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Date : 20180126


Dossier : IMM-1051-17

IMM-1754-17

Référence : 2018 CF 88

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ABDRANOVA ZHAMILA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les deux demandes de contrôle judiciaire en l’espèce concernent les mêmes parties, découlent de la même séquence d’événements et ont été entendues en même temps. En conséquence, les présents motifs et le présent jugement porteront sur les deux demandes et une copie de ceux-ci sera versée dans les deux dossiers de la Cour.

[2] Dans le dossier de la Cour IMM-1051-17, la demanderesse cherche à contester la décision d’un agent des visas datée du 17 février 2017, dans laquelle l’agent des visas a décidé que la demanderesse est interdite de territoire pour présentation erronée en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, (la LIPR ou la Loi) pour avoir présenté un document modifié. Dans le deuxième dossier de la Cour, IMM-1754-17, la demanderesse demande le contrôle judiciaire du refus de l’agent des visas, daté du 10 mars 2017, de réexaminer la décision du 17 février 2017.

[3] Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

II. Contexte

[4] La demanderesse est une citoyenne du Kazakhstan qui est venue au Canada pour étudier l’anglais en 2009. Elle a continué ses études et a obtenu une maîtrise ès science en sciences et systèmes de l’information de l’Université Carleton en 2013. On lui a ensuite délivré un permis de travail postuniversitaire qui était valide jusqu’au 12 juin 2016. Au début de 2016, la demanderesse a présenté une demande d’admission dans la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés et on lui a accordé un permis de travail transitoire valide jusqu’au 14 juin 2017.

[5] Le 11 juillet 2016, la demanderesse a présenté une demande de visa de résident temporaire pour se rendre au Kazakhstan. Étant donné que le Kazakhstan n’est pas un pays dispensé de visa, sans un visa de résident temporaire valide, la demanderesse n’aurait pas été en mesure de revenir au Canada si elle était partie. Le 2 septembre 2016, le Centre national des documents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a délivré un avis de saisie des documents d’identité indiquant que le passeport de la demanderesse contenait une vignette canadienne modifiée. La date d’expiration du visa de résident temporaire, figurant dans le passeport, a été modifiée pour remplacer 2016 par 2018. Ce changement était visible à l’œil nu et a été confirmé au moyen d’une source lumineuse spécialisée, selon l’ASFC.

[6] Le 12 septembre 2016, la demanderesse a présenté une Demande de restitution de document(s) d’identité saisie(s) à l’ASFC. L’ASFC n’a pas restitué le visa de résident temporaire modifié à la demanderesse.

[7] Le 24 octobre 2016, l’agent des visas a délivré une « lettre relative à l’équité procédurale » à la demanderesse, l’informant de la vignette modifiée et lui permettant de répondre à ses préoccupations. La demanderesse a fourni une réponse qui comprenait une copie numérisée de son visa de résident temporaire original non modifié.

[8] Le 17 février 2017, l’agent des visas a informé la demanderesse que sa demande de visa de résident temporaire avait été rejetée pour présentation erronée en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Il s’agit de la décision pour laquelle un contrôle judiciaire est demandé dans le premier dossier de la Cour IMM-1051-17. L’agent n’était pas convaincu par l’explication de la demanderesse en réponse au document modifié et à la lettre relative à l’équité procédurale :

[traduction]

L’explication fournie ne suffit pas pour répondre à des préoccupations selon lesquelles la demanderesse a fait une présentation erronée sur un fait important, à savoir la date d’expiration d’un visa de résident temporaire délivré précédemment. Cela pourrait avoir entraîné une erreur dans l’application de la Loi en créant une impression erronée que la demanderesse détenait un visa de résident temporaire valide et qu’elle était autorisée à voyager au Canada et à demander un retour au Canada, alors que, dans les faits, ce n’était pas le cas. Pour ces motifs, tout bien considéré, j’ai décidé que la demande concerne une personne décrite à l’alinéa 40(1)a) de la Loi [...]

[9] Le 23 février 2017, la demanderesse a écrit à l’agent des visas pour demander le réexamen de la décision concernant la présentation erronée sur un fait important. Dans sa demande, la demanderesse a fait valoir un droit à la divulgation du visa de résident temporaire modifié et a souligné son respect constant des exigences en matière d’immigration depuis son arrivée au Canada. Jusqu’à ce stade, la demanderesse ne bénéficiait pas de l’aide d’un avocat.

[10] Dans ses observations, la demanderesse a déclaré que de nouveaux éléments de preuve justifiaient un examen. La demanderesse a allégué que son propriétaire était entré par effraction dans son appartement et avait modifié le document. La demanderesse a fourni un exemplaire de la déclaration, qui avait été utilisée pour des procédures devant un tribunal de l’Ontario chargé de régler les différends entre propriétaires et locataires. On a fait valoir pour le compte de cette dernière qu’il [traduction] « était raisonnable de conclure que le propriétaire avait modifié le visa de résident temporaire, car il avait accès à ses documents et, par conséquent, c’était indépendant de la volonté de notre cliente ».

[11] Le 10 mars 2017, l’agent des visas a rejeté la demande présentée par la demanderesse de réexamen de la décision précédente, y compris sa demande de divulgation du document modifié. Voici ce que les notes au dossier de l’agent indiquent :

[traduction]

Comme il a été mentionné précédemment, à la suite du rejet de cette demande, la demanderesse a retenu les services d’un représentant. Le représentant a présenté la demande de réexamen et a souligné que [traduction] « Comme vous le savez, [la demanderesse] n’était pas représentée et il est manifeste qu’elle ne connaissait pas la procédure d’immigration. Cela ressort clairement du fait qu’elle n’a pas abordé de manière appropriée les questions de la présente affaire en réponse à votre lettre relative à l’équité procédurale datée du 24 octobre 2016. Elle indique qu’elle a reçu une lettre avant octobre 2016 concernant la saisie de son passeport et, lorsqu’elle a répondu, elle croyait que ses observations étaient suffisantes et qu’elles avaient été transmises aux fins de la lettre relative à l’équité procédurale. À ce titre, nous vous demandons respectueusement d’examiner nos arguments aujourd’hui à l’appui de la lettre relative à l’équité procédurale ». J’examinerai la question de l’équité soulevée par le représentant dans la demande de réexamen, mais la décision définitive a été rendue en fonction des renseignements au dossier à ce moment-là. La lettre relative à l’équité procédurale donnait à la demanderesse un délai (15 jours) pour examiner les allégations et y répondre (ce qu’elle a fait). La demanderesse a choisi de ne pas retenir les services d’un représentant à ce moment-là. Je n’examinerai donc pas les renseignements nouveaux ou supplémentaires qui sont maintenant présentés par le représentant. L’une des principales questions présentées par le représentant concerne l’équité – le fait qu’une copie numérisée de la vignette modifiée n’a pas été présentée à la demanderesse constituait un manquement à l’équité. Comme l’affirme le représentant [traduction] « Comment une personne peut-elle se défendre adéquatement et comment une personne peut-elle répondre adéquatement à une lettre relative à l’équité procédurale, alors que la preuve qui pèse contre elle ne lui a pas été présentée? » J’ai examiné la lettre relative à l’équité procédurale envoyée à la demanderesse le 24 octobre 2016. Je remarque que cette lettre indiquait expressément : « Avec votre demande, vous avez fourni une copie de votre visa de résident temporaire canadien précédent, portant le numéro de série [...]. La copie électronique du visa que vous avez présenté indiquait qu’il avait été délivré le 15 août 2013 et qu’il avait expiré le 12 juin 2016. Le 13 juillet 2016, on vous a demandé de présenter votre passeport original afin de nous permettre de poursuivre le traitement de votre demande de visa de résident temporaire actuelle : votre passeport a été par la suite reçu par le Centre de traitement des demandes le 25 juillet 2016. Cependant, un examen du passeport que vous avez présenté [...] a reconnu que le visa de résident temporaire canadien susmentionné avait été modifié. Plus précisément, la date d’expiration avait été modifiée pour indiquer le 12 juin 2018 ». Après avoir examiné les paragraphes ci-dessus, je conclus donc que la déclaration du représentant (« la preuve qui pèse contre elle ne lui a pas été présentée ») n’est pas exacte. Bien qu’il soit exact qu’aucune copie ou copie numérisée de la vignette modifiée n’a été présentée à la demanderesse, le libellé de la lettre relative à l’équité était clair. La modification et les préoccupations précises ont été présentées à la demanderesse, simplement pas sous forme d’image ou de copie numérisée. Pour ces motifs, j’ai refusé de rouvrir et de réexaminer cette demande.

[Non souligné dans l’original.]

[12] Il s’agit de la décision pour laquelle un contrôle judiciaire est demandé dans le deuxième dossier de la Cour IMM-1754-17.

III. Norme de contrôle

[13] Les parties ont convenu, et je l’accepte, que les décisions de l’agent des visas concernant la présentation erronée et la demande de réexamen sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans la mesure où elles concernent des questions mixtes de fait et de droit : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401, au paragraphe 14 [Patel]; citant Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, au paragraphe 6.

[14] Dans le dossier de la Cour IMM-1754-17, la demanderesse soulevait la question supplémentaire de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, qui est une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Patel, précitée, au paragraphe 16; citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharem, [2008] 1 RCF 385, 2007 CAF 198, au paragraphe 38.

[15] La demanderesse a présenté le refus qu’on lui remette le passeport comme une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À l’audience, l’avocat du défendeur a signalé que cette décision avait été rendue par l’ASFC et non par l’agent des visas. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision n’avait pas été présentée et le ministre responsable de l’ASFC n’était pas un défendeur devant la Cour. Néanmoins, le défendeur s’était fondé sur l’évaluation de l’ASFC selon laquelle le document avait été modifié pour tirer cette conclusion de présentation erronée. En conséquence, j’ai examiné la décision de l’ASFC dans le cadre de la séquence continue des événements qui ont entraîné le rejet du visa de résident temporaire.

IV. Questions en litige

[16] Les deux demandes soulèvent les questions suivantes :

  1. La demanderesse avait-elle un droit à l’égard de la divulgation du document modifié?

  2. La décision de l’agent des visas voulant que la demanderesse soit interdite de territoire au motif qu’elle avait fait une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR était-elle raisonnable?

  3. L’agent des visas a-t-il fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou autrement commis une erreur en omettant de reconnaître qu’il avait le pouvoir de réexaminer son rejet de la demande et sa décision en matière d’interdiction de territoire?

V. Dispositions législatives applicables

[17] Les articles suivants de la LIPR sont pertinents :

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

[...]

[...]

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

VI. Discussion

A. La demanderesse avait-elle un droit à l’égard de la divulgation du document modifié?

[18] La demanderesse fait valoir qu’on l’a privée de son droit à l’équité procédurale dans le cadre du processus décisionnel par le refus du défendeur de lui rendre son passeport comportant le visa de résident temporaire prétendument modifié pour lui permettre de procéder à son propre examen du document et de répondre plus efficacement à la lettre relative à l’équité procédurale. Pour appuyer sa thèse, elle cite Natt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 238 [Natt].

[19] Dans Natt, la Cour a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale lorsqu’un agent a omis de divulguer des radiographies, sur demande, sur lesquelles on s’était appuyé pour tirer une conclusion de présentation erronée. L’agent a allégué que les radiographies en question n’étaient pas celles du demandeur, mais d’une autre personne. La Cour a conclu que l’agent avait une obligation de fournir la preuve alléguée au demandeur et de lui donner la possibilité d’y répondre.

[20] On pouvait soutenir qu’un examen des radiographies aurait pu révéler une erreur dans la conclusion de l’agent. Dans ces circonstances, la Cour a conclu que la demande de production était raisonnable. La Cour était également préoccupée par le long délai du défendeur à s’appuyer sur la demande de copies et la réponse présentée en fin de compte, qui était que le demandeur devrait formuler une « demande d’accès à l’information ». Le fait de procéder ainsi aurait augmenté le déjà long délai de traitement de la demande.

[21] Natt n’appuie pas la thèse, à mon avis, qu’il y a un manquement à l’équité procédurale dans tous les cas où une demande de restitution de documents ou d’autres éléments de preuve présentés à l’appui d’une demande n’est pas accueillie. Chaque cas doit être évalué en fonction des faits qui lui sont propres.

[22] Dans une décision subséquente, Slaeman c Canada (Procureur général), 2012 CF 641, au paragraphe 38, la Cour, citant Natt, a conclu que les exigences d’équité procédurale étaient respectées quand un agent des visas expose les présumées déclarations erronées dans une lettre d’équité et qu’il invite le demandeur à faire part de ses observations, comme cela s’est produit en l’espèce.

[23] En l’espèce, la demanderesse a eu une possibilité équitable de présenter sa réponse à l’allégation et de participer de manière significative au processus décisionnel : Chawla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 434, aux paragraphes 17 et 19; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 30; Bhagwandass c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CAF 49, au paragraphe 22.

[24] La question relative au document modifié a été présentée à la demanderesse et la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale n’a répondu à aucun des éléments en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Il convient de souligner que la demanderesse, dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, n’a pas contesté le fait que le visa dans son passeport avait été modifié. L’agent qui a consigné les observations suivantes dans ces notes en a tenu compte :

[traduction]

La demanderesse n’aborde pas directement la raison pour laquelle la date d’expiration de la vignette originale dans son passeport avait été modifiée; la réponse parle plutôt longuement du processus que la DP a suivi pour numériser ses documents et les envoyer dans le cadre de sa demande de visa de résident temporaire. L’explication fournie ne suffit pas pour répondre à des préoccupations selon lesquelles la demanderesse a fait une présentation erronée sur un fait important, à savoir la date d’expiration d’un visa de résident temporaire délivré précédemment.

[25] Le document modifié figure en noir et blanc dans les images numérisées dans les dossiers présentés à la Cour. Même si la modification est manifeste dans ces images, à l’audience, et avec le consentement de l’avocat de la demanderesse, l’avocat du défendeur a fourni une copie couleur du document à la Cour. Il n’était pas nécessaire d’utiliser une [traduction] « source lumineuse spécialisée » pour que la modification soit évidente à l’œil nu.

[26] La demanderesse n’a pas aidé la Cour en présentant une explication de ce qu’elle aurait pu faire avec le document modifié s’il lui avait été restitué. Rien n’indiquait, par exemple, qu’une expertise judiciaire aurait révélé que le document n’avait pas en fait été modifié ou aurait révélé l’identité de la personne ayant apporté la modification. Il ne s’agissait pas d’une modification sophistiquée. Il s’agissait simplement de la modification du chiffre « 6 » en « 8 ». Par conséquent, même s’il n’incombe pas à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire de tirer des conclusions de fait, il me semble incontestable que le visa de résident temporaire avait été modifié.

[27] Dans les circonstances, je ne puis accepter le fait que la demanderesse avait un droit à l’égard de la restitution du document ou conclure qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale.

B. La décision de l’agent des visas voulant que la demanderesse soit interdite de territoire au motif qu’elle avait fait une présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR était-elle raisonnable?

[28] L’agent des visas a conclu que la demanderesse est interdite de territoire pour présentation erronée sur un fait important en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. En rendant cette décision, l’agent des visas doit être convaincu que 1) la demanderesse a directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait; et 2) la présentation entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR : article 40 de la LIPR; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542, au paragraphe 10; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 28 [Cao]; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au paragraphe 31; Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556, au paragraphe 24 [Dhatt].

[29] Une conclusion de présentation erronée doit satisfaire au fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités et doit être fondée sur une preuve claire et convaincante : Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416, au paragraphe 29 [Chugthai]; Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784, au paragraphe 16.

[30] La Cour fédérale a conclu que l’article 40 de la LIPR doit recevoir une interprétation large et que les demandeurs ont « une obligation de franchise », qui est requise pour maintenir l’intégrité du système d’immigration : Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848, aux paragraphes 41 et 42 [Bodine]; Kobrosli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 757, au paragraphe 46.

[31] Une exception s’applique lorsqu’un demandeur « pensait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une présentation erronée sur un fait important » : Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, au paragraphe 33; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15; Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345, [1990] ACF no 318 (CAF).

[32] La demanderesse fait valoir qu’elle n’avait aucune connaissance du document modifié et qu’elle n’avait pas sciemment fait une présentation erronée. Même s’il s’agissait d’une présentation erronée, celle-ci ne concernait pas un fait important. Elle affirme qu’elle a présenté une demande de renouvellement de son visa de résident temporaire en juillet 2016 en croyant honnêtement que celui-ci avait expiré le mois précédent. En conséquence, elle n’avait aucune raison de modifier le document, n’avait aucune connaissance de la modification lorsqu’elle a présenté son passeport et n’aurait donc pas pu faire une présentation erronée.

[33] La demanderesse s’appuie sur un document de politique utilisé par les agents des visas à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), « ENF 2/OP 18 — Évaluation de l’interdiction de territoire », à la section 10.6 « Documents frauduleux » :

La vérification des documents permet parfois de constater que les documents présentés par les demandeurs sont faux, mais il n’en découle pas automatiquement une interdiction de territoire. Ces documents ne répondent peut-être pas aux critères d’importance et de pertinence et/ou n’entraînent peut-être pas une erreur dans l’application de la Loi. L’agent doit tenir compte de ce qui suit : [...]

Le document a-t-il été fourni dans le but de faire une fausse déclaration? Parfois, on obtient des documents frauduleux pour appuyer des faits véridiques qui ne peuvent être vérifiés parce que les registres sont par ailleurs impossibles ou difficiles à obtenir. Le cas échéant, si l’agent peut établir les faits par d’autres moyens, il est peu probable que la fausse déclaration puisse avoir entraîné une erreur.

[34] Bien qu’elles ne lient pas la Cour, cette dernière a conclu que ces lignes directrices « donnent une bonne indication, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, de ce qu’un agent d’immigration pourrait raisonnablement considérer comme une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent » : Mai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 101, au paragraphe 20.

[35] La demanderesse s’appuie sur Dhatt, précitée, qui concernait l’utilisation d’un certificat de naissance frauduleux pour un enfant adopté. La Cour a conclu que le certificat frauduleux ne pouvait pas constituer en soi le motif pour une conclusion de présentation erronée, car rien ne laissait entendre qu’il avait été utilisé dans le but de faire une présentation erronée. Le demandeur n’a jamais dissimulé que l’enfant était adopté et il l’a déclaré dès le début. En conséquence, le certificat de naissance frauduleux n’a pas été utilisé pour entraîner une erreur dans l’application de la Loi, mais plutôt afin d’appuyer des faits véridiques qui ne pouvaient pas être vérifiés, car les dossiers étaient impossibles ou difficiles à obtenir – une situation envisagée par le passage des lignes directrices cité plus tôt. Un certificat de naissance était requis et a été produit. Toutefois, personne n’a été trompé.

[36] En l’espèce, l’agent peut très bien avoir supposé que c’était la demanderesse qui avait modifié le document. On ne saurait reprocher à l’agent d’avoir formulé cette hypothèse, à mon avis, car il s’agissait d’une conclusion qu’il était raisonnable de tirer d’après les faits qui lui avaient été présentés. Personne d’autre, hormis la demanderesse, n’avait quelque chose à gagner de la modification du document. L’obligation de veiller à ce que les renseignements fournis dans sa demande soient exacts, véridiques et exhaustifs incombait à la demanderesse : article 16 de la LIPR; Bodine, précitée, aux paragraphes 41–42; Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, aux paragraphes 13 à 15.

[37] Malheureusement pour la demanderesse, elle se trouve dans la situation décrite par le juge Mainville dans Cao, précitée, au paragraphe 31 : « La demanderesse principale a signé sa demande de résidence temporaire et elle doit donc être tenue personnellement responsable des renseignements qui y sont fournis. C’est aussi simple que cela. » L’agent des visas n’était pas tenu de spéculer à propos de la façon dont le visa de résident temporaire avait été modifié. Il incombait à la demanderesse de satisfaire aux exigences en application de la LIPR et elle a omis de le faire.

[38] Subsidiairement, la demanderesse soutient que la modification n’est pas importante, car une copie numérisée du visa de résident temporaire non modifié a été fournie à l’agent en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale et avant qu’une décision définitive soit rendue. Une fois de plus, malheureusement pour la demanderesse, la Cour a constamment rejeté l’argument selon lequel une présentation erronée sur un fait important cessait d’être importante si elle était corrigée avant qu’une décision définitive soit rendue : Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, aux paragraphes 35 à 38; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 27; Gordashevskiy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1349, au paragraphe 49; voir également Haque, précitée, aux paragraphes 12 à 17.

[39] En l’espèce, l’agent des visas a conclu que la date modifiée constituait un fait important. Selon l’agent, cela [traduction] « pourrait avoir entraîné une erreur dans l’application de la Loi en créant une impression erronée que la demanderesse détenait un visa de résident temporaire valide et qu’elle était autorisée à voyager au Canada et à demander un retour au Canada, alors que, dans les faits, ce n’était pas le cas ».

[40] J’estime qu’il est raisonnable de conclure que la modification d’un document officiel, par exemple la date d’un visa de résident temporaire figurant dans un passeport, constitue une présentation erronée sur un fait important. La demanderesse avait le droit de quitter le Canada en tout temps. Cependant, elle n’était pas autorisée à demander un retour au Canada sans un visa de résident temporaire valide. Une modification à un visa de résident temporaire délivré précédemment afin de proroger la durée apparente pourrait affecter la capacité d’un agent des visas à déterminer le statut juridique d’une personne qui cherche à entrer au Canada. Qu’elle ait été utilisée à cette fin ou non, la modification de la date pourrait manifestement avoir entraîné la mauvaise application de la Loi.

[41] En conséquence, je suis convaincu que la décision de l’agent était raisonnable et que la Cour ne devrait pas intervenir.

C. L’agent des visas a-t-il fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou autrement commis une erreur en omettant de reconnaître qu’il avait le pouvoir de réexaminer son rejet de la demande et sa décision en matière d’interdiction de territoire?

[42] La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de réexaminer sa décision précédente. La réponse de l’agent à sa demande démontre qu’il croyait qu’une décision définitive avait été rendue en fonction du bien-fondé de la demande et qu’il n’y avait aucune possibilité d’« appel » de cette décision. Ses notes au dossier indiquent qu’il croyait que son seul pouvoir discrétionnaire était de décider s’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale.

[43] La demanderesse signale un courriel envoyé au représentant (pas son avocat actuel) dont elle avait retenu les services, le 13 mars 2017, qui affirme entre autres choses ce qui suit :

[traduction] La décision est définitive et rien ne prévoit un appel à ce bureau.

[44] Les décideurs administratifs comme les agents des visas ont effectivement un pouvoir discrétionnaire, dans les circonstances appropriées, de réexaminer leurs décisions : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Gurumoorthi Kurukkal, 2010 CAF 230, au paragraphe 3 [Kurukkal]. Les circonstances appropriées dépendront des faits de l’espèce.

[45] Il existe une distinction à établir entre une décision qui omet de reconnaître qu’une décision antérieure peut être réexaminée et une décision qui refuse de réexaminer cette décision. La première constituerait une erreur de droit, alors que la deuxième relèverait du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas s’il est exercé de manière raisonnable : Kurukkal, précitée, aux paragraphes 3 et 4.

[46] Les notes de l’agent des visas dans le SMGC font partie de sa décision : Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, au paragraphe 19; voir également Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4, aux paragraphes 27 à 31. À mon avis, les notes en l’espèce démontrent clairement que l’agent savait qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer la décision précédente, mais a refusé de le faire. L’agent des visas a examiné la demande [traduction] « à la lumière de la lettre relative à l’équité procédurale » et la possibilité accordée à la demanderesse de fournir une explication pour le visa de résident temporaire modifié :

La lettre relative à l’équité procédurale donnait à la demanderesse un délai (15 jours) pour examiner les allégations et y répondre (ce qu’elle a fait). La demanderesse a choisi de ne pas retenir les services d’un représentant à ce moment-là. Je n’examinerai donc pas les renseignements nouveaux ou supplémentaires qui sont maintenant présentés par le représentant.

[47] En dépit de cette affirmation, l’agent a ensuite examiné les déclarations présentées à l’appui de la demanderesse par le représentant. Dans une entrée datée du 10 mars 2017, l’agent des visas a écrit que les déclarations de la demanderesse n’étaient [traduction] « pas exactes » et a souligné qu’il avait refusé de réexaminer la décision précédente :

[traduction]

Après avoir examiné les paragraphes ci-dessus, je conclus donc que la déclaration du représentant (« la preuve qui pèse contre elle ne lui a pas été présentée ») n’est pas exacte. Bien qu’il soit exact qu’aucune copie ou copie numérisée de la vignette modifiée n’a été présentée à la demanderesse, le libellé de la lettre relative à l’équité était clair. La modification et les préoccupations précises ont été présentées à la demanderesse, simplement pas sous forme d’image ou de copie numérisée. Pour ces motifs, j’ai refusé de rouvrir et de réexaminer cette demande.

[48] Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse a eu la possibilité de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale, mais a choisi de ne pas aborder directement les préoccupations de l’agent. Son représentant l’a reconnu dans ses communications avec l’agent des visas. L’agent des visas n’a pas omis de reconnaître ou de comprendre qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer une décision, même si une décision définitive avait déjà été rendue. L’agent des visas a examiné la demande, exercé son pouvoir discrétionnaire et a refusé de réexaminer sa décision précédente. Même si cela peut sembler sévère dans les circonstances, l’agent en avait le pouvoir discrétionnaire et il n’a pas fait entrave à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : Thelwell c Canada (Procureur général), 2016 CF 1304, au paragraphe 24; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 32.

[49] Les observations reçues en provenance du représentant de la demanderesse consistaient en grande partie en une conjecture fantaisiste selon laquelle un conflit entre la demanderesse et son ancien propriétaire avait donné lieu à une entrée non autorisée dans son appartement au cours de laquelle une personne ou des personnes avaient trouvé et modifié son visa de résident temporaire dans son passeport. Pour justifier ces allégations, le représentant de la demanderesse a présenté une déclaration provenant d’un tribunal chargé de régler les différends entre propriétaires et locataires. Dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincu que l’agent a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de rouvrir et de réexaminer la demande au motif de nouveaux éléments de preuve présumés. Les allégations n’étaient ni dignes de foi ni appuyées par des éléments de preuve au dossier.

[50] Pour les motifs qui précèdent, la deuxième demande doit également être rejetée.

[51] Je ne peux m’empêcher d’observer en conclusion que ces événements ont eu une incidence importante sur la vie d’une jeune femme qui semble avoir fait de grands efforts en vue d’améliorer son éducation et de s’établir au Canada. Il n’incombe pas à la Cour de conseiller le ministre quant à la façon d’exercer le pouvoir discrétionnaire en matière de considérations d’ordre humanitaire conféré à cette charge par le législateur, mais il me semble que, si une erreur insouciante avait été commise par une jeune personne dans de telles circonstances, le Canada pourrait être suffisamment généreux pour lui donner une deuxième chance.

[52] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la Cour convient qu’aucune n’est justifiée, car les présentes demandes reposaient sur leurs faits.

[53] L’intitulé sera modifié dans les deux dossiers pour tenir compte du titre actuel du ministre défendeur.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS IMM-1051-17 ET IMM-1754-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers de la Cour IMM-1051-17 et IMM-1754-17 sont toutes deux rejetées;

  2. Une copie des présents motifs et du présent jugement sera versée dans chaque dossier;

  3. Le nom du défendeur dans l’intitulé dans les deux dossiers est modifié pour se lire LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION;

  4. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1051-17 et IMM-1754-17

INTITULÉ :

ADRANOVA ZHAMILA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 26 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

Pour la demanderesse

Stephen Kurelek

Pour le DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le DÉFENDEUR

 

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