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Date : 20180129


Dossiers : T-1892-14

T-756-14

T-2101-14

T-2137-14

T-2222-14

T-144-16

Référence : 2018 CF 94

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

JEAN GUÉRIN

JARROD SHOOK

JAMES DRUCE

JOHN ALKERTON

MICHAEL FLANNIGAN

CHRISTOPHER ROCHELEAU

JOHANNE BARITEAU

GAÉTAN ST-GERMAIN

JEFF EWERT

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Six demandes de contrôle judiciaire ont été présentées par neuf demandeurs. Dans tous les cas, ce qui est attaqué est le régime de rétribution des détenus dans les pénitenciers, mais sous des angles différents.

[2]  En fin de compte, les six dossiers relèvent d’un fondement procédural identique. S’appuyant sur l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire et font une demande de réparation.

[3]  Plus précisément, trois instruments sont contestés devant notre Cour :

  • a) le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620) tel que modifié en 2013 (DORS/2013-181) [le Règlement];

  • b) la Directive du Commissaire du service correctionnel 730 : Affectation des délinquants aux programmes et rétribution des détenus;

  • c) la Directive du Commissaire du service correctionnel 860 : Argent des délinquants.

[4]  Aucune disposition législative ne fait l’objet d’une contestation constitutionnelle. De fait, le régime de rétribution des détenus mis en place en 2013 est ici attaqué sur plusieurs fronts, mais la Loi habilitante n’est nullement contestée :

  • a) il est soutenu que le Règlement et les directives du Commissaire 730 et 860 sont incompatibles avec la lettre, l’esprit et les objectifs de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20) [la Loi];

  • b) il est soutenu que le régime de rétribution, tel qu’énoncé au Règlement et aux directives du Commissaire 730 et 860, est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U)), 1982, c. 11 [la Charte] :

  • i) il y aurait atteinte aux intérêts de liberté et de sécurité de la personne, aux termes de l’article 7;

  • ii) il y aurait atteinte au droit à la protection contre les traitements ou peines cruels et inusités, aux termes de l’article 12;

  • c) il est soutenu que le Règlement et les directives du Commissaire 730 et 860 sont incompatibles avec l’article 7 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations-Unies. De même, il est prétendu que ces instruments domestiques sont incompatibles avec les Conventions 29 et 105 de l’Organisation internationale du travail;

  • d) il est soutenu qu’il existe une relation employeur-employé entre les détenus qui travaillent au sein de pénitenciers telle que la Partie III du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) les vise. Il en découlerait que le défendeur devrait rembourser les sommes déduites en application du Règlement et des directives du Commissaire. Il est aussi soutenu qu’il existerait une relation employeur-employé et que la diminution de la rétribution constituerait un congédiement déguisé. Enfin, il est soutenu que le paragraphe 104.1(7) du Règlement est déraisonnable. Il s’agit de la disposition qui permet au directeur d’un pénitencier de réduire les retenues ou remboursements par ailleurs prévus ailleurs lorsque certaines conditions sont rencontrées. D’abondant, on demande que les décisions rendues refusant cette mesure d’allègement soient cassées.

I.  Observations préliminaires

[5]  Il y a lieu avant d’aller plus loin de faire un peu d’intendance relativement à la composition et la gestion de ces dossiers.

[6]  À la suite de deux ordonnances de Madame la Protonotaire Tabib, chargée de la gestion de l’instance, plusieurs dossiers ont été regroupés pour être traités et entendus ensemble. Une première ordonnance était rendue le 26 octobre 2015 pour regrouper six dossiers et neuf demandeurs. Une ordonnance rendue 18 février 2016 et amendée le 8 mars 2016 abandonnait un des six dossiers, mais en ajoutait un autre en substitution. Ce seront les six dossiers présentés par neuf demandeurs dont la Cour doit disposer.

[7]  Il a été ordonné que ce soit au dossier T-1892-14, celui de Monsieur Jean Guérin, que toutes les pièces soient déposées. Les dossiers sont organisés de la façon suivante :

T-1892-14  Jean Guérin

T-756-14  Jarrod Shook

  James Druce

  John Alkerton

  Michael Flannigan

T-2101-14  Christopher Rocheleau

T-2137-14  Johanne Bariteau

T-2222-14  Gaétan St-Germain

T-144-16  Jeff Ewert

[8]  Les arguments présentés par les avocats des demandeurs valent et s’appliquent à chacun d’eux. Ainsi, alors que les demandes de contrôle judiciaire ont été signées par des avocats différents dans les dossiers devant la Cour, les avocats se sont divisés la tâche en traitant à tour de rôle d’un argument qui devait s’appliquer à tous. Cette division des tâches, plutôt que la répétition, aura favorisé une audition ordonnée. La Cour est redevable aux avocats des parties pour cette division du travail. Copie des motifs de jugement du dossier principal sera versée dans chacun des dossiers. Le jugement et ses motifs valent pour chacun des dossiers.

II.  Les faits

[9]  Les faits à la source de toute cette affaire sont les suivants. Toute cette affaire tourne autour des paiements qui sont faits aux détenus dans les institutions fédérales. Les demandeurs se plaignent que les rétributions qui leur sont payées ont été réduites de 30% en octobre 2013. Ils prétendent que ces diminutions sont ou bien ultra vires de la loi habilitante, ou inconstitutionnelles ou contraires au Code canadien du travail, ou constituent un « congédiement déguisé ». Ils arguent aussi qu’elles sont contraires à certains instruments internationaux.

[10]  Avant 1981, le régime de rémunération en place était considéré comme une « récompense pour bonne conduite plutôt qu’une récompense pour le travail effectué dans le cadre d’un emploi » (Régime de rémunération des détenus, Service Correctionnel du Canada [SCC], avril 1981). Il comportait cinq niveaux de rémunération, allant de 1,30$/jour à 2,30$/jour.

[11]  Le SCC a donc choisi de créer un nouveau régime de rémunération en 1981. Il ressort de la brochure que le SCC cherchait alors à rémunérer le travail fait par les détenus, mais aussi à rémunérer les autres détenus qui participent à des programmes d’études et de formation.

[12]  Des niveaux de rémunérations différents sont décrétés pour le travail, la formation et les études, ainsi que pour les détenus en centres psychiatriques; à l’intérieur des catégories de travail et des programmes d’études et de formation, on trouve des ventilations par niveau de sécurité du pénitencier (maximale, moyenne et minimale) avec dans chacun d’eux quatre niveaux de rémunération. On compte aussi quatre niveaux de rémunération pour les détenus en centres psychiatriques. Celui qui ne travaille pas reçoit 1,60$/jour. Celui qui travaille gagne au minimum 3,15$/jour dans un établissement à sécurité maximale et jusqu’à un maximum de 7,55$/jour dans un établissement à sécurité minimale (on explique que le taux quotidien est supérieur dans une institution à sécurité minimale pour créer une certaine motivation à avoir un comportement menant à une cote de sécurité plus basse). L’échelle pour celui qui suit une formation ou fait des études passe de 3,15$/jour à un maximum de 6,45$/jour. Pour ce qui est du travail, les niveaux de rémunération sont en fonction de l’emploi exercé, les emplois étant répertoriés, définis et classifiés. Pour chaque niveau, une progression au sein même du niveau est possible pour deux incréments de 0,55$/jour.

[13]  Le montant minimal de 3,15$ par jour proviendrait du revenu disponible d’un célibataire gagnant le salaire minimum « fédéral » de 3,50$/heure en 1981.

[14]  Le régime instauré en 1981 aura été le plus généreux puisque les révisions subséquentes n’ont jamais bonifié ce régime. Ainsi, les taux auraient été diminués en 1986 (la preuve ne révèle pas de combien). En 1989, c’est la différentiation des taux en fonction du niveau de sécurité de l’institution qui était éliminée. En 1994, la Directive du Commissaire 730 était amendée pour lier la rémunération aux objectifs du plan correctionnel de chaque détenu.

[15]  À l’heure actuelle, les taux prévus à la Directive du Commissaire 730 sont les suivants :

Niveau A :  6,90$/jour

Niveau B :  6,35$/jour

Niveau C :  5,80$/jour

Niveau D :  5,25$/jour

Une allocation de 1,00$/jour est allouée au détenu qui ne participe à aucun programme. Une allocation de 2,50$/jour est prévue pour le détenu qui ne peut participer à un programme pour une raison hors de son contrôle. Les niveaux de rétribution pour chaque détenu sont révisés aux termes de la Directive; de nombreux critères sont pris en compte : ponctualité, performance relativement aux attentes, participation au plan correctionnel, comportement général, etc. C’est ainsi qu’il est possible de passer d’un niveau de rétribution à un autre.

[16]  Les paiements qui sont faits aux détenus le sont indépendamment du programme auquel ils participent dans le cadre du plan correctionnel individualisé. Un détenu peut toucher un paiement quotidien supérieur pour suivre une formation qu’un autre détenu qui serait affecté à un travail. Le plan correctionnel est établi au début de la période d’incarcération et il est mis en place aux termes des directives du Commissaire 705 et 705-6. Celui-ci traitera des objectifs et des gains attendus pour atteindre la réhabilitation du détenu. On sera ainsi en mesure de déterminer les programmes utiles au but recherché. L’évaluation des progrès des détenus se poursuit tout au long de leur peine.

[17]  Les programmes correctionnels constituent des interventions structurées visant à réduire la récidive en ciblant les facteurs liés au comportement criminel des délinquants. Selon Michael Bettman, Directeur général, Programmes et réinsertion sociale des délinquants au sein du SCC, différents types de programmes sont créés (affidavit du 24 août 2015). Des programmes visant à modifier les comportements et à en être responsables sont proposés, entre autres.

[18]  Les programmes sociaux sont structurés et non structurés; ils visent à acquérir les habiletés, les connaissances et les expériences qui contribuent à la croissance personnelle et sociale, ce que d’aucuns appellent le savoir-être ou des compétences relationnelles. Cela ira de programmes favorisant l’intégration dans la communauté jusqu’à la récréation et les loisirs. Les programmes éducationnels fournissent les compétences de base pouvant aller jusqu’à l’éducation post-secondaire (cependant, dans ces cas, le détenu paiera pour cette formation). Les détenus qui n’ont pas atteint le diplôme de 12e année sont invités à participer à ce genre de programme dans leur plan correctionnel. Enfin, sont aussi offerts des programmes de formation professionnelle (emploi/employabilité). M. Bettman aura témoigné que l’on cherche à développer non pas seulement des aptitudes techniques, mais aussi des aptitudes relevant davantage du savoir-être (« soft skills ») : communication, travail d’équipe, aptitudes organisationnelles, gestion du temps, inspirer la confiance.

[19]  En gros, les emplois offerts tombent dans deux catégories. Les emplois qui relèvent directement de l’institution, tels la cantine, l’entretien ou même la représentation des détenus. Il y a aussi des milliers de détenus qui participent à CORCAN. Étant donné l’accent qui a été mis sur ce programme, il mérite sa description.

[20]  CORCAN n’est rien d’autre qu’un programme au sein du Service Correctionnel du Canada visant la réhabilitation des détenus (affidavit de Lynn Garrow, Présidente directeur-général). Il est organisé en organisme de service spécial au sein du SCC, ce qui est une désignation dans l’appareil gouvernemental qui permet d’être soustrait à certaines politiques gouvernementales pour favoriser un mode de gestion axé davantage sur un modèle d’entreprise pour financer ses opérations. Cet organisme de service spécial reste au sein du SCC; sa vocation est la production de biens et services vendus à des ministères fédéraux (e.g. des meubles de bureau, textiles) d’abord, mais aussi à d’autres organismes.

[21]  Mme Garrow témoigne qu’environ 60% des détenus ont des besoins en matière d’emploi au moment de leur admission dans le système carcéral fédéral. Il s’agit d’un besoin que CORCAN vise. C’est ainsi que l’on cherche à favoriser l’employabilité, ce qui peut inclure des habitudes de travail comme le fait de se lever et d’aller au travail chaque matin ou de travailler en équipe. Mais CORCAN permet aussi pour certains métiers l’acquisition d’une certification professionnelle ou d’apprentissage. Ce ne sont pas tous les emplois chez CORCAN qui se prêtent bien à l’entrée sur le marché du travail, mais tous favorisent l’employabilité sous forme de compétences relationnelles ou des habitudes de travail.

[22]  La nécessité de favoriser l’employabilité me semble être retenue par le Règlement qui décrit ce qui est visé à l’article 105.

[23]  CORCAN peut n’être qu’à temps partiel, d’autant que différents détenus peuvent participer à plusieurs programmes en même temps. D’ailleurs, ce n’est pas CORCAN qui paye les détenus qui participent au programme. C’est à travers la participation aux différents programmes, dont CORCAN, que la rétribution est accordée. Mme Garrow note que pour certains des apprentissages au sein de CORCAN les étudiants doivent plutôt défrayer les coûts. Comme indiqué plus haut, la preuve à l’audience a révélé que le maximum de rétribution n’est pas l’apanage des participants à CORCAN, mais est plutôt en fonction de la qualité de participation aux différents programmes. Alors qu’avant octobre 2013, il était possible à qui participait à CORCAN de recevoir des primes au rendement individuelles ou collectives, ces primes n’existent plus; sur une période de 10 jours, la rétribution pouvait passer de 69,00$ à 138,00$, au maximum. Ces primes ont été retirées en octobre 2013. Il s’agit de l’une des mesures visées par le présent recours judiciaire.

[24]  Le fait que la rétribution nominale soit restée stable au cours des années érode évidemment le pouvoir d’achat. Cette situation fait l’objet de critiques de la part de l’Enquêteur correctionnel, une personne nommée par le gouverneur en conseil (article 158 de la Loi) dont le mandat est de mener des enquêtes sur les problèmes liés aux décisions du Commissaire. Il produit un rapport annuel aux termes de l’article 192 de la Loi. Dans son rapport pour l’année 2005-2006, l’Enquêteur correctionnel notait que les indemnités pour le travail et la participation aux programmes n’avaient pas connu de croissance depuis près de 20 ans. Le panier de cantine coûtant 8,49$ en 1981 serait passé à 61,59$ en 2006. L’Enquêteur concluait au caractère inadéquat de ces indemnités pour travail et programmes, et recommandait leur augmentation immédiate.

[25]  Les demandeurs se plaignent que la rétribution qui était déjà érodée depuis longtemps a été réduite sensiblement en 2013. Déjà le 9 mai 2012, le Ministre de la sécurité publique annonçait des mesures qui sont attaquées devant notre Cour :

  • a) réduction de la contribution quotidienne pour tenir compte des coûts d’hébergement et de repas, ce que le Ministre a appelé l’accroissement de la responsabilisation des détenus relativement aux coûts liés à leur détention;

  • b) les coûts afférents à la gestion du système téléphonique par les détenus devaient être assurés par la population carcérale;

  • c) les primes au rendement dans les programmes sur CORCAN devaient être abolies.

Les mesures de réduction totalisent 30% de la rétribution payable.

[26]  Ces mesures annoncées ont été instaurées par la modification de quelques instruments :

  • a) amendement du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/2013-181) pour ajouter la possibilité de retenue sur la rétribution payée aux détenus des frais d’administration afférents au système téléphonique pour les détenus. Le nouveau texte du paragraphe 104.1(2) se lit dorénavant comme suit :

6. Le paragraphe 104.1(2) du même règlement est remplacé par ce qui suit :

6. Subsection 104.1(2) of the Regulations is replaced by the following :

(2) Les retenues peuvent être effectuées en vertu de l’alinéa 78(2)a) de la Loi à titre de remboursement à Sa Majesté du chef du Canada :

(2) Deductions may be made under paragraph 78(2)(a) of the Act for the purpose of reimbursing Her Majesty in right of Canada for

a) des frais engagés pour l’hébergement et la nourriture du délinquant, ainsi que pour les vêtements de travail que lui fournit le Service ;

(a) the costs of food, accommodation and work-related clothing provided to the offender by the Service ; and

b) des frais d’administration associés à l’accès aux services téléphoniques que fournit le Service au délinquant.

(b) the administrative costs associated with the access to telephone services provided to the offender by the Service.

L’amendement visait l’ajout des frais relatifs au système téléphonique aux retenues au titre de l’hébergement, de la nourriture et des vêtements de travail faisant déjà l’objet de l’article 104.1 du Règlement. De fait, avant octobre 2013, la Directive du Commissaire prévoyait déjà une ponction sur la rétribution payée. Elle était alors de 25% de la rétribution excédant 69$/2 semaines (affidavit de Gregory Hall, Senior Director, Technical Services, 17 novembre 2014);

  • b) ce sont les directives du Commissaire 730 et 860 qui ont produit les résultats attaqués :

    1. la Directive du Commissaire 860 est amendée le 1er octobre 2013 pour fixer la retenue à 22% de la rétribution payée au titre de l’hébergement et de la nourriture. La même Directive était amendée à nouveau le 24 octobre 2013 pour ajouter une retenue de 8% au titre des frais afférents au service téléphonique. Cela portait le montant des retenues à 30% de la rétribution, le maximum prévu à la Loi depuis 1995 ;

    2. la Directive du Commissaire 730 était aussi amendée, avec effet le 1er octobre 2013, pour retenir les primes de rendement ;

III.  Thèses des parties

[27]  Les demandeurs se plaignent bien sûr que la rétribution s’est amoindrie au fil des ans, mais ils semblent d’abord et avant tout mettre l’accent sur les changements apportés à leur rétribution en octobre 2013. Ils soutiennent que le « revenu » est inéquitable et inadéquat. Les paiements sont nécessaires pour l’achat d’effets essentiels à leur santé physique et psychologique. Ainsi, ils prétendent devoir pourvoir à des soins de santé et d’hygiène personnelle. Ils voudraient avoir accès à une nourriture suffisante, disent-ils. L’entretien des liens familiaux devrait souffrir des ressources diminuées. Sur le plan financier, les détenus doivent payer la suramende compensatoire de l’article 737 du Code criminel (LRC (1985), ch C-46) et la possibilité de se constituer un pécule aux fins de leur remise en liberté éventuelle est devenue illusoire. Se sentant exploités et dévalorisés, ils souffrent d’insécurité physique et psychologique aggravée par la contrebande et la violence en institution. Un résumé des témoignages (à l’aide d’affidavits) est produit en annexe de la décision [Voir Annexe A].

[28]  Tel qu’indiqué plus tôt, les demandeurs invoquent les moyens de droit suivants :

  • a) les amendements au Règlement et aux directives du Commissaire ne sont pas conformes à la Loi habilitante. Ils sont ultra vires.

  • b) les mêmes amendements sont inconstitutionnels comme contraires aux articles 7 et 12 de la Charte, et ne peuvent être sauvegardés par l’article 1 au titre de limite raisonnable pouvant se justifier dans une société libre et démocratique :

    1. les amendements à la règlementation constitueraient une atteinte à la protection contre les traitements et peines cruels et inusités, aux termes de l’article 12 ;

    2. quant à l’article 7, les demandeurs prétendent que les amendements portent atteinte aux droits à la liberté, et aussi à la sécurité de la personne, alors que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale ;

  • c) ces amendements sont contraires aux instruments internationaux relatifs au traitement des détenus. Ce moyen a semblé se transformer à l’audience en un élément à considérer dans l’examen des principes de justice fondamentale aux termes de l’article 7 de la Charte  auxquels aucune référence n’avait été faite par les demandeurs;

  • d) il y a une relation employeur-employé impliquant les détenus telle que le Code canadien du travail trouve application. Il en résulterait une obligation de maintenir les paiements aux niveaux d’avant octobre 2013. À tout le moins, les détenus invoquent une relation employeur-employé donnant ouverture à réparation pour congédiement déguisé suite aux réductions faites.

[29]  Le Procureur général conteste tous ces moyens. Non seulement le pouvoir discrétionnaire conféré par le Parlement en vertu de l’article 78 de la Loi a-t-il été parfaitement respecté, mais il n’existe pas de droit constitutionnel à une rétribution minimale de sorte qu’il y ait violation des articles 7 et 12 de la Charte. Dans le cas de l’article 7, aucune démonstration de principes de justice fondamentale nécessaires à une contravention n’a même été alléguée. De plus, il n’existe aucune relation employeur-employé en l’espèce. Il s’agit d’une rétribution incitative pour favoriser la participation aux programmes carcéraux : la partie III du Code canadien du travail ne trouve aucune application.

[30]  Qui plus est, le Procureur général défend vigoureusement le régime de détention dans les pénitenciers. Notant que la protection de la société demeure aux termes de la Loi le critère prépondérant (article 3.1 de la Loi), le gouvernement présente une preuve abondante relative aux produits et services fournis sans frais aux détenus. D’ailleurs, on ne manque pas de noter qu’en 2013-14, il en coûtait 115 000,00$/détenu annuellement.

[31]  La preuve tend à démontrer que la nourriture fournie aux détenus est conforme au Guide alimentaire canadien ; les vêtements et articles de toilette sont mieux qu’adéquats selon le gouvernement. Les affidavits circonstanciés de cinq hauts fonctionnaires, dont quatre travaillant en institution, sont persuasifs selon le défendeur, et sont restés sans réponse. Cette preuve fait la démonstration que les besoins des détenus font l’objet d’une réponse qui, sans être luxueuse, est adéquate. Si des défaillances existent, elles n’ont pas été démontrées de quelque manière au dossier présenté à la Cour. Les listes de vêtements disponibles, et leur remplacement, mises en preuve sont éloquentes. Il en est de même pour l’accès aux articles de toilette ou à la nourriture.

[32]  La Loi impose au SCC d’assurer les soins de santé essentiels (article 86 de la Loi). Nulle part dans la preuve ne trouvons-nous en quoi il y aurait manquement à ces soins. On peut conjecturer que certains soins de santé ne sont pas fournis comme il se doit. On peut soupçonner qu’il puisse y avoir des manquements ponctuels. Mais le dossier dont est saisie la Cour n’en révèle aucun et il est loin d’être clair comment la rétribution diminuée par l’effet des amendements d’octobre 2013 pourrait avoir une incidence sur l’offre de soins de santé. Aucun manquement systémique n’a été invoqué. Au mieux, nous avons au dossier l’un des demandeurs qui se plaint de devoir se procurer certains analgésiques alors même que certains lui sont prescrits sur ordonnance, de devoir défrayer le coût d’un« protecteur buccal » suggéré par le dentiste institutionnel, mais jugé non essentiel, et qu’une perte de poids (3,3kg) aurait nécessité l’achat de nouveaux vêtements en dehors de périodes de renouvellement. Finalement, je note la pièce Z-1, déposée du consentement des parties, intitulée « Cadre national relatif aux soins de santé essentiels ». Ce document, produit par le SCC en juillet 2015, contient une longue liste des services de santé, des équipements médicaux et des fournitures, de même que les normes de services dentaires, qui sont approuvés, ou non.

IV.  Discussion

[33]  Deux observations préliminaires s’imposent avant de procéder à l’examen des arguments juridiques avancés par les demandeurs.

[34]  D’abord, la Cour ne siège pas pour juger de la sagesse des décisions de politique prises par le gouvernement. À l’évidence, le régime instauré par le gouvernement d’alors, en 1981, apparaît comme plus généreux à l’égard des détenus dans les pénitenciers. Il procède aussi d’une philosophie différente. À sa face même, le document produit en preuve intitulé « Régime de rémunération des détenus », sans pour autant oublier ceux participant à des études et de la formation, visait à « rétribuer les détenus en fonction du travail qu’ils exécutent. Ainsi, les détenus qui participent à un programme d’emploi comme le travail agricole, les services offerts à l’établissement, la production industrielle ou autres programmes reconnus seront rémunérés en fonction de leur travail ». On prévoyait de répertorier tous les emplois et de les définir afin de leur attribuer des taux de rémunération. La preuve n’indique pas dans quelle mesure cette politique a pu être mise en place au cours des années qui ont suivi. Ce que l’on sait cependant, c’est que le Parlement adoptait le paragraphe 78(1) à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en 1992 (L.C. 1992, ch. 20), qui établissait plutôt une adéquation entre le paiement d’une rétribution et l’encouragement à la participation aux programmes offerts par le SCC ou pour favoriser la réinsertion sociale. On ne parlait certes pas de rétribution pour le travail fait, comme cela était le cas en 1981. Ce paragraphe se lit encore de la même manière aujourd’hui :

Rétribution

Payments to offenders

78 (1) Le commissaire peut autoriser la rétribution des délinquants, aux taux approuvés par le Conseil du Trésor, afin d’encourager leur participation aux programmes offerts par le Service ou de leur procurer une aide financière pour favoriser leur réinsertion sociale.

78 (1) For the purpose of

[EN BLANC/BLANK]

(a) encouraging offenders to participate in programs provided by the Service, or

[EN BLANC/BLANK]

(b) providing financial assistance to offenders to facilitate their reintegration into the community,

[EN BLANC/BLANK]

the Commissioner may authorize payments to offenders at rates approved by the Treasury Board.

Il s’agit là d’un choix de politique (« policy ») au sujet duquel la Cour ne peut intervenir que si elle est par ailleurs contraire à la Constitution. On semble être passé de la rétribution pour travail fait à une rétribution pour participation aux programmes pour favoriser la réinsertion sociale, un choix du législateur qui n’est pas contesté devant notre Cour.

[35]  Ensuite, la Cour est appelée à examiner les arguments juridiques des parties, et cela en fonction de la preuve versée au dossier. Il est possible que, dans un cas donné, le gouvernement ne rencontre par les obligations que la Loi lui fait. Comme le concède le Procureur Général, il y a ouverture à contrôle judiciaire de telle ou telle décision ponctuelle (par ex, Charbonneau c Canada (Procureur général), 2013 CF 687). En l’espèce, les demandeurs, collectivement, en prennent sensiblement plus large. Les remèdes recherchés ne sont pas tant à cause de l’application de certaines mesures dans un cas donné avec circonstances particulières qu’une attaque plus frontale du régime instauré en 2013.

[36]  Ainsi, les demandeurs ne plaident pas l’inconstitutionnalité de l’actuel article 78 qui est en vigueur depuis 1995. Le paragraphe 78(1) a déjà été reproduit et il fut adopté en 1992. À l’origine, le paragraphe 78(2) prévoyait déjà la possibilité de faire des retenues sur la rétribution versée. En 1992, le texte se lisait de la façon suivante :

(2) La rétribution autorisée peut faire l’objet de retenues en conformité avec les règlements d’application de l’alinéa 96z.2) ou les directives du commissaire.

(2) Payments provided for pursuant to subsection (1) may be subject to deductions in accordance with any regulations made under paragraph 96(z.2) and any Commissioner’s Directives.

Le texte du paragraphe 2 a été modifié en 1995 (L.C. ch. 42, art. 20) pour préciser l’objet des retenues et le montant maximal pouvant être prélevé. Dans la mesure où une rétribution est payée, l’on peut bien-sûr en inférer que le législateur fédéral considère la possibilité qu’il n’y en ait pas, la Loi prévoit depuis plus de vingt ans que des retenues pouvant aller jusqu’à 30% des rétributions peuvent être prélevées en « remboursement » des frais d’hébergement, de nourriture et de vêtements de travail. Son texte se lit depuis de la manière suivante :

20. Le paragraphe 78(2) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

20. Subsection 78(2) of the Act is replaced by the following:

(2) Dans le cas où un délinquant reçoit la rétribution mentionnée au paragraphe (1) ou tire un revenu d’une source réglementaire, le Service peut :

(2) Where an offender receives a payment referred to in subsection (1) or income from a prescribed source, the Service may

a) effectuer des retenues en conformité avec les règlements d’application de l’alinéa (96z.2) et les directives du commissaire;

(a) make deductions from that payment or income in accordance with regulations made under paragraph 96(z.2) and any Commissioner’s Directive; and

b) exiger du délinquant, conformément aux règlements d’application de l’alinéa (96z.2.1), qu’il verse à Sa Majesté du chef du Canada, selon ce qui est fixé par directive du commissaire, jusqu’à trente pour cent de ses rétribution et revenu bruts à titre de remboursement des frais engagés pour son hébergement et sa nourriture pendant la période où il reçoit la rétribution ou tire le revenu ainsi que pour les vêtements de travail que lui fournit le Service.

(b) require that the offender pay to Her Majesty in right of Canada, in accordance with regulations made pursuant to paragraph 96(z.2.1) and as set out in a Commissioner’s Directive, an amount, not exceeding thirty per cent of the gross payment referred to in subsection (1) or gross income, for reimbursement of the costs of the offender’s food and accommodation incurred while the offender was receiving that income or payment, or for reimbursement of the costs of work-related clothing provided to the offender by the Service.

L’amendement du Règlement aura permis la déduction pour les frais du service téléphonique qui n’est pas par ailleurs prévue à l’article 78 de la Loi. La Loi permet expressément la prise d’un tel règlement. C’est donc avec cette trame de fond que je commence l’examen des bases juridiques des arguments présentés par les demandeurs.

A.  Le Règlement et les directives du Commissaire sont-ils conformes à la loi habilitante ?

[37]  Comme on vient de le voir, la loi habilitante est l’article 78 de la Loi qui existe depuis 1995 dans sa forme actuelle. Les alinéas 96z.2) et 96z.2.1) ne sont que la délégation faite par le législateur fédéral au gouverneur en conseil du pouvoir de prendre des règlements pour, dans un cas, préciser l’objet des retenues, et dans l’autre cas, prévoir les modalités de recouvrement. Je reproduis ces deux alinéas :

z.2) précisant l’objet des retenues visées à l’alinéa 78(2)a) et en fixant le plafond ou le montant, ou permettant au commissaire de fixer ces derniers par directive;

(z.2) prescribing the purposes for which deductions may be made pursuant to paragraph 78(2)(a) and prescribing the amount or maximum amount of any deduction, which regulations may authorize the Commissioner to fix the amount or maximum amount of any deduction by Commissioner’s Directive;

z.2.1) prévoyant les modalités de recouvrement de la somme prévue à l’alinéa 78(2)b), notamment le transfert à Sa Majesté de l’argent déposé dans les comptes en fiducie créés conformément à l’alinéa 96q), et permettant au commissaire de prendre des directives pour en fixer le montant — en pourcentage ou autrement — et pour prévoir les circonstances dans lesquelles le versement n’en est pas exigé;

(z.2.1) providing for the means of collecting the amount referred to in paragraph 78(2)(b), whether by transferring to Her Majesty moneys held in trust accounts established pursuant to paragraph 96(q) or otherwise, and authorizing the Commissioner to fix, by percentage or otherwise, that amount by Commissioner’s Directive, and respecting the circumstances under which payment of that amount is not required;

Personne ne conteste la source juridique des directives du Commissaire qui sont autorisées par les articles 97 et 98 de la Loi :

Règles d’application

Rules

97 Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

97 Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

a) la gestion du Service;

(a) for the management of the Service;

b) les questions énumérées à l’article 4;

(b) for the matters described in section 4; and

c) toute autre mesure d’application de cette partie et des règlements.

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

Nature

Commissioner’s Directives

98 (1) Les règles établies en application de l’article 97 peuvent faire l’objet de directives du commissaire.

98 (1) The Commissioner may designate as Commissioner’s Directives any or all rules made under section 97.

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Accessibility

(2) Les directives doivent être accessibles et peuvent être consultées par les délinquants, les agents et le public.

(2) The Commissioner’s Directives shall be accessible to offenders, staff members and the public.

[38]  Mais les demandeurs prétendent que la loi habilitante qui permet pourtant ostensiblement au Commissaire d’autoriser la rétribution, mais aussi des retenues jusqu’à concurrence de 30%, est plus contraignante que ce qui apparaît au seul article 78. Ils invoquent les objets de la Loi, plus particulièrement de la deuxième partie de l’article 3, pour arguer que l’article 78 ne permet pas les retenues sans conflit avec le but du système correctionnel :

But du système correctionnel

Purpose of correctional system

3 Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3 The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

[EN BLANC/BLANK]

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

[EN BLANC/BLANK]

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

Cet objectif est d’ailleurs repris de façon plus spécifique aux articles 5 et 76 de la Loi. De plus, la Loi requiert des programmes adaptés aux femmes (article 77) et aux autochtones (article 80), en plus du devoir fait au SCC « pour que le milieu de vie et du travail des détenus et les conditions de travail des agents soient sains, sécuritaires et exempts de pratiques portant atteinte à la dignité humaine » (article 70).

[39]  Les demandeurs prétendent donc que l’un des objectifs de la Loi, soit celui de favoriser la réinsertion sociale et la réadaptation des prévenus, a préséance. Cet objectif de la Loi a préséance par rapport à d’autres objectifs. Il a aussi préséance sur l’article 78 qui prévoit pourtant spécifiquement le pouvoir qui a été exercé par le gouverneur en conseil et le Commissaire.

[40]  Un texte règlementaire pêchera contre sa loi habilitante s’il va au-delà du pouvoir conféré. Brown et Evans, dans leur Judicial Review of Administrative Action in Canada (Carswell, feuilles-mobiles), posent bien la question à 13 :1100 :

[Traduction] C’est un principe fondamental du droit que toutes les mesures prises par le gouvernement doivent être appuyées par l’octroi d’un pouvoir légal. Avec deux qualifications mineures, les mesures et les décisions des fonctionnaires et des institutions qui touchent les droits des particuliers n’ont aucune force légale ni aucun effet juridique, sauf si elles sont autorisées par l’octroi d’un pouvoir légal, exprès ou nécessairement implicite. Ni les particuliers ni les institutions n’ont de pouvoirs inhérents compte tenu du fait qu’ils exécutent des fonctions gouvernementales. Bien qu’indiquer la source juridique du pouvoir sur l’ordonnance administrative ne soit pas une exigence, en cas de contestation, il faut pouvoir identifier l’autorisation légale à l’appui.

En l’espèce, le pouvoir d’agir se trouve à l’article 78. C’est la disposition qui permet l’action règlementaire. L’article 3 ne confère aucun pouvoir d’adopter quelque texte règlementaire. C’est l’article 78 qui donne l’autorisation de payer une rétribution à des fins spécifiques, soit pour encourager la participation aux programmes qui pourront être de la formation, du travail ou des programmes correctionnels ou sociaux. De plus, la Loi autorise nommément les retenues jusqu’à la hauteur de 30% de la rétribution s’il en est.

[41]  Il en résulte que l’exercice du pouvoir conféré par l’article 78, qui se conforme strictement aux contours déterminés par le texte de loi, ne peut aller au-delà de celui-ci. C’est même tautologique. L’action prise par l’administration est à sa face même permise par l’article habilitant.

[42]  Mais les demandeurs soutiennent que l’administration aurait dû considérer le but du système correctionnel pour conclure que la rétribution insuffisante associée aux retenues imposées est incompatible avec les objectifs. À mon avis, les demandeurs s’attaquent à l’opportunité d’adopter le règlement, pas à son vires. Cela revient à dire qu’une disposition générale exposant les buts du système correctionnel doit prendre préséance sur un texte spécifique qui permet expressément l’adoption du Règlement dans les limites imposées par la Loi. Il n’y a pas en l’espèce ambiguïté à être résolue. Essentiellement, les demandeurs soutiennent que le législateur a fait une erreur en adoptant l’article 78 car, à leur avis, l’exercice du pouvoir expressément conféré n’est pas conforme aux buts du système correctionnel.

[43]  Il est vrai qu’il semble possible de contester exceptionnellement de la législation subordonnée au motif qu’elle est incompatible avec l’objectif de la loi habilitante. Le passage suivant tiré de Waddell c Governor in Council ((1983), 8 Admin L.R. 266, à la page 292) de la Cour suprême de la Colombie-Britannique est cité par la Cour suprême du Canada dans Katz Group Canada Inc. c Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 RCS 810 [Katz Group] :

[...]  [Traduction]  Pour déterminer si le texte législatif subordonné contesté est conforme aux exigences de la loi habilitante, il est essentiel de cerner la portée du mandat conféré par le législateur en ce qui a trait à l’intention ou à l’objet de la loi dans son ensemble. Le simple fait de démontrer que le délégataire a respecté littéralement le libellé (souvent vague) de la loi habilitante lorsqu’il a pris le texte législatif subordonné n’est pas suffisant pour satisfaire au critère de la conformité à la loi. Le libellé de la disposition habilitante doit être interprété comme comportant l’exigence primordiale selon laquelle le texte législatif subordonné doit respecter l’intention et l’objet de la loi habilitante prise dans son ensemble.

(para 24)

[44]  Mais qui cherche à faire invalider des textes règlementaires en alléguant la fin illégitime n’aura pas la tâche facile. D’abord, le fardeau est le sien et l’interprétation à donner favorisera, si possible, l’intra vires. De plus, la tâche se complique encore davantage lorsque le texte habilitant est lui-même clair. Qui plus est, l’examen pour ultra vires « ne comporte pas l’examen du bien-fondé du règlement pour déterminer s’il est «nécessaire, sage et efficace dans la pratique» » (Katz Group, para 27). C’est bien à mon avis la tentative qui est faite en l’espèce. Brown et Evans mettent en garde les cours qui [Traduction] « ne devraient pas déterminer le bien-fondé d’une législation déléguée sous le couvert d’une enquête sur la pertinence des facteurs considérés ou le bien-fondé de la fin pour laquelle elle a été adoptée » (#15 :3261).

[45]  On ne saurait douter qu’un texte comme l’article 3 peut être utile pour interpréter un autre article qui serait par ailleurs ambigu. Mais il n’a été cité aucune autorité, et je n’en connais aucune, qui permette de passer outre à un texte clair et spécifique comme l’article 78 en alléguant que l’objet de la Loi, exprimé à l’article 3, serait mieux respecté en ignorant le texte par ailleurs clair de l’article 78, auquel on donnait suite par règlement tel que permis.

[46]  Or, le texte de l’article 78 de la Loi est loin d’être vague. Le législateur est d’une précision exemplaire. Le législateur, qui n’est pas présumé chercher à se contredire ou faire preuve d’incohérence (Construction of Statutes, Ruth Sullivan, LexisNexis, 6th ed, 9 11.2-11.6; Interprétation des lois, P.A. Côté et collaborateurs, Les éditions Thémis, 4e ed, #1150-1165), a adopté en même temps l’article 3 et l’article 78 de la Loi en 1992. Il a explicitement reconnu que les ponctions pouvaient être à hauteur de 30%. La rétribution et les retenues y étaient prévues, en même temps que l’article 3 met en exergue la nécessité de protéger le public et de favoriser la réinsertion sociale. En 1995, le législateur a précisé que les retenues pouvaient atteindre 30% de la rétribution payée pour encourager la participation aux programmes et la réinsertion sociale de délinquants réadaptés. L’objectif général de la Loi prévu à l’article 3 soutiendra le but du système correctionnel. Il doit être interprété, pour marquer la cohérence et la logique du législateur, comme permettant la rétribution, mais aussi les retenues à hauteur de 30%. Les articles ne peuvent être lus individuellement, mais bien les uns avec les autres. Ils font partie d’un tout. P.A. Côté écrivait au paragraphe 1163 de son traité  « que chaque élément de la Loi doit être considéré à la lumière de l’ensemble, cela signifie qu’il faut se référer aux autres dispositions de la Loi et éviter les interprétations qui les priveraient d’effet ou les rendraient inutiles ».

[47]  Ce que les demandeurs recherchent, en fait, c’est que l’on ignore le pouvoir conféré par l’article 78 pour le réduire en fonction de l’objectif général du système correctionnel tel qu’articulé à l’article 3, posant en cela le postulat que le plafond des retenues fixé par le législateur est lui-même trop haut pour favoriser la réinsertion sociale. Pour les demandeurs, le général, sous la forme de l’article 3, doit l’emporter sur le spécifique de l’article 78, l’exact opposé de la règle generalia specialibus non derogant. C’est le juge Beetz qui écrivait dans l’arrêt R c Nabis, [1975] 2 RCS 485 que « l’interprète des lois doit tendre à leur intégration en un système cohérent plutôt qu’à leur morcellement et à leur discontinuité » (p. 494). C’est pourtant à cela que les demandeurs nous invitent avec leur argument sur le vires. Il y aurait opposition entre l’établissement de programmes favorisant la réadaptation et la réinsertion sociale, et la rétribution payée pour encourager la participation aux programmes et procurer l’aide financière pour favoriser la réinsertion sociale. Les demandeurs prétendent que leur choix en matière de politique publique doit prévaloir sur celui du législateur. Un tel argument ne procède pas du vires des textes règlementaires, mais plutôt de la sagesse, de la nécessité et de l’efficacité des choix de politique publique.

[48]  On peut penser que là où le texte habilitant est vague, il serait plus facile d’invoquer l’objet de la loi pour démontrer que le législateur n’a pas voulu une telle utilisation du pouvoir conféré. Tel n’est pas le cas en l’espèce. En fait, c’est tout le contraire.

[49]  À mon avis, il n’y a aucun conflit réel ou virtuel entre le pouvoir conféré par l’article 78 et les objectifs du système correctionnel. Il y a plutôt une différence sur le plan des moyens de favoriser la politique publique. De fait, le régime mis en place n’a pas la rigueur qu’on veut prétendre puisqu’il est possible pour un détenu d’obtenir une dispense. Le Règlement prévoit des mesures d’assouplissement significatives au paragraphe 104.1(7) :

(7) Lorsque le directeur du pénitencier détermine, selon les renseignements fournis par le délinquant, que des retenues ou des versements prévus dans le présent article réduiront excessivement la capacité du délinquant d’atteindre les objectifs de son plan correctionnel, de répondre à des besoins essentiels ou de faire face à des responsabilités familiales ou parentales, il réduit les retenues ou les remboursements ou y renonce pour permettre au délinquant d’atteindre ces objectifs, de répondre à ces besoins ou de faire face à ces responsabilités.

(7) Where the institutional head determines, on the basis of information that is supplied by an offender, that a deduction or payment of an amount that is referred to in this section will unduly interfere with the ability of the offender to meet the objectives of the offender’s correctional plan or to meet basic needs or family or parental responsibilities, the institutional head shall reduce or waive the deduction or payment to allow the offender to meet those objectives, needs or responsibilities.

[50]  Les demandeurs n’ont cité aucune autorité au soutien de leur thèse. Il me semble plutôt que le paragraphe 28 de l’arrêt Katz Group dispose complètement de la question :

[28]  L’analyse ne s’attache pas aux considérations sous-jacentes « d’ordre politique, économique ou social [ni à la recherche, par les gouvernements, de] leur propre intérêt » (Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, p. 113). La validité d’un règlement ne dépend pas non plus de la question de savoir si, de l’avis du tribunal, il permettra effectivement d’atteindre les objectifs visés par la loi (CKOY Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 2, p. 12; voir également Jafari, p. 602; Keyes, p. 266). Pour qu’il puisse être déclaré ultra vires pour cause d’incompatibilité avec l’objet de la loi, le règlement doit reposer sur des considérations « sans importance », doit être « non pertinent » ou être « complètement étranger » à l’objet de la loi (Alaska Trainship Corp. c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; Re Doctors Hospital and Minister of Health (1976), 12 O.R. (2d) 164 (Cour div.); Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, p. 280; Jafari, p. 604; Brown et Evans, 15:3261). En réalité, bien qu’il soit possible de déclarer un règlement ultra vires pour cette raison, comme le juge Dickson l’a fait observer, « seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure » (Thorne’s Hardware, p. 111).

[J’ai souligné]

[51]  Comme j’ai tenté de le démontrer, tant l’article 78 de la Loi que l’objectif général de la Loi exprimé à l’article 3 ne sont pas incompatibles; que les demandeurs estiment qu’il serait préférable qu’il n’y ait pas de ponction ou que les sommes versées aux détenus soient bonifiées de façon générale est un point de vue qui mérite respect en termes de politiques publiques. Mais, ce point de vue requiert que la Cour porte un jugement sur la question de savoir si le Règlement  pourtant permis expressément par la Loi permettra d’atteindre les objectifs de la Loi. L’argument des demandeurs porte bien davantage sur la sagesse d’avoir adopté un texte de loi permettant les retenues à hauteur de 30% que du vires du Règlement. C’est évidemment sans difficulté qu’on constate que textes règlementaires n’outrepassent en rien le texte de l’article directement habilitant. Si tant est que l’on doive considérer aussi le texte de la loi traitant du but du système correctionnel, on ne peut voir aux textes règlementaires en quoi il pourrait s’agir d’un cas d’ultra vires. Le Règlement et les directives du Commissaire ne reposent pas sur des considérations sans importance, ou ils ne sont pas non pertinents ou étrangers à l’objet de la Loi. C’est plutôt une invitation de la part des demandeurs à notre Cour à se pencher sur l’à-propos des textes règlementaires, qu’il faut impérativement décliner.

[52]  La preuve présentée par les demandeurs est sans équivoque: les retenues sur les contributions et la fin de la possibilité de l’octroi de primes au rendement les affectent. Mais là n’est pas la question lorsqu’on allègue l’invalidité de textes règlementaires parce qu’ultra vires. Le fardeau de démontrer que les textes règlementaires sont ultra vires comme non habilités par l’article 78 de la Loi n’a pas été déchargé. Quelle que soit la sagesse de ces textes règlementaires, ils sont intra vires comme directement permis par l’article 78.

B.  Le Règlement et les directives du Commissaire contreviennent-ils aux articles 12 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

[53]  Comme pour les questions de droit administratif relatives au vires d’un texte règlementaire, les questions constitutionnelles ne sont pas non plus affaire d’impression ou de choix de politiques.

[54]  Les demandeurs ont respecté, comme il se doit, l’arrêt Guindon c Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 RCS 3 [Guindon], où il était question de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales qui exige que, lorsque la constitutionnalité de règlements est en cause devant la Cour fédérale, un avis soit donné aux procureurs généraux. Comme la formule 69 le requiert, l’avis doit contenir les faits pertinents donnant naissance à la question constitutionnelle et le fondement juridique de ladite question. Cela permet d’établir le cadre précis dans lequel le débat devra avoir lieu devant notre Cour. L’importance de l’avis constitutionnel ne fait aucun doute. Comme les juges Abella et Wagner l’obervent dans l’arrêt Guindon, l’avis permet de disposer d’une preuve vérifiée et complète (para 92) grâce à un cadre précisé par l’avis. On ne peut répondre correctement et valablement à un avis constitutionnel s’il est imprécis ou à géométrie variable. La Cour d’appel fédérale a d’ailleurs radié un avis pas suffisamment clair et manquant de détails dans Kimoto c Canada (Procureur général), 2011 CAF 291; 426 NR 69. Il faut donc convenir que les limites créées par l’avis de question constitutionnelle sont rigides.

[55]  L’avis de question constitutionnelle donné en l’espèce me semble aller au-delà des exigences que l’article 57 requiert. On y allègue l’ultra vires des textes règlementaires, leur incompatibilité avec deux articles du Code criminel, de même que leur incompatibilité avec certains instruments internationaux. Ces questions ne sont pas de celles dont parle l’article 57, lequel vise la validité, l’applicabilité ou l’effet qui sont contestés « sur le plan constitutionnel ».

[56]  Pour ce qui est des questions constitutionnelles, elles se réclament des articles 12 et 7 de la Charte :

  • a) article 12 : on prétend que le Règlement et les directives du Commissaire constituent un traitement incompatible avec la dignité humaine;

  • b) article 7 : à mon sens, l’avis est plus nébuleux lorsqu’il invoque l’article 7. Alors que l’article 7 protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, l’avis se contente d’invoquer la violation des « droits protégés par l’article 7 » :

  • i) « notamment parce que par ses effets sur le droit des enfants sont disproportionnés [sic] »;

  • ii) « notamment parce qu’elles produisent des effets inéquitables »;

  • iii) « notamment parce que par ses effets sur le droit à la sécurité des détenus [sic] ».

Le Procureur général ne s’est pas plaint que la formule 69, qui impose que soit exposé le fondement juridique de chaque question constitutionnelle, et précisé la nature des principes constitutionnels, est défectueuse. En effet, l’avis ne précise pas le droit particulier invoqué (sauf peut-être l’allusion à la sécurité des détenus pour l’un des allégués) mais, surtout, on ne trouve aucune mention des principes de justice fondamentale qui feraient l’objet de la contestation. L’article 7 protège « le droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne lorsque cela est fait contrairement aux principes de justice fondamentale » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 RCS 486, p. 500 [Renvoi sur la Motor Vehicle Act]). Les trois intérêts sont distincts et les principes de justice fondamentale ne constituent pas un droit protégé, « mais plutôt un modificatif du droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne » (p. 501). Le fardeau incombe au demandeur de démontrer l’atteinte à l’intérêt protégé, mais aussi ce en quoi cela constitue une violation d’un principe de justice fondamentale. L’avis est mince quant à l’intérêt protégé et silencieux sur le principe de justice fondamentale. Comme on le verra, ces lacunes ont dû être constatées aussi lors de la présentation de la cause à l’audience.

[57]  L’avis constitutionnel doit aussi exposer les faits pertinents. Parce que les faits sont importants, il convient à ce stade de faire des observations sur les faits allégués.

[58]  S’il est vrai, tel qu’allégué, que la Loi impose l’obligation au SCC d’offrir « une gamme de programmes visant à répondre aux besoins des délinquants et à contribuer à leur réinsertion sociale » (article 76 de la Loi), l’on ne saurait valablement soutenir que « le Service correctionnel du Canada doit offrir aux détenus un régime équitable de rémunération » (avis constitutionnel, fait pertinent #2). Cette affirmation fait fi du texte même de la Loi qui donne autorité au Commissaire pour rétribuer les détenus et qui ne fait pas l’objet d’une attaque constitutionnelle. L’article 78, qui n’est pas contesté en l’espèce, ne crée pas une obligation; il crée plutôt une faculté. Non seulement le paragraphe 78(1) parle de « peut », alors que l’article 76 utilisait « doit », ce qui marque bien sûr la différence entre les textes, mais le paragraphe 78(2) commence par les mots « (d)ans le cas où un délinquant reçoit la rétribution mentionnée au paragraphe (1) », ce qui suggère que la rétribution peut ne pas être versée. La Loi d’interprétation, LRC (1985), ch I-21, prévoit que « (l)’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions » (article 11).

[59]  En outre, les taux sont fixés par le Conseil du Trésor, le seul comité du Cabinet créé statutairement en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, (LRC (1985), ch F-11, article 5), et non par le SCC. La thèse des demandeurs selon laquelle c’est en vertu de la Loi et de son Règlement que le SCC « doit offrir aux détenus un régime équitable de rémunération » n’est pas fondée. Un comité du Cabinet n’est pas un ministère. Le SCC, et son Commissaire, sont tributaires de la décision du Conseil du Trésor. De plus, la raison d’être de la rétribution des détenus, à l’article 78, est « d’encourager leur participation aux programmes offerts par le Service ou de leur procurer une aide financière pour favoriser leur réinsertion sociale ». Ce n’est pas la rémunération équitable pour le travail fait. Celui qui est aux études dans le cadre d’un des programmes du SCC peut recevoir la même rétribution quotidienne que toute personne qui travaille. De la même manière, le régime sous l’article 78 est tout à fait différent de ce qui avait eu cours au début des années 80, comme il a été vu. Le régime alors mis en place voulait rémunérer les détenus en fonction du travail effectué, chaque emploi devant être répertorié et décrit, avec des taux de rémunération assignés à chaque emploi. Ce n’est pas ce que prévoit la Loi depuis son adoption, en 1992. L’on peut faire des paiements pour encourager la participation aux programmes ou pour procurer une aide financière pour favoriser la réinsertion sociale. C’est ainsi que la référence au programme de 1981 présentée par les demandeurs comme un des faits pertinents n’est pas aussi pertinente au plan constitutionnel que ce que les demandeurs voudraient bien faire croire.

[60]  Enfin, on ne doute pas qu’une ponction de 30% soit lourde, ce qui aura un effet sur la capacité d’économiser en vue de faciliter la réinsertion sociale. J’examinerai les arguments constitutionnels successivement.

(1)  Article 12 de la Charte

[61]  La Charte prévoit à son article 12 la protection contre les traitements cruels et inusités :

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

[62]  Il faut d’abord bien délimiter ce dont il est question. Les demandeurs se plaignent évidemment que les rétributions sont insuffisantes. Mais, si les rétributions amputées de 30% ne sont pas inconstitutionnelles, il est bien clair que les ajustements à la hausse qui n’ont pas été faits ne seront pas davantage inconstitutionnels. Les demandeurs prétendent que la rétribution payée, y inclus bien sûr la ponction de 30% maintenant en place, constitue un traitement cruel et inusité. Il est soutenu que le traitement qui aurait été payé en 1981 doit être ajusté pour satisfaire à l’article 12 de la Charte. L’indexation qui n’a pas eu lieu, si je comprends bien, constitue aussi une atteinte à l’article 12.

[63]  Pour les demandeurs, la possibilité qu’ils soient privés de faire des appels téléphoniques fréquents et que les visites familiales privées puissent être diminuées puisque les coûts en sont défrayés par les détenus (ou leur famille) ayant des rétributions diminuées, constituerait des traitements cruels et inusités. Le travail à des taux dérisoires, selon les demandeurs, constitue des « contraintes exagérément disproportionnées et excessives au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine » (mémoire des faits et du droit, para 58).

[64]  Ce faisant, les demandeurs ignorent le texte de l’article 78 de la Loi. La rétribution n’est pas en paiement du travail fait, mais bien pour encourager la participation aux programmes, dont ceux qui incluent le travail en pénitencier ou à CORCAN. La participation aux programmes, dont ceux axés sur le travail, est en soi bénéfique au détenu qui peut y développer des habiletés utiles pour sa réinsertion sociale ou, tout simplement aux fins d’obtenir sa libération conditionnelle en progressant dans son plan correctionnel. Autrement dit, l’argument des demandeurs me semble procéder d’un paradigme bien différent de celui présenté par la Loi qui lui n’est pas controversé. Les demandeurs ont beau se réclamer du régime de rémunération de 1981 qui leur était plus favorable, mais le Parlement de 1992 a préféré un paradigme différent et c’est de celui-là dont il doit être question ici. Le paradigme de 1992-1995 ne fait pas l’objet d’une contestation constitutionnelle. La seule question est de savoir si la réduction de la rétribution, non son abolition, peut constituer un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte alors même que la discrétion conférée n’inclut pas la fixation des taux qui est faite par le Conseil du Trésor. Les demandeurs disent que la discrétion conférée de réduire la rétribution au niveau maximum prévu par la loi n’aurait pas dû l’être.

[65]  La Cour suprême du Canada rappelait encore récemment que la barre est haute lorsqu’on examine l’article 12 (R c Nur, 2015 CSC 15, [2015]1 RCS 773; une peine cruelle et inusitée était alors en cause). Il semble que le critère à appliquer soit toujours celui dégagé par la Cour suprême à l’occasion de l’affaire R c Smith (Edward Dewey), [1987] 1 RCS 1045 [Smith]. On lit à la page 1072 :

La limite en cause en l’espèce est celle apportée par l’art. 12 de la Charte. À mon avis, la protection accordée par l’art. 12 régit la qualité de la peine et vise l’effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. Je suis d’accord avec ce que dit le juge en chef Laskin dans l’arrêt Miller et Cockriell, précité, lorsqu’il définit les termes « cruels et inusités » comme la « formulation concise d’une norme ». Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l’arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander « si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. » En d’autres termes, bien que l’État puisse infliger une peine, l’effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

[J’ai souligné]

[66]  De fait, le juge Lamer a insisté, dans ses motifs, pour dire que la peine excessive ou disproportionnée n’est pas en soi inconstitutionnelle (p. 1072). Elle doit avoir une mesure de sévérité qui amène cet excès pour permettre de conclure à une atteinte à la dignité humaine pour le traitement infligé.

[67]  Notre Cour a appliqué cette norme élevée dans des affaires où il était question d’allégations de traitement cruel et inusité dans les pénitenciers (Brazeau c Canada (Procureur général), 2015 CF 151; Tyrrell c Canada (Procureur général), 2008 CF 42; voir aussi R c Olson (1987), 62 OR (2d) 321 (ONCA) où la Cour a nommément appliqué la norme de l’incompatibilité avec la dignité humaine au traitement cruel et inusité).

[68]  On voit mal en quoi le traitement prévu par une loi ne faisant pas l’objet d’une attaque en inconstitutionnalité pourrait être inconstitutionnel du seul fait que le Commissaire a exercé le pouvoir donné pour diminuer la rétribution, à la hauteur de ce qui était permis par le Parlement. Mais, indépendamment de cette possible lacune, encore faudrait-il que les demandeurs expliquent en quoi la diminution de la rétribution aurait bien pu devenir un traitement tellement excessif qu’il est incompatible avec la dignité humaine. Il doit y avoir une mesure de sévérité telle que la norme soit rencontrée. Dans l’arrêt Smith, le juge Lamer donne des exemples de traitements qui sont toujours exagérément disproportionnés et incompatibles avec la dignité humaine : le fouet, la lobotomie ou la castration (p. 1074). Dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh], la Cour appliquait la norme de l’incompatibilité avec la dignité humaine et déclarait que la « peine doit être si intrinsèquement répugnante qu’elle ne saurait jamais constituer un châtiment approprié, aussi odieuse que soit l’infraction » (para 51). Ainsi, la torture se qualifie. Peut-on, de façon réaliste, prétendre que la diminution de la rétribution à des fins d’encourager la participation aux programmes, dont le travail en institution, et procurer une aide financière, a cette sévérité du même ordre que celle où l’article 12 de la Charte a trouvé application? Je ne le crois pas.

[69]  Il ne faudrait pas penser que la jurisprudence sous l’article 12 a créé des catégories étanches; aucun indice en ce sens n’a été trouvé. Par ailleurs, il faut bien conclure que le critère de l’arrêt Smith ne peut être satisfait sans une mesure de grande sévérité au traitement. Après tout, même une peine disproportionnée ou excessive ne suffit pas à satisfaire au critère d’intervention sous l’article 12.

[70]  Les demandeurs ont insisté sur le système en place en 1981 qui procédait à l’évidence d’une philosophie toute différente de celle mise en place en 1992. La Loi actuelle prévoit qu’une rétribution est permise non pas pour rémunérer le travail fait, mais plutôt pour encourager la participation aux programmes ou de procurer aux détenus une aide financière pour favoriser leur réinsertion sociale.

[71]  Il ressort des éléments de preuve que les rétributions versées dans d’autres pays démocratiques, et dans différentes provinces canadiennes ou états américains, varient. Par exemple, on a mis en preuve que les détenus dans les établissements fédéraux américains peuvent recevoir des versements, ou pas du tout, tout comme au Texas d’ailleurs. Les détenus californiens recevraient des taux horaires de 0,11$ à 0,37$, ne devant pas dépasser entre 12$ et 56$ par mois. La Grande-Bretagne fixe la rétribution minimale à 4 livres par semaine. La Nouvelle-Zélande fixe les « incentive payments » (« paiements incitatifs ») entre 0 et 1$ par heure.

[72]  Mais encore faudrait-il qu’il y ait une obligation constitutionnelle de payer des rétributions avant même de rechercher quel serait le niveau approprié pour ne pas être en violation de l’article 12 de la Charte, constituant le traitement cruel et inusité au point où le traitement est tellement excessif qu’il est incompatible avec la dignité humaine. Cela est loin d’avoir été démontré. De fait, on se demande de quel « traitement » il peut s’agir. Ce dont on parle ici c’est de paiements que l’on considère insuffisants.

[73]  Ce n’est pas tant que les demandeurs doivent demander à notre Cour de mettre en cause les choix faits par le Parlement qui laisse au Conseil du Trésor le soin de fixer les taux, que de démontrer qu’il y a une atteinte à l’article 12. En quoi celui-ci requiert une obligation positive n’a jamais été proposé, encore moins démontré, pour que l’on puisse parler d’un traitement se qualifiant aux termes de l’article 12.

[74]  Il ressort de la preuve abondante et convaincante que les besoins essentiels des détenus sont satisfaits adéquatement. Pour des cas particuliers, il est possible de s’adresser à cette Cour (Fabrikant c Canada, 2013 CAF 212; l’utilisation de parka). Ce dont on se plaint ici est de la contrariété de ne pas recevoir des paiements plus élevés pour une utilisation personnelle, allant de la cantine aux vêtements, ou à des produits d’hygiène, aux visites de la famille dont le coût est défrayé par un détenu (ou sa famille). Je suis loin d’être convaincu qu’il s’agisse d’un traitement sans convenir qu’il existe une obligation constitutionnelle de faire des paiements aux détenus. Qu’on me comprenne bien : je ne discute aucunement du bien-fondé de faire des paiements à des détenus pour favoriser leur participation aux programmes et leur réinsertion sociale. La seule question est de démontrer qu’il y a traitement, et que ce traitement est cruel et inusité du fait que les sommes payées ne permettent pas de faire des dépenses outre ce qui est déjà fourni par l’institution. De quel « traitement » s’agit-il au juste? De ne pas être payé suffisamment pour encourager la participation à des programmes favorisant la réhabilitation? Non seulement peut-on douter qu’il s’agisse là d’un traitement subi, mais de façon décisive on n’établit pas le caractère excessif au point d’être incompatible avec la dignité humaine, comme ce serait le cas pour le fouet, la castration, la lobotomie ou la peine minimale pour certaines infractions. Les contrariétés, plus ou moins sévères, engendrées par des paiements moins généreux qu’on aurait espérés, ne sont tout simplement pas du même ordre, en droit.

[75]  À mon avis, la véritable invitation de la part des demandeurs consiste à demander à cette Cour de porter jugement sur la sagesse de la décision du Commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme la Loi le lui permet et sur la décision du Conseil du Trésor, dont la validité constitutionnelle n’est pas attaquée en l’espèce, de fixer les rétributions. C’est une invitation qu’une Cour se doit de décliner. Ce qui fait cruellement défaut ici, c’est une démonstration que les rétributions payées sont insuffisantes au point d’imposer au gouvernement une obligation positive parce que le traitement est incompatible avec la dignité humaine, se comparant à la torture, le fouet, la lobotomie, la castration et les peines minimales pour des infractions mineures. Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau d’établir, à la satisfaction de notre Cour, de la sévérité du traitement, s’il en est, au point d’être incompatible avec la dignité humaine. Nulle autorité n’a même été citée afin d’en tirer quelque argument, même par une analogie sinueuse.

(2)  L’article 7 de la Charte

[76]  Les demandeurs citent aussi l’article 7 de la Charte, mais ils se sont heurtés à un formidable récif. Outre une certaine imprécision de l’argument sur l’intérêt invoqué, c’est davantage leur incapacité d’identifier les principes de justice fondamentale qui est fatale. Encore ici, ils ne se sont pas acquittés de leur fardeau. C’est aux demandeurs qu’incombe l’obligation de convaincre d’une atteinte au droit à la liberté ou à la sécurité, et que cette atteinte n’est pas en conformité avec les principes de justice fondamentale. Comme noté plus haut dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act, la Cour suprême observait que « (l)es principes de justice fondamentale, d’autre part, constituent non pas un intérêt protégé, mais plutôt un modificatif du droit de ne pas se voir porter atteinte à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne » (p. 501). Ils sont une partie essentielle d’un recours fondé sur l’article 7.

[77]  Dans leur mémoire des faits et du droit, puis lors de l’audition de la présente, les demandeurs ont précisé que les intérêts visés dans ce dossier sont le droit à la liberté et le droit à la sécurité de la personne. Il n’a pas été question, à bon droit selon moi, de l’effet d’une violation à être précisée sur le droit des enfants qui avait été soulevé dans l’avis de question constitutionnelle. De toute façon, aucun argument n’a été avancé à cet égard et les enfants des demandeurs ne sont pas partie à l’instance.

a)  Le droit à la liberté

[78]  Il n’a pas été simple d’établir en quoi le simple fait d’avoir des paiements que les demandeurs considèrent insuffisamment généreux, ou la réduction de la rétribution que le Commissaire paye aux détenus pour les encourager à participer aux programmes ou pour procurer une aide financière pour favoriser leur réinsertion sociale, constitue une atteinte à la liberté. Je le répète. La constitutionnalité de l’article 78, qui n’accorde qu’un pouvoir discrétionnaire de faire les paiements à ces titres, n’est pas en cause. N’est pas plus en cause la décision du Conseil du Trésor sur les taux de rétribution pouvant être payés. Les demandeurs ne plaident pas non plus un droit constitutionnel de recevoir une rétribution alors qu’ils sont détenus. Ils disent plutôt que la seule réduction de la rétribution, pour contribution aux frais d’hébergement et de nourriture, et pour les frais d’opération du système téléphonique qui leur est réservé, porte atteinte à leur liberté.

[79]  Il ne s’agit pas de remettre en question que les détenus dispose d’une « liberté résiduelle ». Ce ne saurait être en cause (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au para 34) [Khela]. L’arrêt Khela, tout comme l’arrêt May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809, aussi cité par les demandeurs, sont des affaires portant sur le recours à l’habeas corpus en cour supérieure provinciale invoqué par un détenu dont la liberté résiduelle au sein du pénitencier est réduite. Dans les deux cas, il s’agissait de transfèrements dans des institutions à sécurité supérieure (l’arrêt Khela signale que d’autres exemples seraient l’isolement préventif et l’incarcération dans une unité spéciale de détention).

[80]  Si j’ai bien compris l’argument des demandeurs, le refus de travailler, en particulier, parce que les rétributions ont été diminuées peut résulter en des limitations supplémentaires à leur liberté de mouvement au sein de l’établissement. C’est ainsi que l’un des demandeurs a refusé de continuer de travailler, disant sa motivation à le faire comme étant très diminuée parce qu’il se sent exploité. Or, ce détenu a été prévenu que durant « les heures ouvrables », les détenus qui ne participent pas aux activités régulières doivent demeurer dans leur cellule. L’affiant parlait de son « isolement cellulaire ». Or, il ressort de la preuve qu’il ne s’agissait pas de l’isolement préventif (« administrative segregation ») de l’article 31 de la Loi, comme l’impression peut être créée, mais plutôt de l’application d’un ordre permanent au pénitencier de Drummond concernant le déplacement des détenus au sein de l’établissement (affidavit de Mylène Duchemin, qui est gestionnaire de programme à l’Établissement Drummond). Alors que les déplacements sont autorisés pour ceux qui participent aux activités régulières, celui qui n’y participe pas doit demeurer dans sa cellule durant les heures d’activité. On comprend que les déplacements peuvent reprendre en dehors des heures d’activité. On doit aussi noter que les détenus qui avaient décidé de ne plus travailler ont choisi d’éviter cet « isolement passager » en acceptant un autre emploi.

[81]  Je nourris un doute sérieux relativement à l’intérêt de liberté qui serait frustré en l’espèce. Il me semble que les restrictions des déplacements dans un pénitencier sont la règle. Il apparaîtrait plutôt incongru que celui qui participe à des activités en fonction de son plan correctionnel ne puisse pas se rendre au site de la formation ou du travail. Mais lorsqu’il ne participe à aucune telle activité, il n’est pas facile de voir une atteinte importante à la liberté résiduelle du détenu qui doit rester dans sa cellule pendant cette période. Les demandeurs ont semblé vouloir se reposer sur la seule liberté résiduelle pour prétendre à l’atteinte à leur intérêt de liberté protégé par l’article 7. Si le détenu est incarcéré dans une prison dans la prison, sa liberté résiduelle est affectée. S’il est transféré dans une institution à sécurité plus élevée, sa liberté résiduelle est affectée. Mais la preuve à cet égard était très ténue dans notre cas. La contrainte physique est inhérente à l’emprisonnement. Celui qui doit demeurer dans sa cellule lorsqu’il ne participe pas aux activités durant les heures normales subit-il une privation de sa liberté résiduelle, d’autant qu’il n’est pas confiné ainsi durant les autres périodes?

[82]  Par ailleurs, la définition de « liberté » a été interprétée de façon plutôt large. On peut lire dans l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307 [Blencoe]:

49  Le droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte ne s’entend plus uniquement de l’absence de toute contrainte physique.  Des juges de notre Cour ont conclu que la «liberté» est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur les choix importants et fondamentaux qu’une personne peut faire dans sa vie.  Une telle situation existe, par exemple, lorsque des personnes doivent se présenter à un endroit et à un moment précis pour faire prendre leurs empreintes digitales (Beare, précité), produire des documents ou témoigner (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425), et lorsque des personnes doivent s’abstenir de flâner dans certains lieux (R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761).  Dans notre société libre et démocratique, chacun a le droit de prendre des décisions d’importance fondamentale sans intervention de l’État.  Dans B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, au par. 80, le juge La Forest, avec l’assentiment des juges L’HeureuxDubé, Gonthier et McLachlin, souligne que le droit à la liberté garanti par l’art. 7 protège l’autonomie personnelle et qu’il doit être interprété largement et en conformité avec les principes et les valeurs qui soustendent la Charte dans son ensemble:

. . . la liberté ne signifie pas simplement l’absence de toute contrainte physique.  Dans une société libre et démocratique, l’individu doit avoir suffisamment d’autonomie personnelle pour vivre sa propre vie et prendre des décisions qui sont d’importance fondamentale pour sa personne.

[Je souligne]

[83]  L’emprisonnement constitue en soi une restriction à la liberté de mouvement. Mais telle n’est pas la question ici. Les demandeurs prétendent plutôt que la situation normale pour qui est incarcéré devient une atteinte inconstitutionnelle à leur droit à la liberté lorsqu’ils ne peuvent circuler librement dans l’institution alors que les autres détenus vaquent à leurs activités de formation ou de travail. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire, et sage vu la qualité de la preuve, de conclure en ce sens puisque les demandeurs ont complètement fait défaut de présenter quelque argument de nature à s’acquitter de leur fardeau sur le plan de la violation des principes de justice fondamentale. Il est préférable de se contenter de disposer de la question sur la base des principes de justice fondamentale à l’égard de cette pratique.

b)  Le droit à la sécurité de la personne

[84]  Les demandeurs plaident que leur intégrité psychologique a été atteinte, ce qui constituerait une violation à la sécurité de la personne. Ils disent que les réductions de leurs rétributions ne leur permettent pas de maintenir leur hygiène corporelle, de conserver un contact régulier avec leur famille, de contribuer aux besoins de base de leurs enfants, et même de manger à leur faim.

[85]  L’examen de la preuve, comme indiqué plus tôt, mène plutôt à la conclusion que tous les besoins de base des détenus sont satisfaits durant l’incarcération, allant de la nourriture aux produits d’hygiène. Les préférences individuelles ne sont par ailleurs pas satisfaites et les demandeurs allèguent que les paiements faits ne leur permettent pas de satisfaire à certains choix qu’ils considèrent comme importants. L’arithmétique est simple : une réduction de 30% sur des rétributions déjà modestes rend les sommes disponibles pour les menues dépenses ou les épargnes encore plus minces. Cela ne peut que créer du mécontentement. C’est le sentiment qui ressort de l’examen de la preuve. Mais nous sommes loin de la norme constitutionnelle qui requiert une tension psychologique grave. Dans l’arrêt Blencoe, on peut lire :

56  Récemment, dans l’arrêt G. (J.), précité, notre Cour a réitéré le principe voulant que le droit à la sécurité de la personne vise la tension psychologique grave causée par l’État. La question en litige dans cette affaire était de savoir si le retrait de la garde d’un enfant portait atteinte au droit du parent à la sécurité de sa personne.  Le juge en chef Lamer a conclu que le droit des parents d’élever leurs enfants est un droit personnel d’une importance fondamentale.  Le retrait de la garde d’un enfant par l’État constitue donc une atteinte directe à l’intégrité psychologique du parent équivalant à une «intrusion flagrante» dans le domaine privé et intime du lien parent-enfant (au par. 61). Le juge en chef Lamer a conclu que l’art. 7 garantit aux parents le droit à une audience équitable lorsque l’État demande la garde de leurs enfants (au par. 55). Cependant, il a également établi, dans l’arrêt G. (J.), des limites applicables aux cas où il y a atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne. Il a affirmé que la tentative d’établir de telles limites n’est pas une «science exacte» (par. 59).

57  Les atteintes de l’État à l’intégrité psychologique d’une personne ne font pas toutes intervenir l’art. 7. Lorsque l’intégrité psychologique d’une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la «tension psychologique grave causée par l’État» (le juge en chef Dickson dans Morgentaler, précité, à la p. 56). Je crois que le juge en chef Lamer a eu raison de dire que le juge en chef Dickson tentait d’exprimer en termes qualitatifs le type d’ingérence de l’État susceptible de violer l’art. 7 (G. (J.), au par. 59).  Selon l’expression «tension psychologique grave causée par l’État», deux conditions doivent être remplies pour que la sécurité de la personne soit en cause. Premièrement, le préjudice psychologique doit être causé par l’État, c’est-à-dire qu’il doit résulter d’un acte de l’État. Deuxièmement, le préjudice psychologique doit être grave. Les formes que prend le préjudice psychologique causé par le gouvernement n’entraînent pas toutes automatiquement des violations de l’art. 7. Je vais examiner successivement ces deux conditions.

[86]  Il n’y a aucune commune mesure entre les graves souffrances psychologiques dont il était question dans l’affaire Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 RCS 46 et notre espèce. On y évoque les « répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique d’une personne. On doit procéder à l’évaluation objective des répercussions de l’ingérence de l’État, en particulier de son incidence sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable. Il n’est pas nécessaire que l’ingérence de l’État ait entraîné un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaires » (para 60). Ici, il est question de diminuer un paiement de sommes payées pour encourager la participation aux programmes visant à aider un détenu à se réhabiliter. On ne peut nullement déduire de la preuve au dossier que des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique des détenus résulteront de l’ingérence de l’État.

[87]  Que l’on compare avec la décision dans Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 RCS 429 [Gosselin]. Cette affaire porte directement sur la sécurité de la personne. Le Québec avait décidé de modifier le régime d’aide sociale pour encourager à s’intégrer à la population active. Pour ce faire, on a réduit l’allocation payable aux moins de 30 ans, à moins qu’il y ait une participation à un programme de formation ou à une activité de travail désignée.

[88]  Madame Gosselin invoquait la sécurité de la personne, entre autres, soutenant avoir le droit, en vertu de l’article 7, de recevoir « un niveau d’aide sociale suffisant pour répondre à ses besoins essentiels » (para 75). La Cour suprême a refusé de dégager de l’article 7 la possibilité d’imposer à l’État l’obligation positive de garantir un niveau de vie adéquat. À ce stade du développement jurisprudentiel, les droits économiques ne sont pas englobés dans l’article 7 :

[81]  Même s’il était possible d’interpréter l’art. 7 comme englobant les droits économiques, un autre obstacle surgirait.  L’article 7 précise qu’il ne peut être porté atteinte au droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.  En conséquence, jusqu’à maintenant, rien dans la jurisprudence ne tend à indiquer que l’art. 7 impose à l’État une obligation positive de garantir à chacun la vie, la liberté et la sécurité de sa personne.  Au contraire, on a plutôt considéré que l’art. 7 restreint la capacité de l’État de porter atteinte à ces droits.  Il n’y a pas d’atteinte de cette nature en l’espèce.

[J’ai souligné]

La porte n’est pas fermée à jamais. Ainsi, « dans certaines circonstances particulières, l’existence d’une obligation positive de pourvoir au maintien de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne » pourrait être considérée. La Cour dit que, « (t)outefois, tel n’est pas le cas en l’espèce » (para 83), et tel n’est certes pas le cas en notre espèce.

[89]  Le droit à la sécurité de la personne, au sens de l’article 7, requiert une tension psychologique grave causée par l’État. On conçoit mal comment une réduction de la rétribution versée puisse être élevée à ce niveau. De toute façon, la preuve n’en a pas été faite. Si les demandeurs cherchent à prétendre que l’État doit leur garantir certaines prestations, même alors qu’ils sont incarcérés, leur thèse se heurte de plein fouet à Gosselin. Mais, comme pour l’atteinte au droit à la liberté, l’absence totale d’argument au sujet d’une atteinte aux principes de justice fondamentale est fatale.

(3)  Les principes de justice fondamentale

[90]  Chose plutôt surprenante, les demandeurs n’ont présenté dans leur mémoire des faits et du droit aucun argument relatif aux principes de justice fondamentale qui sont pourtant au cœur de l’article 7 de la Charte. Dans l’arrêt Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 RCS 331, la Cour suprême du Canada rappelait que « (l)’article 7 garantit non pas que l’État ne portera jamais atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne » – les lois le font constamment – , mais que l’État ne le fera pas en violation des principes de justice fondamentale  » (para 71). Dans l’arrêt Kazemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 RCS 176 [Kazemi], la Cour suprême marquait le point en soulignant que « (p)our conclure à la violation de l’art. 7 de la Charte, il faut établir qu’un principe de justice fondamentale a été violé en raison de l’application du par. 3(1) de la LIÉ aux réclamations en litige ». D’ailleurs, le Procureur général a indiqué que le recours devrait être rejeté sur ce seul fondement. J’abonde en ce sens.

[91]  La Cour d’appel fédérale a résumé habilement le sens donné à la notion dans une affaire qui fait jurisprudence. Dans l’arrêt Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129 [Erasmo] (autorisation d’appel refusée), on lit :

[44]  De façon plus générale, l’appelant allègue que les dispositions relatives à la fusion sont foncièrement injustes. Toutefois, à elle seule, cette allégation ne démontre pas qu’une violation des principes de justice fondamentale a été commise.

[45]  Les principes de justice fondamentale ne sont pas une série de principes portant sur l’iniquité ou de « vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral » (R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 112 (motifs des juges Gonthier et Binnie pour les juges majoritaires) et au paragraphe 224 (motifs de la juge Arbour, dissidente). Ils ne relèvent pas du domaine de l’ordre public en général (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 503, 24 D.L.R. (4th) 536. Ils ne sont pas non plus « [de] simple[s] contenant[s], à même de recevoir n’importe quelle interprétation qu’on pourrait vouloir lui donner » Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la page 394, 38 D.L.R. (4th) 161 (motifs du juge McIntyre).

[46]  En réalité, les principes de justice fondamentale « se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité, à la page 503, cité et approuvé dans l’arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, 132 D.L.R. (4th) 56, au paragraphe 39; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 23; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, 17 C.R. (7th) 87, au paragraphe 89; et bien d’autres). Ces principes « doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » (R. c. D.B., précité, aux paragraphes 46, 61, 67 et 68, 125, 131 et 138; R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, précité, aux paragraphes 112 et 113; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176, au paragraphe 139). Les principes de justice fondamentale sont « les postulats communs qui soustendent notre système de justice » qui « trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8).

[47]  Les principes de justice fondamentale peuvent invalider toute loi ou mesure prise en vertu d’une loi. En d’autres termes, ils peuvent avoir préséance sur le principe de la suprématie du Parlement, un principe qui se situe au cœur même des arrangements constitutionnels anglo-canadiens depuis plus de quatre siècles. Pour cette raison, seules les valeurs essentielles les plus importantes enracinées dans nos pratiques et nos conventions consacrées par l’usage peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale. L’iniquité au sens courant du terme, les opinions politiques personnelles ou les opinions répandues sur ce qui est juste – qui sont toutes des questions d’appréciation personnelle – ne peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale et ne peuvent jouer quelque rôle que ce soit en ce qui concerne leur définition ou leur application. Ces questions sont la chasse gardée de la classe politique.

[J’ai souligné]

[92]  Aucune tentative d’identifier les principes de justice fondamentale pertinents en l’espèce n’a été faite dans cette affaire, encore moins une démonstration convaincante de leur articulation vu les atteintes alléguées aux droits à la liberté et l’intégrité de la personne. À l’audience, on a cherché à transformer in extremis un argumentaire annoncé selon lequel le Règlement et les directives du Commissaire 730 et 860 ne seraient pas conformes à l’article 76 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et à certaines Conventions internationales en matière de droit du travail en des principes de justice fondamentale.

[93]  On peut disposer de façon expéditive de l’argument voulant que les instruments domestiques (le Règlement et les directives) ne sont pas conformes à des instruments internationaux (l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus et les Conventions no 29 et 105 de l’Organisation internationale du travail). Quelle que soit la nature juridique de ces instruments, ils n’ont aucune force exécutoire au Canada en l’absence d’une loi interne.

[94]  En effet, la majorité dans l’arrêt Kazemi écrivait que « à moins qu’une disposition d’un traité n’exprime une règle du droit international coutumier ou une norme impérative, cette disposition ne deviendra exécutoire en droit canadien que s’il lui est donné effet par l’intermédiaire du processus d’élaboration des lois du Canada » (para 149). Le Canada, comme le Royaume-Uni, suit ce système dualiste quant aux traités. Tout récemment, la Cour suprême du Royaume-Uni exposait succinctement et élégamment la nature de ce régime dans sa décision sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne. La question était de déterminer si une Loi du Parlement est nécessaire pour enclencher le mécanisme de retrait. Dans l’arrêt R (on application of Miller and another) v Secretary of State for Exiting the European Union, [2017] UKSC 5; [2017] AIIER 593, on lit:

[Traduction]

55.  Sous réserve de restrictions imposées par une loi principale, en règle générale, le pouvoir de conclure ou de révoquer des traités peut s’exercer sans fondement législatif et l’exercice de ce pouvoir échappe à tout contrôle judiciaire – voir l’arrêt Civil Service Unions, précité, aux pages 397 à 398. Le juge en chef lord Coleridge a déclaré que la Reine intervenait « tout au long du processus de signature du traité et à l’égard de chacune de ses stipulations en son caractère souverain et par sa propre autorité inhérente » – Rustomjee v The Queen (1876) 2 QBD 69, 74. Ce principe repose sur ce qu’il est convenu d’appeler la théorie dualiste, fondée sur la proposition selon laquelle le droit international et le droit national s’appliquent dans des sphères indépendantes. La prérogative de conclure des traités dépend de deux propositions connexes. La première veut que les traités entre états souverains produisent effet en droit international et ne sont pas régis par le droit national d’aucun état. Comme l’a exprimé lord Kingsdown dans Secretary of State in Council of India v Kamachee Boye Sahaba (1859) 13 Moo PCC 22, au paragraphe 75, les traités sont « régis par d’autres lois que celles que les cours municipales administrent. » La deuxième proposition veut que, bien qu’ils soient contraignants au Royaume-Uni en vertu du droit international, les traités ne s’appliquent pas en droit britannique et ne donnent ouverture à aucun droit juridique ni à aucune obligation en droit national.

[J’ai souligné]

On n’a pas démontré en quoi ces instruments font partie du droit domestique canadien. On ne trouve nulle part à ce dossier la prétention que ces instruments internationaux sont partie du droit international coutumier.

[95]  Malgré leur portée limitée, les demandeurs ont aussi tenté de dégager de ces instruments des principes de justice fondamentale, mais ils n’en ont articulé aucun, ce qui est fatal en l’espèce. De fait, on ne nous a pas indiqué de quel principe de justice fondamentale il était question.

[96]   La Cour suprême répétait dans l’arrêt Kazemi (para 139) ce passage tiré de l’arrêt R c Malmo-Levine ; R c Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 RCS 571 [Malmo-Levine] :

113  La condition requérant que les principes soient « généralement acceptés parmi des personnes raisonnables » accroît la légitimité du contrôle judiciaire d’une mesure de l’État et fait en sorte que les valeurs au regard desquelles la mesure de l’État est appréciée ne sont pas fondamentales « aux yeux de l’intéressé seulement » : Rodriguez, p. 607 et 590 (souligné dans l’original).  En résumé, pour qu’une règle ou un principe constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7, il doit s’agir d’un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

[J’ai souligné]

Dans Kazemi, la question était de déterminer si l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 1465 R.T.N.U. 85 [la Convention] permettait de prétendre que le droit domestique doit prévoir une réparation même pour la torture infligée hors des limites du Canada. Cette obligation qui aurait été créée par l’article 14 de la Convention constituerait un principe de justice fondamentale selon la succession Kazemi.

[97]  Comme on l’aura vu avec l’arrêt Malmo-Levine, il faut que le principe juridique soit essentiel au bon fonctionnement du système de justice; il doit aussi être défini avec précision pour qu’on puisse évaluer l’atteinte à la vie, à la sécurité ou à la liberté invoquée. L’un n’est pas dissocié de l’autre.

[98]  En notre espèce, les demandeurs invoquent un ensemble de règles minimales des Nations-Unies pour le traitement des détenus, qui a fait l’objet d’une résolution adoptée par l’Assemblée générale le 17 décembre 2015 (NU A/RES/70/175) [la Résolution des Nations-Unies]. Cette résolution reconnaît d’entrée de jeu qu’« (i)l est évident que toutes les règles ne peuvent pas être appliquées en tout lieu et en tout temps, étant donné que la grande variété de conditions juridiques, sociales, économiques et géographiques que l’on rencontre dans le monde » (Observation préliminaire 2). Elles n’ont pas de caractère contraignant. Par ailleurs, la règle 103 indique que « (l)e travail des détenus doit être rémunéré de façon équitable », devant permettre l’utilisation d’une partie pour l’achat d’articles autorisés ou d’envoyer de l’argent à leur famille, et d’une autre partie devant être mise de côté par l’administration pénitentiaire pour être remise au moment de la libération.

[99]  Le Procureur général a soutenu que cette résolution n’est d’aucune utilité. C’est peut-être aller un peu loin. Mais la puissance de l’instrument est certes très limitée. Non seulement la résolution contient ses propres limites en ce que l’on peut s’en écarter, comme indiqué plus haut, mais une résolution des Nations-Unies n’a aucun effet contraignant en droit interne. Sa Charte parle d’ailleurs en termes de recommandations. Dans Brownlie’s Principles of International Public Law, Oxford University Press, 2012 [Brownlie], on peut lire :

[Traduction]

Les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas contraignantes pour les états membres, à l'exception de certaines questions organisationnelles des Nations Unies. Toutefois, lorsqu’elles portent sur les normes générales du droit international, l’acceptation par tous les membres, ou par la plupart d’entre eux, constitue une preuve des opinions des gouvernements dans ce qui est la plus grande tribune d’expression de telles opinions. Même lorsque ces résolutions sont présentées sous forme de principes généraux, elles peuvent offrir le fondement d’une évolution progressive du droit et, si elles font pratiquement l’unanimité, celui d’une consolidation rapide des règles coutumières. L'affirmation des principes de droit international reconnus par la Charte du Tribunal de Nuremberg de l'Assemblée générale; la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux; la Déclaration des principes juridiques régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique; la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constituent des exemples importants de résolutions « législatives ». Dans certains cas, une résolution peut produire effet à titre d’interprétation décisive et d’application des principes de la Charte : c’est notamment vrai pour la déclaration Relations amicales de 1970. Toutefois, chaque résolution doit être évaluée compte tenu de toutes les circonstances, y compris d’autres éléments de preuve disponibles des opinions des états sur le point ou les points en cause.

(p.42)

Si elle n’est pas en soi une source du droit international, la Résolution des Nations-Unies pourrait éventuellement déboucher sur une règle de droit coutumier. Mais nous sommes bien loin de l’évolution dont parle le Professeur Brownlie.

[100]  Le texte même de la règle 103 utilise d’ailleurs une terminologie qui n’en fait pas une norme juridique mais est plutôt, comme l’une des avocates des demandeurs l’a dit, un texte qui se borne à définir des aspirations (« aspirational »). On est loin, me semble-t-il, de la définition des principes de justice fondamentale de l’article 7 qui requièrent « un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice dans notre société »« seules les valeurs essentielles les plus importantes enracinées dans nos pratiques et nos conventions consacrées par l’usage peuvent être considérées comme des principes de justice fondamentale » (Erasmo, précité, para 46-47). Non seulement les instruments internationaux cités par les demandeurs ne s’élèvent pas à ce niveau, mais ils n’ont pas la précision voulue « pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne » (Malmo-Levine, précité, para 113). Aucune démonstration en ce sens n’a été faite.

[101]  Le Procureur général s’est référé à deux arrêts étrangers pour affirmer que les résolutions des Nations-Unies n’ont pas force obligatoire. J’hésite à leur donner un certain poids. Ils pourraient, à mon sens, ne s’agir que de l’expression de régimes juridiques différents. Dans Serra v Lappin, 600 F.3d 1191 (2010) [Serra v Lappin], la Cour d’appel pour le 9e Circuit, aux États-Unis, devait se prononcer sur le document, qui est devenu par la suite la Résolution des Nations-Unies, l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, adoptée par le Premier Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants en 1955, à Genève. La Cour d’appel pour le 9e circuit n’y a pas vu une source du droit au plan domestique. On peut lire au paragraphe 5 :

[Traduction]

[5]  L’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (« Ensemble de règles minima ») [6] n’est pas non plus une source de droits justiciables. Ce document a été adopté par le Premier Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants en 1955 pour « établir [...] les principes et les règles d'une bonne organisation pénitentiaire et de la pratique du traitement des détenus. » Ensemble de règles minima 1. Il ne s’agit pas d’un traité et ce n'est pas un document contraignant pour les États-Unis. Même s’il s’agissait d’un traité directement applicable, le document n’a pas pour but de servir de source de droits privés. Il est reconnu dans l’« Ensemble de règles » même que toutes les règles « ne peuvent pas être appliquées en tout lieu et en tout temps » id. ¶ 2, et « ne tendent pas à exclure la possibilité d'expériences » id. ¶ 3. De plus, la règle précise soulevée par les demandeurs en tant que source de droits déclare uniquement que « [l]e travail des détenus doit être rémunéré d'une façon équitable », sans préciser quels salaires seraient considérés comme tels. Id. ¶ 76(1).

[102]  Cet arrêt traitait d’une question similaire à celle dont notre Cour est saisie puisque les taux payés aux détenus dans les prisons fédérales (ici, en Californie) étaient contestés sur le fondement du Ve Amendement à la Constitution. Je note que la Cour a aussi constaté qu’il n’existe pas un droit constitutionnel à être payé pour le travail fait pendant l’incarcération.

[103]  Dans l’affaire Collins v State of South Australia, [1999] SASC 257, la Cour suprême de l’Australie du Sud examinait si la détention de deux personnes dans une même cellule (« doubling up ») portait atteinte au même instrument. Là aussi, il a fallu convenir qu’il ne s’agissait pas d’une convention, mais plutôt d’un instrument utile à l’interprétation de termes ambigus :

[Traduction]

22.  L’Ensemble de règles n’est ni une convention, ni un traité, ni un engagement. Il n’impose aucune obligation aux signataires. Il ne fait que déclarer des principes. Par conséquent, aucune obligation dans le droit international n'en découle.

Cela me semble conforme au droit d’inspiration britannique qui n’intègre pas au droit domestique l’instrument international, même sous forme de traité accepté par l’Exécutif. La souveraineté du Parlement est préservée.

[104]  On comprendra alors que les principes de justice fondamentale qui permettent d’invalider une loi par ailleurs validement adoptée doivent être d’une certaine nature. C’est je crois ce qui a été exprimé dans la jurisprudence de notre Cour suprême. En 1985, la Cour parlait dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act « des préceptes fondamentaux de notre système juridique » (para 31). Le droit international peut être source; dans l’arrêt Suresh, on en reconnaissait l’utilité limitée à leur prise en compte :

46  L’examen des principes de justice fondamentale s’appuie non seulement sur la jurisprudence et l’expérience canadiennes, mais également sur le droit international, y compris le jus cogens. Sont prises en compte, dans cet examen, les obligations internationales contractées par le Canada ainsi que les valeurs exprimées dans « [l]es diverses sources du droit international des droits de la personne — les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumières » : Burns, précité, par. 79-81; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 348 (le juge en chef Dickson, dissident); voir également Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., précité, p. 512; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1056-1057; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 750; et Baker, précité.

[J’ai souligné]

Brownlie explique la nature de la jus cogens (ou ius cogens). Il s’agit des normes les plus fondamentales desquelles on ne peut déroger :

[Traduction]

(A)  Norme impérative (ius cogens)

De temps à autre, les juristes ont essayé de classer des règles, ou des droits et des devoirs, sur le plan international en utilisant des termes comme « fondamental » ou, relativement aux droits, « inaliénables » ou « inhérents ». De telles classifications n’ont pas connu beaucoup de succès, mais elles ont occasionnellement eu une incidence sur l’interprétation des traités par les tribunaux. Pourtant, au cours des années 1960, des thèses savantes sont venues appuyer le point de vue selon lequel il peut exister des normes prépondérantes en droit international, qualifiées de normes impératives (ius cogens). Lea caractéristique distinctive clé est leur indélébilité relative. Selon l'article 53 de la CVDT, il existe des règles du droit coutumier qui ne peuvent pas être annulées par un traité ou par acquiescement, mais seulement au moyen de l’établissement d’une règle coutumière de la même nature.

(p. 594)

Ce sont donc des normes avec statut spécial. Brownlie semble appuyer une certaine liste issue de l’International Law Commission :

[Traduction]

L’ILC a fourni son propre résumé faisant autorité en 2006 :

(33)  Contenu du jus cogens. Les exemples de normes jus cogens les plus fréquemment cités sont l’interdiction d’agression, d'esclavage et de traite des esclaves, de génocide, de discrimination raciale, de ségrégation raciale et de torture ainsi que les règles de base du droit humanitaire international applicable aux conflits armés, et le droit à l’autodétermination. En outre, d’autres règles peuvent avoir un caractère de jus cogens dans la mesure où elles sont acceptées et reconnues par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que normes auxquelles aucune dérogation n’est permise

(p. 596)

Sans pour autant constater qu’il y a là une liste exhaustive, on voit bien de quel ordre de grandeur il s’agit.

[105]  C’est l’arrêt Kazemi qui donnera une meilleure précision. La ratification d’un traité ne transforme pas automatiquement ce texte en principe de justice fondamentale. Si cela devait être la nouvelle règle, l’exécutif, qui est chargé dans notre système de droit de négocier et de ratifier les ententes internationales, se substituerait au législateur fédéral. Telle est l’idée exprimée aux paragraphes 149 et 150 de l’arrêt Kazemi :

[149]  ...

En conséquence, à moins qu’une disposition d’un traité n’exprime une règle du droit international coutumier ou une norme impérative, cette disposition ne deviendra exécutoire en droit canadien que s’il lui est donné effet par l’intermédiaire du processus d’élaboration des lois du Canada (Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 69; Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, p. 172-173; Currie, p. 235). Les appelants n’ont pas prétendu — et encore moins établi — que leur interprétation de l’art. 14 correspond au droit international coutumier ou qu’elle a été intégrée au droit canadien par voie législative.

 [150]  ...

Mais les engagements pris dans des ententes internationales ne sont pas tous assimilables à des principes de justice fondamentale. Leur nature est très diversifiée. Le droit international est en constante évolution. L’interaction entre le droit national et le droit international doit être gérée avec soin, à la lumière des principes régissant ce qui demeure un système dualiste d’application du droit international et une démocratie constitutionnelle et parlementaire. La simple existence d’une obligation internationale ne suffit pas pour établir l’existence d’un principe de justice fondamentale. S’il fallait assimiler à des principes de justice fondamentale toutes les mesures de protection ou tous les engagements qui sont énoncés dans des documents internationaux en matière de droits de la personne, on risquerait en fait de détruire le système dualiste canadien de réception du droit international et d’écarter les principes de souveraineté parlementaire et de démocratie.

[J’ai souligné]

[106]  La Cour suprême reconnaît que la norme du jus cogens est assimilée aux principes de justice fondamentale :

[151]  Cela dit, je suis disposé à admettre que l’on peut généralement assimiler les normes du jus cogens à des principes de justice fondamentale et qu’il est particulièrement utile de les examiner dans le contexte de questions relevant du droit international. À l’instar des principes de justice fondamentale qui constituent les « préceptes fondamentaux de notre système juridique » (Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 503), les normes du jus cogens représentent une forme supérieure de droit international coutumier. Tout comme les principes de justice fondamentale sont des principes qui « doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » (Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, p. 590-591), les normes du jus cogens sont des coutumes auxquelles adhère la communauté internationale des États et à l’égard desquelles aucune dérogation n’est autorisée (Bouzari, par. 85-86; van Ert, p. 29).

[J’ai souligné]

Mais dans notre cas, nous sommes bien loin de la jus cogens (voir également A v Secretary of State for the Home Department (No 2) [2005] UKHL 71; [2006] 2 AC 221, et Youssef v Secretary for Foreign and Commonwealth Affairs, [2016] UKSC 3). La Résolution des Nations-Unies n’a pas atteint ce statut spécial. Elle ne constitue pas, de par son texte même, une norme péremptoire clairement établie. J’ajoute que la règle du droit international public qui serait exprimée dans un traité ne me semble pas être davantage utile aux demandeurs, puisqu’il n’y a pas de tel traité dans le cas sous étude.

[107]  On a aussi invoqué brièvement la Convention no 29 concernant le travail forcé ou obligatoire adoptée par la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail (1930). Les demandeurs ont à peine effleuré le sujet. En effet, à sa face même, la Convention no 29 ne s’applique pas à notre cas puisque « (t)out travail ou service exigé d’un individu comme conséquence d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire... » est exclu aux termes de ladite Convention (article 2). De toute manière, il n’a pas été démontré, en notre espèce, que le travail des détenus est un travail forcé et obligatoire. Comme il en ressort de la preuve, les détenus qui ont cessé de travailler ont perdu la rétribution afférente, sans plus, et, dans le cas du pénitencier de Drummond, ont dû passer les heures ouvrables dans leur cellule durant la semaine.

[108]  Je dois donc conclure que la thèse, invoquée in extremis, consistant à assimiler une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies qui n’a aucun effet contraignant en une règle de justice fondamentale qui pourrait correspondre aux principes fondamentaux de notre système juridique doit être rejetée. Il en résulte que l’argument fondé sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est rejeté.

C.  Le travail fait par les détenus l’est-il dans le cadre d’une relation employeur-employé?

[109]  Les demandeurs ont aussi cherché à dériver des arguments de leur prétention que, dans les cas où les détenus participent à des activités de travail (et tout particulièrement CORCAN), il y a la relation d’employeur-employé. Si cette relation existe, elle serait suffisante pour entraîner l’application du Code canadien du travail.

[110]  Les demandeurs arguent que, vu le paragraphe 167(1) du Code, la Partie III de celui-ci s’applique à eux. Il se lit de la façon suivante :

Application de la présente partie

Application of Part

167 (1) La présente partie s’applique :

167 (1) This Part applies

a) à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale, à l’exception d’une entreprise de nature locale ou privée au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Nunavut;

(a) to employment in or in connection with the operation of any federal work, undertaking or business other than a work, undertaking or business of a local or private nature in Yukon, the Northwest Territories or Nunavut;

b) aux employés qui travaillent dans une telle entreprise;

(b) to and in respect of employees who are employed in or in connection with any federal work, undertaking or business described in paragraph (a);

c) aux employeurs qui engagent ces employés;

(c) to and in respect of any employers of the employees described in paragraph (b);

d) aux personnes morales constituées en vue de l’exercice de certaines attributions pour le compte de l’État canadien, à l’exception d’un ministère au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques;

(d) to and in respect of any corporation established to perform any function or duty on behalf of the Government of Canada other than a department as defined in the Financial Administration Act; and

e) à une entreprise canadienne, au sens de la Loi sur les télécommunications, qui est mandataire de Sa Majesté du chef d’une province.

(e) to or in respect of any Canadian carrier, as defined in section 2 of the Telecommunications Act, that is an agent of Her Majesty in right of a province.

Comme son titre le dit, la Partie III du Code traite de la durée normale du travail, du salaire, des congés et des jours fériés. Il découlerait de cette compréhension de l’article 167 que les détenus peuvent réclamer le salaire minimum de l’article 178, de même que les autres bénéfices prévus à la Partie III. Les demandeurs mentionnent les indemnités de départ (section XI), les congédiements injustes (section XIV) et les licenciements collectifs (section IX). D’autre part, de nombreuses autres sections se trouvant à la partie III sont passées sous silence. À titre d’exemple, les demandeurs n’évoquent pas les congés (annuels, fériés, parentaux, de soignant, de décès) ou des licenciements individuels (section X).

[111]  Si le Code ne trouve pas application, il est soutenu subsidiairement que la common law viendrait fournir un remède aux congédiements injustes (on ne semble pas traiter des détenus au Québec dont le droit privé n’est pas la common law). Sans explications, il est décrété que les détenus auraient droit au remboursement du salaire perdu entre le moment du congédiement et le moment où un nouvel « emploi », au même salaire, aura été trouvé. On semble vouloir soutenir que la réduction de la rétribution soit l’équivalent du congédiement déguisé.

[112]  La première question consiste évidemment à déterminer si la Partie III du Code canadien du travail vise les détenus qui prennent part à des activités de travail. À mon avis, ce ne peut être le cas.

[113]  L’article 167 du Code détermine les cas où la Partie III peut être invoquée. Or, l’alinéa 167(1)d) exclut les ministères au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), ch F-11. Cette Loi définit « ministère » de la façon suivante :

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

[...]

...

ministère

department means

a) L’un des ministères mentionnés à l’annexe I;

(a) any of the departments named in Schedule I,

a.1) l’un des secteurs de l’administration publique fédérale mentionnés à la colonne I de l’annexe I.1;

(a.1) any of the divisions or branches of the federal public administration set out in column I of Schedule I.1,

b) toute commission nommée sous le régime de la Loi sur les enquêtes désignée comme tel, pour l’application de la présente loi, par décret du gouverneur en conseil;

(b) a commission under the Inquiries Act that is designated by order of the Governor in Council as a department for the purposes of this Act,

c) le personnel du Sénat, celui de la Chambre des communes, celui de la bibliothèque du Parlement, celui du bureau du conseiller sénatorial en éthique, celui du bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et celui du Service de protection parlementaire;

(c) the staffs of the Senate, House of Commons, Library of Parliament, office of the Senate Ethics Officer, office of the Conflict of Interest and Ethics Commissioner and Parliamentary Protective Service, and

d) tout établissement public. (department)

(d) any departmental corporation; (ministère)

Le Service Correctionnel du Canada se retrouve à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques : il est un ministère et la Partie III du Code canadien du travail ne s’applique pas à lui.

[114]  Le fait que CORCAN soit en place pour une certaine forme de travail ne change rien à la situation. CORCAN est un programme et l’activité relève intégralement du SCC. Même l’article 2 du Règlement reconnaît que CORCAN n’est qu’une « (p)artie du Service chargé du secteur productif pénitentiaire ». Comme la preuve le révèle, CORCAN a reçu la désignation d’« organisme de service spécial » (« Special Operating Agency ») dans l’appareil gouvernemental canadien qui permet des activités tout en étant exempté de certains mécanismes de contrôle imposés par le Conseil du Trésor. CORCAN est un programme relevant du SCC. Quoique jouissant d’une certaine autonomie grâce à son statut d’organisme de service spécial, CORCAN reste une partie intégrante du SCC et l’aide à réaliser sa mission, en offrant aux détenus une formation et une expérience du travail qui seront conformes au plan correctionnel du détenu en ce que l’expérience d’emploi est aussi proche que possible de la réalité. Ainsi, CORCAN fait partie, comme programme, d’un ministère. Il est exclu à ce titre de la Partie III du Code.

[115]  Les autres formes de travail en institution participent toutes de la même logique. Elles sont toutes liées directement à un programme en institution.

[116]  S’il est vrai, comme le soulignent les demandeurs, que le Code crée des normes d’emploi, encore faut-il que le Code s’applique à eux. On ne doit pas inverser la proposition et chercher à déterminer que la création de normes d’emploi entraîne l’application du Code. Cela revient à mettre la charrue avant les bœufs. Il faut que l’« emploi » soit visé par le Code pour que celui-ci trouve application. Dans notre cas, que l’on prétende que les détenus sont employés par CORCAN ou le SCC, il s’agit toujours d’un ministère et l’article 167 exclut les ministères. Le procureur général n’a pas tort de rappeler que l’emploi au sein du ministère est strictement encadré par trois lois : la Loi sur la gestion des finances publiques, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, ch 22, art 12 et 13, et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch 22, art 2. Ne peut être employé au sein d’un ministère qui veut : l’emploi y est strictement contrôlé.

[117]  La Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoit à son préambule « que le pouvoir de faire des nominations à la fonction publique et au sein de celle-ci est conféré à la Commission de la fonction publique et que ce pouvoir peut être délégué aux administrateurs généraux ». Cette compétence exclusive est confirmée à l’article 29 et les nominations sont faites au mérite (article 30). Le paragraphe 29 (1) dispose :

Droit exclusif de nomination

Commission’s exclusive authority

29 (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission a compétence exclusive pour nommer à la fonction publique des personnes, y appartenant ou non, dont la nomination n’est régie par aucune autre loi fédérale.

29 (1) Except as provided in this Act, the Commission has the exclusive authority to make appointments, to or from within the public service, of persons for whose appointment there is no authority in or under any other Act of Parliament.

Nul n’a soutenu que la participation à un des programmes offerts par le SCC constitue une nomination dans un ministère, et donc dans la fonction publique telle que définie à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

[118]  Dans Jolivet c Canada (Service correctionnel), 2014 CAF 1, la Cour d’appel fédérale était appelée à déterminer si l’on pouvait obliger le SCC à la négociation collective avec les détenus participant à des programmes de travail en établissement. N’étant pas nommés par la Commission de la fonction publique, les détenus ne peuvent rechercher les remèdes prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Le paragraphe 10 de cet arrêt s’applique tout autant à notre situation :

[10]  Bien que les règles régissant l’emploi dans la fonction publique aient évolué depuis l’arrêt Econosult, le principe fondamental établissant qu’il est assujetti à des formalités légales particulières demeure valide. Les détenus participant à des programmes de travail appliqués par le Service correctionnel du Canada n’ont pas été nommés à un poste de la fonction publique fédérale. En conséquence, ils ne sont pas des « fonctionnaires » (« employees » dans la version anglaise) au sens de la Loi.

Il en résulte que le détenu qui travaille en établissement n’est pas un employé de la SCC au sens de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique puisque seuls des « fonctionnaires » dûment nommés peuvent être employés.

[119]  Il n’est pas davantage un employé aux termes de la Partie I du Code lorsque la tentative des détenus est, cette fois, de se livrer à des activités visant la syndicalisation des détenus. Dans Canadian Prisoners’ Labour Confederation c Service correctionnel du Canada, 2015 CCRI 779, le Conseil canadien des relations industrielles [le CCRI] concluait que la Partie I du Code ne vise pas les détenus parce qu’ils sont exclus puisque « la présente partie ne s’applique pas aux employés qui sont au service de Sa Majesté du chef du Canada », selon l’article 6 du Code. En supposant même que les détenus sont des employés, et le CCRI ne s’est pas prononcé sur cette question, il a constaté que le genre de relation est exclu. De plus, je partage l’avis selon lequel « (l)e Code vise avant tout les entreprises fédérales privées, comme il ressort des articles 4 à 6 cités précédemment ».

[120]  Le même type de raisonnement où le travail en institution bénéficie de son propre régime semble avoir été avalisé par les cours provinciales. Dans Re Kaszuba and Salvation Army Sheltered Workshop et al, (1983) 41 OR (2d) 316, la Cour divisionnaire d’Ontario approuvait le passage suivant de la décision de l’arbitre :

[Traduction] Si le contenu de la relation porte sur la réinsertion, alors le méfait que la Loi sur les normes d'emploi visait à éviter n’existe pas et il faut conclure qu’il n’existe aucune relation d’emploi au sens de la Loi sur les normes d'emploi.

Ce même passage a été spécifiquement approuvé à l’occasion de l’affaire Fenton v Forensic Psychiatric Services Commission, (1991) 82 DLR (4th) 27 [Fenton] par la Cour d’appel de Colombie-Britannique.

[121]  Dans Fenton, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que le travail à la Forensic Psychiatric Institute ne constituait pas un emploi au sens de l’Employment Standards Act. En fin de compte, la Cour a examiné de près le but de cette loi pour en arriver à sa conclusion que si le travail est à des fins de réhabilitation et de formation, les normes minimales de travail prévues dans ces lois pour des « employés » ne peuvent s’appliquer à ceux dont le travail est à des fins différentes.

[122]  Les demandeurs ont prétendu qu’il est raisonnable de conclure que les paiements faits pour services rendus constituent du revenu, ce qui établirait une relation employeur-employé. Malheureusement pour les détenus, si tel était le cas, le Commissaire outrepasserait le pouvoir que lui confère l’article 78 de la Loi. Il n’est autorisé que si la rétribution vise à encourager la participation aux programmes ou procure une aide financière pour favoriser la réinsertion sociale, non pas en paiements pour services rendus. Au final, non seulement la thèse ne saurait être retenue, mais elle aurait pour conséquence que même les paiements réduits seraient invalides parce qu’ultra vires. En définitive, la Partie III du Code ne peut être utilement invoquée par les demandeurs que s’ils démontrent que le Code Canadien du travail s’applique à eux. Ils ne l’ont pas fait.

[123]  L’autre argument est de prétendre à l’existence d’une relation employeur-employé sans la protection du Code. Il incombait aux demandeurs de démontrer l’existence d’une telle relation.

[124]  Si je comprends cet argument, il pourrait subsister une relation employeur-employé en dehors du cadre légal fédéral. Cette relation, si elle est établie, donnerait ouverture à un recours pour congédiement déguisé. On cite, dans une note de bas de page, la décision Potter c Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 RCS 500 [Potter], sans jamais formuler ou articuler l’argument. Dans Potter, un salarié avait été suspendu indéfiniment, avec salaire, dans le contexte de la négociation d’une indemnité de départ. C’est le changement des conditions d’emploi qui modifie le contrat de travail; ici, les demandeurs prétendent que la réduction des paiements faits au titre de l’article 78 de la Loi constitue ce changement au contrat de travail, constituant un congédiement déguisé.

[125]  Cette proposition échoue. Les demandeurs n’ont en aucune manière prouvé une violation suffisamment grave pour constituer un congédiement déguisé, comme l’exige la jurisprudence dans Potter.

[126]  La thèse des demandeurs donne lieu à un problème fondamental. La relation alléguée d’employeur-employé, qui procéderait semble-t-il de la common law, nécessite évidemment la présence d’un employeur. Aux fins de cette affaire, il ne peut s’agir que de CORCAN/SCC. Comme il a été dit plus tôt, ne devient pas employé d’un ministère (ce que le SCC est, et CORCAN est un programme intégré) qui veut. La Loi sur l’emploi dans la fonction publique édicte les conditions requises pour établir cette relation d’emploi entre l’employeur et l’employé. Le lien d’emploi n’existe que dans le cadre de lois adoptées par le Parlement. La décision dans Canada (Procureur général) c Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 RCS 614 me semble établir cette proposition. Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer le statut d’emploi d’enseignants au pénitencier de Cowansville. Le Solliciteur général avait privatisé cette fonction de formation en faisant appel à des agences du secteur privé. Comme la Cour le dit elle-même, la seule question était « de savoir s’ils étaient des employés du gouvernement ou des employés d’Econosult », l’agence privée (p. 624).

[127]  La Cour suprême a examiné les mêmes trois lois : la Loi sur les relations du travail, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Loi sur la gestion des finances publiques. Elle a conclu que « (d)ans le régime des relations de travail que j’ai exposé plus haut, il n’y a tout bonnement pas de place pour une espèce de fonctionnaire de fait qui ne serait ni chair ni poisson » (p. 633). Voilà ce que soutiennent les demandeurs en l’espèce. Le législateur a déterminé qui peut être un employé dans un ministère et l’acquisition de ce statut. Les postes sont créés par le Conseil du Trésor et leur dotation est conférée exclusivement à la Commission de la fonction publique (qui pourra déléguer son pouvoir). Il n’y a rien de tel en l’occurrence.

[128]  Mais il y a une difficulté encore plus fondamentale. Cette relation, quelle qu’elle soit, doit céder le pas aux textes de loi qui régissent spécifiquement la relation du détenu donnant ouverture à une forme de paiements. À moins que l’article 78 ne soit inconstitutionnel, c’est lui qui gouverne la situation des détenus. La relation de common law, si elle existait – ce qui est loin d’avoir été prouvé – devrait céder le pas.

[129]  Voilà qui suffit pour disposer de l’allégation des demandeurs quant à la relation employeur-employé. J’ajoute un commentaire sur le sujet.

[130]  La prémisse fondamentale des demandeurs dans la présente affaire est qu’ils sont rémunérés pour leur travail; il en découlerait cette relation employeur-employé. Elle ne tient pas la route. Cette prémisse fait abstraction du texte, pourtant clair, de l’article 78. Son texte est sans ambiguïté. Il ne suffit pas de déclarer qu’il y a ambiguïté. Il faut plutôt la démontrer. Il me semble que ce que les demandeurs recherchent fondamentalement, c’est non pas de voir dans le texte de l’article 78 une ambiguïté, mais d’y voir une contradiction inhérente avec les principes de fonctionnement qui guident le SCC (article 4 de la Loi) et le but du système correctionnel (article 3 de la Loi). On n’a pas démontré ce qu’il y avait d’antinomique entre l’article 3 et l’article 78. En fait, le texte de l’article 78 est sans équivoque et, à moins d’être inconstitutionnel, il doit se conjuguer avec l’article 3, et non pas s’y opposer. C’est le travail qui est considéré comme bienfaiteur dans le cadre de la Loi et qui peut contribuer à la réhabilitation. C’est la participation à des programmes dispensés afin de contribuer à la réinsertion sociale, comme il est requis à l’article 76 de la Loi, qu’on cherche à encourager. Ils peuvent faire partie du plan correctionnel dont le but est de favoriser la réhabilitation. Mais le législateur a choisi d’encourager la participation à tous les programmes par la rétribution à des taux acceptés par le Conseil du Trésor. Je ne puis voir comment la rétribution destinée à encourager les détenus à participer à des programmes, dont certains ne sont aucunement associés au travail en institution ou dans le cadre de CORCAN, a pu se transformer en rémunération pour le travail fait comme le prétendent les demandeurs. En milieu pénitentiaire, le travail peut prendre des allures de privilège (R c Shubley, [1990] 1 RCS 3, à la page 21).

[131]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 RCS 983, s’est déclarée en accord avec la Cour d’appel fédérale dans Wiebe Door Service Ltd. c M.R.N., [1986] 3 CF 553, que dans la recherche de la différence entre un employé et un entrepreneur indépendant, « il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » (para 46).

[132]  La preuve est à l’effet que les paiements faits aux détenus sont décrétés par le Conseil du Trésor qui est mandaté par la Loi; ils sont déterminés en fonction de critères autres que le quid pro quo du contrat de travail. Le témoignage de Michael Bettman, Directeur général, Programmes et réinsertion sociale des délinquants, est aussi sans équivoque : les paiements sont faits sur la base de la participation au programme, quel qu’il soit. Il explique que [Traduction] « les critères de détermination du niveau de paiement ne sont pas les mêmes qu’au sein de la “communauté” et comprennent la participation du détenu à son plan correctionnel, son comportement global au sein de l’institution, l’affiliation à un groupe constituant une menace pour la sécurité, etc. » (dossier du défendeur, p. 1128; aussi p. 857, para 39).

[133]  Je ne nie en aucune façon que des décisions de politique publique (« policy ») peuvent varier pour favoriser, selon le cas, des paiements bonifiés ou plutôt les réduire. Certains souhaitent des sommes supérieures à celles décrétées par le Conseil du Trésor. D’autres sont plutôt d’avis que les paiements doivent être restreints puisque les détenus voient leurs besoins essentiels pourvus par le système correctionnel. Comme je le disais plus tôt, ce n’est pas un débat dans lequel cette Cour pourrait validement exposer une préférence ou une autre. Il s’agit d’un débat relatif à une politique publique au sujet duquel son rôle est limité. Il y a déjà 30 ans de cela, la Cour suprême exposait le rôle que les cours doivent jouer :

Ni avant ni après l’adoption de la Charte, les tribunaux n’ont été habiletés à se prononcer sur l’à-propos des politiques sous-jacentes à l’adoption des lois. Dans l’un et l’autre cas toutefois, les tribunaux ont le pouvoir et même le devoir d’apprécier le contenu de la loi en fonction des garanties accordées par la Constitution. Les paroles du juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt Amax Potash Ltd. c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576, à la p. 590, continuent de s’appliquer :

Les tribunaux ne mettront pas en doute la sagesse des textes législatifs... mais une des hautes fonctions de cette Cour est de s’assurer que les législatures n’outrepassent pas les limites de leur mandat constitutionnel et n’exercent pas illégalement certains pouvoirs.

(Renvoi sur la Motor Vehicle Act, p. 496-497)

[134]  Les demandeurs soutiennent d’emblée qu’une partie doit être payée pour rendre le service (mémoire des faits et du droit, para 19). Cependant, la difficulté qui n’a pas été surmontée aura été que les paiements ne sont pas pour le travail fait : l’article 78 de la Loi y fait obstacle. L’objet fondamental des programmes d’emploi/employabilité  n’est pas tant de produire des objets que d’aider à la réhabilitation et à la formation des participants. L’autre difficulté non moins significative est que le Code canadien du travail ne peut trouver application en l’espèce. Le régime entré en vigueur il y a 36 ans (1981), que d’aucuns soutiennent en termes de politique publique, ne peut être utilement invoqué par les demandeurs.

[135]  Même si l’on pouvait considérer une forme de relation employeur-employé, aucune explication n’a été donnée par les demandeurs relativement à une diminution, comme celle en l’espèce, de contributions pour encourager la participation à des programmes pouvant résulter en un congédiement déguisé. Quel congédiement? Il faut rappeler que l’article 78 de la Loi prévoit nommément la réduction possible des contributions comme ce qui a été fait en l’espèce au titre de l’hébergement, la nourriture et le service téléphonique pour les détenus.

[136]  Enfin, je répète que le paragraphe 104.1(7) du Règlement permet la souplesse dans des cas qui posent des difficultés. Il est utile d’en reproduire le texte à nouveau :

(7) Lorsque le directeur du pénitencier détermine, selon les renseignements fournis par le délinquant, que des retenues ou des versements prévus dans le présent article réduiront excessivement la capacité du délinquant d’atteindre les objectifs de son plan correctionnel, de répondre à des besoins essentiels ou de faire face à des responsabilités familiales ou parentales, il réduit les retenues ou les remboursements ou y renonce pour permettre au délinquant d’atteindre ces objectifs, de répondre à ces besoins ou de faire face à ces responsabilités.

(7) Where the institutional head determines, on the basis of information that is supplied by an offender, that a deduction or payment of an amount that is referred to in this section will unduly interfere with the ability of the offender to meet the objectives of the offender’s correctional plan or to meet basic needs or family or parental responsibilities, the institutional head shall reduce or waive the deduction or payment to allow the offender to meet those objectives, needs or responsibilities.

Les demandeurs auraient sans doute préféré un texte plus généreux ou une application plus facile pour favoriser une meilleure souplesse. Il n’a été présenté aucun argument que cette disposition en soi est invalide.  Au mieux, on argue sans précision que le texte est restrictif et qu’il génère des limites déraisonnables à des décisions favorables. Pourtant, dans un cas donné, la décision prise par les autorités pénitentiaires en vertu de ce paragraphe pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La décision déraisonnable ou qui viole les règles de l’équité procédurale est toujours attaquable.

[137]  La Cour conclut donc que la participation à des programmes ne donne pas lieu à une relation employeur-employé dans l’état actuel du droit.

V.  Conclusion

[138]  Sans avoir même établi que les détenus ont un droit constitutionnel à une rétribution, les demandeurs font griefs aux autorités des montants qui leur sont payés. Le montant de base est déterminé par le Conseil du Trésor lui-même, et ce montant est lui-même réduit aux termes du pouvoir conférée par le législateur fédéral en vertu de l’article 78 de la Loi. Ni la décision du Conseil du Trésor, ni l’article 78 de la Loi ne sont contestés sur le plan constitutionnel. Les textes règlementaires adoptés en stricte conformité avec cet article 78 ne sauraient être ultra vires d’un pouvoir spécifiquement conféré de ce faire.

[139]  Sur le plan constitutionnel, le moyen tiré de la violation de l’article 12 de la Charte ne peut être retenu puisque les paiements en cause ne répondent pas au critère du traitement cruel et inusité. De la même manière, s’en remettre à l’article 7 est tout aussi déficient puisqu’outre que l’atteinte à la liberté ou la sécurité de la personne puisse être douteuse, les demandeurs n’ont pas identifié, et encore moins démontré, en quoi les principes de justice fondamentale auraient été violés. C’était leur fardeau dont ils ne se sont pas déchargés. Les instruments internationaux invoqués en l’espèce ne sont d’aucun secours quant à la détermination des principes de justice fondamentale pertinents.

[140]  Finalement, l’argument fondé sur le droit du travail ne peut réussir. En l’espèce, les demandeurs prétendent que puisque des paiements sont faits, il y aurait une relation employeur-employé qui donnerait ouverture à l’application du Code canadien du travail. En fait, les demandeurs mettent la charrue avant les bœufs. Non seulement l’article 78 de la Loi est sans ambiguïté et dispose que les paiements faits sont conçus pour favoriser la participation aux programmes en institution et la réintégration sociale, et non comme une rémunération pour le travail, mais le Code ne s’applique pas aux ministères. Or, le travail en institution est du travail en ministère. Ainsi, en vertu de la Loi, les paiements ne peuvent être faits en rétribution du travail et les détenus ne peuvent pas davantage avoir la qualité d’employés en vertu des lois applicables.

[141]  Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le défendeur a droit à ses dépens. Les parties peuvent convenir d’un montant approprié. Si une entente ne peut être conclue, les parties pourraient présenter leurs observations par écrit en trois pages ou moins, au plus tard deux semaines après que le jugement aura été rendu.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée dans le dossier principal T-1892-14 ainsi que dans les cinq autres dossiers entendus avec le dossier principal;

  2. Copie du présent jugement et motifs est déposée dans chacun des six dossiers pour valoir dans chaque cas;

3.  Les dépens sont accordés en faveur du défendeur. Si les parties ne peuvent en venir à une entente sur le montant des dépens, elles sont invitées à présenter leurs observations à cet égard en trois pages ou moins, au plus tard deux semaines après que le jugement aura été rendu.

« Yvan Roy »

Juge


ANNEXE A

Demandeurs

Déposant

Effets indiqués

Contre-interrogatoire

1. Gaétan St-Germain

Établissement Drummond, Québec

– Son revenu disponible actuel est de 38 $ toutes les deux semaines. Il a reçu 69 $ plus des primes de rendement, mais son revenu disponible après les déductions n’est pas clair.

– A confirmé que le demandeur avait 4 252 $ dans son compte de fiducie des détenus en juin 2015.

[EN BLANC/BLANK]

– A perdu sa motivation à travailler au programme CORCAN à la suite de la réduction des primes. Il travaille maintenant au jardin autochtone.

Affidavit de Madame Duchemin : Il n’est pas nécessaire d’acheter du mobilier pour les cérémonies autochtones, bien que les visiteurs externes doivent débourser 5 $ pour manger lors de certaines cérémonies.

[EN BLANC/BLANK]

– Soutient financièrement sa femme et des deux fils. Sa femme a déménagé à Drummondville pour économiser sur les coûts de transport.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Achète du mobilier pour les cérémonies autochtones.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Achète des cartes d’appel, mais ne peut se permettre d’appeler ses filles tous les jours comme elles le voudraient. Un seul appel peut maintenant représenter une journée de travail.

[EN BLANC/BLANK]

2. Johanne Bariteau

Établissement Joliette, Québec

– Reçoit actuellement 42,57 $ toutes les deux semaines avant les déductions; recevait avant 61,20 $ avant les déductions.

– A confirmé que la demanderesse a dépensé 150 $ pour un téléviseur et 50 $ pour des assainisseurs d’air.

[EN BLANC/BLANK]

– Doit débourser 500 $ pour des vêtements qui ne sont pas fournis par le SCC, par exemple des bottes d’hiver, parce que le SCC n’en fournit qu’une seule paire. Elle a aussi perdu du poids récemment et ses vêtements ne lui font plus.

– A confirmé qu’elle a dépensé 630 $ pour des bonbons entre 2013 et 2015.

[EN BLANC/BLANK]

– A de la difficulté à se permettre des appels téléphoniques avec sa mère au Panama.

Affidavit de Mme Dufour : A indiqué qu’elle est actuellement inscrite à des cours au cégep; reçoit de l’argent de l’extérieur plusieurs fois par année; n’a perdu que 7 livres et le personnel de la santé ne pense pas qu’un changement de vêtements était justifié; le protecteur buccal était recommandé seulement, il n’était pas jugé essentiel; la douleur à la hanche a été traitée avec des médicaments prescrits et de la physiothérapie; elle achète aussi des produits d’hygiène à la cantine qui sont fournis gratuitement par le SCC.

[EN BLANC/BLANK]

– Ne peut se permettre de payer 700 $ pour un « protecteur buccal ».

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– A de la difficulté à s’acheter des produits d’hygiène et des médicaments pour sa douleur à la hanche.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– A de la difficulté à épargner pour sa libération.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Les réductions de salaire ont diminué sa motivation à travailler.

[EN BLANC/BLANK]

3. Jarrod Shook

Établissement de Collins Bay, Ontario

– A participé aux consultations sur les modifications salariales disant qu’elles auraient des incidences négatives sur son transfert dans un établissement d’un niveau de sécurité moins élevé et sa réinsertion.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– A continué de travailler malgré les changements, disant que certains avaient continué de travailler de peur de voir une incidence négative sur les transferts futurs dans des établissements d’un niveau de sécurité moins élevé ou les libérations.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Ne peut se permettre autant d’appels qu’il le voudrait parce qu’il paie pour des cours universitaires.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Il n’a pas de personne à sa charge, mais il côtoie d’autres détenus qui en ont et qui ne peuvent plus se permettre des visites familiales ou des appels.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Croit que les réductions salariales ont fait en sorte que les détenus se tournent vers des activités illicites, ce qu’il relie aux surdoses d’héroïne. Affirme qu’il ne peut « relier directement » ces événements, mais croit que la question monétaire représente un « facteur important ».

[EN BLANC/BLANK]

4. Michael Flannigan, Établissement de Collins Bay, Ontario

– A travaillé comme ouvrier pour le programme CORCAN, et gagnait le salaire de niveau A de 6,90 $/jour plus 2,20/heure en prime avant les déductions.

– A confirmé que le demandeur avait payé 3 000 $ pour des amendes imposées par les tribunaux de 2011 à 2013.

[EN BLANC/BLANK]

– Avant les changements, il a envoyé de l’argent à sa mère qui aide à prendre soin de ses enfants et a payé ses amendes imposées par les tribunaux. Il ne peut plus se permettre ces paiements.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– A présenté une demande relative à la renonciation du paragraphe 104.1(7), demande qui a été refusée trois fois.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Est anxieux quant à sa libération future en raison de ses dettes continues.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Indique qu’il a été « discrètement averti » par un gestionnaire que de quitter le travail en raison des réductions salariales nuirait à son plan correctionnel et que des frais pourraient lui être imputés. Affirme qu’il a été « contraint » à continuer de travailler.

[EN BLANC/BLANK]

5. John Alkerton, Établissement de Collins Bay, Ontario

– Les modifications salariales ont nui à sa capacité d’épargner pour sa libération.

– A confirmé que le demandeur avait épargné 80 $ pour une libération éventuelle entre juillet 2012 et juillet 2015.

[EN BLANC/BLANK]

– Se sent non respecté et indigne dans son travail pour le programme CORCAN en raison des modifications salariales, mais il hésite à quitter son travail parce que cela pourrait avoir une incidence sur ses perspectives d’avenir pour un transfert dans [EN BLANC/BLANK]un établissement à niveau de sécurité moins élevé ou sa libération conditionnelle.

– A confirmé que le demandeur avait pris le poste avec le programme CORCAN à la suite de l’élimination des primes de rendement.

[EN BLANC/BLANK]

– A fait une demande de renonciation en vertu du paragraphe 104.1(7).

– A confirmé que le demandeur avait payé pour des vêtements et des souliers non fournis par le SCC, ainsi que des lunettes de lecture qui n’étaient pas fournies.

6. James Druce, Établissement de Collins Bay, Ontario

– Les modifications salariales ont eu une incidence sur sa capacité à maintenir des liens avec la communauté, à épargner pour sa libération et à satisfaire ses besoins de base.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Croit que les modifications salariales représentent une peine supplémentaire à sa sentence.

[EN BLANC/BLANK]

7. Jean Guérin, Établissement Drummond, Québec

– A reçu 69 $ toutes les deux semaines, plus des primes de rendement avant les déductions avant les modifications salariales.

– A confirmé que le demandeur a acheté régulièrement des cannettes de soda à la cantine entre septembre 2014 et mai 2015. En février 2015, il a acheté 125 cannettes, expliquant qu’il s’agit d’une sorte de monnaie en prison qui pouvait être échangée pour des oignons et des poivrons.

[EN BLANC/BLANK]

– Il doit payer pour des appels à sa famille, notamment ses enfants, ainsi que pour des produits d’hygiène et des vêtements. Il donne aussi 200 $ par visite familiale privée.

Affidavit de Madame Duchemin : il paie pour des produits d’hygiène et des vêtements qu’il pourrait obtenir gratuitement.

[EN BLANC/BLANK]

– Le travailleur social de sa fille a recommandé à cette dernière d’établir des liens plus étroits avec lui pour l’aider à traiter sa dépression.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– La perte des primes de rendement a diminué sa motivation à travailler.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Sa demande de renonciation en vertu du paragraphe 104.1(7) a été refusée.

[EN BLANC/BLANK]

8. Jeffrey Ewert, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagne actuellement 58 $ toutes les deux semaines avant les déductions. Gagnait avant le salaire de niveau A, plus les primes de rendement du programme CORCAN.

– La seule question du répondant en contre-interrogatoire visait à savoir si le demandeur avait été placé en isolement préventif et si sa paie avait été réduite pour cette raison. Il a confirmé que c’était le cas, mais qu’il avait depuis monté les échelons jusqu’au niveau de paie supérieur.

[EN BLANC/BLANK]

– Doit établir un budget avec soin pour payer les frais postaux, les appels téléphoniques, les vêtements et les médicaments vendus sur ordonnance.

Affidavit de Madame Prévost : A clarifié les paiements du détenu et indiqué que les utilisations pour la caisse de bienfaisance des détenus (p. ex. le câble) sont votées par les détenus.

[EN BLANC/BLANK]

– Il lui reste peu d’argent pour économiser pour sa libération.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Soutient que les détenus fédéraux paient un pourcentage plus élevé de leurs salaires minimums pour des logements, de la nourriture et des vêtements de qualité inférieure comparativement aux personnes non détenues.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Ne peut se permettre de payer des soins dentaires qui ne sont pas couverts par le SCC.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Sa demande de renonciation en vertu du paragraphe 104.1(7) a été refusée.

[EN BLANC/BLANK]

Non-demandeurs

Déposant

Effets indiqués

Contre-interrogatoire

1. Richard Piché, Établissement Drummond, Québec

– Gagnait antérieurement 135 $ toutes les deux semaines, et gagne maintenant 38 $ toutes les deux semaines (on ne sait pas si c’est avant ou après les déductions).

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Ne peut se permettre d’appeler sa famille aussi souvent.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Ne peut épargner de l’argent pour sa réinsertion et il doit de l’argent à l’État.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Appelle actuellement ses relations pour appuyer sa réinsertion tous les 4 ou 5 mois comparativement à tous les mois en raison des coûts.

[EN BLANC/BLANK]

2. Michel Cox, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 46,50 $ toutes les deux semaines avant les modifications salariales et 21 $ par la suite (on ne sait pas si c’est avant ou après les déductions).

– A confirmé que les besoins médicaux énoncés de 69 $ n’étaient pas prescrits.

[EN BLANC/BLANK]

– Ressent de la frustration par rapport aux modifications salariales et a de la difficulté à payer pour ses besoins de base.

– A confirmé que le demandeur avait dépensé de 100 $ à 170 $ par mois à la cantine entre avril et juin 2015. Le demandeur a indiqué que les mois suivants, il a dépensé environ 15 $ aux deux semaines.

[EN BLANC/BLANK]

– Paie environ

12 $/mois pour les visites familiales, 10 $/mois pour les appels téléphoniques, 15 $/mois pour la cantine et 200 $/année pour des vêtements.

Affidavit de Madame Prévost : Contrairement à sa déclaration, il reçoit 36,27 $ toutes les deux semaines dans son compte actuel et 4,03 $ dans son compte d’épargne.

[EN BLANC/BLANK]

– Affirme qu’il a de la difficulté à s’offrir la nourriture, les produits hygiéniques et les médicaments de base.

[EN BLANC/BLANK]

3. Claude Joly, Établissement Drummond, Québec

– A refusé de travailler en prison parce qu’il pense que le montant de la rémunération équivaut à de l’esclavage.

Affidavit de Madame Duchemin : N’a jamais subi de pressions pour travailler au programme CORCAN et aurait pu postuler à d’autres postes; a confirmé que les détenus qui ne participaient pas aux programmes devaient rester dans leur cellule avec les portes verrouillées durant les heures de travail et que cela n’est pas considéré comme un « isolement » en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

[EN BLANC/BLANK]

– Il sent que le SCC exerce des pressions sur lui pour qu’il travaille au programme CORCAN parce qu’ils manquent de personnel. Son gestionnaire l’a confiné à un « isolement cellulaire », ce qui signifie qu’il doit demeurer dans sa cellule avec la porte verrouillée durant les heures de travail des autres détenus.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

– Pour échapper à sa situation lors des heures de travail, il a finalement accepté un emploi.

[EN BLANC/BLANK]

4. Christopher Cunningham, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 300 $/mois avant les modifications salariales, et reçoit actuellement 90 $/mois pour son travail dans les cuisines (on ne sait pas si c’est avant ou après les déductions).

– Les parties ont convenu d’admettre plusieurs faits relatifs à M. Cunningham, notamment qu’il n’a pas de prescription médicale justifiant les dépenses médicales non essentielles, qu’il a été mis en liberté d’office en mai 2015 et qu’il a acheté de multiples articles à la cantine (gomme à la nicotine, chocolat, croustilles, etc.)

[EN BLANC/BLANK]

– Ne se sent pas motivé à travailler en raison des modifications salariales.

Affidavit de Madame Prévost : A indiqué que l’établissement n’avait pas de dossier sur une dette à l’État en cours de remboursement.

[EN BLANC/BLANK]

– Difficultés à équilibrer les coûts relatifs à la santé, à la famille, aux appels téléphoniques, aux vêtements et au remboursement de la dette à l’État.

[EN BLANC/BLANK]

5. Daniel Clermont, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 54 $ de revenu disponible toutes les deux semaines avant les modifications salariales, et à la suite des changements, il gagne 36,27 $ toutes les deux semaines.

– A confirmé que ses dépenses médicales n’étaient pas effectuées dans le cadre d’une prescription.

[EN BLANC/BLANK]

– Ne se sent pas motivé à travailler en raison des modifications salariales.

– A confirmé qu’entre janvier et juin 2015, il a acheté de la nourriture pour un montant d’environ 200 $ à la cantine.

[EN BLANC/BLANK]

– Achète des aliments supplémentaires pour compléter ses repas.

– A confirmé qu’il avait épargné 1 055 $.

[EN BLANC/BLANK]

[EN BLANC/BLANK]

Affidavit de Madame Prévost : A clarifié les paiements du détenu et indiqué que plusieurs articles qu’il avait reçus gratuitement ne sont pas réellement distribués gratuitement.

6. Bernard Armelin, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 62,10 $ toutes les deux semaines avant les modifications salariales, et à la suite des changements, il gagne 48,30 $ toutes les deux semaines (on ne sait pas si c’est avant ou après les déductions).

– A confirmé que ses dépenses médicales n’étaient pas effectuées dans le cadre d’une prescription.

[EN BLANC/BLANK]

– Indique que les modifications salariales signifiaient qu’il ne pouvait plus se permettre la cantine à Noël, des appels téléphoniques ou des visites familiales.

– A confirmé qu’il a acheté du savon et des rasoirs à la cantine parce que les options offertes par l’établissement ne répondaient pas à ses besoins.

[EN BLANC/BLANK]

– Se sent fauché et déprimé et « insécure » avec son enfant.

Affidavit de Madame Prévost : A clarifié les paiements du détenu et le fait qu’il n’a pas à payer pour des services spirituels.

7. Détenu no 3, établissement censuré

– Gagnait 54,10 $ toutes les deux semaines avant les modifications salariales, et après les changements, gagnait 36 $ toutes les deux semaines (on ne sait pas si c’est avant ou après les déductions).

– A confirmé que ses dépenses médicales n’étaient pas effectuées dans le cadre d’une prescription.

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– A perdu une certaine motivation à travailler en raison des modifications salariales.

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– Ne peut se permettre des cours postsecondaires.

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8. Richard Ryan, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 134 $ toutes les deux semaines avant les déductions et gagne maintenant 25 $ toutes les deux semaines avant les déductions. Il semble qu’il gagne moins en raison d’un trouble médical (aucun détail offert).

– A confirmé que ses dépenses médicales n’étaient pas effectuées dans le cadre d’une prescription.

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– Les modifications salariales ont réduit les primes de rendement au travail des détenus.

– A confirmé qu’il a dépensé entre 70 $ et 140 $ par mois à la cantine de janvier à juin 2015. Il a également acheté un téléviseur pour 240 $.

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– A confirmé qu’il a acheté du dentifrice à la cantine parce que le produit fourni par l’établissement est de mauvaise qualité.

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– A confirmé qu’il avait 4 264,37 $ dans son compte, ce qui inclut l’argent qu’il a emporté avec lui lors de son incarcération.

9. Kurt Lauder, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 134 $ toutes les deux semaines avant les déductions et gagne maintenant 36,27 $ toutes les deux semaines avant les déductions.

Les parties ont convenu d’admettre un fait relatif à M. Lauder, soit qu’il avait 1 118,35 $ dans son compte de fiducie des détenus.

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– Perte d’une certaine motivation au travail en raison des modifications salariales. A commencé à prendre des antidépresseurs.

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10. Patrick James Wallace, Établissement de La Macaza, Québec

– Gagnait 69 $ toutes les deux semaines avant les déductions et gagne maintenant 36,27 $ toutes les deux semaines avant les déductions.

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– Difficulté à se payer des appels téléphoniques, des visites familiales, des vêtements et des frais postaux.

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11. Détenu no 1, établissement censuré

– Gagnait 69 $ toutes les deux semaines avant les déductions et gagne maintenant 36,00 $ toutes les deux semaines avant les déductions.

Les parties ont convenu d’admettre les faits suivants relatifs au détenu no 1 :

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– Les modifications salariales ont nui à sa capacité d’envoyer des cadeaux à ses enfants et à fournir des aliments pour les visites familiales privées.

– ses dépenses médicales n’étaient pas effectuées dans le cadre d’une prescription.

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– De janvier à juillet 2015, il a dépensé 400 $ pour de la nourriture (p. ex. croustilles, sodas, etc.) à la cantine.

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– En janvier 2015, il a dépensé 2 000 $ pour sa famille.

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– En juillet 2015, il avait 10 668,01 $ dans son compte de fiducie des détenus.

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Affidavit de Madame Prévost : A clarifié les paiements du détenu et a confirmé que les détenus ne peuvent pas acheter de cadeaux et les envoyer à l’extérieur de la prison.

12. Détenu no 2, établissement censuré

– Gagnait 58 $ toutes les deux semaines avant les déductions et gagne maintenant 34 $ toutes les deux semaines avant les déductions

Les parties ont convenu d’admettre les faits suivants relatifs au détenu no 2 :

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– Perte d’une certaine motivation au travail en raison des modifications salariales.

– En juin 2015, il avait 1 943,12 $ dans son compte de fiducie des détenus.

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– Entre avril 2014 et juin 2015, il a acheté 2 000 $ de produits à la cantine.

13. Guy Simard, Établissement Drummond, Québec

– Gagnait 69 $ toutes les deux semaines avant les déductions et gagne maintenant 38 $ toutes les deux semaines avant les déductions.

– Entre janvier 2014 et mai 2015, il a acheté des paquets de rasoirs pour 7,41 $ (il affirmait au départ que les paquets lui avaient coûté 20 $).

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– Les modifications salariales ont eu une incidence sur sa capacité à payer pour des appels téléphoniques, des produits à la cantine et des souliers.

– Il a acheté d’autres produits d’hygiène à la cantine.

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– Ressent de la frustration depuis les modifications salariales.

Affidavit de Madame Duchemin : Le SCC fournit des produits d’hygiène tels que des rasoirs, ainsi que des souliers.

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– Difficulté à assumer des paiements pour subvenir aux besoins de son enfant.

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COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1892-14, T-756-14, T-2101-14, T-2137-14, T-2222-14, T-144-16

 

INTITULÉ :

JEAN GUÉRIN, JARROD SHOOK, JAMES DRUCE, JOHN ALKERTON, MICHAEL FLANNIGAN, CHRISTOPHER ROCHELEAU, JOHANNE BARITEAU, GAÉTAN ST-GERMAIN, JEFF EWERT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 février 2017, 7 février 2017, 8 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Rita Magloé Francis

Pour leS demandeurS,

Jean Guérin et Gaétan St-Germain

Nadia Golmier

Pour la demanderesse,

Johanne bariteau

Todd Sloan

POUR LES DEMANDEURS, JARROD SHOOK, JAMES DRUCE, JOHN ALKERTON ET

MICHAEL FLANNIGAN

Marie-Claude Lacroix

Pour le Demandeur, jeff ewert

Érika Perron-McClean

Pour le Demandeur,

Christopher Rocheleau

Dominique Guimond

Gregory Tzemenakis

Peter Nostbakken

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Surprenant Magloé Golmier Avocats

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS,

Jean Guérin et Gaétan St-Germain

Nadia Golmier, Avocate

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse,

Johanne bariteau

Todd Sloan

Avocat

Kanata (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS, JARROD SHOOK, JAMES DRUCE, JOHN ALKERTON ET MICHAEL FLANNIGAN

Simao Lacroix

Montréal (Québec)

Pour le Demandeur, jeff ewert

Érika Perron-McLean

Avocate

Longueuil (Québec)

Pour le Demandeur,

Christopher Rocheleau

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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