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Date : 20180124


Dossier : IMM-218-17

Référence : 2018 CF 71

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MASSIMO THOMAS MORETTO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le présent contrôle judiciaire porte sur les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) concernant l’annulation du sursis d’une mesure de renvoi d’un résident permanent cité pour grande criminalité. Le sursis de la mesure de renvoi du Canada de M. Moretto a été annulé par l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR parce qu’il a été déclaré coupable de « grande criminalité » pendant une période où il était assujetti au sursis de son renvoi. M. Moretto conteste la constitutionnalité du paragraphe 68(4) de la LIPR. Il soutient que l’application automatique du paragraphe à sa situation est contraire à l’alinéa 2d) et aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée étant donné que la Section d’appel de l’immigration (SAI) n’a pas commis d’erreur en concluant que le paragraphe 68(4) s’appliquait à M. Moretto. Conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, j’ai certifié trois questions de portée générale.

I.  Dispositions législatives pertinentes

[3]  L’article 36 de la LIPR est ainsi libellé :

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

(b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

(c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[4]  Le paragraphe 68(4) de la LIPR est ainsi libellé :

(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

(4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

II.  Contexte factuel

[5]  M. Moretto est né en Italie en 1969 et est venu au Canada avec sa famille à l’âge de neuf mois. Il soutient n’être retourné en Italie qu’une seule fois. Pour des raisons qui n’ont pas été précisées, M. Moretto n’a jamais obtenu la citoyenneté canadienne. Il est un résident permanent du Canada.

[6]  M. Moretto affirme avoir souffert de dépendance et de problèmes de santé mentale. Il a également eu des démêlés avec la justice.

[7]  Le 27 avril 2009, la Section de l’immigration (SI) a pris une mesure de renvoi contre M. Moretto à la suite de sa déclaration de culpabilité pour introduction par effraction, qui constitue une infraction punissable d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. M. Moretto a donc été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, conformément à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Son appel devant la Section d’appel de l’immigration a été rejeté. Toutefois, le contrôle judiciaire de cette décision lui a été accordé, voir : Moretto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 132.

[8]  Le 31 mars 2011, la Section d’appel de l’immigration a accordé le sursis de son renvoi pendant une période de trois ans à la condition que M. Moretto se conforme à certaines conditions. L’une des conditions, pertinente en l’espèce, était de ne pas se livrer à des activités criminelles.

[9]  Le 6 mai 2015, la Section d’appel de l’immigration a réexaminé de vive voix le sursis à la mesure de renvoi de M. Moretto. La Section d’appel de l’immigration a souligné que, depuis que le sursis lui a été accordé en 2011, M. Moretto a été accusé de quatre autres infractions criminelles. En dépit de cela, le 21 mai 2015, la Section d’appel de l’immigration a permis que l’on sursoie à sa mesure de renvoi pour une période supplémentaire d’un an.

[10]  Le 16 septembre 2016, le sursis de M. Moretto a été réexaminé. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a fourni une preuve à la Section d’appel de l’immigration selon laquelle, le 2 juin 2016, M. Moretto a été déclaré coupable de vol qualifié, en violation de l’alinéa 344(1)b) du Code criminel. Il s’agit d’une infraction de « grande criminalité » telle qu’elle est décrite à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Ainsi, le paragraphe 68(4) s’appliquait à M. Moretto, annulant son appel devant la Section d’appel de l’immigration et levant le sursis de la mesure de renvoi.

III.  Décision de la Section d’appel de l’immigration

[11]  Le 21 décembre 2016, la Section d’appel de l’immigration a conclu que [traduction] : « Le sursis de la mesure de renvoi est révoqué de plein droit et l’appel est rejeté. »

[12]  Devant la Section d’appel de l’immigration, M.Moretto a soutenu que le paragraphe 68(4) de la LIPR était inconstitutionnel. Toutefois, la Section d’appel de l’immigration a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 68(4).

[13]  La Section d’appel de l’immigration a conclu que le paragraphe 68(4) s’appliquait à la situation de M. Moretto.

IV.  Norme de contrôle

[14]  Comme M. Moretto conteste la constitutionnalité du paragraphe 68(4) de la LIPR et son application à sa situation, la norme de contrôle est la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 58; Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, au paragraphe 43; Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 905, aux paragraphes 53 et 54 [Revell]).

V.  Questions en litige

[15]  Dans son avis de demande, M. Moretto sollicite les réparations suivantes :

  1. Une déclaration en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 selon laquelle le paragraphe 68(4) de la LIPR contrevient aux articles 7 et 12 de la Charte d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte et qu’il est donc nul et inopérant;
  2. Une ordonnance interdisant la Section d’appel de l’immigration d’appliquer le paragraphe 68(4) contre M. Moretto parce qu’il est incompatible avec la Charte et, donc, inopérant;

[16]  Dans son avis de question constitutionnelle, M. Moretto soutient également que le paragraphe 68(4) porte atteinte d’une manière injustifiable à l’alinéa 2d) de la Charte.

[17]  Il demande également la certification de cinq questions.

[18]  Les questions soulevées par M. Moretto seront examinées ci-dessous comme suit :

  1. Directives pour réexaminer les décisions exécutoires
  2. Article 7
  3. Article 12
  4. Alinéa 2d)
  5. Article 1
  6. Droit international
  7. Questions proposées aux fins de certification

VI.  Discussion

A.  Directives pour réexaminer les décisions exécutoires

[19]  En ce qui concerne l’article 7 de la Charte, M. Moretto fait valoir que l’évolution récente de la jurisprudence, notamment dans les arrêts Canada (Procureur général)c Bedford, 2013 CSC 72 [Bedford] et Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 [Carter], permet à la Cour de réexaminer le caractère contraignant de la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711 [Chiarelli]. Dans Chiarelli, la Cour a conclu que l’annulation d’office du sursis d’une mesure de renvoi et des droits d’appel en raison d’une criminalité est constitutionnelle, parce que « le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer » (Chiarelli, au paragraphe 733).

[20]  M. Moretto s’appuie également sur Carter et Bedford pour faire valoir que la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 SCC 51 [Medovarski] peut être réexaminée. Il est confirmé dans Medovarski que la vie, la liberté et la sécurité de la personne à l’article 7 n’entrent pas en jeu à l’étape de déterminer l’admissibilité au Canada.

[21]  Ces arrêts doivent être examinés dans le contexte d’autres arrêts portés devant la Cour suprême, qui indiquent clairement qu’une conclusion d’interdiction de territoire en soi ne fait pas entrer en jeu l’article 7 : B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, aux paragraphes 74 et 75 (l’article 7 n’entre « généralement » pas en jeu lorsque vient le temps de décider si une personne est admissible au Canada); Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, aux paragraphes 67 a 69 [Febles].

[22]  Conformément à ce pouvoir de la Cour suprême, les arrêts portés devant cette Cour et la Cour d’appel fédérale ont abouti aux mêmes conclusions en ce qui concerne l’article 7 et l’interdiction de territoire (Revell; Brar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1214, au paragraphe 21; Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 591, conf. par 2016 CAF 48, au paragraphe 4; Stables c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, aux paragraphes 40 et 41 [Stables]; Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, aux paragraphes 61 à 63 [Poshteh]).

[23]  De plus, l’expulsion en tant que telle ne peut pas mettre en cause les droits garantis par l’article 7 (Medovarski, au paragraphe 46). Seulement l’expulsion à la « possibilité de persécution […] de torture […] ou la détention dans le cadre du processus de certificat de sécurité […] peut faire entrer en jeu les droits conférés par l’article 7 » (Revell, au paragraphe 116).

[24]  Ainsi, la plupart des décisions, surtout Chiarelli et Medovarski, établissent une distinction entre une conclusion d’interdiction de territoire et l’action d’être expulsé à des fins de considération constitutionnelle. L’expulsion à elle seule peut, dans certaines situations, faire intervenir les questions relatives à l’article 7.

[25]  En l’espèce, rien ne donne à penser que M. Moretto risque la persécution, la torture ou la détention en Italie. Toutefois, il tente de prouver que la conclusion d’interdiction de territoire suffit à elle seule pour faire entrer en jeu l’article 7 et que l’application du paragraphe 68(4) lui semble disproportionnée et arbitraire, même en l’absence de l’expulsion vers un pays de torture ou de persécution.

[26]  Alors que Chiarelli et Medovarski seraient normalement considérées comme des décisions suivies et exigeraient le rejet des arguments de M. Moretto, dans Bedford, la Cour suprême a fait ressortir les circonstances dans lesquelles les instances inférieures peuvent revenir sur un précédent faisant autorité. La Cour fait observer ce qui suit :

[42] À mon avis, le juge du procès peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne [non en italique dans l’original].

[27]  Lorsqu’il s’agit de justifier l’examen d’un précédent faisant autorité, « la barre est haute » (Bedford, au paragraphe 44). Dans Bedford, toutefois, la Cour suprême souligne que le juge de première instance était autorisé à réexaminer des précédents établis par la Cour suprême et « pouvait trancher la question de savoir si les dispositions en cause respectaient ou non le droit à la sécurité de la personne garanti à l’art. 7 de la Charte » (Bedford, au paragraphe 45). Dans cet arrêt, la juge du procès a d’abord déterminé si elle pouvait réexaminer les précédents établis par la Cour suprême. En concluant qu’elle pouvait les réexaminer, elle a ensuite procédé à l’analyse constitutionnelle requise.

[28]  Conformément à Bedford, avant que les précédents faisant autorité puissent être réexaminés, M. Moretto doit démontrer que de nouvelles questions juridiques sont soulevées en raison des changements du droit.

[29]  En l’espèce, M. Moretto soutient principalement que l’application du paragraphe 68(4) déclenche les droits à la liberté et à la sécurité de sa personne en application de l’article 7. De plus, il soutient que l’atteinte à ces droits, aux termes du paragraphe 68(4), est totalement disproportionnée et arbitraire, et, donc, contraire aux principes de justice fondamentale. Il soutient également, conformément à l’article 12, que le paragraphe 68(4) est totalement disproportionné. Il soulève de nouveaux arguments en ce qui concerne l’alinéa 2d) de la Charte, et soutient que le droit international appuie ses prétentions.

[30]  Les contestations fondées sur les articles 7 et 12 de la Charte concernant le paragraphe 68(4) de la LIPR ont été infructueuses à la Cour dans Dufour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 580 [Dufour]. Si Dufour avait été strictement appliqué, le contrôle judiciaire de M. Moretto aurait été rejeté. Toutefois, l’interprétation la plus récente de l’article 7 de Bedford (aux paragraphes 125 à 127) affirme que l’article 7 et l’article 1 de la  Charte sont distincts, les objectifs publics dominants ne sont donc pas pris en considération dans l’analyse de l’article 7. De plus, dans Bedford, au paragraphe 45, la Cour suprême confirme que les principes de justice fondamentale — particulièrement le caractère arbitraire, la portée trop grande et le caractère totalement disproportionné — sont des notions qui ont en grande partie vu le jour au cours des dernières années, après Chiarelli. Aujourd’hui, des répercussions de caractère arbitraire, de portée trop grande et de caractère totalement disproportionné sur une personne sont suffisantes pour établir la violation de l’article 7 et il n’est pas nécessaire de tenir compte d’autres intérêts. De plus, cette modification apportée au droit a été interprétée comme ayant une incidence sur l’analyse de l’article 1 (R c Michaud, 2015 ONCA 585, au paragraphe 83).

[31]  Ces développements sont pertinents en l’espèce étant donné que M. Moretto soutient que la lacune constitutionnelle dans le paragraphe 68(4) est son application automatique, qui ne permet pas l’analyse de la situation personnelle. Selon M. Moretto, Chiarelli adopte un principe social dans l’évaluation de l’article 7, à savoir le principe que le gouvernement a le droit de décider quels non-citoyens peuvent demeurer au Canada, de sorte que le Canada ne devienne pas un refuge sûr pour les criminels. C’est exact : Chiarelli, à la page 733, adopte expressément ce principe. Toutefois, selon Bedford, la question devrait être abordée du point de vue du particulier lorsque ce principe de common law par rapport à la Constitution est évalué.

[32]  En ce qui concerne l’article 12, Chiarelli, au paragraphe 735, a trouvé préférable d’attendre une autre occasion pour examiner la question de savoir si l’expulsion peut constituer un [traduction] « traitement » conformément à l’article 12. De plus, dans R. c Nur, 2015 CSC 15, au paragraphe 71 [Nur], la Cour suprême a également conclu qu’une loi maintenue en application de l’article 12 peut être contestée plus tard par un autre demandeur, parce que le « stare decisis n’empêche […] pas le tribunal de considérer une situation nouvelle ou un élément de preuve nouveau qui ne l’a pas été dans l’instance précédente ».

[33]  Ces développements en application des arguments de l’article 12 de la  Charte sont pertinents aux arguments soulevés en l’espèce.

[34]  De plus, selon Bedford, au paragraphe 42, le fait que M. Moretto soulève une nouvelle disposition de la Charte, l’alinéa 2d), en attaquant la constitutionnalité du paragraphe 68(4), milite également en faveur d’une révision des arrêts Chiarelli et Medovarski.

[35]  Par conséquent, je suis convaincu que ces développements dans la jurisprudence de l’interprétation des articles 7 et 12 de la Charte et de l’objection de l’alinéa 2d) permettent le réexamen de Chiarelli et de Medovarski.

B.  Article 7

(1)  Principes juridiques pertinents

[36]  M. Moretto soutient que les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne de l’article 7 de la Charte  entrent en jeu en raison des circonstances exceptionnelles de sa cause. Il est au Canada depuis qu’il est enfant, et le Canada est le seul pays qu’il connaît. Il prétend également souffrir de troubles mentaux. Il s’appuie sur les rapports des médecins, notamment celui d’un psychologue, le Dr Karl Williams, qui déclare que le retour forcé de M. Moretto en Italie [traduction] « abrégera sa vie ».

[37]  Les considérations en application de l’article 7 sont doubles. Le demandeur doit d’abord démontrer que la loi contestée le prive de sa vie, de sa liberté ou de la sécurité de sa personne. Dans l’affirmative, l’article 7 entre en jeu. Une fois qu’il a établi que l’article 7 entre en jeu, il doit démontrer que la privation en cause n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale (Carter, au paragraphe 55).

[38]  À l’application de ces principes, M. Moretto vise à démontrer que la conclusion d’interdiction de territoire prescrite par le paragraphe 68(4) fait intervenir ses droits garantis par l’article 7 et va à l’encontre des principes de justice fondamentale. Pour ce faire, il doit démontrer que les arrêts récents de la Cour suprême, notamment le développement des notions de justice fondamentale dans Bedford et Carter, exigent un résultat différent en application de l’article 7 que l’analyse et le résultat effectués dans Chiarelli, Medovarski et dans les décisions de notre Cour.

[39]  À titre de contexte nécessaire, l’article 7 de la Charte n’a pas été interprété comme imposant des obligations positives au gouvernement, encore moins comme fournissant une procédure d’appel prévue, poursuivant un sursis à la mesure de renvoi ou accordant un statut de réfugié (Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, au paragraphe 82; Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, paragraphe 8; Y.Z. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892, au paragraphe 143; Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 136 [Charkaoui]; Febles, au paragraphe 68).

[40]  De plus, dans le contexte de l’article 7, la Cour a déjà conclu que le fait d’annuler le paragraphe 68(4) exigerait l’obligation positive du gouvernement de fournir un appel prévu par la loi (Dufour, au paragraphe 5). Cette interprétation est pertinente à l’espèce, puisque M. Moretto fait valoir le même argument à la lumière de l’évolution récente des principes de justice fondamentale.

(2)  Mise en jeu

[41]  M. Moretto doit d’abord démontrer que l’un des droits protégés en application de l’article 7 entre en jeu en raison de l’application automatique du paragraphe 68(4). Dans ses observations, M. Moretto s’est concentré sur le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.

[42]  La liberté, en application de l’article 7, est décrite comme ayant à la fois une composante physique et personnelle (Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, au paragraphe 49 [Blencoe]). Les observations de M. Moretto mettaient l’accent sur la composante personnelle. La composante personnelle prévoit que la liberté est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie (Blencoe, au paragraphe 49). Cette sphère d’autonomie personnelle accordée par le droit à la liberté « [n’] englob[e] [pas] toute décision qu’un individu peut prendre dans la conduite de ses affaires » (Godbout c Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844, au paragraphe 66).

[43]  En l’espèce, M. Moretto n’a pas démontré qu’un « choix fondamental dans sa vie » est mis en cause par le paragraphe 68(4). En principe, le choix de rester au Canada après avoir violé les conditions de l’ordonnance de sursis ne peut pas être le type de choix fondamental protégé par la Charte. Le paragraphe 68(4) ne fait que lever un sursis discrétionnaire et légal. Comme il a été mentionné, l’interdiction de territoire et l’expulsion sont deux mécanismes différents (Poshteh, aux paragraphes 61 à 63). L’expulsion en tant que telle, par ailleurs, ne met pas en cause le droit à la liberté (Medovarski, aux paragraphes 45 et 46). M. Moretto n’a pas démontré de quelles façons les modifications de la jurisprudence relative à l’article 7 auraient une incidence sur cette conclusion concernant le droit à la liberté et la distinction fondamentale entre l’interdiction de territoire et l’expulsion.

[44]  En revanche, les considérations sur la sécurité de la personne en application de l’article 7 ont une composante physique et psychologique (Blencoe, au paragraphe 55). Les observations de M. Moretto mettaient l’accent sur la sécurité psychologique de sa personne. Afin que la sécurité psychologique de sa personne ait une incidence sur le plan constitutionnel, M. Moretto doit démontrer qu’il est touché par une « tension psychologique grave causée par l’État » (Blencoe, au paragraphe 57). M. Moretto doit également démontrer un « lien de causalité suffisant » entre l’action gouvernementale et la violation de la sécurité de la personne (Bedford, au paragraphe 75).

[45]  M. Moretto soutient que le paragraphe 68(4) porte atteinte à la sécurité psychologique de sa personne parce qu’il ne tient pas compte de son statut de résident permanent de longue date avec des troubles mentaux et des troubles de dépendance, dont la criminalité est associée à sa déficience. M. Moretto s’appuie sur la preuve du Dr Williams et sur d’autres éléments de preuve médicaux.

[46]  Un argument semblable a été examiné et rejeté dans le cas récent de Revell. Comme en l’espèce, on a fait valoir, dans Revell, que l’expulsion, compte tenu de la situation du demandeur, entraînerait une « tension psychologique grave causée par l’État » suffisante pour avoir une incidence sur la sécurité psychologique de la personne. La juge Kane a examiné la preuve présentée par Revell, et a finalement conclu que, bien que la preuve relève que l’expulsion occasionnerait une source de tension importante, les incidences normales de l’expulsion ne satisfont pas au critère de « tension psychologique grave causée par l’État » énoncé dans Blencoe parce qu’il n’y avait aucun risque de persécution, de torture, ou de détention dans le renvoi de Revell du Canada (comme dans les décisions de Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, et Charkaoui).

[47]  La situation de M. Moretto est analogue à celle dans Revell. Comme il a été mentionné, le paragraphe 68(4) a pour effet de lever le sursis légal et discrétionnaire, qui a été accordé par la Section d’appel de l’immigration compte tenu de la situation particulière de M. Moretto. Toutefois, la distinction décrite ci-dessus entre une conclusion sur l’interdiction de territoire et l’expulsion s’applique. La levée du sursis et l’entrée en vigueur d’une mesure de renvoi ne peuvent pas, selon la jurisprudence actuelle, constituer une tension psychologique grave causée par l’État. L’évolution dans les arrêts de la Cour ne change pas les faits fondamentaux des droits de l’immigration.

[48]  Par conséquent, M. Moretto n’a pas démontré de lien entre la levée de l’ordonnance de sursis et ses troubles mentaux, parce que, comme il a été souligné, la levée de l’ordonnance et son expulsion sont deux processus différents. La tension ordinaire associée à l’interdiction de territoire dans les droits de l’immigration ne peut atteindre le niveau d’une violation de la sécurité de la personne (Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G. (J.), [1999] 3 RCS 46, au paragraphe 81).

[49]  Pour ces motifs, je conclus que l’article 7 n’entre pas en jeu compte tenu de ces faits.

(3)  Principes de justice fondamentale

[50]  Puisque j’ai conclu que l’article 7 n’entre pas en jeu compte tenu de ces faits, il n’est pas nécessaire de traiter des principes de justice fondamentale. Cependant, en tout état de cause, M. Moretto n’a pas établi que le paragraphe 68(4) est incompatible avec les principes qui protègent contre la disproportion totale ou le caractère arbitraire.

[51]  Dans Chiarelli et dans Medovarski, au paragraphe 47, la Cour suprême a conclu que l’expulsion ne constitue pas une violation des principes de justice fondamentale.

[52]  La Cour a par la suite clarifié, au paragraphe 125 de Bedford, le rôle des notions de justice fondamentale (notamment le caractère arbitraire, la portée excessive, et la disproportion totale) dans l’analyse fondée sur l’article 7 :

Les trois notions — le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale — supposent la comparaison de l’atteinte aux droits causée par la loi avec l’objectif de la loi, et non avec son efficacité. Autrement dit, elles ne s’intéressent pas à la réalisation de l’objectif législatif ou au pourcentage de la population qui bénéficie de l’application de la loi. Elles ne tiennent pas compte des avantages accessoires pour la population en général. De plus, aucune ne mesure le pourcentage de la population qui est touchée de manière négative. L’analyse est qualitative et non quantitative. La question à se poser dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article 7 est celle de savoir si une disposition législative intrinsèquement mauvaise prive qui que ce soit du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; un effet totalement disproportionné, excessif ou arbitraire sur une seule personne suffit pour établir la violation de l’article 7.

[53]  La question est de savoir si les notions révisées de l’article 7 dans Bedford commandent un résultat différent de l’application des principes de justice fondamentale dans Chiarelli. M. Moretto n’a pas démontré qu’il y avait un effet arbitraire ou de disproportion totale découlant du paragraphe 68(4).

(1)  Disproportion totale

[54]  La disproportion totale « ne s’applique que dans les cas extrêmes » où la gravité de l’atteinte n’est pas conforme à l’objet de la mesure (Bedford, au paragraphe 120). Un effet totalement disproportionné sur une seule personne suffit pour qu’il y ait violation de l’article 7 (Bedford, aux paragraphes 120 et 122). M. Moretto soutient que le paragraphe 68(4) est totalement disproportionné parce qu’il s’applique automatiquement, indépendamment de sa situation particulière.

[55]  Pour apprécier cet argument, il est nécessaire que la Charte soit interprétée en fonction du contexte dans lequel elle est invoquée (R c Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 RCS 295; Edmonton Journal c Alberta (Procureur général), [1989] 2 RCS 1326, aux pages 1355 et 1356). En fait, l’objectif législatif en litige est directement pertinent dans l’évaluation des notions de justice fondamentale, y compris la disproportion totale: Bedford, au paragraphe 120. En ce sens, Chiarelli fait remarquer à juste titre que les principes qui régissent le droit de l’immigration, tels qu’ils sont représentés dans la LIPR, sont pertinents pour l’analyse constitutionnelle.

[56]  Par conséquent, l’effet constitutionnel du paragraphe 68(4) de la LIPR doit être interprété en fonction du contexte plus large de la LIPR et de ses objectifs.

[57]  Le paragraphe 68(4) reflète les objectifs globaux de la LIPR qui « révèlent une intention de donner priorité à la sécurité » et « traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi » (Medovarski, aux paragraphes 10 et 11).

[58]  Parallèlement, au sujet d’autres dispositions de la LIPR, il a été souligné, dans Medovarski : « Les dispositions autorisant le contrôle judiciaire atténuent le caractère définitif de ces dispositions, tout comme le font les appels fondés sur des motifs d’ordre humanitaire et l’évaluation du risque préalable à un renvoi. » Ces commentaires s’appliquaient au paragraphe 68(4), étant donné que M. Moretto continuait et continuera à recevoir l’évaluation de la proportionnalité individualisée qu’il soutient être prescrite par la  Charte en application des autres dispositions de la LIPR.

[59]  Dans Stables, la Cour a souligné de telles « soupapes de sécurité » individualisées sur le plan législatif qui sont incorporées dans la LIPR et qui mènent à la mesure d’expulsion :

[56] Je souscris à l’opinion du défendeur qu’il ressort de l’examen de l’ensemble du processus par lequel un demandeur pourrait se voir déclarer interdit de territoire et imposer l’exécution consécutive d’une mesure de renvoi que le processus est compatible avec les principes de justice fondamentale :

  Le demandeur se voit accorder la possibilité de présenter des observations expliquant pourquoi le rapport prévu à l’article 44 ne devrait pas être établi ou déféré à la Section de l’immigration pour examen.

  Le demandeur se voit accorder le droit d’être entendu par la Section de l’immigration pour qu’elle décide du bien-fondé de l’allégation d’interdiction de territoire (article 45 de la LIPR). La procédure devant la Section de l’immigration permet au demandeur d’avoir droit à une enquête devant un arbitre impartial et à une décision fondée sur les faits et le droit et lui reconnaît le droit d’être informé de la preuve produite contre lui et d’y répondre, soit tout ce que la justice fondamentale exigerait dans les circonstances.

  Avant le renvoi, le demandeur se voit accorder la possibilité de demander un ERAR pour faire évaluer les risques allégués auxquels il serait exposé dans son pays d’origine (article 112 de la LIPR).

  Si l’ERAR permet d’établir que le demandeur est une personne à protéger, son renvoi ne pourra avoir lieu à moins qu’on estime qu’il constitue un danger pour le public (paragraphe 115(2) de la LIPR).

  Chacun de ces processus est assujetti à la surveillance de notre Cour par voie de contrôle judiciaire.

[60]  Les faits de Stables diffèrent de ceux en l’espèce, mais le principe demeure valide. M. Moretto avait la gamme complète des processus individualisés soulignés dans Stables à sa disposition avant l’application automatique du paragraphe 68(4). On y lit ceci :

  • M. Moretto jouissait de pleins droits de participation devant la Section de l’immigration.
  • M. Moretto a eu la possibilité d’interjeter l’appel de la mesure de renvoi émise par la Section de l’immigration à la Section d’appel de l’immigration et a été en mesure de procéder avec succès au contrôle judiciaire pour réviser la décision défavorable de la Section d’appel de l’immigration.
  • La Section d’appel de l’immigration a accordé un sursis de trois ans à M. Moretto, au cours desquels sa situation personnelle a été examinée.
  • Malgré ses condamnations pour les crimes qu’il a commis pendant la période de sursis, M. Moretto a obtenu une année de plus de sursis, qui lui a été accordée selon ses motifs d’ordre humanitaire convaincants.

[61]  Autrement dit, en application des dispositions de la LIPR, M. Moretto a également reçu les évaluations proportionnelles qu’il demande, plus précisément les motifs d’ordre humanitaire. La LIPR, alors qu’elle accorde la priorité à la sécurité, a également des dispositions ou des évaluations individualisées qui protègent contre la disproportion totale. Pour cette raison, on ne peut dire que la sécurité objective de la LIPR en application du paragraphe 68(4) est atteinte au moyen de mesures législatives totalement disproportionnées à l’égard de la situation de M. Moretto.

[62]  De plus, M. Moretto a accès à la mesure d’ordre humanitaire à l’avenir, ce qui signifie que sa situation sera examinée plus longuement dans le contexte de cette mesure discrétionnaire, comme l’a souligné la Cour dans la situation factuelle analogue du paragraphe 68(4) : Bhoonahesh Ramnanan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 404, au paragraphe 57.  Alors que M. Moretto soutient que la mesure d’ordre humanitaire n’est pas une réparation parce qu’il se peut qu’il ait à déposer sa demande à l’extérieur du Canada, cela ne fait pas obstacle à la disponibilité de la mesure discrétionnaire, qui fait fonction de soupape de sécurité contre toute disproportion totale.

[63]  Une situation semblable a été abordée dans Stables, au paragraphe 40. La Cour a conclu ce qui suit :

Même s’il est vrai que le demandeur, du fait qu’il n’est pas un réfugié, pourrait être expulsé pendant le traitement de sa demande de dispense ministérielle, cela ne se serait pas suffisant pour déclencher l’application des droits garantis par l’article 7.

[64]  Conformément à Stables, simplement parce que l’évaluation discrétionnaire peut se produire à l’extérieur de Canada ne veut pas pour autant dire qu’elle ne satisfait pas aux normes constitutionnelles.

[65]  Je conclus donc que la Section d’appel de l’immigration n’a pas commis d’erreur en appliquant le paragraphe 68(4) à M. Moretto. Tout effet totalement disproportionné d’une levée d’ordonnance de suspension obligatoire est atténué par la disponibilité dans le droit de nombreuses soupapes de sécurité individualisées que M. Moretto a consultées dans le passé, et qu’il peut consulter à l’avenir.

(2)  Caractère arbitraire

[66]  Le caractère arbitraire existe lorsqu’il n’y a aucun lien entre l’objet du droit et l’effet sur les droits du demandeur (Bedford, au paragraphe 98). En l’espèce, un lien existe entre l’objet du paragraphe 68(4) dans le contexte de la LIPR et tout effet qu’il impose sur la liberté et la sécurité d’une personne.

[67]  Comme il a été mentionné, les objectifs de la LIPR dans ce contexte visent à « donner priorité à la sécurité et à protéger le public » (Medovarski, aux paragraphes 9 à 12; Dufour, au paragraphe 41).

[68]  Le but est atteint par la levée obligatoire du sursis et le retrait de l’appel en application du paragraphe 68(4). Le but n’est pas atteint par des moyens constitutionnels — encore une fois, le paragraphe 68(4) existe dans un régime législatif qui tient compte des droits de la personne.

[69]  Par conséquent, la disposition n’est pas arbitraire.

C.  Article 12

[70]  M. Moretto présente des arguments relatifs à l’article 12 de la  Charte qui sont semblables à ceux présentés à l’égard de l’article 7 de la Charte . Il soutient que l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR viole ses droits garantis par l’article 12 de la Charte parce que la suspension automatique de son sursis fondée sur la conclusion de grande criminalité est une peine cruelle et inusitée. Il soutient que cet effet est totalement disproportionné étant donné qu’il n’existe aucune prise en compte de sa situation personnelle, notamment la gravité de ses infractions, sa culpabilité ou les facteurs atténuants. Selon M. Moretto, on ne prend pas en compte le fait qu’il est au Canada depuis qu’il est un bébé, qu’il n’a pas de famille en Italie, qu’il ne parle pas italien et qu’il souffre de troubles mentaux.

[71]  Il faut appliquer un critère à deux volets pour l’article 12 : 1) Y a-t-il un traitement? 2) S’il y a un traitement, le traitement est-il cruel et inusité?

(1)  Y a-t-il un « traitement »?

[72]  Le critère pour décider s’il existe un traitement en application de l’article 12 a une portée générale. Dans Chiarelli, la Cour suprême a énoncé une large définition du terme traitement qui désigne un « [c]omportement à l’égard de [quelqu’un]; actes traduisant ce comportement ». Au paragraphe 29, la Cour a conclu que l’expulsion peut « constitue[r] un “traitement” au sens de l’art. 12 ».

[73]  En considérant qu’un « traitement » doit recevoir une interprétation large, et en acceptant le fait que, pour les besoins de cette analyse, M. Moretto est soumis au « contrôle administratif particulier de l’État » (Rodriguez c Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519, à la page 611), je reconnais que l’application de l’article 68 (4) de la LIPR peut être considérée comme un « traitement ».

(2)  Le traitement est-il cruel et inusité?

[74]  Pour qu’un « traitement » soit cruel et inusité en application de l’article 12, il doit être totalement disproportionné (Nur, au paragraphe 39).

[75]  M. Moretto soutient que le paragraphe 68(4) n’est pas [traduction] « très individualisé » et l’absence de pouvoir discrétionnaire dans le paragraphe 68(4) signifie que sa situation personnelle n’a pas été prise en compte. Par conséquent, selon M. Moretto, l’application de ce paragraphe lui paraît [traduction] « totalement disproportionnée ». M. Moretto établit des analogies avec les peines minimales obligatoires dans le contexte criminel qui ont été annulées en application de la Charte comme étant totalement disproportionnées. Par exemple, dans Nur, au paragraphe 43, la Cour a annulé une peine minimale obligatoire pour la possession d’armes à feu, et a décrit la décision d’une peine proportionnelle comme « fa[isant] grandement appel à l’individualisation et pren[ant] en compte la gravité de l’infraction, la culpabilité morale du délinquant et le préjudice causé par le crime ».

[76]  M. Moretto a tort de s’appuyer sur des affaires criminelles traitant de l’imposition de peines minimales obligatoires. Le principe de proportionnalité dans la détermination de la peine est fondamental: R. c Ipeelee, 2012 CSC 13, au paragraphe 37. Les peines minimales obligatoires sont en soi susceptibles de s’écarter du principe de proportionnalité (Nur, au paragraphe 44). Toutefois, les circonstances qui sous-entendent les peines dans un contexte criminel sont très différentes des circonstances en l’espèce. En l’espèce, M. Moretto conteste un droit d’appel discrétionnaire et législatif. Une personne a le droit constitutionnel à une peine proportionnelle, mais elle n’a pas le droit constitutionnel d’un appel prévu par la loi.

[77]  De plus, la distinction entre une conclusion sur l’interdiction de territoire et l’expulsion doit être considérée. Cette Cour et la Cour d’appel fédérale ont conclu que l’article 12 ne peut être appliqué qu’au stade de l’expulsion elle-même (Barrera c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 RCF 3 (CAF) [Barrera]; Norouzi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 368, au paragraphe 36 [Norouzi]; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 820, au paragraphe 32 [Brar]). Même lorsqu’il s’agit d’expulsion, les tribunaux ont conclu que le paragraphe68(4) n’est pas une forme de « peine » et que l’expulsion proprement dite n’est pas une peine (Dufour, aux paragraphes 41 et 43 à 46; Canepa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 RCF 270, au paragraphe 14 (CAF)).

[78]  À cette étape, alors que la suspension de la mesure de renvoi antérieure n’est pas en faveur de M. Moretto, les procédures d’expulsion n’ont pas encore été entreprises. Cependant, à cette étape, les arguments soulevés par M. Moretto sont prématurés en ce qui concerne les facteurs de l’article 12.

[79]  Même si les arguments de M. Moretto concernant l’article 12 n’étaient pas prématurés, les arguments de la Charte doivent être considérés dans le contexte où ils se posent. Comme il a été mentionné ci-dessus, en ce qui concerne l’article 7 de la Charte , le paragraphe 68(4) fait partie du régime législatif plus large de la LIPR qui contient plusieurs recours pour M. Moretto avant et après la décision d’interdiction de territoire prise par la Section d’appel de l’immigration (incluant les mesures d’ordre humanitaire de l’article 25). Ces recours atténuent la disproportion totale dans l’application du paragraphe 68(4).

[80]  Bien que Nur, au paragraphe 91, explique que la constitutionnalité d’une loi ne peut dépendre de sa propre application par un agent de l’État, dans ce cas-ci une évaluation individualisée de la proportionnalité est intégrée à la LIPR sous forme de la Section de l’immigration et des motifs d’ordre humanitaire auxquels M. Moretto a eu accès. Il a également eu accès aux considérations spéciales sous forme de droits d’appel à la Section d’appel de l’immigration.

[81]  Dans l’ensemble, M. Moretto a eu l’avantage de deux sursis à son renvoi du Canada. Sa récidive a déclenché l’application du paragraphe 68(4) à sa situation. L’application du paragraphe 68(4) en l’espèce est compatible avec l’objectif en matière de sécurité de la LIPR, comme il a été souligné dans Medovarski. Le comportement criminel continu de M. Moretto milite contre ses arguments de peine cruelle et inusitée.

[82]  Je conclus donc que l’article 12 de la Charte n’a pas été violé compte tenu des faits en l’espèce.

D.  Alinéa 2d)

[83]  M. Moretto soutient que le paragraphe 68(4) de la LIPR constitue une atteinte à ses droits fondés sur l’alinéa 2d) de la Charte étant donné que son expulsion aurait pour effet de rompre ses liens avec sa famille. Il soutient que liens intimes de la famille sont [traduction] « une institution sociale fondamentale » et devrait par conséquent jouir de la protection de la Charte. À l’appui de cet argument, il se fonde sur l’interprétation téléologique de l’alinéa 2d) de l’Association de la police montée de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 [APMO], et sur le droit international.

[84]  La protection de la liberté d’association de la Charte met l’accent sur trois catégories d’activités : 1) le droit de s’unir à d’autres et de constituer des associations ; 2) le droit de s’unir à d’autres pour exercer d’autres droits constitutionnels; et 3) le droit de s’unir à d’autres pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités. (APMO, au paragraphe 66).

[85]  De manière générale, l’activité protégée par l’alinéa 2d) fait en sorte que l’État n’entrave pas de façon substantielle les associations volontaires d’individus dans leurs rencontres, leur formation et la protection de leurs autres droits, ou les activités qui favorisent la force de leur association pour « réaliser collectivement ce qu’ils ne pourraient pas accomplir seuls » (APMO, au paragraphe 62).

[86]  Les tribunaux ont conclu que les activités associatives protégées par l’alinéa 2d), comme il a été décrit dans l’APMO, ne conçoivent pas la famille comme une unité constitutionnellement protégée. Dans Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto c S. (T.), [1989] OJ no 754 (Ont CA), la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’association de la famille entre ses membres n’a pas comme objet principal un but économique, politique, religieux ou social.

[87]  Dans le même ordre d’idées, la jurisprudence récente de l’alinéa 2d) n’impose pas l’inclusion de la famille. En ce qui concerne les liens familiaux, il n’y a en général aucun « objectif » commun que les familles cherchent à atteindre ; et les familles ne se consacrent pas à des « activités » communes au même titre que les syndicats, par exemple. De plus, un élément de caractère volontaire est soulevé dans la définition des droits d’association de la Cour suprême : l’alinéa 2d) protège le droit de s’associer aux autres et de former des associations. En l’espèce, M. Moretto ne s’est pas volontairement associé à sa famille.

[88]  Les arguments de M. Moretto relatifs à l’alinéa 2d), quoique neufs, ne démontrent pas une violation de la Constitution.

E.  Article 1

[89]  Comme j’ai conclu que les droits de M. Moretto garantis par la Charte n’ont pas été violés, il n’est pas nécessaire que j’évalue les arguments relatifs à l’article 1.

F.  Droit international

[90]  M. Moretto soutient que l’évolution dans le droit international est pertinente à l’analyse fondée sur la Charte.

[91]  Il s’appuie sur le droit international pour la proposition selon laquelle l’alinéa 2d) devrait être interprété comme protégeant l’unité familiale en tant qu’association.

[92]  En ce qui concerne ses observations sur les articles 7 et 12, M. Moretto soutient que l’évolution dans le droit international, précisément les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies imposent qu’une [traduction] « évaluation de la proportionnalité » soit effectuée avant le renvoi d’un résident permanent de longue date. Si l’expulsion est totalement disproportionnée, l’expulsion n’est pas nécessaire. M. Moretto soutient que Chiarelli et Medovarski devraient être examinés de nouveau à la lumière de cette évolution dans le droit international.

[93]  Cette question a été abordée dans Revell, aux paragraphe180 à 183, où la juge Kane a jugé que bien que les principes de droit international éclairent l’interprétation de la Charte, cette évolution dans le droit international n’exige pas que les principes de justice fondamentale soient réinterprétés dans le contexte de l’expulsion et ne sont pas suffisants pour justifier qu’on s’écarte des principes établis dans le droit interne. Cela est particulièrement vrai étant donné que la Cour d’appel fédérale a conclu dans Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 80, au paragraphe 15 (autorisation de pourvoi refusée), que le principe dans l’alinéa 3 (3)f) de la LIPR (prévoyant que l’interprétation et la mise en œuvre de la LIPR doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire) n’accorde pas d’importance plus grande au droit international qu’au droit interne.

[94]  Ainsi, bien que les instruments de droit international signés et ratifiés par le Canada puissent guider l’interprétation, ils ne peuvent pas supplanter le droit de la Charte et le droit interne (De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, au paragraphe 58). En ce qui concerne la LIPR, le droit international ne change pas considérablement l’évaluation de la proportionnalité qui existe déjà en application de la loi. De plus, pour les motifs susmentionnés, le droit international ne peut pas « interpréter » une disposition de la Charte au sujet de la famille. Par conséquent, les principes de droit international ne changent pas le résultat concret en l’espèce.

G.  Questions proposées aux fins de certification

[95]  M. Moretto propose que les cinq questions suivantes soient certifiées :

  • (1) L’article 7 entre-t-il en jeu à l’étape où le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi d’un résident permanent est automatiquement révoqué conformément au paragraphe 68(4) et, le cas échéant, l’article 7 entrerait-il en jeu lorsque la privation du droit à liberté et à la sécurité de la personne d’un résident permanent est issue de son déracinement du Canada et pas d’une éventuelle persécution ou torture dans le pays d’origine?

  • (2) Le principe du stare decisis empêche-t-il la Cour de réexaminer les conclusions de la Cour suprême du Canada dans Chiarelli, qui établit que l’expulsion d’un résident permanent qui a été déclaré coupable d’une infraction criminelle grave, malgré le fait que la situation du résident permanent et l’infraction qu’il a commise peuvent varier, est conforme aux principes de justice fondamentale? Autrement dit, le critère qui s’écarte de la jurisprudence obligatoire a-t-il été respecté en l’espèce?

  • (3) La décision en application de l’article 12 est-elle prématurée au stade où le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi d’un résident permanent est automatiquement révoqué conformément au paragraphe 68(4)?

  • (4) Les répercussions psychologiques, sociales et linguistiques du déracinement d’un résident permanent de longue date peuvent-elles être jugées totalement disproportionnées dans le contexte d’une expulsion?

  • (5) La famille est-elle une association en application de l’alinéa 2d) de la Charte et, le cas échéant, l’expulsion peut-elle porter atteinte à la liberté de la famille à s’associer?

[96]  Le défendeur s’oppose à la certification des questions proposées et soutient qu’elles ne satisfont pas aux exigences de l’alinéa 74d) de la LIPR qui stipule ce qui suit :

74 Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

74 Judicial review is subject to the following provisions:

[…]

[…]

(d) sous réserve de l’article 87.01, le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(d) subject to section 87.01, an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

[97]  Les critères de la certification ont depuis peu été repris dans Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48, au paragraphe 3, comme suit :

Suivant l’alinéa 74d) de la LIPR, seule une question grave de portée générale peut être certifiée et ainsi donner ouverture à l’appel d’un jugement consécutif à une demande de contrôle judiciaire. Cette exigence a été interprétée à plusieurs reprises par cette Cour, et il est maintenant bien établi qu’une question ne peut être certifiée que dans la mesure où elle est déterminante quant à l’issue de l’appel et transcende les intérêts des parties au litige de par ses conséquences importantes : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage [1994], ACF no 1637, au paragraphe 4, 176 NR 4; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 (CanLII), au paragraphe 9, [2013] ACF no 764. En d’autres termes, la certification d’une question ne doit pas servir de renvoi à notre Cour; la question doit avoir été soulevée et tranchée en première instance et avoir un impact sur le résultat du litige : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 (CanLII), aux paragraphes 11 et 12, [2004] ACF no 368; Lai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21 (CanLII), au paragraphe 4, [2015] ACF no 125.

[98]  Une question certifiée sera suffisamment générale et importante uniquement si le droit sur la question n’est pas bien établi (Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au paragraphe 36; Leite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 1241, au paragraphe 28).

[99]  Dans ce contexte, j’examinerai chaque question proposée.

(1)  Question 1 :

[100]  La question proposée est similaire à la question certifiée dans Revell. Bien que la juge Kane ait conclu qu’une conclusion d’interdiction de territoire ne peut pas déclencher l’application de l’article 7 étant donné qu’il existe d’autres mesures au processus d’immigration, elle a souligné que certaines décisions ne reconnaissent pas cette distinction (par exemple, Romans c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 466). Par conséquent, elle a certifié une question.

[101]  Différentes dispositions de la LIPR étaient en cause dans Revell comparativement à la présente demande, mais les faits des deux cas sont similaires et l’incidence ultime des dispositions pertinentes de la LIPR sont les mêmes – notamment l’expulsion du Canada de résidents permanents de longue date, qui sont loin de leur famille et vers un pays dans lequel ils n’ont jamais vécu ou que brièvement vécu.

[102]  Par conséquent et conformément au principe de la courtoisie, je certifierai les mêmes questions comme suit :

L’article 7 entre‑t‑il en jeu à l’étape visant à déterminer si un résident permanent est interdit de territoire au Canada et, le cas échéant, l’article 7 entrerait‑il en jeu lorsque la privation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne d’un résident permanent est issue de son déracinement du Canada et pas d’une éventuelle persécution ou torture dans le pays d’origine?

(2)  Question 2

[103]  Cette question est identique à celle qui a été certifiée dans Revell concernant le principe du stare decisis, et l’incidence de la décision de la Cour suprême du Canada dans Chiarelli sur l’analyse fondée sur les articles 7 et 12.

[104]  Compte tenu des remarques que j’ai formulées ci-dessus au sujet de la courtoisie judiciaire, cette question sera également certifiée, comme suit :

Le principe du stare decisis empêche-t-il la Cour de réexaminer les conclusions de la Cour suprême du Canada dans Chiarelli, qui établit que l’expulsion d’un résident permanent qui a été déclaré coupable d’une infraction criminelle grave, malgré le fait que la situation du résident permanent et l’infraction qu’il a commise peuvent varier, est conforme aux principes de justice fondamentale? Autrement dit, le critère qui s’écarte de la jurisprudence obligatoire a-t-il été respecté en l’espèce?

(3)  Question 3

[105]  Cette question se rapporte aux questions de caractère prématuré concernant l’article 12 de la Charte  et aux différences qui semblent découler des décisions publiées.

[106]  Dans Brar, au paragraphe 31, le juge Manson s’est appuyé sur la jurisprudence actuelle prévoyant que les arguments fondés sur l’article 12 de la Charte  étaient prématurés avant le renvoi actuel. Dans Revell, la juge Kane a jugé que ses conclusions concernant l’article 12 n’étaient pas incompatibles avec Brar.

[107]  Une grande partie de la jurisprudence sur cette question repose sur la distinction entre l’admissibilité et l’expulsion. Dans Barrera, il n’y a eu aucune décision ministérielle encore rendue pour expulser un demandeur d’asile qui a commis des crimes au Canada sans l’évaluation du risque dans le pays d’origine. Dans Norouzi, une décision récente, le juge Bell a jugé que les arguments fondés sur l’article 12 étaient prématurés dans le cas où la Section de la protection des réfugiés a imposé la cessation de l’asile du demandeur, mais le dossier du demandeur n’avait pas encore été renvoyé pour enquête.

[108]  Dans Santana c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 477, toutefois, les faits étaient similaires à ceux en l’espèce ; le demandeur a été cité pour grande criminalité, et une mesure de renvoi a été prise contre lui et a été portée en appel devant la Section d’appel de l’immigration. Le juge Shore a jugé que la question concernant l’article 12 était prématurée parce que son renvoi n’avait pas encore été tranché.

[109]  Toutefois, comme il a été souligné dans Revell, il y a un doute quant à la distinction entre la conclusion sur l’interdiction de territoire et l’expulsion. La distinction est également pertinente dans le contexte de l’article 12. Une analyse fondée sur l’article 12 sera prématurée s’il existe une distinction entre une conclusion d’interdiction de territoire et l’expulsion. S’il n’existe pas de distinction, une contestation de l’article 12 ne sera pas prématurée.

[110]  En l’espèce, M. Moretto est assujetti à une mesure de renvoi depuis 2011. Il a eu l’avantage d’un sursis à son renvoi, mais son sursis est maintenant levé, mettant en vigueur une mesure de renvoi déjà inactive. Ce n’était pas le cas dans Brar, Norouzi, ou Barrera.

[111]  Par conséquent, la situation n’est pas hypothétique, et s’il n’y a aucune distinction entre l’admissibilité et l’expulsion, M. Moretto peut alors contester la levée de sa mesure de renvoi en application de l’article 12. À ce titre, bien que cette question n’ait pas été en cause dans Revell, il convient de certifier la question suivante :

La décision en application de l’article 12 est-elle prématurée au stade où le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi d’un résident permanent est automatiquement révoqué conformément au paragraphe 68(4)?

(4)  Question 4

[112]  La question concerne les conséquences de l’expulsion étant donné qu’elle se rapporte aux incidences psychologiques, sociales et linguistiques. Dans Revell, la juge Kane a refusé de certifier une question similaire qui demandait s’il « y avait des circonstances » dans lesquelles l’expulsion d’un résident permanent violerait le principe de la disproportion totale. Elle a conclu que cette question avait une portée trop large.

[113]  En l’espèce, les questions posées ne transcendent pas l’intérêt des parties. De plus, la question de M. Moretto concernant les incidences « psychologiques, sociales et linguistiques » est en grande partie hypothétique.

[114]  Il n’y aura pas certification de cette question.

(5)  Question 5

[115]  Cette question est celle de savoir si la famille est une association prévue par l’alinéa 2d) de la Charte, et si l’expulsion peut porter atteinte à la liberté de la personne de s’associer avec sa famille.

[116]  À mon avis, la question a une portée trop large pour être certifiée et ne découle pas des faits en l’espèce. L’essentiel des arguments de M. Moretto fondés sur l’alinéa 2d) ne concernait pas la question de savoir si la famille était une association au sens de l’alinéa 2d) ou si l’expulsion dans toutes les circonstances pouvait porter atteinte à l’alinéa 2d). Il a plutôt soutenu que le paragraphe 68(4) violait les droits invoqués dans l’alinéa 2d) du résident permanent de longue date ayant des liens familiaux au Canada qui serait expulsé vers un pays sans soutien familial. M. Moretto a soutenu ces arguments en s’appuyant sur le droit international qui se concentre sur les normes internationales concernant l’expulsion de résidents permanents de longue date.

[117]  Toutefois, l’argument de M. Moretto concernant l’alinéa 2d) était propre à sa situation. La question que l’on cherche à certifier n’est pas propre aux circonstances de l’espèce, et concerne une question théorique de savoir si la famille est une unité protégée en application de la Charte.

[118]  Pour ce motif, la question relative à l’alinéa 2d) a une portée trop générale pour être certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-218-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration est rejetée.

  2. Les questions suivantes sont certifiées :

    1. L’article 7 entre-t-il en jeu à l’étape où le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi d’un résident permanent est automatiquement révoqué conformément au paragraphe 68(4) et, le cas échéant, l’article 7 entrerait-il en jeu lorsque la privation du droit à liberté et à la sécurité de la personne d’un résident permanent est issue de son déracinement du Canada et pas d’une éventuelle persécution ou torture dans le pays d’origine?

    2. Le principe du stare decisis empêche-t-il la Cour de réexaminer les conclusions de la Cour suprême du Canada dans Chiarelli, qui établit que l’expulsion d’un résident permanent qui a été déclaré coupable d’une infraction criminelle grave, malgré le fait que la situation du résident permanent et l’infraction qu’il a commise peuvent varier, est conforme aux principes de justice fondamentale? Autrement dit, le critère qui s’écarte de la jurisprudence obligatoire a-t-il été respecté en l’espèce?

    3. La décision en application de l’article 12 est-elle prématurée au stade où le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi d’un résident permanent est automatiquement révoqué conformément au paragraphe 68(4)?

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-218-17

INTITULÉ :

MASSIMO THOMAS MORETTO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 octobre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 24 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Laura Best

Lobat Sadrehashemi

Audrey Macklin

Pour le demandeur

Helen Park

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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