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Date : 20180119


Dossier : T-95-17

Référence : 2018 CF 55

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2018

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ELMIRE AUGUSTIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le présent s’agit d’une demande de contrôle judiciaire conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF ], de la décision du denier palier rendu le 23 décembre 2016, en réponse à un grief, rejetant certaines allégations de harcèlement.

[2]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande pour contrôle judiciaire est rejetée. Le processus administratif, soit l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral [« Commission »], doit être épuisé avant que la Cour puisse exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire.

II.  Contexte factuel

[3]  La demanderesse était une agente de comptabilité entre 2012 et 2016 au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, par l’entremise d’Affaires autochtones et du Nord Canada [AADNC]. Au moment des évènements décrits dans le grief, son superviseur était Mme Lorraine Morin, et son gestionnaire était M. Benoit Labelle.

[4]  La demanderesse allègue avoir été la cible d’actes et de propos assimilables au harcèlement par ses gestionnaires, Mme Morin et M. Labelle, lors des réunions le 10 juillet 2015, le 14 juillet 2015 et le 11 décembre 2015. La réunion du 10 juillet 2015 était avec les deux gestionnaires pour l’évaluation des objectifs de travail dirigé. Celles du 14 juillet 2015 et 11 décembre étaient rencontres entre Mme Morin et la demanderesse, la dernière pour une évaluation de rendement de mi-exercice.

[5]  Le 21 décembre 2015, la demanderesse a déposé une lettre adressée à ses gestionnaires relatant sa version des évènements survenus en milieu de travail.

[6]  Le 24 décembre 2015, une rencontre a lieu entre Mme Morin, M. Labelle et la demanderesse, dans le but d’offrir une résolution informelle de conflits entre les parties. Les gestionnaires ont expliqué à la demanderesse qu’il s’agissait d’un problème de perception et d’un conflit interpersonnel.

[7]  Le 15 janvier 2016, la demanderesse a ainsi déposé une plainte officielle de harcèlement auprès de l’AADNC. Cette plainte ne fait pas partie de la demande de contrôle judiciaire.

[8]  Le 18 janvier 2016, la demanderesse a soumis un grief en vertu du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédérale, LC 2003, c 22 [LRTSPF ], alléguant une violation de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor [Politique], soit qu’elle était harcelée par ses gestionnaires.

[9]  Peu de temps après, la demanderesse, sur recommandation de son médecin de famille, a dû partir en congé d’invalidité du 20 janvier au 29 avri1 2016.

[10]  Les allégations de harcèlement et le grief soumis par la demanderesse ont été évalués aux trois paliers de grief. Au premier palier, le grief a été rejeté, car les allégations ne relevaient pas de la définition du harcèlement et l’employée ne faisait pas preuve de discrimination. Cela étant dit, le décideur a reconnu que « l’utilisation d’expressions familières non appropriées en milieu de travail va à l’encontre du code de valeurs et d’éthiques » et certaines mesures ont été prises pour adresser cette situation, incluant la formation pour les gestionnaires et superviseurs de la Direction en question.

[11]  Le 18 juillet 2016, le deuxième palier a partiellement accueilli le grief puisque les expressions utilisées « allaient à l’encontre du Code de valeurs et d’éthique d’AADNC ». Toutefois, la décision soutenait qu’il n’avait pas eu lieu de harcèlement.

III.  Décision contestée

[12]  Le 23 décembre 2016, le dernier palier, M. Paul Thoppil, a rejeté le grief, car les incidents allégués ne relevaient pas de la définition du harcèlement selon la Politique ni selon la Convention entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des agents financiers [la Convention Collective]. Le décideur a conclu que l’employée ne faisait pas preuve de discrimination. Dans la même décision, le décideur a pris des mesures pour adresser la situation, telle que la formation pour les gestionnaires, l’assignation de la demanderesse à une autre équipe de travail et a un autre superviseur conformément à son évaluation médicale datée du 18 avril 2016.

[13]  Le 20 janvier 2017, la demanderesse a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du dernier palier. La demanderesse soutient par la présente que le défendeur n’a pas raisonnablement considérée les faits et le droit applicable pour arriver à sa décision.

[14]  Le 2 février 2017, la demanderesse a renvoyé la décision du dernier palier concernant le grief à l’arbitrage devant la Commission.

IV.  Questions en litige

[15]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que la demande de contrôle judiciaire est prématurée ?

  2. Est-ce que les raisons de la décision contreviennent aux principes d’équité procédurale ? Si non, est-ce que la décision est raisonnable ?

V.  Dispositions législatives pertinentes

[16]  Les articles suivants de la LRTSPF sont pertinents :

Droit du fonctionnaire

Right of employee

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

Réserve

Limitation

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(2) An employee may not present an individual grievance in respect of which an administrative procedure for redress is provided under any Act of Parliament, other than the Canadian Human Rights Act.

Réserve

Limitation

(3) Par dérogation au paragraphe (2), le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel relativement au droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

(3) Despite subsection (2), an employee may not present an individual grievance in respect of the right to equal pay for work of equal value.

Réserve

Limitation

(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

(4) An employee may not present an individual grievance relating to the interpretation or application, in respect of the employee, of a provision of a collective agreement or an arbitral award unless the employee has the approval of and is represented by the bargaining agent for the bargaining unit to which the collective agreement or arbitral award applies.

Réserve

Limitation

(5) Le fonctionnaire qui choisit, pour une question donnée, de se prévaloir de la procédure de plainte instituée par une ligne directrice de l’employeur ne peut présenter de grief individuel à l’égard de cette question sous le régime de la présente loi si la ligne directrice prévoit expressément cette impossibilité.

(5) An employee who, in respect of any matter, avails himself or herself of a complaint procedure established by a policy of the employer may not present an individual grievance in respect of that matter if the policy expressly provides that an employee who avails himself or herself of the complaint procedure is precluded from presenting an individual grievance under this Act.

Réserve

Limitation

(6) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur une mesure prise en vertu d’une instruction, d’une directive ou d’un règlement établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui-ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

(6) An employee may not present an individual grievance relating to any action taken under any instruction, direction or regulation given or made by or on behalf of the Government of Canada in the interest of the safety or security of Canada or any state allied or associated with Canada.

Force probante absolue du décret

Order to be conclusive proof

(7) Pour l’application du paragraphe (6), tout décret du gouverneur en conseil constitue une preuve concluante de ce qui y est énoncé au sujet des instructions, directives ou règlements établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui-ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

(7) For the purposes of subsection (6), an order made by the Governor in Council is conclusive proof of the matters stated in the order in relation to the giving or making of an instruction, a direction or a regulation by or on behalf of the Government of Canada in the interest of the safety or security of Canada or any state allied or associated with Canada.

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

Reference to Adjudication

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

209 (1) An employee who is not a member as defined in subsection 2(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(c) in the case of an employee in the core public administration,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

Application de l’alinéa (1)a)

Application of paragraph (1)(a)

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

(2) Before referring an individual grievance related to matters referred to in paragraph (1)(a), the employee must obtain the approval of his or her bargaining agent to represent him or her in the adjudication proceedings.

Désignation

Designation

(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

(3) The Governor in Council may, by order, designate any separate agency for the purposes of paragraph (1)(d).

VI.  Analyse

[17]  Je suis d’accord avec le défendeur que la demande est prématurée, car il existe un recours alternatif par le législateur. Ce principe de droit administratif est bien illustré par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale : Vaughan c Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 RCS 146 (mise en garde contre le recours aux tribunaux sans renvoi à l’arbitrage qui y est prévu) [Vaughan]; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 aux para 35–38, [2012] 1 RCS 364; Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30–33, [2011] 2 RCF 332.

[18]  Le législateur a prévu un processus administratif pour le règlement de différends sous la LRTSPF. La LRTSPF permet au fonctionnaire de présenter un grief individuel à l’égard de diverses questions, telles que la discrimination ou le harcèlement : LRTSPF, art 208. Après avoir porté le grief jusqu’au dernier palier, le fonctionnaire peut choisir de renvoyer son grief à l’arbitrage : LRTSPF, art 209. Dans le présent cas, la demanderesse a reçu la décision du dernier palier et elle a ensuite déposé un avis d’arbitrage.

[19]  Le renvoi à l’arbitrage par la demanderesse démontre que le processus administratif est prématuré. Je note que la demanderesse a attaché le grief comme annexe à l’avis d’arbitrage qui inclue la même série de faits et les mêmes allégations. En effet, les mesures correctives demandées à l’arbitrage incluent que l’employeur cesse et évite tout acte de harcèlement envers la demanderesse et cherche le maintien du milieu de travail sain et sécuritaire exempt de harcèlement.

[20]  La demanderesse soumet qu’il est nécessaire de faire une distinction entre la question de harcèlement et la question de discrimination. Elle souligne que la présente demande de contrôle judiciaire porte sur la question de harcèlement tandis que le processus d’arbitrage porte sur la question de discrimination. Ceci dit, la demanderesse prétend que la Cour devrait exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire, car l’arbitrage devant la Commission porte sur une question différente.

[21]  À mon avis, la distinction suggérée par la demanderesse n’est pas justifiée. Si la Cour exerce sa compétence en matière de contrôle judiciaire, la Cour et la Commission examineraient la même série de faits dans le même contexte. En effet, les mesures correctives demandées portent aussi sur la question de harcèlement.

[22]  Toutes les voies de recours utiles, incluant le recours à l’arbitrage devant la Commission, doivent être épuisées avant que la Cour exercice sa compétence en matière de contrôle judiciaire. Le processus d’arbitrage du grief devant la Commission devrait suivre son cours avant qu’une demande de contrôle judiciaire soit entamée : Vaughan, précité, au para 39; Estwick c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 970 au para 34, 132 ACWS (3d) 907.

[23]  Alors, la Cour refuse d’exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire et rejette la demande, car le processus d’arbitrage devant la Commission constitue le recours approprié. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de considérer la deuxième question en litige.

VII.  Conclusion

[24]  Pour ces motifs, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.

[25]  Les parties se sont entendues sur les dépens d’un montant de 2 000 $. Je suis en accord avec leur entente et le montant proposé.


JUGEMENT DANS T-95-17

  LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens de 2 000 $ au défendeur.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-95-17

INTITULÉ :

ELMIRE AUGUSTIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 novembre 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 19 janvier 2018

COMPARUTIONS :

Me Nicolas Brunette-D’Souza

Pour le demandeur

Me Zorica Guzina

Me Jenna-Dawn Shervill

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Association canadienne des agents financiers

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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