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Date : 20180201


Dossier : IMM-3648-17

Référence : 2018 CF 110

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er février 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

SARABJIT SINGH MOMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) rendue le 26 juillet 2017.

[2]  Le demandeur, Sarabjit Singh Momi (M. Momi) affirme que la CISR a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté son appel d’une décision de refuser une demande parrainée visant à admettre à titre de résidents permanents son père, Sukhdev Singh (M. Singh) et sa mère, Satinder Kaur Momi.

[3]  Lorsque M. Momi a présenté une demande de parrainage pour ses parents en 2005, il a été informé que son père était interdit de territoire, car il avait fait l’objet d’une mesure antérieure de renvoi exécutée. Cet obstacle pouvait être levé si M. Singh obtenait l’autorisation de revenir au Canada (ARC). Cependant, lorsque M. Signh a demandé une autorisation de revenir au Canada, elle lui a été refusée. Ce refus, à son tour, a conduit au refus de la demande de parrainage de M. Momi le 26 mai 2014. M. Momi a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) pour des motifs d’ordre humanitaire. En outre, M. Momi s’est plaint que le processus d’autorisation de revenir au Canada était injuste et que par conséquent, le refus d’autorisation de revenir au Canada devrait être annulé.

[4]  La SAI a admis qu’elle avait compétence pour déterminer si la décision de refus d’autorisation de revenir au Canada était valide, mais seulement dans la mesure où une autorisation de revenir au Canada était légalement nécessaire et le processus suivi était juste. La SAI n’a pas, toutefois, présumé qu’elle a compétence pour examiner la décision de refus d’autorisation de revenir au Canada sur le fond. La SAI a rejeté l’argument de M. Momi sur l’équité procédurale pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]

[22] La note 16 du Système mondial de gestion des cas (« SMGC ») indique qu’une « entrevue pour obtenir une autorisation de revenir au Canada doit être planifiée ». La note 8 révèle qu’une « lettre du 5 février 2014 de convocation à une entrevue prévue le 20 mars 2014, à 9 h 30, à New Delhi a été envoyée à l’expert-conseil du demandeur à l’adresse de courrier électronique ‘pjoshi.law@gmail.com’ ». Dans la lettre, l’entrevue est décrite comme « se rapportant à votre demande de résidence permanente au Canada ». Bien qu’il soit regrettable que la lettre ne mentionne pas précisément que l’entrevue porterait principalement sur la demande d’autorisation de revenir au Canada, je pense qu’il est probable, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur savait, ou que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il sache, que des questions concernant sa demande d’autorisation de revenir au Canada seraient posées pendant l’entrevue. Je ne dispose d’aucun élément de preuve montrant que le demandeur a soulevé ces préoccupations au moment de l’entrevue, comme l’on aurait pu s’y attendre s’il avait été pris au dépourvu. Je ne vois aucune raison de conclure que le bureau des visas a omis, par inadvertance ou sciemment, d’informer le demandeur que l’autorisation de revenir au Canada serait discutée lors de l’entrevue du 19 mars 2014.

[...]

[25] Je conclus que les notes se trouvant aux pages 2 et 3 de la pièce R1 démontrent que bien qu’il se peut que les facteurs relevés dans le Manuel OP-1 n’aient pas tous été traités, l’agent des visas a tenté, de façon raisonnable et équitable, de présenter l’information pertinente sur laquelle sa décision s’est fondée.

[26] Tout bien pesé, je juge que bien que les documents accompagnant le refus en l'espèce ne soient pas parfaits, ils n’ont pas besoin de l’être pour constater que le processus s’est déroulé de façon équitable. Évidemment, ce n’est pas la conclusion que le demandeur espérait, mais selon la prépondérance des probabilités, je juge que le refus est légalement valide.

[Notes de bas de page omises.]

[5]  La SAI s’est ensuite penchée sur le motif d’ordre humanitaire. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, elle a mentionné que l’expiration du permis de séjour de M. Singh n’était pas de nature criminelle, mais qu’elle présentait toutefois une volonté « de faire fi des lois du Canada, sous une apparence de ne pas y avoir véritablement réfléchi ». [1]   Cet historique d’inconduite a été évalué par rapport à l’avantage d’une réunification de la famille. La SAI a noté que les seuls enfants mineurs de la famille vivaient en Angleterre et qu’aucune condition familiale spéciale n’ayant pu être remplie par l’entremise d’un visa temporaire n’a été démontrée. La SAI a résumé son analyse des motifs d’ordre humanitaire de la manière suivante :

[TRADUCTION]

[34] Les éléments de preuve et les arguments présentés par le demandeur m’ont amené à conclure que le rejet du présent appel entraînerait plus probablement une occasion manquée ou une déception plutôt qu’une réelle difficulté pour le demandeur et sa famille. Les conséquences potentielles d’une famille n’étant pas en mesure de se réunir au Canada ne sont pas, en soi, la preuve du type de malheur cité dans l’affaire Chirwa.

[35] Je dois aussi examiner ma décision dans le contexte des objectifs globaux de la Loi, dont l’un promeut la réunification des membres de la famille au Canada. En l’espèce, toutefois, accueillir l’appel permettrait de réunir le demandeur et ses parents, mais cela les séparerait de la famille en Inde et au Royaume-Uni. J’estime que l’on ne peut pas affirmer de façon irréfutable qu’un motif grave pour accueillir cet appel serait la réunification de la famille au Canada. À mon avis, la famille ne serait pas réunie au Canada si l’appel était accueilli.

[36] Le demandeur et sa femme n’ont pas des enfants mineurs ou adultes et les enfants du demandeur sont adultes. Le seul aspect de cette affaire où l’intérêt supérieur d’un enfant pourrait être pertinent concerne les petits-enfants du demandeur. Ces enfants vivent toutefois en Angleterre et seraient plus proches de leurs grands-parents si ceux-ci vivaient en Inde plutôt qu’au Canada.

[37] Tout bien pesé, je conclus que bien que quelques facteurs positifs m’aient été présentés, il n’existe simplement pas assez de preuve pour accorder le recours que la SAI peut se permettre d’ordonner en vertu de l’article 67 de la Loi.

[6]  L’avocat de M. Momi prétend que la SAI a commis une erreur en concluant que son père n’était pas un membre de la catégorie du regroupement familial en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Cet argument est toutefois indéfendable, car la déclaration contestée dans les motifs de la SAI est clairement une erreur typographique. Il n’a jamais été contesté que M. Momi est le fils de M. Singh, fait qui est reconnu aux paragraphes 1 et 4 des motifs de la SAI. En outre, s’il n’existait pas de relation familiale, la SAI n’aurait aucune raison de trancher par la suite l’appel sur le fond : voir l’article 65 de la LIPR.

[7]  L’argument principal de M. Momi est que la SAI n’a pas déterminé si la décision de refuser une autorisation de revenir au Canada à son père était « justifiée » et qu’elle n’a pas « examiné l’importance du refus d’autorisation de revenir au Canada ». Une évaluation appropriée de ces questions en litige, selon lui, exigeait que la SAI examine les facteurs indiqués à l’article 6 du Manuel des procédures OP1. L’exposé des arguments de M. Momi décrit ses préoccupations de la manière suivante :

La Commission ne s’est pas engagée à effectuer sa propre analyse des faits et des preuves permettant de conclure si la demande d’autorisation de revenir au Canada (de M. Singh) doit être accordée. Comme cela a déjà été mentionné et confirmé par l’honorable Cour dans de nombreuses décisions, l’audience devant la Commission est de novo. La Commission aurait dû évaluer tous les facteurs décrits dans le Manuel OP 1. L’avocat du demandeur a précisément soutenu et demandé que la Commission examine ces facteurs. Cependant, la Commission a négligé d’examiner et d’apprécier ces facteurs.

Premièrement, l’agent des visas n’a pas examiné et apprécié les facteurs du Manuel OP 1 au moment de rendre sa décision sur la demande d’autorisation de revenir au Canada. Deuxièmement, lorsque la Commission a procédé à une audience de novo, le président de l’audience n’a pas examiné et apprécié les facteurs du Manuel OP 1.

Il est affirmé que cette interprétation large de la compétence de la SAI existe dans les décisions précédentes de la SAI : voir, par exemple, Vlad c. Canada, dossier de la SAI no TB2-07412 et l’examen jurisprudentiel détaillé énoncé dans l’affaire Pal c. Canada, dossier de la SAI no TA9-05542.

[8]  Je ne suis pas d’avis que la compétence de la SAI lors d’un appel d’un refus de parrainage familial s’étend à ce point. Il me semble assez évident qu’il est impossible d’interjeter appel auprès de la SAI relativement à une décision de refuser une autorisation de revenir au Canada : voir le paragraphe 63(1) de la LIPR. La seule raison de contester une telle décision est d’invoquer un contrôle judiciaire auprès de la Cour. La SAI, toutefois, a compétence pour entendre l’appel d’un demandeur comme M. Momi dont la demande de parrainage d’un membre de la famille a été refusée. La personne parrainée (en l'espèce, M. Singh) n’a toutefois pas le droit d’interjeter appel. Sous réserve que les conditions préalables relatives à un parrainage familial soient remplies, l’article 65 de la LIPR autorise alors la SAI à accorder un recours pour motif d’ordre humanitaire même lorsqu’une autorisation de revenir au Canada a été refusée.

[9]  Ce que M. Momi cherche essentiellement à obtenir est qu’il soit reconnu que la SAI peut, lors de l’appel d’une décision relative au parrainage, examiner le bien-fondé d’une décision sous-jacente précédente refusant une autorisation de revenir au Canada à une personne autre que le demandeur ou le répondant. Bien sûr, cela confèrerait efficacement à la SAI le droit d’examiner de nouveau le bien-fondé d’une décision de refuser une autorisation de revenir au Canada à une personne autre que le demandeur. Cette compétence est absente de la LIPR.

[10]  À mon avis, la SAI a eu raison de refuser de reconnaître une compétence aussi large que celle que M. Momi a fait valoir. La SAI a reconnu qu’elle avait le droit d’examiner si la décision de refus de l’autorisation de revenir au Canada était équitable. En revanche, elle ne pouvait pas évaluer la décision sur le fond. [2]   La SAI a ensuite déterminé si suffisamment de critères d’ordre humanitaire avaient été présentés pour surmonter l’absence d’une autorisation de revenir au Canada. Cela constitue la bonne approche et confirme la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Solicitor General) c. Kainth, [1994] ACF no 906, 26 Imm LR (2d) 226 (CAF).

[11]  Il est vrai qu’un grand nombre de critères pertinents à prendre en compte lors d’une décision de refus d’une autorisation de revenir au Canada chevaucheront l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire de la SAI. Par exemple, l’article 6.2 du Manuel OP 1 indique que la gravité de l’inconduite d’une personne en matière d’immigration doit être évaluée par rapport, entre autres, aux critères familiaux, médicaux, professionnels et à d’autres critères appuyant son entrée sur le territoire. Cependant, cela ne signifie pas que la SAI peut examiner le bien-fondé d’une décision de refus d’autorisation de revenir au Canada. Au lieu de cela, la SAI doit examiner l’historique de ce qui s’est passé, y compris la gravité de toute inconduite en matière d’immigration, et elle doit en tenir compte à la date de sa propre évaluation. Dans certains cas, le temps écoulé depuis la date de refus d’une autorisation de revenir au Canada pourrait à lui seul justifier un recours pour motif d’ordre humanitaire, mais quoi qu’il en soit, le dossier de la preuve sera presque toujours différent, comme entre les deux processus. Compte tenu du grand pouvoir discrétionnaire d’ordre humanitaire exercé par la SAI, les motifs d’un refus d’autorisation de revenir au Canada précédent deviennent donc sans objet.

[12]  La question qui demeure est de savoir si la SAI en l'espèce a suffisamment évalué les critères d’ordre humanitaire et rendu une décision qui est intelligible, transparente et justifiable. À mon avis, c’était le cas.

[13]  L’évaluation par la SAI des critères d’ordre humanitaire était brève, mais en même temps, les éléments de preuve pertinents qui appuyaient ce recours n’étaient pas convaincants. Outre le souhait de réunir la famille, peu d’autres éléments ont été présentés pour pallier l’inconduite en matière d’immigration de M. Singh. Il n’y avait pas d’enfants mineurs vivant au Canada et rien n’indiquait que des adultes avaient besoin d’une attention ou de besoins spéciaux.

[14]  Même si la SAI aurait certainement pu arriver à une issue différente, je ne puis relever aucune erreur dans le traitement des éléments de preuve. Ce n'est, bien entendu, pas le rôle de la Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire d’apprécier de nouveau la preuve ou de substituer une conclusion à celle tirée par le décideur désigné.

[15]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[16]  Aucune question à certifier n’a été proposée, bien que l’invitation ait été faite à l’audience. Par la suite, l’avocat de M. Momi a écrit à la Cour et proposé les questions suivantes pour certification :

(a)  La SAI devrait-elle uniquement tenir compte des critères d’ordre humanitaire lors d’un appel interjeté contre la demande de refus d’une autorisation de revenir au Canada sans examiner et apprécier les critères pertinents qui s’appliquent pour une demande d’autorisation de revenir au Canada à une nouvelle audience, puis trancher?

(b)  [La] SAI peut-elle réexaminer [la] décision précédente d’un autre membre qui a été prise concernant la question de la compétence, lors du même appel, dans le but de confirmer ou d’infirmer cette décision?

[17]  L’avocat du ministre a ensuite écrit à la Cour pour s’opposer à la demande, car elle était tardive et les questions proposées ne seraient pas déterminantes.

[18]  Même si l’approche adoptée par l’avocat de M. Momi est peu orthodoxe et qu’elle ne doit pas être encouragée, je suis prêt à certifier une question reformulée. À mon avis, une question de compétence découlant de ma décision n’est pas bien réglée dans la jurisprudence et pourrait être déterminante en l’espèce. Je ne certifierai donc pas la question suivante :

  • (a) La SAI a-t-elle la compétence lors d’un appel interjeté à l’encontre d’un refus de parrainage familial en application du paragraphe 63(1) de la LIPR d’examiner et d’annuler un refus précédent d’autorisation de revenir au Canada au membre de la famille parrainé?

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3648-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

LA COUR CONCLUT ÉGALEMENT que la question suivante doit être certifiée :

  • (a) La SAI a-t-elle la compétence lors d’un appel interjeté à l’encontre d’un refus de parrainage familial en application du paragraphe 63(1) de la LIPR d’examiner et d’annuler un refus précédent d’autorisation de revenir au Canada au membre de la famille parrainé?

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3648-17

INTITULÉ :

SARABJIT SINGH MOMI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JANVIER 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER FÉVRIER 2018

COMPARUTIONS :

Pawanjit S. Joshi

Pour le demandeur

Cheryl D. Mitchell

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joshi Law Group

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général au Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 



[1]   En l’absence d’élément de preuve documentaire, la SAI a réduit l’importance accordée au témoignage de M. Singh selon lequel il avait quitté le Canada rapidement et secrètement après en avoir reçu l’ordre.

[2]   J’ai des réserves quant à savoir si la SAI détient même ce pouvoir limité, mais la question en litige n’a aucune conséquence juridique en l'espèce.

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