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Date : 20180130


Dossier : IMM-3326-17

Référence : 2018 CF 98

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

KHETAM MAHMOUD ALI ALHAJ

ZAINA A S ALHADDAD

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demanderesses, Mme Khetam Mahmoud Ali Alhaj (la demanderesse principale) et sa fille Zaina A S Alhaddad, qu’elle représente (la demanderesse mineure), demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[2]  La SPR a déterminé que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Elle a conclu que la crainte de la demanderesse principale d’être privée de sa nationalité jordanienne n’était qu’hypothétique et ne constituait pas un risque sérieux de persécution. De même, elle a conclu que la demanderesse mineure n’a pas fait l’objet de persécution du fait de son appartenance ethnique palestinienne, et il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’elle était personnellement exposée à un risque de persécution en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[3]  La seule question en litige devant la Cour est de savoir si la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile des demanderesses est raisonnable (voir p. ex. Angel Gonzalez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1292, au paragraphe 10; Duran Mejia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 354, au paragraphe 29). Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR était raisonnable en ce qui concerne la demanderesse principale, mais déraisonnable en ce qui concerne la demanderesse mineure.

Contexte

[4]  La demanderesse principale est une citoyenne jordanienne d’origine palestinienne. La demanderesse âgée de cinq ans est une Palestinienne apatride. Avant d’arriver au Canada, les demanderesses résidaient en Arabie Saoudite. La demanderesse principale a déménagé en Arabie saoudite après que son mari palestinien y eut obtenu du travail. La demanderesse mineure est née en Arabie Saoudite, mais ne possède pas la citoyenneté saoudienne puisqu’une personne née dans ce pays d’un père étranger conserve sa nationalité.

[5]  En mars 2017, les requérants ont atterri en Jordanie pour une escale en direction des États-Unis. La demanderesse principale aurait apparemment reçu un appel téléphonique des Services de renseignements jordaniens pour se présenter à une entrevue. Lors de cet appel, la date et les raisons de l’entrevue ne furent aucunement précisées. Étant donné que ses deux sœurs avaient été prétendument privées de leur citoyenneté jordanienne, la demanderesse principale a craint que cela puisse lui arriver également. Pour cette raison, elle a décidé de ne pas assister à l’entrevue et de se rendre aux États-Unis. Le 6 avril 2017, elle a demandé l’asile au Canada.

[6]  Dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile, les demanderesses ont mentionné avoir éprouvé des craintes dans différents pays. Elles ont d’abord prétendu craindre le Hamas à Gaza qui les percevait comme des informateurs de l’Autorité palestinienne. Divers membres de leur famille auraient été menacés par le Hamas. En outre, elles ont également allégué qu’elles craignaient d’être harcelées en Arabie saoudite en raison de leur sexe et de leur origine ethnique palestinienne. Dernier point, mais non le moindre, la demanderesse principale craint d’être privée de sa citoyenneté jordanienne, étant donné qu’elle a reçu un appel des Services de renseignements jordaniens, et parce que ses sœurs en auraient été privées également.

[7]  Le 5 juillet 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile.

La décision contestée

[8]  La SPR devait d’abord déterminer les pays de référence des deux demanderesses. La Jordanie était le principal pays de référence de la demanderesse principale, étant donné qu’elle possédait la citoyenneté jordanienne. Le pays de référence de la demanderesse mineure était l’Arabie saoudite. Elle est une personne apatride, étant donné que le Canada ne reconnaît pas l’Autorité palestinienne – l’« État » qui a délivré son passeport. Dans un tel cas, le pays de résidence habituelle devient le pays de référence. Par conséquent, la SPR n’a évalué les récits des demanderesses qu’à l’égard du pays de référence donné. Le choix du pays de résidence par la SPR n’est pas une question en l’espèce.

[9]  La SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution dans le pays dont elle a la nationalité, soit la Jordanie. La SPR a estimé que son récit n’était pas crédible en raison des différentes conclusions d’invraisemblance qu’elle en a tirées :

  • Les Services de renseignements jordaniens n’ont pas donné les raisons pour lesquelles l’appel a été fait, ni même de date pour se présenter à l’entrevue;

  • La SPR ne voit pas pourquoi il lui aurait appartenu de décider à quel moment elle devait se présenter aux Services de renseignements jordaniens;

  • Les autorités auraient pu facilement l’arrêter lorsqu’elle est entrée en Jordanie quelques jours plus tôt;

  • Son passeport a été renouvelé l’année précédente pour une période de cinq ans, et a toujours été renouvelé dans le passé; et

  • Elle a également été en mesure de quitter la Jordanie avec son passeport jordanien pour se rendre aux États-Unis, peu après avoir reçu l’appel et être recherchée par les Services de renseignements jordaniens. Les autorités auraient pu facilement l’arrêter à ce moment précis, si leur intention était vraiment de révoquer sa citoyenneté.

[10]  La SPR a néanmoins reconnu que la preuve documentaire indiquait que le gouvernement jordanien avait, à l’occasion, révoqué la citoyenneté de citoyens jordaniens d’origine palestinienne. Cependant, il s’agissait habituellement de Palestiniens qui revenaient du Koweït après la guerre du Golfe, et de personnes qui arrivaient de Gaza pour entrer en Jordanie – ce qui n’était pas le cas de la demanderesse. En outre, la demanderesse n’a présenté aucune preuve pour appuyer ses allégations que ses sœurs ont été privées de leur citoyenneté jordanienne. La SPR a conclu que la demanderesse principale n’avait pas démontré l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution en Jordanie, et elle n’a pas fourni suffisamment d’éléments pour qu’une décision favorable soit rendue en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[11]  La SPR a alors analysé les craintes qu’éprouve la demanderesse principale pour sa fille de cinq ans en Arabie saoudite. La SPR a d’abord essayé de comprendre la nature de ces craintes. Essentiellement, la demanderesse principale semble demander l’asile au nom de la demanderesse mineure pour les raisons suivantes : ses autres enfants ont été victimes d’intimidation et de harcèlement sexuel à l’école; les deux demanderesses ont failli être enlevées par un chauffeur de taxi; la demanderesse principale doit envoyer la demanderesse mineure à l’école privée et la faire traiter dans des hôpitaux privés puisque les Palestiniens ne sont pas autorisés à accéder aux services publics; et enfin, la demanderesse mineure ne va pas à la maternelle, car la demanderesse principale a peur qu’elle subisse du harcèlement sexuel. Lorsqu’on lui a demandé qui en particulier harcèlerait Zaina, la demanderesse principale a répondu [traduction] « n’importe qui ». La SPR a conclu que les explications de la demanderesse principale étaient vagues et générales. La demanderesse principale n’a pas réussi à démontrer de quelle façon ses autres enfants – la SPR renvoie à l’« intimidation » que leur font subir leurs camarades de classe – ont éprouvé des problèmes particulièrement en raison de leurs origines palestiniennes. La SPR a conclu que le fait d’être obligée d’envoyer ses enfants à l’école privée et de les faire traiter dans des hôpitaux privés n’équivalait pas à de la persécution au sens de l’article 96, et la demanderesse n’a pas non plus établi que ces services lui étaient refusés précisément en raison des origines palestiniennes de ses enfants. La SPR a conclu également que les craintes que Zaina soit victime de harcèlement sont hypothétiques : il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à l’existence d’un risque au sens de l’article 97.

Le rejet de la demande de la demanderesse principale n’est pas déraisonnable

[12]  Les demanderesses soutiennent que la SPR a rejeté la demande de la demanderesse principale en se fondant uniquement sur des conclusions déraisonnables d’invraisemblance. S’appuyant sur la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2001 CF 1re inst. 776 [Valtchev], la demanderesse principale soutient qu’un tribunal ne peut tirer des conclusions d’invraisemblance que dans les situations les plus évidentes, ce qui n’est pas le cas ici. L’analyse de la preuve documentaire au sujet de la révocation de la citoyenneté des Palestiniens est insuffisante. La SPR ne se fonde pas sur des preuves relatives au processus de révocation de la citoyenneté en Jordanie, mais ne fait que spéculer. Les faits présentés par la demanderesse ne débordent pas du cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre. De plus, la citoyenneté des sœurs de la demanderesse a été révoquée, et la preuve établit que les Jordaniens d’origine palestinienne ont été arbitrairement privés de leur citoyenneté jordanienne dans le passé. Enfin, la SPR ne soulève pas d’omissions ou de contradictions dans son récit. À ce titre, les conclusions d’invraisemblance sont insuffisantes pour confirmer les conclusions défavorables tirées par la SPR relativement à la crédibilité.

[13]  Le défendeur a répondu que la demanderesse principale ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution, ou qu’elle pourrait être personnellement l’objet d’une menace à sa vie ou d’un risque de traitements ou de peines cruels et inusités en Jordanie. Sa crainte de perdre sa citoyenneté est hypothétique et ne fait pas d’elle une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. Il était raisonnable pour la SPR de ne pas croire qu’un simple appel téléphonique sans que des raisons soient fournies signifiait qu’elle serait privée de sa citoyenneté. Le défendeur soutient, essentiellement, que les conclusions d’invraisemblance de la SPR étaient raisonnables : les autorités n’ont pas donné de raison pour l’appel, ni même de date pour se présenter à l’entrevue; les autorités ont eu plusieurs autres possibilités d’arrêter la demanderesse principale; et celle-ci n’a fourni aucune autre preuve corroborante que sa citoyenneté pouvait être en jeu. En outre, la preuve documentaire ne suffit pas à elle seule à établir le risque, puisqu’elle n’appartenait à aucune des catégories énumérées des autres Palestiniens qui ont perdu leur citoyenneté jordanienne. Le risque n’est qu’hypothétique, et de toute évidence insuffisant pour justifier la demande d’asile.

[14]  Je conviens avec le défendeur que la SPR a traité la question correctement et que sa décision était raisonnable. Contrairement à ce que soutient la demanderesse principale, la SPR n’a pas rejeté sa demande en se fondant exclusivement sur ses conclusions d’invraisemblance, et surtout, sur l’absence générale de preuve à l’appui. Bien sûr, la SPR a d’abord évalué la vraisemblance de son récit. Il convient de rappeler que la SPR peut très bien tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité (voir en particulier Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1re inst. 116, au paragraphe 9 [Lubana]). Bien entendu, ce doit être dans les cas les plus évidents (voir Valtchev, au paragraphe 7). Ce faisant, la SPR doit faire preuve de sensibilité face aux différences culturelles et fournir des motifs clairs et explicites, et ses inférences doivent être raisonnables (voir généralement Lubana, au paragraphe 9; Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 44).

[15]  En l’espèce, les conclusions d’invraisemblance de la SPR ont été formulées en termes clairs et explicites, et étaient raisonnables compte tenu de la preuve au dossier. Ces conclusions sont étayées par des motifs rationnels : la demanderesse principale a admis ne pas avoir reçu la raison particulière pour laquelle il y a eu l’appel; son interlocuteur ne lui a pas dit précisément quand se présenter à l’entrevue; les Services de renseignements jordaniens auraient eu différentes occasions de procéder à son arrestation lorsqu’elle est entrée en Jordanie et qu’elle n’avait quitté le pays que quelques jours avant et après l’appel, mais ils ne l’ont pas fait; son passeport venait tout juste d’être renouvelé; etc. Le fait que la demanderesse a admis qu’elle n’a pas obtenu la raison pour laquelle on l’a appelée a été un facteur déterminant. Ce mystérieux appel constitue le seul élément sur lequel se fonde la demanderesse pour craindre d’être persécutée ou de subir des mauvais traitements en Jordanie. Il était donc raisonnable pour la SPR d’évaluer d’abord la crédibilité de la demanderesse, mais également de souligner l’absence d’une preuve corroborante. En effet, la demanderesse principale fonde uniquement ses allégations sur le fait que ses sœurs avaient été elles-mêmes privées de leur nationalité jordanienne, mais n’a présenté aucune preuve à l’appui.

[16]  La SPR a également examiné son risque plus « généralisé » en tant que Palestinienne. Bien que certains Palestiniens aient été privés de leur citoyenneté jordanienne dans le passé, le plus souvent lors de leur retour du Koweït ou de leur entrée en Jordanie par la bande de Gaza, la demanderesse principale n’entre dans aucune de ces catégories. Elle ne pouvait donc pas craindre d’être persécutée simplement parce qu’elle est palestinienne. Bien qu’il existe une preuve documentaire qui révèle que d’autres situations ont entraîné la révocation de la citoyenneté, compte tenu de l’invraisemblance des principales allégations de la demanderesse, il était néanmoins raisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse de persécution en Jordanie en raison de son origine palestinienne.

Le rejet de la demande de la demanderesse mineure est déraisonnable

[17]  Les demanderesses soutiennent que l’évaluation de la SPR, de la demande présentée par la demanderesse mineure est déraisonnable puisque la SPR n’a pas tenu compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives sur la persécution en raison du sexe), et parce qu’elle n’a pas évalué la façon dont la demanderesse mineure pouvait craindre d’être persécutée en raison de son sexe. Une simple référence aux Directives sur la persécution en raison du sexe n’est pas suffisante : la SPR devait tenir compte des Directives de façon à leur donner un sens (voir Odia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663, au paragraphe 9 [Odia]). La SPR n’a jamais lié le risque de persécution au sexe de la demanderesse mineure, mais a seulement examiné le risque auquel elle est confrontée en tant que Palestinienne. De plus, les Directives énoncent qu’« une revendication fondée sur le sexe ne peut être refusée pour la simple raison que la revendicatrice vient d’un pays où les femmes font généralement l’objet d’oppression et de violence et que sa crainte de persécution n’est pas fondée sur des circonstances qui lui sont propres. » S’appuyant sur Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et Immigration), [1990] 3 C.F. 250, 73 DLR (4th) 551 (CAF) [Salibian, citée dans DLR], les demanderesses soutiennent que les demandeurs d’asile n’ont pas à démontrer qu’ils ont eux-mêmes été persécutés dans le passé ou qu’ils seraient eux-mêmes persécutés à l’avenir. Ils n’ont qu’à démontrer que la crainte qu’ils entretiennent résulte d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis à l’égard des membres d’un groupe auquel ils appartiennent. Il doit y avoir une possibilité raisonnable que la demanderesse soit persécutée si elle retournait dans son pays d’origine. À ce titre, la situation des femmes en Arabie saoudite était pertinente et la SPR aurait dû l’examiner plutôt que de se limiter à la situation familiale. Cela suffit à rendre la décision déraisonnable.

[18]  Le défendeur répond que la demanderesse principale n’a pas établi que la demanderesse mineure coure un risque sérieux de persécution en Arabie saoudite en raison de son origine palestinienne ou de son sexe. Les difficultés alléguées auxquelles font face les autres frères et sœurs ne sont pas suffisantes pour démontrer que la demanderesse est une réfugiée ou une personne à protéger. Le témoignage de la demanderesse principale est trop vague et général pour étayer le fait qu’elle peut courir un risque sérieux : sa crainte quant à la demanderesse mineure est hypothétique. En outre, le défendeur interprète le formulaire Fondement de la demande d’asile comme indiquant que la nationalité palestinienne, et non le sexe, a été le principal motif pour demander une protection. La nécessité d’examiner les Directives sur la persécution en raison du sexe ne change pas la nature de la demande : les femmes peuvent craindre d’être persécutées pour les mêmes motifs que les hommes, auquel cas le facteur de risque n’est pas leur sexe, mais plutôt leur identité particulière. En outre, la décision Odia ne s’applique pas à l’espèce, puisqu’elle portait sur la façon dont un membre de la SPR avait manqué de sensibilité aux questions de genre lors de son examen du témoignage d’un demandeur au cours de l’audience. Enfin, la décision Salibian est également inapplicable parce qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve que la demanderesse mineure risquait d’être persécutée en tant que femme palestinienne. La SPR a clairement fait référence aux Directives sur la persécution en raison du sexe et était bel et bien au courant des allégations de harcèlement sexuel, mais elle a estimé que la preuve n’était pas concluante. Cette conclusion ne comportait aucune erreur malgré le fait que les demanderesses contestent cette décision. En somme, les demanderesses n’ont pas démontré en quoi la décision SPR était déraisonnable.

[19]  Je suis d’accord avec les demanderesses que la décision contestée manque de transparence et d’intelligibilité. La décision de rejeter la demande de la demanderesse mineure était déraisonnable, car on ne saurait dire si la SPR a effectivement procédé à l’évaluation du lien entre le sexe et la crainte de persécution en Arabie saoudite, tel que le prescrivent les Directives sur la persécution en raison du sexe. Le seul fait de mentionner les Directives sur la persécution en raison du sexe et de répéter que les enfants ont été victimes de harcèlement sexuel en Arabie saoudite n’était pas suffisant pour surmonter une analyse clairement déficiente en l’espèce.

[20]  Bien que le sexe ne soit pas un motif prévu à l’article 96 de la LIPR pour établir que les demanderesses avaient raison de craindre d’être persécutées, les Directives sur la persécution en raison du sexe énoncent ceci :

[...] il est de plus en plus admis que la persécution fondée sur le sexe constitue une forme de persécution que les commissaires de la Section du statut qui entendent la revendication peuvent et doivent examiner. Lorsqu’une femme affirme craindre d’être persécutée en raison de son sexe, il faut donc avant tout déterminer le lien entre le sexe, la persécution redoutée et l’un ou plusieurs des motifs de la définition.

[21]  Je ne suis pas d’accord avec l’argument du défendeur que la demande de la demanderesse mineure en vertu de l’article 96 n’était fondée que sur son origine ethnique palestinienne, et non sur son sexe. Le formulaire Fondement de la demande d’asile commence avec la phrase : [traduction] « Ma fille et moi présentons une demande d’asile au Canada en raison de notre sexe en Arabie saoudite » [non souligné dans l’original]. Le récit décrit ensuite les divers incidents qui étaient liés à la fois au sexe de la demanderesse mineure et à son origine ethnique palestinienne. En effet, le récit raconte les incidents de violence dont ont été victimes les fils de la demanderesse principale, fort probablement en raison de leur appartenance ethnique palestinienne, et leur exclusion de divers services en raison de leur origine palestinienne. Pourtant, le récit fait aussi état des incidents de harcèlement sexuel dont a été victime sa fille, et l’enlèvement par un chauffeur de taxi qui a été évité et qui pourrait être également lié au sexe. Au lieu de procéder à une analyse complète, la SPR n’a cherché qu’à savoir si la demanderesse mineure était personnellement en danger (article 97), et si elle risquait d’être persécutée du fait de son appartenance ethnique palestinienne (article 96).

[22]  Au risque de me répéter, la SPR devait analyser le lien entre le sexe de la demanderesse mineure et la crainte de persécution en Arabie saoudite et sa nationalité palestinienne, une évaluation qui est clairement déficiente. En vertu de l’article 96, le demandeur doit démontrer qu’il y a de bonnes raisons de croire que, si elle devait retourner dans le pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle, elle serait persécutée. La partie demanderesse doit démontrer que la crainte qu’elle entretient résulte d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis, non pas à son égard, mais à l’égard des membres d’un groupe auquel elle appartient : en l’espèce, il s’agirait des filles palestiniennes en Arabie saoudite (voir Salibian, à la page 558). Pourtant, la SPR n’a analysé que la question de savoir si des actes répréhensibles seraient commis directement à son égard, et elle a tiré une conclusion défavorable. Elle aurait dû toutefois procéder à une analyse plus large de la situation générale du pays en Arabie saoudite, en particulier la situation des femmes et des filles palestiniennes, afin de se conformer aux exigences de la LIPR et des Directives (voir notamment Joseph c. Canada (Procureur général), 2006 CF 165, aux paragraphes 1 et 17 à 19; Zolotova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 193, aux paragraphes 2 à 3). Son défaut de faire une telle analyse rend la décision déraisonnable.

[23]  En effet, la décision de la SPR ne fait état d’aucun examen de la question du sexe à la lumière de l’identité particulière et du statut sexuel des femmes en Arabie saoudite et des autres femmes appartenant à la même catégorie que la demanderesse mineure. Bien que les hommes et les femmes d’origine palestinienne puissent être soumis aux mêmes formes d’agression, ils peuvent également faire face à des formes de persécution propres à leur sexe, ce qui peut inclure le harcèlement sexuel. Je ne peux souscrire à l’argument soulevé par l’avocat du défendeur que l’affaire ne devrait pas être renvoyée à un autre tribunal parce que les allégations sont trop générales. À cet égard, la demanderesse principale a expliqué à la SPR que sa fille Dalida a été harcelée sexuellement par deux de ses camarades de classe en 2017, et malgré le fait que cet horrible acte de harcèlement a été signalé à l’administration de l’école, rien n’a été fait pour la protéger. Dans la décision contestée, la SPR traite tout simplement la situation de sa fille comme étant des « problèmes » qui ne l’ont pas empêchée, ainsi que ses sœurs de « bien réussir à l’école ». Cela démontre un manque total de sensibilité. Par conséquent, si le récit des demanderesses est crédible, la question est de savoir si ce comportement lié au sexe adopté à l’encontre des jeunes filles équivaut à de la persécution, et si l’État peut leur offrir une protection adéquate.

Conclusion

[24]  Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La décision de la SPR est maintenue en ce qui concerne la demande de la demanderesse principale. La décision est annulée en ce qui a trait à la demande de la demanderesse mineure et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen. Aucune question de portée générale n’a été soulevée par les parties.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3326-17

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

  2. La décision rejetant la demande de la demanderesse principale est confirmée;

  3. La décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés a rejeté la demande de la demanderesse mineure est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen; et

  4. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3326-17

 

INTITULÉ :

KHETAM MAHMOUD ALI ALHAJ, ZAINA A S ALHADDAD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 janvier 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2018

 

COMPARUTIONS :

Jessica Lipes

 

Pour les demanderesses

Sylviane Roy

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jessica Lipes

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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