidence disproportionnée sur le droit garanti (voir la décision Naraine c. Canada (Procureur général), 2015 CF 934, au paragraphe 26).

[35]  Le défendeur répond que le demandeur est simplement en désaccord avec la façon dont son transfèrement a été effectué, mais n’établit pas que ce transfèrement était déraisonnable : le fait qu’il existait un itinéraire plus rapide permettant d’arriver à destination n’est pas pertinent. Le transfèrement a été effectué conformément au mandat (voir l’article 29 de la LSCMLC et l’article 16 du Règlement), auquel le SCC était tenu de se conformer et n’avait aucun pouvoir discrétionnaire de modifier. Le transfèrement devait également concorder avec les itinéraires disponibles et prévus. Enfin, la procédure du SCC, selon laquelle tous les délinquants provenant de l’Ouest canadien doivent passer une nuit à l’Établissement de Collins Bay était raisonnable et reposait sur l’obligation du SCC de limiter le coût de ses services. Le SCC devait généralement tenir compte du besoin de gérer efficacement sa population carcérale, assurer la protection de la société ainsi que la sécurité des détenus et du personnel. Dans l’ensemble, le défendeur fait valoir que le demandeur conteste des politiques discrétionnaires qui n’entrent pas dans le cadre d’un contrôle judiciaire (voir l’arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 RCS 2, 137 DLR (3d) 558). Sur la question de la Charte, le défendeur souligne que la restriction au droit à la liberté du demandeur pendant le transfèrement était sans importance et temporaire, et que, par conséquent, ne suffisait pas à justifier une protection constitutionnelle, conformément à l’arrêt Cunningham c. Canada, [1993] 2 RCS 143, à la page 151.

[36]  Comme le défendeur l’affirme à juste titre, l’itinéraire emprunté lors du transfèrement découle de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et doit donc faire l’objet d’une grande retenue. Malgré cela, le pouvoir discrétionnaire n’est pas complètement à l’abri du contrôle judiciaire (voir, par exemple, l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193) [Baker cité dans le RCS]). L’existence d’un mandat ne suffit donc pas à elle seule à trancher la question. Cependant, même si je suis d’accord avec le demandeur qu’il aurait peut-être été plus pratique de permettre à tous les détenus pour lesquels un arrêt à St-Anne-des-Plaines était prévu de poursuivre leur route jusqu’à l’USD de Montréal, la décision du SCC respecte les politiques en vigueur, n’a pas été rendue dans un but illégitime et de mauvaise foi et n’est manifestement pas irrationnelle ou arbitraire.

[37]  D’ailleurs, au moment de traiter le grief, le sous-commissaire principal a effectivement consulté le coordonnateur national des transfèrements qui l’a informé de la procédure du SCC consistant à passer une nuit à l’Établissement de Collins Bayhouse (voir le dossier certifié du tribunal, OLP 25). Cette politique dispose que les détenus transférés de la région du Pacifique au Québec et à la région de l’Atlantique doivent passer une nuit à l’Établissement de Collins Bayhouse, les seules exceptions étant les délinquantes de sexe féminin et les délinquants de l’USD, catégories auxquelles le détenu n’appartient pas. Il n’était donc pas déraisonnable pour le sous-commissaire principal de conclure que le SCC se conformait simplement à ses politiques. En outre, bien que les organismes administratifs soient tenus de prendre en considération les valeurs consacrées par la Charte dans leur processus décisionnel (voir, par exemple, l’arrêt Doré), et que le demandeur ait expressément soulevé cette question dans son formulaire de grief, la décision contestée doit être lue et comprise de manière exhaustive, à la lumière des éléments de preuve au dossier.

[38]  Même si j’en étais peut-être arrivé à un résultat différent, je conclus que le sous-commissaire principal a examiné de manière implicite les valeurs découlant de l’article 7 de la Charte, et leur a accordé une importance appropriée.

B.  Détention arbitraire et utilisation de matériel de contrainte

[39]  Le demandeur reconnaît que l’utilisation de matériel de contrainte est généralement légale. Il prétend néanmoins que le fait de le maintenir attaché pendant heures au cours du deuxième vol constituait une détention arbitraire, en violation de l’article 9 de la Charte, puisque le mettre à bord de ce vol était totalement inutile et arbitraire. Il affirme également avoir subi un traitement inhumain et avilissant en raison de l’utilisation de ce matériel de contrainte.

[40]  Le défendeur répond que l’utilisation de matériel de contrainte n’équivaut pas à une détention arbitraire, puisqu’elle vise tous les détenus faisant l’objet d’un transfèrement par avion pour des raisons de sécurité. Il n’y a pas eu violation de l’article 9, puisque le demandeur était détenu légalement par une autorité compétente en vertu d’une disposition législative (voir l’arrêt R c. Grant, 2009 CSC 32, au paragraphe 54 [Grant]).

[41]  À cet égard la décision rendue par le sous-commissaire principal était raisonnable. Par définition, une détention autorisée par la loi n’est pas arbitraire à moins que la loi elle‑même ne le soit (voir l’arrêt Grant, au paragraphe 54). En l’espèce, la prétendue détention avait été autorisée dans le mandat de transfèrement décerné en conformité avec le Règlement. Le demandeur n’a jamais soutenu que le Règlement en lui-même était arbitraire. Quant à la question de l’utilisation de matériel de contrainte, le sous-commissaire principal a fait référence aux Lignes directrices qui précisent à l’article 42 que « le matériel de contrainte obligatoire comprendra des entraves et une chaîne à la taille avec menottes ».

C.  Pauses pour aller aux toilettes et atteinte à la dignité du demandeur

[42]  Le demandeur affirme avoir subi des traitements inhumains et avilissants pendant ses pauses pour aller aux toilettes; ses pauses n’étant accordées que toutes les deux heures et à la vue de tous les passagers et agents de bord.

[43]  Le défendeur répond que le sous-commissaire principal a tiré une conclusion raisonnable : le demandeur a admis que des pauses aux deux heures pour se rendre aux toilettes lui avaient été accordées. En outre, la présence d’agentes de bord est contredite par la preuve.

[44]  Je conclus qu’il était raisonnable de rejeter la demande du demandeur sur ce point. En fait, le sous-commissaire principal a tenu compte des Lignes directrices qui énoncent clairement qu’un agent du SCC doit avoir un contact visuel constant avec le détenu lorsque ce dernier utilise les toilettes (voir l’article 36). Quant au fait que le demandeur ait pu être vu par les autres passagers et les agents de bord, la preuve à ce sujet est contradictoire. Il était loisible au sous-commissaire principal de préférer la version du coordonnateur national des transfèrements.

D.  Nuit passée à l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay

[45]  En ce qui a trait à la nuit que le demandeur a passée à l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay, ce dernier soutient que la décision est déraisonnable, puisqu’il n’y a que deux types d’isolement en vertu de la loi : l’isolement préventif et l’isolement en tant que mesure punitive. Il ne s’inscrivait dans aucune de ces catégories. De façon plus générale, il semble également affirmer que l’isolement était une conséquence arbitraire et inutile de l’itinéraire laborieux emprunté.

[46]  Le défendeur soutient que la conclusion du sous-commissaire principal était raisonnable, puisque le Guide sur l’isolement préventif à l’intention du personnel permet que des détenus soient logés temporairement à l’unité d’isolement.

[47]  Sur ce point, je sous tout à fait d’accord avec le défendeur.

E.  Privation du droit de prendre une douche et de faire de l’exercice

[48]  Le demandeur fait valoir que la privation de son droit de prendre une douche et de faire de l’exercice pendant son séjour à l’unité d’isolement de l’Établissement de Collins Bay constituait une violation de l’alinéa 83(2)d) du Règlement, puisque le SCC devait prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que le détenu ait la possibilité de faire une heure d’exercice. Cette situation et le fait de se voir refuser de prendre des douches constituaient également une atteinte à sa dignité en vertu de l’article 70 de la LSCMLC. Dans ce cas-ci, rien ne justifie les refus.

[49]  Le défendeur répond qu’il était raisonnable de conclure qu’aucune violation n’avait été commise en raison du fait que le demandeur était logé à l’Établissement de Collins Bay pendant moins de 24 heures.

[50]  J’estime que sur cette question, la décision du sous-commissaire principal n’est pas déraisonnable étant donné que le législateur avait pour unique intention que le SCC prenne des « mesures raisonnables », lui laissant [TRADUCTION] « une mesure discrétionnaire inscrite à l’intérieur des paramètres des conditions de vie sécuritaires » (McMaster v Canada, 2009 FC 937, au paragraphe 28).

F.  Fouilles à nu déraisonnables

[51]  Le demandeur soutient d’abord que les dispositions sur les fouilles au moment de pénétrer dans une aire d’isolement ne peuvent s’appliquer qu’aux détenus placés en isolement. Le Guide sur l’isolement préventif pour les détenus qui sert d’appui à l’hébergement dans les aires d’isolement des détenus qui ne sont pas placés en isolement a été rédigé plusieurs années après l’entrée en vigueur des dispositions de la LSCMLC. Par conséquent, le législateur, par l’article 48 de la LSCMLC, ne peut avoir eu l’intention d’inclure les détenus qui ne sont pas placés en isolement. De plus, le demandeur soutient que ces fouilles ont porté atteinte à son droit de ne pas être soumis à des fouilles et à des perquisitions abusives en vertu de l’article 8 de la Charte. Les fouilles n’étaient pas raisonnablement requises, parce que le demandeur n’était pas hébergé à l’USD, et parce qu’il n’aurait pas dû débarquer de l’avion en premier lieu. Enfin, les fouilles ont porté atteinte à sa dignité protégée par l’article 70 de la LSCMLC.

[52]  Le défendeur affirme que les fouilles ont été effectuées en conformité avec l’article 48 de la LSCMLC. Les fouilles respectaient également les exigences de la Charte, puisqu’elles étaient nécessaires et appropriées pour la sécurité des détenus. Elles respectaient également le critère à trois volets élaboré dans l’arrêt Golden : elles étaient autorisées par la LSCMLC (1er volet), et il était raisonnable de les effectuer pour assurer la sécurité des détenus et veiller à ce que l’individu ne dissimule pas de drogues ou d’armes (2e volet) [voir l’arrêt Weatherall, à la page 877]. Enfin, le demandeur n’a jamais soutenu que les fouilles avaient été effectuées de manière déraisonnable (3e volet).

[53]  La question que la Cour doit se poser dans le cadre du contrôle judiciaire n’est pas de savoir si les fouilles à nu étaient raisonnables et portaient atteinte à la Charte, mais plutôt de savoir si le sous-commissaire principal avait procédé à un examen raisonnable desdites fouilles. L’article 48 de la LSCMLC traite du pouvoir discrétionnaire de fouiller un détenu lorsqu’il arrive à une aire d’isolement ou la quitte. Je dois reconnaître que, malgré le fait que le demandeur « n’était pas placé en isolement », le sous-commissaire principal pouvait raisonnablement interpréter cette disposition comme s’appliquant à chaque détenu, et non seulement aux détenus en isolement, simplement parce que le libellé est clair. Il serait donc raisonnable de conclure que le SCC avait le pouvoir discrétionnaire de procéder à la fouille à nu du demandeur. Comme la Cour suprême l’a reconnu dans l’arrêt Baker, à la page 855, « [...] il faut que le pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux limites imposées dans la loi, aux principes de la primauté du droit, aux principes du droit administratif, aux valeurs fondamentales de la société canadienne, et aux principes de la Charte ». En l’espèce, je conclus que le critère à trois volets élaboré dans l’arrêt Golden a été respecté.

G.  Refus de médicaments

[54]  Le demandeur fait également valoir qu’aucune explication raisonnable n’a été avancée concernant le fait qu’on lui ait refusé ses médicaments. Les Lignes directrices précisent que des dispositions nécessaires doivent être prises lorsque les services d’une infirmière sont nécessaires à bord. Il soutient que ses médicaments auraient pu lui être administrés pendant le vol. Il affirme également que ce refus a porté atteinte à sa dignité et par conséquent, a contrevenu à l’article 70 de la LSCMLC.

[55]  De son côté, le défendeur soutient que la conclusion tirée par le sous-commissaire principal était raisonnable. Le demandeur ne peut pas dicter la façon dont son transfèrement est effectué et le moment auquel ses médicaments devraient lui être administrés; sa préférence personnelle ne peut pas l’emporter sur la sécurité d’autrui. En l’espèce, les éléments de preuve au dossier indiquent que le demandeur ne pouvait pas recevoir ses médicaments avant le départ, et rien n’indique qu’il y avait du personnel médical à bord pouvant avoir accès à ses médicaments ou que l’injection aurait pu être donnée pendant le vol. Le sous-commissaire principal a consulté les Services cliniques ainsi que la Direction de la santé publique, qui ont conclu que le fait de recevoir une dose en retard n’entraînait aucune conséquence importante.

[56]  J’estime qu’il était raisonnable que le sous-commissaire principal rejette le grief du demandeur sur la question du refus des médicaments. La LSCMLC exige que le SCC fournisse à ses détenus les soins de santé essentiels et prenne les mesures nécessaires pour leur offrir de saines conditions de vie (voir le paragraphe 86(1)). En l’espèce, le sous-commissaire principal a consulté les Services cliniques et la Direction de la santé publique, et s’est appuyé sur leurs conclusions selon lesquelles la santé du demandeur ne serait pas compromise s’il recevait une dose de son médicament contre l’hépatite plus tard que prévu. Bien que je reconnaisse que cette situation ait fait vivre de l’anxiété au demandeur, je ne crois pas que la Cour soit bien placée pour procéder à une meilleure évaluation de ce que constituent des soins de santé essentiels que les Services cliniques. Il était raisonnable que le sous-commissaire principal fonde sa décision sur leur évaluation.

H.  Délai de traitement déraisonnable

[57]  Enfin, le demandeur soutient que le délai d’obtention d’une réponse à son grief était déraisonnable et excessif, et qu’il contrevenait donc à l’alinéa 4f) et à l’article 90 de la LSCMLC.

[58]  Le défendeur soutient que les délais n’étaient pas déraisonnables. Les délais dépendent de plusieurs circonstances et facteurs pertinents (voir la décision Ewert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 971, au paragraphe 39). En l’espèce, le grief nécessitait une consultation auprès de plusieurs entités. Les allégations du demandeur ont été prises au sérieux, et devaient donc être appréciées à leur juste valeur.

[59]  À l’instar du demandeur, j’estime que, dans les circonstances actuelles, le délai d’obtention d’une réponse à son grief était déraisonnable. Bien que le demandeur ait été informé des délais supplémentaires, la directive du commissaire (DC) - 081 indique les délais à respecter au moment de rendre une décision sur le grief. Même si je reconnais que divers intervenants ont dû être consultés – ce qui a ralenti le processus –, dans un cas de grief prioritaire au palier final, le délai indicatif est toujours de soixante jours suivant la réception du grief. Le grief du demandeur a été reçu le 12 janvier 2015, et la réponse est datée du 31 mars 2017, soit plus de deux ans plus tard; ce qui est clairement au-delà de soixante jours et, en dépit de circonstances inhabituelles, je ne vois rien qui justifie pareille situation. Toutefois, cette question n’a pas eu d’effet déterminant sur l’issue qui est, dans l’ensemble, acceptable.

  VIII  Conclusion

[60]  Dans l’ensemble, la Cour conclut que la décision du sous-commissaire principal de rejeter le grief n’était pas déraisonnable. La Cour conclut également que le délai de traitement du grief était déraisonnable, mais que cette question n’a pas eu d’effet déterminant sur l’issue qui est, dans l’ensemble, acceptable. Par conséquent, la demande est rejetée.

[61]  En ce qui concerne les dépens, j’ai examiné toutes les circonstances pertinentes, le délai indu dans le traitement du grief, la nature des questions soulevées par le demandeur et le fait qu’il s’agit d’un détenu qui se représente lui-même. Malgré l’issue de l’affaire, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai décidé de ne pas adjuger de dépens au défendeur.


JUGEMENT dans l’affaire T-841-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-841-17

 

INTITULÉ :

JEFF EWERT c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, (LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 décembre 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Jeff Ewert

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Émilie Tremblay

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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